L. 391.  >
À Charles Spon,
le 23 février 1655

< Monsieur, > [a][1]

Depuis ma dernière lettre, laquelle fut du 5e de février, M. Zamet, [2][3] l’évêque de Langres, [4] est mort, il était fort vieux. C’est lui qui a été cause que feu M. l’abbé de Saint-Cyran [5] fut maltraité du cardinal de Richelieu, [6] qui le fit mettre en prison à l’instance des loyolites. Oh, que ce sont de bonnes gens ! [7][8] On dit que l’abbé de La Rivière, [9][10] jadis et par ci-devant premier aumônier de M. le duc d’Orléans, [11] aura ledit évêché afin qu’étant duc et pair de France, il ait séance au Parlement[1] Il peut tout espérer car il n’y a plus rien qui ne puisse arriver, puisque tout se fait pour de l’argent, absolument tout. Quid facient leges, ubi sola pecunia regnat ? [2][12]

Je connais un honnête homme en cette ville, riche, savant, fort spirituel, qui a longtemps vécu à la cour [13] et qui sait merveilleusement du secret des familles, lequel m’a communiqué un fort beau dessein : il a écrit la vie du feu roi, [14] ou plutôt son histoire depuis 1610. [3] Il y aura là-dedans d’étranges choses sur le secret des affaires : des guerres des princes l’an 1614 ; [4] du mariage du roi l’an 1615 ; [5] de la mort du marquis d’Ancre, [15] duquel il a dit beaucoup de bien et l’excuse fort de la médisance du siècle ; [6] de la retraite de la reine mère, [16] comment elle revint et en grâce et à la cour ; [7] comment le cardinal Richelieu fut fait premier ministre d’État ; [8] du P. Arnoux, jésuite, [9][17][18] du connétable de Luynes ; [19] de la guerre contre les huguenots, [20] du siège de La Rochelle ; [21] de la guerre d’Italie, de la défiance de la reine mère contre le cardinal Richelieu et de la Journée des Dupes, [10][22] etc. Et voilà où finira le premier tome, en beaux termes de très pure latinité. Comme il a su le train des grandes affaires, il les décrit dans leur fond et dans leur source, et n’a besoin d’aucun livre de ceux qui ont par ci-devant traité de la même matière. Il n’aime point le cardinal de Richelieu, mais il le tient grand homme, habile et très avisé ; lequel, dit-il, eût fait merveilles dans cette place qu’il avait attrapée, malis artibus[11] n’eût été la mauvaise humeur du roi qui était trop soupçonneux et défiant, et c’est ce qui a tout gâté. Il dit que la marquise d’Ancre [23] n’avait point mérité la mort et que le Parlement de Paris eut grand tort d’envoyer cette pauvre femme mélancolique [24] à la Grève, [25] etc.

M. Courtaud [26] a trouvé chaussure à son pied : irritavit crabronem[12][27][28] lequel a plusieurs moyens de se venger de ses ennemis en tant qu’il est très puissant ; et quelque chose que fasse M. Courtaud, il n’aura guère d’honneur de continuer la querelle s’il ne veut écrire d’un autre style plus raisonnable et moins outrageux. Nemo non ridet tot convicia, quæ splendida bilis et iracundia vindictæque cupido suggesserunt[13][29] Il y a bien un des nôtres qui fait imprimer quelque chose contre l’antimoine [30] et les bourreaux qui en donnent ; il n’en reste que la préface à faire, mais l’impression ne s’en fait point à Paris, propter metum Iudæorum[14][31] C’est en dépit de Guénault, [32] et afin qu’il n’en puisse rien découvrir pour éviter < les > procès et la chicane, et qu’il ne sache à qui s’en prendre de tout ce qu’il y aura là-dedans ; car j’apprends que l’on parle contre lui là-dedans fort hardiment et fort véritablement, et comme il le mérite. C’est lui qui a causé tous les désordres que l’antimoine a produits dans Paris, par son avarice et par l’envie qu’il a eue de se faire connaître pour gagner davantage. On nous menace encore de quelque réponse, mais nous sommes tous accoutumés aux injures et ils n’ont que cela à nous dire. Les raisons sont de notre côté, les mauvaises expériences sont partout contre eux, jusqu’à la famille de Guénault qui a vu mourir de ce poison sa troisième fille, [33] son premier gendre [34] et son neveu, [35] qu’avez connu ; sans parler des poulets fricassés, qui est une rencontre qui lui a causé ici beaucoup d’ignominie ; mais on peut dire très véritablement de cet homme, habet frontem meretricis, nescit erubescere[15][36]

