L. 426.  >
À Charles Spon,
le 16 novembre 1655

Monsieur, [a][1]

Voilà que je change de nouveau papier pour voir s’il rencontrera mieux que quelques feuilles de par ci-devant, lesquelles ont maculé. Ceux qui m’ont fourni ledit papier disent que c’est l’encre qui perce. Je cherche pareillement d’autre encre afin de vous envoyer de mes lettres un peu plus agréables, in quibus legendis tibi minus obrepat fastidii[1][2] Après quoi, je vous dirai que je vous envoyai ma dernière le mardi 2d de novembre en deux pages par la voie de M. Guillemin. Dorénavant j’attends des vôtres et des nouvelles de M. Barbier, comme aussi des livres de M. Huguetan, [3] et surtout du Lexicum Martinii[4] et quelque partie des œuvres de Hottingerus, [5] ministre de Zurich, [6] si vous avez pu en découvrir quelque chose. [2]

Mais voilà votre lettre du 29e < d’octobre > qui me vient d’être apportée. Je vous remercie de l’avis que m’avez donné touchant Clavis Clavennæ ; [7] je n’en ai plus que faire, tous ces livres médicamentaires ne sont bons qu’à faire des empiriques [8] dont il n’est que beaucoup trop. J’ai céans quelque part ce livre de M. Scharpe, [9] in‑4o imprimé en Italie. [3]

Ce prétendu médecin nommé Saint-Germain [10] est un homme d’environ 45 ans, mal fait, maigre et décoloré, qui ne fut jamais de notre Faculté et n’aura jamais cet honneur. Il est fils d’un marchand du Palais. Il se rendit moine à 16 ans, il en est sorti après y avoir porté l’habit environ 20 ans, et a commencé à faire de méchants livrets qu’il a dédiés à Vautier [11] et autres médecins de la cour pour tâcher d’en attraper quelque emploi ou faveur. Voyant qu’il ne gagnait rien ici, il s’en alla à Étampes [12] où il s’est morfondu environ deux ans, et est revenu ici où il a fait encore quelque méchant livre. [4] Pour de l’emploi, il n’en a point : j’ai vu autrefois de ses parents malades qu’il avait vus, qui l’avaient quitté et le méprisaient fort ; et non sans raison, in eorum enim curatione plane cæcutiebat[5] il ne sait ce qu’il fait ni ce qu’il dit. Il s’accoste volontiers de moi quand il me rencontre à pied ; il me disait il y a environ six mois (et oncques depuis ne l’ai-je vu) que sa femme était grosse, que M. le cardinal [13] serait bientôt son compère, [6] qu’il l’avait fait être médecin du roi, qu’il était couché sur l’état, qu’on lui avait avancé la première année de ses gages et alia mendacia[7] De ses livres, je n’en ai vu aucun, la mauvaise mine de l’auteur est capable de m’en dégoûter, sans les autres vices qu’il a. Il est médecin comme je suis peintre, il ne fait rien d’ailleurs. Laid et mal fait, qui bonus esse potest ? [8][14]

M. Meyssonnier [15] m’a écrit et m’a envoyé son factum en latin, où je suis nommé deux fois et mis en parallèle avec Courtaud de Montpellier : [16][17] me voilà en bonne compagnie, je n’ai plus qu’à me recommander à Dieu et dire avec frère Jean [18] de l’auteur François, [19] Vogue la galère. [9] Il dit qu’il viendra ici pour son appel, je ne lui ferai point réponse puisqu’il viendra. S’il y cherche de la pratique, peut-être qu’il y en trouvera car il y en a pour les fous, les charlatans [20] et les ignorants, mais bien plus pour les sages. La pratique de Paris ressemble au royaume des cieux : regnum cælorum vim patitur, et violenti rapiunt illud[10][21] Voilà comment fait Béda des Fougerais : [22] il en attrape beaucoup par le moyen des apothicaires et dès qu’il est connu tel qu’il est, on le quitte là. Le jeune Sanche [23] est encore ici, il me vint voir hier et me flatte fort ; il a la tête légère et bien du babil, mais cet homme n’aime presque personne.

