L. 361.  >
À Charles Spon,
le 24 juillet 1654

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à votre dernière datée du 17e de juillet, je vous dirai que l’avis que vous avez donné à M. Champion, [2] touchant Miscellanea medica Smetii[1][3] est très excellent : c’est un fort bon livre qui se vendrait ici fort bien, à quoi je pourrais bien contribuer très fort ; s’il a bien envie de l’imprimer, je souhaite qu’il en trouve un à Lyon ou à Genève ; sinon, je tâcherai de lui en trouver un. Le dessein en est fort bon, il ne s’en repentira jamais, je vous prie de l’en assurer derechef avec mes recommandations très humbles, à lui et à M. Duhan. [4] Je vous prie de saluer en mon nom M. Garnier [5] et de l’assurer que j’ai reçu son Bravo, [2][6] dont je le remercie. Il s’apprête ici quelque chose que je lui enverrai pour récompense, comme aussi à nos autres bons amis, MM. Gras, Guillemin et Falconet, quibus singulis salutem meam nuntiabis[3] Je n’ai encore rien pu découvrir de bon pour votre chirurgien, j’en ai parlé à plusieurs qui n’y trouvent point d’autre expédient que celui de M. Lombard, [7] encore est-il périlleux. Mais où est donc allé notre charlatan [8] Damascène ? [4][9] Cette race d’imposteurs ne manquera-t-elle jamais dans le monde ? Je serais ravi de voir noyer le dernier, c’est l’avarice et l’ignorance qui font les charlatans. Je rencontrai hier M. Pecquet [10] qui me dit qu’il me voulait venir voir et m’entretenir, et que si ce n’était bientôt, qu’au moins ce serait dès que son livre serait fait et qu’il m’en viendrait présenter un. [5] Dès que j’aurai un peu plus de loisir, j’écrirai à M. Rigaud [11] et vous enverrai le marché que j’ai fait avec lui pour le rompre tout à fait, sans s’y attendre davantage, à la charge qu’il vous remettra entre les mains toute la copie ; et après, nous en chercherons un autre. [6][12] Le bonhomme Benoît [13] de Saumur, [7][14] fort vieux, est ici pour un procès ; je ne l’ai point encore vu, mais il est venu céans ce matin et a dit qu’il retournera demain.

Je viens de parler tout présentement, depuis ce que dessus écrit, à un chirurgien juré [15][16] qui ne sait aucun autre moyen assuré pour faire recevoir un chirurgien que de faire comme Cadori, [17] lequel il connaît, ou de faire ce qu’a fait Lombard, s’il s’en veut donner la peine. [8] Si le sieur Libéral a imprimé une feuille de ce manuscrit de feu notre bon ami Hofmannus, c’est M. Rigaud qui me le doit payer ; [9][18] mais je n’ai pas vu cette feuille. Y en a-t-il une, ne pourrais-je pas l’avoir par votre moyen ? Peut-être que M. Rigaud en a vers soi quelque exemplaire.

Le roi [19] est toujours à Sedan, [20] Stenay [21] toujours assiégé d’environ 4 000 hommes, MM. de Turenne [22] et de La Ferté-Senneterre [23] près d’Arras [24] pour tâcher d’intercepter et d’arrêter les convois des Espagnols ; il n’y a encore rien de certain. [10] M. Riolan [25] se porte un peu mieux : tout se fortifie, ce dit-il, hormis les yeux ; il a bien envie de manier Courtaud. [11][26] Et voilà tout pour le présent, je me recommande à vos bonnes grâces et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 24e de juillet 1653. [12]

On a perdu dans Londres un prêtre [27] qui a été surpris y disant la messe, ce qui est capital ; des complices de la conspiration, on dit qu’on en commencera bientôt le supplice. [13] Je vous envoie un Discours du P. de Cerisiers, [28] jadis jésuite, aujourd’hui prêtre, et séculier et aumônier du roi, sur l’éclipse [29] du mois d’août. [14][30][31][32] Le sucre [33] est ici ramendé de 5 sols sur livre à cause de la paix avec les Hollandais, on dit qu’il ramendera encore à cause qu’il en vient une grande quantité de l’Amérique. [15][34] On parle ici de faire de nouveaux offices des finances, etc. Vale.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fo 74 ; Jestaz no 121 (tome ii, pages 1244‑1245). Note de Charles Spon au revers : « 1654/ Paris adi 24/ Juill. Lyon/ adi 29 dud./ Risp. 25 août ».