Je vous rends grâces pour les thèses [37] que vous m’avez envoyées depuis peu de M. Sebizius, [38] j’y en ai trouvé de bonnes. Cet homme a l’esprit gentil et bien réglé, il est bon docteur et enseigne utilement. Je voudrais que tout ce qu’il a fait se pût aisément recouvrer.

Il y a 30 ans que les jeunes gens ne parlaient aux dissections [39] que des méats cholédoques et sic ineptiebant[16][40] laissant à part ce qui était le plus nécessaire pour bien faire le métier des gens de bien. Tout le fait de Pecquet [41] est une nouveauté que je suis tout prêt de croire lorsqu’elle aura été bien prouvée, et qu’elle apportera de la commodité et de l’utilité in morborum curatione ; quo excepto[17] je n’en ai que faire. [42][43]

Le nouveau livre de M. Guillemeau contre M. Courtaud est ici fort bien reçu et loué de ce qu’il se défend contre un agresseur si impudent, si injurieux et si mal fondé ; [18] et quelque chose que fasse ou qu’entreprenne ledit Courtaud, c’est chose certaine qu’il n’aura jamais le dernier < mot >. Irritavit virum potentem in opere et sermone[19] qui possède hautement toutes les bonnes qualités qui peuvent servir à un homme pour terrasser ses ennemis ; et à tout prendre, le sieur Courtaud n’est qu’un ver de terre au prix de lui.

Voici qui est tout vrai et tout nouveau : M. Gassendi [44] a voulu faire carême [45] et s’en est fort mal trouvé ; je l’en avais averti, mais il a voulu attendre que le mal le surprît, comme il a fait. Hier au soir, il se trouva fort mal d’une colique furieuse ; [46] ensuite de quoi, il lui vint un grand flux de ventre [47] et un vomissement qui l’ont cruellement agité toute la nuit. Il m’a envoyé quérir de grand matin, j’y suis allé sur-le-champ, je l’ai trouvé fort ému, fort agité, le choléra morbus [48] persévérant avec grande fièvre. Je l’ai fait saigner à l’instant, præscripta victus lege et aliquot enematis, a quibus singulis paulo melius habet[20][49] Je lui ai dit que je vous manderais aujourd’hui ce désordre, mais il m’a prié de vous avertir que vous n’en disiez encore rien à M. Barbier, [50] de peur qu’il ne l’écrive en Provence à ses parents qui s’en alarmeraient. Voilà un désordre prévu et survenu per præposteram pietatem quæ multos morbos generat esuriali hac tempestate[21] Si vous le jugiez à propos, vous en pourriez avertir M. de Champigny, [51] votre intendant de justice, qui sera peut-être bien aise d’en être averti ; mais que ce soit, s’il vous plaît, per te ipsum [22] et non point par M. Barbier, pour la raison que je vous ai alléguée.