J’ai céans le livre de M. Derodon tout nouveau de l’Eucharistie, où j’ai vu en passant M. Gassendi cité. [11][24][25][26] La conversion de la reine de Suède [27][28] n’est pas grande chose, cela serait plus considérable si elle était encore reine en effet, indeque haberet Roma ex quo uberius gauderet[12] Ces vers sur la ligue des petits Cantons ne pourront-ils pas venir jusqu’ici ? [13][29] J’attendrai avec patience le livre de M. Barbier, savoir la Philosophie de la cour sainte[14][30] et vous prie de lui dire que je lui ai obligation de sa bonne volonté ; mais nos libraires, qui ne sont guère échauffés, ne traiteront pas avec lui de ce livre qu’ils ne l’aient premièrement vu. M. Foreau [31] n’est pas d’Enghien mais de Vendôme.

Ce 3e de novembre. J’ai vu ce matin M. Jost, [32] un de nos libraires, qui est fort malade. J’y ai été appelé en consultation avec un de nos jeunes médecins de genere stibialium[15][33][34] Il est en grand danger et je ne sais s’il en échappera. Il est un des bons amis de MM. Huguetan et Ravaud, [35] je vous prie de leur dire cette nouvelle et de leur faire mes très humbles recommandations ; ils ne seront peut-être pas marris d’en être avertis. Il est mort ex stibio [16] le 8e de novembre. [36]

J’apprends que le pape [37] a fait arrêter à Rome prisonnier un prêtre qui avait fait un livre de Inhabilitate Papæ Alex. vii[17] Cet homme est bien hardi, je gagerais bien qu’il n’est point jésuite : [38] ces carabins du P. Ignace [39] sont bien plus fins et plus adroits, non sic agunt cum Principibus ; [18] le Petrus Aurelius, [40] homme divin et excellent écrivain, les a autrefois appelés omnium adulatores, omnium inimici ; [19] c’est une des vérités de M. l’abbé de Saint-Cyran qui leur en a bien dit d’autres fort hardiment.

Ce jeudi 4e de novembre. Le roi [41] était à Chantilly [42] où il était allé faire la Saint-Hubert à la chasse, [20][43] et y devait être jusqu’à dimanche prochain ; mais quelque chance nouvelle est arrivée qui l’a obligé d’abandonner son plaisir de la chasse et d’aller vitement avec le Mazarin à Compiègne, [44] où ils doivent aujourd’hui coucher pour être demain à La Fère, [45] et delà pourvoir aux affaires de la frontière ; on dit que c’est Le Quesnoy [46] que les Espagnols ont assiégé.

J’ai ici rencontré dans les rues M. Caze [47] que je pensais à Lyon ou en Languedoc. Il m’a dit qu’il avait bu à Lyon avec vous à ma santé, dont je vous remercie, et qu’il avait une lettre de M. Huguetan à me donner, laquelle il pensait avoir été perdue ; mais que depuis il l’avait retrouvée et qu’il me l’apporterait ; elle sera de vieille date.

J’ai fait vos recommandations à M. Moreau [48] qui en a été bien aise. Il vient tous les jours en consultation [49] avec moi pour une dame de qualité (elle est femme d’un maître des comptes et a plus de 80 000 écus de rente), c’est moi qui en suis l’ordinaire ; [21] M. Guillemeau [50] y vient aussi, d’autant qu’il est parent du mari. Nous nous rencontrons là tous les jours et nous disons ensemble les nouvelles que nous savons.

On dit que le prince de Condé [51] a assiégé Le Quesnoy avec 40 pièces de canon, 10 000 paysans pour servir de pionniers, 10 000 hommes de pied et 14 000 chevaux : voilà de quoi occuper toute notre armée, laquelle est fort délabrée et fort affaiblie.