1.

V. notes [7] et [8], lettre 358, pour le libraire Jean Champion et la réédition avortée des « Mélanges médicaux » d’Heinrick Smet (Francfort, 1611).

2.

V. note [6], lettre 324, pour les Resolutiones medicæ [Réfutations médicales] de Gaspar Bravo de Sobremonte Ramirez (Lyon, 1654).

3.

« que je vous prie de saluer chacun de ma part. »

4.

V. notes [58], lettre 332, pour l’affaire du jeune chirurgien Lombard, et [6], lettre 325, pour Jean-Baptiste Damascène.

5.

V. note [4], lettre 360, pour les Experimenta nova anatomica… [Expériences anatomiques nouvelles…] de Jean Pecquet (Paris, 1651 et 1654).

6.

Toujours les Chrestomathies de Caspar Hofmann (v. note [17], lettre 192).

7.

V. note [14], lettre 222, pour Jean Benoît.

8.

C’est l’unique fois où Guy Patin a évoqué le chirurgien Cadori (prénom inconnu), apparemment établi à Lyon, mais il a souvent parlé du jeune chirurgien Lombard (v. note [1], lettre 35) dans ses lettres à Charles Spon et à André Falconet. La question était de se faire recevoir chirurgien juré à Lyon sans avoir tous les titres requis.

Un chirurgien juré avait parcouru tous les grades du Collège de Saint-Côme (v. note [1], lettre 591), sorte de diverticule de la Faculté de médecine qui ne parvint jamais à entretenir bon commerce avec elle. D’abord apprenti, puis bachelier au bout de quatre ans, l’élève postulait ensuite pour le grade de licencié en chirurgie qui lui conférait le droit d’exercer. « Il ouvrait alors boutique et avait droit à l’enseigne distinctive de la corporation sur laquelle figuraient trois boîtes à onguents. Il lui était aussi loisible, si ses moyens le lui permettaient, de se faire recevoir maître » avec « le bonnet teint en écarlate, les gants violets ornés d’une houppe de soie et la robe longue traditionnelle ». Désormais maître chirurgien juré, il « portait le même costume que le docteur régent de la Faculté de médecine, rédigeait des ordonnances et surveillait le barbier auquel il laissait la pratique manuelle, qu’il jugeait indigne de lui » (Le Maguet, pages 247‑248).

Les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris (1650‑1652), rédigés par Guy Patin, font apparaître qu’il existait aussi des chirurgiens barbiers jurés qui procédaient aux examens de leur maîtrise (v. note [21] des Décrets et assemblées de 1650‑1651).

9.

Guy Patin ne marquait pas toujours de différence nette entre ses L majuscule et minuscule. Pour Libéral, il y a ici ambiguïté entre deux options :

10.

V. note [8], lettre 359, pour le siège d’Arras où Turenne et Hocquincourt unissaient leurs forces à celles de La Ferté-Senneterre et parvinrent à chasser les assiégeants le 6 août.

11.

Manier quelqu’un : « le faire aller à courbettes, pour dire le gourmander, le maltraiter, lui faire faire ce qu’on veut par violence, par autorité » (Furetière).

12.

Étourderie de Guy Patin : 1653 pour 1654.

13.

V. notes [9], lettre 359, pour John Southworth, prêtre catholique condamné à mort pour avoir célébré la messe à Londres, et [9], lettre 357, pour la conspiration de John Gerard (exécuté le 20 juillet).

14.

Guy Patin identifiait le P. René de Cerisiers (ou Ceriziers, Nantes 1609-1662) {a} comme auteur de :

l’Examen du jugement de l’Argolin {b} sur l’éclipse du mois d’août 1654. À M.D.C. {c}


  1. Entré fort jeune (1622) dans la Compagnie de Jésus, Cerisiers avait d’abord enseigné les humanités et la philosophie dans ses collèges ; sécularisé en 1641, il était devenu aumônier du duc d’Orléans puis aumônier ordinaire et conseiller de Louis xiv. Il a publié de nombreux ouvrages historiques, romanesques, théologiques et scientifiques.