Je viens tout présentement de chez M. Gassendi, lequel est tout autrement mieux que ce matin. Le sang qu’on lui a tiré est horrible de pourriture. Il a encore vomi plusieurs fois, mais son ventre commence à s’arrêter ; facili fruitur et libera liberalique expectoratione[23] cela désemplit son poumon de vilaines matières, lesquelles y étant retenues et supprimées plus longtemps y pourraient mettre le feu. C’est la partie la plus faible de son corps, naturellement à lui et par accident, vitio ætatis[24] à la plupart des vieilles gens. J’ai ordonné que si cette nuit est bonne, qu’il se contente d’aliments et de tisane ; [25][52][53] sinon, que dès le grand matin ou même cette nuit, s’il est pressé, on le saigne de l’autre bras ad contemperationem fervoris viscerum[26] qui est une cause qui peut tout gâter en mettant le feu partout, et surtout l’inflammation dans le poumon [54] et la gangrène [55] dans les entrailles nourricières : quam quidem tetram tabem si præcavemus, cetera sunt sperabilia ; abundeque restabit quod speremus amantes in viro optimo, et eminentissimo philosopho[27][56]

Toute la nouvelle de deçà est fort grotesque : un conseiller de la Grand’Chambre nommé le président Champrond, [57] fort vieux et pene capularis senex, imo silicernium[28] se va remarier à la fille d’un autre conseiller nommé Colombel, [29][58][59] laquelle n’a pas grands biens et à laquelle il fait de grands avantages. [60][61] Turpe senex miles, turpe senilis amor. Merito suspecta libido est, quæ venerem affectat sine viribus[30] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble, etc.

De Paris, ce 23e de février 1655.


a.

Reveillé-Parise, no cclxv (tome ii, pages 150‑154).

1.

Sébastien Zamet (Paris 1587-Mussy-sur-Seine, Aube, 2 février 1655) était fils de Sébastien Zamet, baron de Murat et de Billy, banquier fortuné et gouverneur de Fontainebleau, et dit-on, petit-fils d’un cordonnier de Lucques en Italie, dont la famille avait suivi l’installation de Marie de Médicis en France (1580) ; il était apparenté par sa mère, Madeleine Leclerc du Tremblay, au Père Joseph (v. note [8], lettre 19). Après des études théologiques à la Sorbonne, il avait été ordonné prêtre en 1614 et sacré évêque-duc de Langres en 1615. Zamet s’occupa avec beaucoup de zèle à réformer son diocèse et devint directeur de Jacqueline Arnauld (Marie-Angélique de Sainte Madeleine, dite la Mère Angélique), abbesse de Port-Royal.

En 1633, il avait fondé l’Institut du Saint-Sacrement dont elle devint supérieure. Très vite l’Institut fut soumis aux attaques pour avoir promu un livre composé en 1626 par la Mère Agnès (Jeanne Arnauld, sœur de Jacqueline), le Chapelet secret du Saint-Sacrement, condamné pour hérésie par un groupe de docteurs en Sorbonne. L’énergique abbé de Saint-Cyran, Jean Duvergier de Hauranne (v. note [2], lettre 94), vint heureusement au secours de l’Institut, mais ne parvint pas à demeurer longtemps en bons termes avec Zamet dont il désapprouvait singulièrement les goûts opulents. Évincé du Saint-Sacrement et de Port-Royal en 1636, l’évêque de Langres avait rejoint le camp des ennemis résolus de Saint-Cyran, jésuites et autres. La vive querelle avait abouti en 1638 à l’emprisonnement de Saint-Cyran et à la fermeture de l’Institut. Le mémoire rancunier de Zamet sur cette dispute, Copie d’une lettre de Mgr l’évêque de Langres à Mgr l’évêque de Saint-Malo [Achille de Harlay de Sancy, émissaire de Richelieu] (sans lieu ni date, 1638) avait contribué à sceller le malheureux sort de Saint-Cyran et à discréditer son auteur auprès de la plupart des évêques, et de Richelieu lui-même. Définitivement brouillée avec son ancien directeur, la Mère Angélique avait composé une Relation de la conduite que M. Zamet, évêque de Langres, a tenue à l’égard du monastère de Port-Royal, de la Maison du Saint-Sacrement, de M. l’abbé de Saint-Cyran et de la Mère Marie-Angélique, pour servir d’éclaircissement et de réponse à un mémoire de ce prélat (restée manuscrite jusqu’en 1742). Zamet s’était retiré dans son diocèse, dépensant jusqu’à la ruine son immense fortune pour secourir pauvres et malades (Dictionnaire de Port-Royal, pages 1025‑1026).