J’ai vu lettre, laquelle porte nouvelles que notre pauvre collègue M. Des François [52] est mort à Saint-Didier-en-Forez le 22e d’octobre, qui est le même jour que nous perdîmes ici le bon et sage M. Gassendi, eorum manibus bene precor[22] Il y en a encore 30 devant moi, mais il y en a environ une douzaine de bien secs que la déesse Libitine [53] ne manquera pas d’emporter cis paucos annos[23]

On dit ici que l’Assemblée du Clergé [54] qui est commencée ne prend pas le train de complaire fort au roi ni de donner si grande somme d’argent qu’on leur demande, savoir cinq millions ; à cause de quoi on parle de les envoyer hors d’ici, à Bourges [55] ou à Melun. [56] Ce dernier serait plus supportable, d’autant que l’on y peut aller d’ici par bateaux, qui serait une belle commodité pour tant de garces qui suivent cette petite armée de prélats. [57] M. l’évêque de Coutances, [58] qui y était un des députés de Normandie, s’en est allé vers le roi pour se plaindre de ce que les autres évêques ne l’ont point voulu recevoir dans l’assemblée, prétendant qu’il est irrégulier pour avoir ici conféré les ordres de prêtrise dans Notre-Dame, [59] iubente Mazarino[24] sans la permission de l’ordinaire, qui est notre archevêque, le cardinal de Retz ; [60] même le nonce du pape lui a fait signifier cette irrégularité. [61] Et tous ces divers empêchements et oppositions empêchent le progrès de cette assemblée, de laquelle on ne demande que de l’argent.

Je viens de recevoir une lettre de M. Sauvageon, [62] par laquelle je ne reconnais point qu’il vous ait encore vu, mais seulement il me témoigne qu’il a envie de demeurer à Lyon et de s’y employer d’une façon ou d’autre. Il pense à procurer une nouvelle édition de la Chirurgie de Fabricius ab Aquapendente [63] en latin et une nouvelle Pharmacie de Bauderon ; [64] mais quelque dessein qu’il ait, je ne sais s’il durera longtemps à Lyon, qui est une ville bien catarrheuse, [65] vu qu’il me semble déjà bien vieux et fort cassé. [25] Il pourrait bien rendre bon et utile service à M. Barbier s’il avait la copie de M. Gassendi à imprimer, c’est à quoi il me semble le plus propre. [66]

J’ai enfin reçu la lettre que M. Huguetan l’avocat avait donnée à M. Caze. S’il est encore à Lyon, je vous prie de lui présenter mes très humbles baisemains et de lui dire que je l’en remercie.

Le roi est encore à Compiègne où le cardinal [67] a la goutte. [68] Le prince de Condé a dé[dit] de l’entreprise qu’il avait faite d’assiéger Le Quesnoy et a envoyé une partie de ses troupes prendre leur quartier d’hiver dans le pays du Liège. [26][69] Il avait dessein de surprendre M. de Turenne, [70] que l’on dit qui eût réussi, mais il a été découvert par un trompette du prince de Condé qui se détacha finement et vint en diligence en avertir ledit M. de Turenne, duquel il a obtenu récompense pour son droit d’avis. [27]

Ce 9e de novembre. Aujourd’hui au matin, la reine [71] a envoyé quérir MM. les deux surintendants des finances, de Servien [72] et Fouquet, [73] et leur a dit que la paix d’Angleterre était faite et signée avec nous, [28] laquelle nouvelle a aussitôt été épandue par toute la ville ; c’est-à-dire nouvelle besogne, nouvelles entreprises et nouvelle guerre. Je ne sais quelle mine fera le pape là-dessus, mais voilà une ouverture à une grande et puissante guerre contre l’Espagne car je ne doute point que, dans notre accord avec l’Angleterre, n’y soient entrés le roi de Portugal, [74] les Hollandais, le roi de Suède [75] et la plupart des protestants d’Allemagne ; si bien que voilà la Maison d’Autriche derechef attaquée de nouveau par presque tous les princes de l’Europe ; et ainsi, voilà le pape frustré et éludé de l’attente qu’il avait de procurer une paix générale entre les deux couronnes de France et d’Espagne. Que fera là-dessus ce Jupiter capitolin, an fulmen vibrabit in purpuratum nostrum ? [29][76] J’en doute, c’est une marchandise éventée, laquelle n’est plus de saison ; à peine ferait-elle peur aux bigots, Nec pueri credunt, nisi qui nondum ære lavantur[30][77] Quoi qu’il en arrive, voilà toute l’Europe en armes, Arma armis, littora littoribus contraria, fluctibus undæ[31][78] Cette guerre fournira de la matière aux curieux de nouvelles, aux gazetiers et aux historiens.