  2. Andrea Argoli, v. note [22], lettre 525.

  3. Paris, Pierre le Petit, 1654, in‑4o de 8 pages.

C’est une lettre contre les abus des astrologues, adressée à une dame prénommée Cléone, qui s’achève sur ces phrases :

« Si tout ceci ne persuade les curieux, qu’ils lisent la météorologie d’Épicure, ou plutôt celle du savant Gassendi, qui rejette si solidement le pouvoir des astres et les prédictions de l’astrologie qu’il sera désormais aussi juste de les recevoir qu’il est honorable de rêver. C’est là où il juge son fameux compatriote Nostradamus, {a} lui reprochant en premier lieu qu’il parle avec la même obscurité que les anciens oracles, préparant ainsi des réponses aux reproches qu’on lui pourrait faire. Et puis, rapportant l’exemple de Jean-Baptiste Suffren, dont il a vu l’horoscope apostillé de la main de ce grand devin, qui promet une longue barbe frisée, des dents rouillées, la succession d’un parent, des frères assassins et une femme étrangère à celui qui toute sa vie a été rasé, qui a toujours conservé des dents blanches, qui n’a hérité de personne, qui n’a point eu de frères et qui prit femme dans sa ville. {b} En voilà assez pour faire voir aux sages qu’ils sont maîtres des astres, qu’on ne doit pas craindre, que Dieu est par dessus tout et que c’est lui qu’il faut aimer. »


  1. Le trop célèbre oracle de Salon-de-Provence, mort en 1566, v. note [5], lettre 414.

  2. Cette anecdote {i} est fidèlement résumée dans La Vie de Pierre Gassendi {ii} (livre iii, année 1638, pages 177‑178) :

    « Dès le mois de février, Gassendi accompagna à Arles François Bochart de Champigny, intendant de Provence : {iii} je crois devoir rapporter à ce voyage ce qui lui est arrivé à Salon, dans la maison de J.B. Suffren, juge de cette ville. Il leur communiqua l’horoscope d’Antoine Suffren son père, et frère de Jean Suffren, {iv} jésuite, confesseur de Louis xiii. Cet horoscope était fait et écrit de la propre main de Michel Nostradamus. Charmé de cette découverte, Gassendi voulut examiner cette pièce : il interrogea Suffren sur les circonstances de la vie de son père, dont il était très instruit, ayant vécu longtemps avec lui. Après avoir observé le point précis de sa naissance, que Nostradamus avait calculé selon les règles, Gassendi s’arrêta précisément aux circonstances suivantes : le prétendu prophète disait que Suffren porterait une longue barbe et fort crêpée – et il se fit toujours raser ; qu’il aurait les dents malpropres et mangées de la rouille – et il les eut jusqu’à la mort très blanches ; que dans sa vieillesse, il serait fort courbé – au contraire, il porta toujours son corps fort droit ; qu’à sa dix-neuvième année, il aurait une succession étrangère – il n’eut jamais que celle de son père ; que ses frères lui dresseraient des embûches et que, dans sa trente-septième année, il serait blessé par ses frères utérins – mais il n’en eut jamais, et son père n’eut q’une femme ; qu’il se marierait hors de la Provence – il se maria à Salon même ; qu’à sa vingt-cinquième année, ses maîtres lui apprendraient la théologie, les siences naturelles, qu’il s’appliquerait surtout à la philosophie occulte, à la géométrie, à l’arithmétique, à l’éloquence – il n’étudia que la jurisprudence, dont le prophète ne dit mot. Il oublie aussi de marquer que cette année, il fut reçu conseiller au parlement de Provence. Il ajoute que dans sa vieillesse, il aimerait la navigation, la musique, les instruments – il ne s’embarrassa, ni jeune ni vieux, de toutes ces choses, il ne fit même jamais aucun voyage sur mer et mourut l’an 1597, quoique Nostradamus ne fixât sa mort qu’en 1618. Gassendi ne manqua pas dans la suite de faire usage de cet horoscope contre les astrologues ; »

    1. Écrite par Joseph Bougerel (Paris, 1737, v. notule {b}, note [34], lettre 322).

    2. Relatée par Gassendi lui-même dans ses Animadversiones in decimum librum Diogenis Lærtii… (Lyon, 1649, v. note [1], lettre 147), Physica, pages 970‑971.

    3. V. note [11], lettre 390.

    4. V. note [13], lettre 61.

15.

V. note [4], lettre 86, pour le sucre de canne, denrée réservée à la pharmacie et aux cuisines des gens riches, dont l’Amérique (Indes Occidentales) était une des sources principales. À la grande joie des gourmands, son prix diminuait alors de 25 pour cent, et devait encore baisser. V. note [17], lettre 77, pour la manière de calculer les taux financiers en sols sur (ou pour) livre (20 sols).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 juillet 1654

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(Consulté le 23/04/2024)

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