Aussitôt nommé pour lui succéder, Louis Barbier, abbé de La Rivière, revenu en grâce auprès de la cour, fut sacré le 2 janvier 1656 (Gallia Christiana). Les évêques de Langres étaient ducs et pairs de France, ils portaient le sceptre lors des sacres royaux.

2.

« Que peuvent les lois, quand l’argent seul est maître ? » (Pétrone, v. note [4], lettre 266).

3.

Plus tard, Guy Patin a donné son collègue Charles Guillemeau (v. note [5], lettre 3) pour ce fin connaisseur des affaires de la cour de Louis xiii, où il avait assidûment servi, mais son dessein d’écrire une telle histoire n’a pas abouti.

4.

Dans un manifeste publié en février 1614, M. le Prince, Henri ii de Bourbon-Condé, avait exigé la réunion des états généraux (v. note [28] du Borboniana 3 manuscrit). Lui-même, Bouillon, Longueville, Mayenne et Nevers avaient ensuite fait sécession dans leurs gouvernements et levé des troupes. Le 15 mai, Marie de Médicis concluait avec les princes le traité de Sainte-Menehould, qui leur concédait d’énormes avantages financiers et convoquait les états généraux qui furent les derniers de l’Ancien Régime avant ceux de 1789.

5.

Louis xiii avait épousé Anne d’Autriche le 25 novembre 1615 à Bordeaux.

6.

V. note [8], lettre 89, pour l’assassinat du maréchal d’Ancre, le 24 avril 1617.

7.

En 1617, Marie de Médicis (v. note [28], lettre 7), en guerre ouverte avec son fils, Louis xiii, avait été exilée de la cour (emprisonnement au château de Blois le 17 mai) et n’y était revenue qu’à la mi-novembre 1620.

8.

Richelieu avait fait son entrée au Conseil le 29 avril 1624.

9.

Jean Arnoux, jésuite (Riom 1576-Toulouse 1636) fut d’abord le confesseur du connétable de Luynes (le duc Charles d’Albert, v. note [15], lettre 205) qui, désireux d’affermir son emprise sur le jeune roi, lui confia la direction de la conscience de Louis xiii, après le P. Pierre Cotton (v. note [9], lettre 128). Au contraire de ce que le connétable attendait de lui, le P. Arnoux exerça honnêtement sa charge, œuvrant pour écarter le roi des mauvaises influences politiques auxquelles il était soumis. Juste avant de mourir inopinément en 1621, le duc de Luynes obtint son éviction (R. et S. Pillorget et G.D.U. xixe s.).

Les Nouvelles Remarques sur Virgile et sur Homère et sur le prétendu style poétique de l’Écriture sainte, ou les Sopho-mories et les folies des sages et des savants. Dans lequel on réfute les erreurs des spinosistes, sociniens et arminiens, et les opinions particulières et hétérodoxes des plus célèbres auteurs, tant anciens que modernes {a} ont donné ce pittoresque portrait (§ xxi, pages 89‑92) :

« Le Père Arnoux jésuite fut de son temps le plus célèbre et le premier prédicateur de Paris et de la cour. Son éloquence était vive, naturelle, fleurie, hormis que quelquefois il lui échappait des mots auvergnats en chaire, dont il n’avait pu se corriger : comme une fois qu’il dit en prêchant, Chacun sait où son soulier le cache, qui est un terme auvergnat pour dire “ le presse, le blesse, l’écache, {b} lui fait mal ” ; ce qui obligea un seigneur des plus polis de la cour de s’écrier, Il faut qu’un soulier soit bien grand pour pouvoir cacher un homme. À cela près, c’était un des plus grands orateurs qui ait jamais paru. M. de Balzac {c} en parle dans une de ses lettres :

Mais là-haut on se moque de nous,
Disait un jour Révérend Père Arnoux
.