Le roi a fait arrêter prisonnière Mme de Châtillon, [79] veuve de celui qui fut tué à Charenton, [80][81] elle est dans la Bastille. [32][82] M. d’Hocquincourt [83] s’est enfermé dans sa ville de Péronne. [84] Le Mazarin en veut avoir le gouvernement, et lui ne le veut point rendre si on ne lui donne 1 200 000 livres, à cause de quoi on parle d’assiéger Péronne. Il n’est pas seul de cet avis, plusieurs gouverneurs des autres villes de Picardie sont de même complot avec lui, comme celui de Corbie, [85] de Doullens, [86] d’Arras et autres, outre la noblesse du pays qui est encore de leur parti. Cela fera chercher quelque rouze [33] au Mazarin car d’autres remèdes, il n’y en a point : notre armée est fort délabrée et nullement en état d’assiéger Péronne, laquelle est une ville imprenable. [34] On parle ici de la mort du cardinal Ceva, [87] Piémontais, et de la maladie du prince Thomas, [88] avec une méchante fièvre et flux de ventre, [89] per quæ symptomata transiturus creditur in rationem Libitinæ[35][90]

M. Jost le libraire, ami de M. Huguetan, est mort d’une fièvre continue [91] avec une certaine langueur mélancolique [92] et cum affectu comatoso[36] Son médecin Landrieu, avec Guénault qu’il y a fait appeler, lui a donné de son vin émétique, [93][94] ex quo eodem die penetravit ad plures[37] Mais à propos de M. Huguetan, quand est-ce que nous verrons ici le Theatrum vitæ humanæ [95] avec ce beau livre de Matthias Martinius ? Il m’ennuie fort que ce grand livre étymologique ne me vient en mains, ce sera quand il plaira à Dieu.

Ce 11e de novembre. Le roi arriva hier ici à petit train pour y voir la reine sa mère, on dit qu’il s’en retournera dès demain vers le Mazarin qu’il a laissé à Chantilly. On traite avec ces gouverneurs des villes frontières, lesquels demandent au roi une neutralité. Cela est ridicule, caveant sibi[38] On me vient de dire une autre chose à l’oreille, c’est qu’il y a de la défiance et quelque mésintelligence entre la reine et le cardinal. Hélas, que nous sommes malades et que nous avons grand besoin de quelque bonne crise [96] et de bons remèdes ! [39]

On achève ici l’impression de la première partie de la Pucelle d’Orléans[97] qui est un beau poème héroïque fait par M. Chapelain, in‑fo avec plusieurs beaux portraits en taille-douce ; on dit que ce livre se vendra 20 livres. Toute l’Académie en dit bien du bien et peut-être qu’elle a raison ; aussi y en a-t-il d’autres qui le blâment déjà, de quoi vous feront foi les six vers suivants, qu’un de mes amis me vient de donner : [98]

On nous promet de Chapelain,
Ce rare et fameux écrivain,
Une merveilleuse Pucelle :

Depuis vingt ans on parle d’elle,
La cabale en dit force bien :
Dans six mois on n’en dira rien.
 [40]

Il y a ici un jeune homme nommé M. Sauval, [99] Parisien, qui travaille avec beaucoup de soin et de peine à nous faire une pleine histoire de la ville de Paris. Vous savez que cet abrégé du monde est divisé en Ville, Cité et Université. Il fait une recherche de toutes les fondations des églises, des monastères, des hôtels et maisons des princes, et en a obtenu de très bons mémoires. Il espère de faire commencer à Pâques l’édition du premier tome qui sera bientôt après suivi du second. Ces deux premiers contiendront toute l’histoire de la Ville ; il viendra par après à l’Université et à la Cité, lesquelles auront chacune leur volume. Il y aura là-dedans quantité d’éloges de plusieurs savants hommes qui sont enterrés à Paris. Tous les collèges et les communautés y seront décrits selon les registres de leur fondation. [41]

J’apprends que la peste [100] est fort diminuée en Hollande, aussi bien que le nombre des habitants qui en sont morts, du rang desquels on m’a nommé, entre autres, deux médecins, savoir Vorstius [101] et Albertus Kyperus. [42][102] Je plains ces pauvres gens, aussi bien que tant d’autres qui me sont inconnus, qui ont là trouvé leur dernier malheur.

