L. 385.  >
À Charles Spon,
le 18 décembre 1654

Monsieur, [a][1]

Ce 17e de décembre. Je vous donne avis que ma dernière fut du mardi 15e de décembre, dans laquelle j’avais enfermé celle de M. Courtaud, [1][2] et une de M. Huguetan [3] l’avocat pour un des conseillers de votre présidial de Lyon. [4] Tout cela est dans un paquet, lequel vous doit être rendu en main propre par ordre de M. Ferrus, [5] qui est ici et qui a voulu s’en charger pour vous la faire rendre, à la charge que quand il sera à Lyon, il vous ira rendre visite en mon nom, comme il m’a promis en prenant ma lettre, et qu’il vous invitera de boire à ma santé comme nous avons ici bu à la vôtre. Il ne sait pas encore quand il pourra partir d’ici et même m’a dit qu’il ira par la Bourgogne, ayant à aller à Dijon [6] où il séjournera sept ou huit jours. M. Moreau [7] mon hôte vous baise les mains et vous remercie de votre bonne affection. Nous soupâmes hier ensemble et bûmes à votre santé. Je viens d’un bon lieu où j’ai appris que M. de Guise, [8] pour s’être trop avancé en Italie, a été battu, mais qu’enfin il s’est sauvé et est arrivé en Provence ; le courrier n’en est arrivé que cette nuit. Le Plessis-Bellière, [9] qui était son lieutenant, y a été tué ; le cardinal Mazarin [10] en a envoyé consoler sa femme [11] avec le brevet d’une abbaye en Bretagne, de 8 000 livres de rente[2] M. le maréchal de Schomberg [12] est mort à Metz [13] ex suppressa podagra : [3][14][15] voilà un beau gouvernement pour le cardinal Mazarin qui en a déjà l’évêché ; et la place vacante de colonel des Suisses, [16] laquelle vaut bien de l’argent, ce sera peut-être pour le petit Mancini, [17] son neveu. [4][18]

Pour votre lettre du 11e de décembre, laquelle je viens de recevoir avec celle de M. Musnier, [19] je vous en remercie, j’attendrai notre ballot avec toute patience. Si le jugement du procès de vos imprimeurs dépend de la diligence de Messieurs les juges ou de la bonne justice du siècle, je ne sais quand ils en verront la fin car tout le monde se plaint ici de l’un et de l’autre ; et même les uns s’en plaignent, les autres s’en moquent publiquement, et ce désordre me fait pitié. Le Van Helmont [20] me fâche aussi : [5] un méchant livre a tant de crédit et les meilleurs du monde n’en ont point. Si les compagnons imprimeurs [21] ne veulent point travailler à Lyon, les maîtres [22] n’osent ici rien entreprendre faute d’argent et de commerce, et pour la cherté du papier. Tâchez d’avertir M. Borde [23] qu’il fasse bien son Hippocrate[24][25] selon les avis que je lui ai donnés par la mienne. [6] M. de La Chambre le père [26] fait de présent imprimer quelque chose sur les Aphorismes d’Hippocrate [27] qu’il veut dédier à notre Faculté, c’est peut-être ce dont vous avez entendu parler. [7] Je vous enverrai de la thèse [28] de son fils, [29] des nôtres et des autres aussi, avec le livre de M. Perreau [30] qui sera affiché dimanche et qui est chez le relieur. [8] Je n’ai point ouï parler ici du manifeste de ce prince Nic. François de Lorraine, [31] je vous prie de m’acheter une copie de ce que M. Barbier [32] en a imprimé. [9] C’est du plus loin qu’il me souvienne d’avoir ici vu de la petite vérole : [33] il n’y en a point à Paris et n’y en a point eu de tout l’été ni tout l’automne ; il est vrai que fuit annus siccissimus et saluberrimus[10] Toutes les fois que l’on ouvre [34] des petits enfants < morts > de la petite vérole, on ne manque jamais de leur trouver quelque chose de mal dans le poumon, propter mollitiem illius partis. Sæpe etiam intestina afficiuntur, unde diarrhœa vel dysenteria, quam insequitur gangrænosis lethalis[11][35] Le grand remède à tout cela, c’est de les saigner [36] de bonne heure, et même plusieurs fois. Le bézoard [37] n’y vaut rien, non plus que la confection d’hyacinthe [38] ni d’alkermès, [39] ni la thériaque, [40] ni le mithridate. [41]