Il eut sa marotte {d} sur ses vieux jours, comme d’autres grands hommes. Il tomba malade et crut avoir été métamorphosé en coq. Il commença à chanter comme les coqs, à voltiger et à sauter sur les chaises de sa chambre comme les coqs, à se cacher sous le lit et à se hucher {e} sur des perches et sur des bâtons qu’il avait tendus d’une muraille à l’autre, à ne vouloir manger que des miettes de pain ou de la viande hachée menu dans des écuelles plates de bois, comme les coqs ; et depuis ce jour-là les jésuites n’eurent que faire de réveille-matin pour se lever et aller à l’oraison car, dès que la pointe du jour et le premier rayon de l’aurore commençait à paraître, et sur les trois ou quatre heures, ce nouveau coq commençait à chanter de toutes ses forces dans tous les dortoirs et couloirs de la maison, en criant co, co, co, coudaque, pour imiter le chant des poules : ce qui fit dire un bon mot au même M. de Balzac dont nous avons parlé, lorsqu’on lui raconta la maladie et la faiblesse du Père Arnoux : C’est maintenant, dit-il qu’on aura raison de dire que le Père Arnoux est le coq des jésuites. Si on l’entendait à Rome, il ferait pleurer saint Pierre.

Mais comme au milieu de sa maladie, il en avait une autre encore plus grande, qui était de vouloir toujours aller à la cour et d’aller chanter dans le palais des rois, il fallut qu’un jésuite de ses amis, pour le guérir de cette fantaisie, contrefît le coq et lui persuadât qu’il avait été aussi bien que lui métamorphosé en coq ; puis il se couvrit en effet de plumes de coq qu’il mit avec une belle crête rouge sur son nez et sur sa tête ; ensuite, il lui dit : “ Gardons-nous bien, mon confrère coq, d’aller chanter à la cour, on nous y tuerait bien vite, car en ce pays-là on se lève tard, on aime dormir à la grasse matinée et on ne veut point y entendre chanter les coqs. Sortons même de la ville et allons nous-en ensemble, si vous m’en croyez, demeurer à la campagne dans quelque pauvre maison de village. C’est l’avis que nous donne le poète Virgile dans ces beaux vers-ci :

O tantum libeat mecum tibi sordida rura,
atque humiles habitare casas
. {f}
“ Je suis coq comme vous, fuyons la cour des rois,
Ne chantons qu’au village, et sous de petits toits. ”

Ces quatre vers latins et français firent plus d’impression sur le Père Arnoux pour le rendre raisonnable que toutes ses prédications n’en avaient fait sur ses auditeurs pour en faire de bons chrétiens. On lui ajouta ces deux-ci pour achever de le convertir :

“ Un coq qui chante mal, jésuite qui radote,
Perd sa crête à la cour, et prend une marotte. ” » {g}


  1. Ouvrage anonyme de l’abbé Pierre-Valentin Faydit (Riom 1640-1709) : sans lieu ni nom, 1710, in‑12 de 292 pages.

  2. Froisse.

  3. V. note [7], lettre 25.

  4. Marotte : « passion violente qui cause quelque dérèglement d’esprit approchant de la folie » (Furetière).

  5. S’appeler l’un l’autre, chanter.

  6. Bucoliques, églogue ii, vers 28‑29 : « Qu’il te plaise seulement d’habiter avec moi ces pauvres campagnes, en d’humbles chaumières. »

  7. La marotte était aussi la marionnette que portaient les fous (v. notule {b}, note [37], lettre 301).

    La bizarre démence du P. Arnoux évoque en premier lieu aujourd’hui une paralysie générale (syphilitique, v. note [9], lettre 122).


10.

Durant sa régence, la mère du roi Louis xiii, Marie de Médicis, fut soumise à la néfaste influence du maréchal d’Ancre, Concino Concini, et de son épouse Éléonore Galigaï (v. note [8], lettre 89). Le 10 novembre 1630, estimant que le cardinal de Richelieu, son protégé, avait abusé du pouvoir, la reine mère décida de le bannir. Lors d’une entrevue au palais du Luxembourg, Louis xiii, son fils, avait d’abord semblé d’accord et tout le parti de la reine mère s’en était aussitôt réjoui sans retenue. Dès le lendemain, lundi 11 novembre, Richelieu se rendit pourtant auprès du roi, retiré à Versailles, et accomplit la prouesse de le faire entièrement changer d’avis.

Grand faiseur de bons mots, Guillaume i de Bautru (v. note [15], lettre 198) donna immédiatement le nom de Journée des Dupes à ce bouleversement qui anéantit l’influence de Marie de Médicis, vouée à un nouvel emprisonnement puis à l’exil perpétuel, et établit l’hégémonie de Richelieu sur la politique de la France.

11.

« par de mauvais procédés ».

12.

« il a irrité le frelon [jeté l’huile sur le feu] » (v. note [8], lettre 386) ; « lequel », qui suit, désigne ici le frelon (crabronem) : Charles Guillemeau, champion de la Faculté de médecine de Paris dans la guerre de libelles qui l’opposait à Siméon Courtaud, doyen de Montpellier (vLes deux Vies latines de Jean Héroard).

13.

« Personne ne se prive de rire pour tant de criailleries que la bile éclatante et le désir de vengeance ont produites » ; splendida bilis est une expression d’Horace (Satires, livre ii, iii, vers 141) exprimant la colère d’Oreste contre Pylade et sa sœur Electra.

14.

« par crainte des juifs. » Cette expression se trouve trois fois dans l’Évangile de Jean :

Toutefois, le mot juifs (ou pharisiens, v. note [14], lettre 83) s’accorde ici mal avec l’habitude qu’avait Guy Patin, dans la querelle de l’antimoine, d’appeler « bons Israélites » (v. note [22], lettre 406) les ennemis de l’émétique, et de « Samaritains » (v. note [18], lettre 488), ses partisans. L’expression est néanmoins réutilisée dans la lettre à Charles Spon, datée du 9 mars 1655 (v. sa note [7]). Toujours est-il qu’en ce premier trimestre de 1655, les deux partis ont échangé une grêle de libelles anonymes dont les deux principaux antagonistes identifiés étaient Jacques Thévart (pour l’antimoine, v. note [23], lettre 146) et François Blondel (contre, v. note [11], lettre 342) ; dans ce fatras (v. note [11], lettre 342), il est impossible d’identifier avec assurance le pamphlet contre l’antimoine auquel Patin faisait ici précisément allusion.

15.

« il a l’impudence d’une putain, il ne sait pas rougir » (Jérémie, v. note [15], lettre 227). Ce qui précède répétait des accusations meurtrières contre Guénault et son antimoine : la mort de sa troisième fille, Catherine, en 1653, de son gendre, l’avocat Jean ou Antoine Guérin, en 1654, et de son neveu, Pierre Guénault, en 1649 ; quant aux poulets fricassés qui faillirent coûter la vie à Eusèbe Renaudot en 1654, il n’y avait pas lieu d’y impliquer l’antimoine.

Parmi les pamphlets du temps sur l’antimoine, on trouve (recueil BnF 4‑YC‑27) cette pièce isolée qui n’est pas sans rappeler les propos et le genre de Guy Patin :

« In Mauvilani soteria,
Orthodoxi ad Alethophanem Epigramma

Febre laboraret quum Mavvilanus acuta,
Tum Soceri timuit morte perire sui.
Laudantur Medicis Stibii Miracula frustra ;
Hanc tenuit fati conscius Æger opem
.