Pour l’avis que vous me donnez touchant la grande commodité qu’a M. Barbier de faire imprimer et expédier des livres, je puis vous dire que nos libraires de deçà sont en état de ne presque plus rien entreprendre ; adeo multa concurrunt difficilima[12] J’ai fait tirer huit onces de sang ce matin à M. Gassendi [42][43] pour avoir eu mauvaise nuit, de toux, de rhume, [44] et un peu de fièvre. J’espère que tout cela passera en 24 heures, qui n’est provenu que de trop parler : tant de gens le vont voir, pour se réjouir avec lui de sa convalescence, qu’à force de parler, le feu s’est remis en son poumon qui est la partie la plus faible de son corps ; j’espère que ce ne sera rien. Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 18e de décembre 1654, à huit heures du soir.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fo 100, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Jestaz no 142 (tome ii, pages 1320‑1322). Note de Charles Spon à côté de l’adresse : « 1654/ Paris 18e décemb./ Lyon 1er janv. 1655./ Rispost. le même jour ».

1.

V. note [12], lettre 384, pour un large extrait de cette lettre que Siméon Courtaud avait écrite à Charles Spon, parlant de Guy Patin.

2.

Jacques Rougé, marquis du Plessis-Bellière (v. note [17], lettre 357) avait épousé Suzanne de Bruc. La marquise se lia avec Nicolas Fouquet et eut à en subir les fâcheuses conséquences (v. note [4], lettre 715). V. note [4], lettre 382, pour les mésaventures napolitaines du duc de Lorraine, Henri ii de Guise.

3.

« d’une podagre [goutte] supprimée » ; nouvelle prématurée (corrigée dans la lettre suivante) : le maréchal Charles de Schomberg (v. note [10], lettre 209), gouverneur de Metz et colonel des Suisses, mourut à Paris le 6 juin 1656 (v. note [20], lettre 439).

4.

Depuis la mort de son frère Michel-Paul en août 1652, le seul neveu de Mazarin alors en âge de commander un régiment était Philippe-Julien Mancini, futur duc de Nevers (v. note [10], lettre 372).

5.

V. note [4], lettre 340, pour la nouvelle édition de l’Ortus medicinæ… [Naissance de la médecine…] (Lyon, 1655) du chimiste flamand Jan Baptist Van Helmont, dont Guy Patin ne parlait qu’avec exécration.

6.

Projet avorté de rééditer à Lyon l’Hippocrate d’Anuce Foës (v. note [6], lettre 68).

7.

Novæ Methodi pro explicandis Hippocrate et Aristotele Specimen, clarissimis Scholæ Parisiensis Medicis, D.D. Marinus Curæus de La Chambre, Regi a Sanctioribus Consiliis, et Medicus Ordinarius.

[Modèle d’une nouvelle méthode pour expliquer Hippocrate et Aristote, que Marin Cureau de La Chambre, {a} conseiller et médecin ordinaire du roi, a dédié à MM. les très distingués médecins de la Faculté de Paris]. {b}


  1. V. note [23], lettre 226.

  2. Paris, P. Rocolet, 1655, in‑4o (privilège daté du 1er mars 1655) ; divisé en trois parties :

    • commentaires sur les deux livres des Aphorismes d’Hippocrate (158 pages) ;

    • Nova Ratio exponendi libros Acroamaticos Aristotelis… [Nouvelle manière d’exposer les livres acroamatiques (réservés aux initiés) d’Aristote…] (traduction commentée du livre i de la Métaphysique, 69 pages) ;

    • livre i de « La Physique d’Aristote mise en français » (43 pages).

    V. note [7], lettre latine 356, pour la réédition de Paris, 1662.


8.

Afficher : « publier quelque chose par un placard qu’on colle, qu’on attache en un carrefour ou autre lieu public […] ; on affiche les livres nouvellement imprimés pour les faire connaître » (Furetière).

V. notes [3] et [13], lettre 380, pour Le Rabat-joie de l’Antimoine triomphant de Jacques Perreau, et pour la thèse de François Cureau de La Chambre, fils de Marin.

9.

Déclaration de S.A. Nicolas François, duc de Lorraine et de Bar, etc., {a} sur le rétablissement de sa Maison. {b}


  1. V. note [32], lettre 1023.

  2. Bruxelles, H.‑A. Velpuis, 1654, in‑4o ; ce livre pouvait avoir été copié, voire imprimé par Guillaume Barbier à Lyon sous ces noms factices de lieu et de libraire, comme cela se faisait alors souvent pour les libelles séditieux (mais il existait bel et bien un Velpuis imprimeur à Bruxelles).

10.

« ce fut une année très sèche et très saine. »

11.

« à cause de la sensibilité de cette partie. Souvent même les intestins sont affectés, d’où la diarrhée ou la dysenterie à laquelle succède une gangrène mortelle. »

12.

« beaucoup de grandes difficultés s’unissent pour en arriver jusque-là. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 18 décembre 1654

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(Consulté le 19/04/2024)

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