Parcite, ait, Stibio, solita neque cædere lege
Pergite, sint aliis Toxica mista, precor.
Artibus his cecidit Tibi Nata, Maræe, Guenalte,
Et Socer ante Mihi, tum Gener ipse Tibi
.

Sævit Autores, Nemesis sic vindice, virus ;
Quod prius in votis, causa timoris erat.
Protinus ignovit Turba exorata Medentum ;
Unaque sit Stibio mox caruisse salus
.

Sonnet d’Orthodoxe à Aléthophane, {a}
sur la guérison 
{b} de Mauvillain

De fièvre tourmenté, le bouillant Mauvillain
Ayant peur de mourir ainsi que son beau-père, {c}
Ne voulut avaler de drogue délétère,
Dont ceux qui le traitaient prêchaient merveille en vain.

Pour d’autres, leur dit-il, mélangez votre vin,
Cessez de nous tuer selon votre ordinaire ;
La fille de Marais par cet art téméraire,
Celle aussi de Guénault, et son gendre, ont pris fin.

J’ai toujours dans l’esprit, que Némèse {d} Déesse,
Des méfaits tôt ou tard très juste vengeresse,
Un jour nous punira par le même poison ;
Vous étonnez-vous donc si j’en ai tant de crainte ?
De pitié cette tourbe au fond de l’âme atteinte,
lui fit grâce ; et soudain il reçut guérison. »


  1. Orthodoxe et Aléthophane étaient les pseudonymes génériques qu’employaient alors respectivement les ennemis (dont François Blondel) et les partisans (dont Jacques Thévart) de l’antimoine.

  2. V. notule {a}, note [14], lettre 387, pour le mot soteria (sotérie) qui ne désigne pas la guérison elle-même, mais le poème qu’on écrit pour en remercier le Ciel.

  3. Signeur de l’antimoine en 1652 (v. note [3], lettre 333), Armand-Jean de Mauvillain (v. note [16], lettre 336) était le gendre de Jacques-Philippe Cornuti (mort en 1651, v. note [5], lettre 81).

  4. Némésis, v. note [3], lettre 395.

16.

« et s’y perdaient en sottes conjectures ».

Les méats cholédoques désignaient les conduits de la bile hépatique (jaune) : le canal hépatique, venu du foie, et le canal cystique, venu de la vésicule biliaire, se réunissent pour former le canal cholédoque qui va s’aboucher dans le duodénum (première partie de l’intestin grêle, au sortir de l’estomac).

17.

« dans le traitement des maladies ; sans quoi ».

Guy Patin réitérait ici, sur l’écoulement de la bile (du foie dans le duodénum) et du chyle (v. note [26], lettre 152), son douteux credo (v. note [10], lettre 288) : contrairement à Jean ii Riolan et beaucoup d’autres, les nouveautés de la science médicale (circulation du sang et du chyle, formation du sang, etc.) n’auraient guère suscité ses passions, pour ou contre, dans la mesure où elles n’influaient pas directement sur sa pratique médicale.

18.

V. note [3], lettre 390, pour la Defensio altera… de Charles Guillemeau.

19.

« Il a mis en colère un homme puissant en actes et en paroles ».

20.

« lui ai prescrit une alimentation légère et quelque lavement, qui l’ont tous deux un peu amélioré. »

21.

« à cause de la piété mal placée qui engendre beaucoup de maladies en ce temps de jeûne. »

22.

« par vous en personne ».

23.

« il crache avec facilité, abondance et soulagement ».

24.

« par l’outrage des ans ».

25.

Aliments est à comprendre comme un régime léger, limité à l’indispensable et de digestion aisée.

26.

« pour bien tempérer la chaleur des viscères ».

27.

« si nous les préservons chacune de l’horrible tabès [v. note [9], lettre 93], on peut espérer une autre issue ; et nous espérons qu’il restera bien assez de santé à cet homme de grande qualité et très éminent philosophe que nous aimons. » Les entrailles nourricières sont les intestins.

28.

« et qui a presque un pied dans la tombe, pour ne pas dire qu’il est un cadavre ambulant ».

Jean ii de Champrond (mort le 3 août 1658 âgé de 80 ans), second fils de Jean i (v. note [24], lettre 39), avait été reçu en 1609 conseiller au Parlement de Paris, puis président en la deuxième Chambre des enquêtes, en 1632, pour enfin monter à la Grand’Chambre après s’être fait catholique. Sa première femme, Jacqueline du Lys était morte en 1647, et sa deuxième femme, Suzanne de Roussy, le 27 décembre 1654 ; la troisième (dont parlait ici Guy Patin) allait être Anne de Cugnac-Dampierre (ce qui ne correspond pas au nom de Colombel donné par Patin ; peut-être y eut-il une autre prétendante) (Adam et Popoff, no 877).

Tallemant des Réaux a consacré une historiette à Champrond (tome ii, pages 626‑627) :

« C’était un président des Enquêtes qui, étant demeuré veuf et sans enfants, assez âgé et fort avare, se remaria à une fort jolie personne, mais elle ne lui dura rien. En troisièmes noces, il se remaria avec la fille d’un marquis de Dampierre qui était fort gueux : cette personne est honnêtement follette ; hors qu’elle a les cheveux roux, elle peut passer pour jolie. Il fallait souper tous les soirs à sept heures et se coucher à huit ; mais elle se relevait à une heure de là et ne revenait se coucher qu’à cinq heures du matin. Je crois qu’elle se servait de quelque drogue pour l’assoupir. Le bonhomme se levait pour aller au Palais et ordonnait bien qu’on ne réveillât point sa femme. Il était sous-doyen du Parlement car, pour monter à la Grand’Chambre, il avait quitté sa commission. Quelquefois, il lui prenait des chagrins du grand abord {a} qu’il y avait chez lui, mais Madame l’apaisait en lui remontrant que sa sœur, qui logeait avec elle, ne trouverait mari s’il ne venait bien du monde les voir. Enfin, il tomba malade l’été 1658. Au 17e jour de sa maladie, il appelle sa femme. “ Madame, lui dit-il, ce M. Brayer {b} fait durer mon mal autant qu’il peut, cela me ruine ; congédiez-le ; la nature me guérira bien sans lui. ” Et le soir il dit à une fille : “ Charlotte, à quoi bon deux chandelles ? Éteignez-en une. ” Le lendemain, il fut à l’extrémité. Sa femme, qui n’avait pas découché, le voyant dans une convulsion, fait aussi l’évanouie de son côté ; elle ne manquait jamais à jouer la comédie. Il revint qu’elle faisait encore la pâmée. “ Revenez, ma chère, lui dit-il, revenez. J’ai fait tirer mon horoscope, je dois avoir quatre femmes ; vous n’êtes encore que la troisième. ” Cependant, il passa le pas. Elle le sut si bien cajoler qu’outre tous les avantages qu’il lui avait faits, elle lui fit donner 24 000 livres à sa sœur, un laideron qu’il haïssait comme la peste. »


  1. Grande affluence de personnes.

  2. Nicolas Brayer, v. note [2], lettre 111.

29.

Claude Colombel (mort le 9 août 1669) avait été reçu, en 1636, conseiller au Parlement de Paris en la troisième des Enquêtes. Sous-doyen de cette chambre en 1658, il monta à la Grand’Chambre en 1667. Il avait épousé Marie Joly (Popoff, no 995).

30.

« Honte au soldat trop vieux, honte au vieil amant. Justement suspect est le désir qui convoite un amour dont il n’a plus les forces. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 23 février 1655

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(Consulté le 24/04/2024)

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