Je vous adresse une lettre pour M. Devenet, [103] que je vous prie de lui faire rendre. C’est touchant quelques livres qu’il m’a fait acheter à Genève chez MM. de Tournes, [104] pour envers lesquels m’acquitter je vous ferai toucher de l’argent dans quelques jours par un marchand de votre ville. Je vous prierai de le donner au dit M. Devenet, duquel vous tirerez quittance que par après vous m’enverrez s’il vous plaît. La somme est d’environ 9 pistoles ; il y a quelques livres trop chers et dans un prix exorbitant sur lequel ces Messieurs de Genève rabattront quelque chose s’il leur plaît, sinon, je sais bien ce que je ferai une autre fois.

Ce 14e de novembre. Voilà M. Sorbière [105] qui vient de sortir de céans, lequel m’a fait présent d’un exemplaire d’un épitaphe qu’il a fait à feu M. Gassendi, qui est un grand placard in‑fo. Je lui en ai demandé un pour vous, il m’a dit que vous en auriez, que l’on en envoyait à Lyon pour tous les amis. Il en écrit tout exprès au P. Bertet [106] et m’a dit qu’il se va mettre en état de travailler à la vie du dit sieur Gassendi, qu’il en aura tous les mémoires qui s’en peuvent avoir. Pour cet épitaphe en placard, il m’a dit qu’il n’en est pas le seul auteur, mais que notre bon ami M. Du Prat, [107] M. Martel [108] et M. Bernier [109] y ont travaillé avec lui. [43] Il mord à la grappe quand il parle de cette vie qu’il va faire, [44] dans laquelle il insérera beaucoup de belles curiosités qui l’enjoliveront fort à ce qu’il dit.

M. d’Hocquincourt est enfermé dans sa ville de Péronne, il demande à traiter et ne demande que de l’argent. Sa femme [110] a été trouver le roi qui l’a renvoyée tout en pleurs, disant qu’il ne veut aucun traité ni accommodement, mais une pure et seule obéissance ; et s’il ne le fait, qu’il saura bien se faire obéir. Ce gouverneur se plaint d’avoir employé 80 000 écus pour ramener le Mazarin en France l’an 1652 sans qu’il en ait été récompensé ni remboursé ; c’est ce qui le rend aujourd’hui mécontent. [34] On dit que les Suédois ne sont pas les maîtres de Cracovie, [111] que les Polonais s’y défendent fort bien et qu’il vient au roi de Pologne [112] un grand secours de Tartares, qui pourront bien chasser le roi de Suède et le renvoyer en son pays. [113] Le roi est à Compiègne avec le Mazarin. On dit que le prince de Condé est avec 24 000 hommes entre Cambrai [114] et Péronne. Quelques-uns disent qu’il y a intelligence entre lui et M. d’Hocquincourt, gouverneur de Péronne ; d’autres disent qu’il s’en va assiéger Condé. [115] Il court ici trois livrets in‑fo pour le Mazarin contre les intérêts et les prétentions du cardinal de Retz ; on ne les vend pas, il n’y a que les amis qui en peuvent avoir. Vale[45] Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 16e de novembre 1655.


a.

Ms BnF no 9357, fos 194‑195 ; Reveillé-Parise, no cclxxxii (tome ii, pages 220‑224).

1.

« où s’insinuerait pour vous moins de répugnance à les lire. »

Charles Spon – comme le ferait volontiers après lui tout transcripteur moderne des lettres manuscrites – s’était sans doute plaint à Guy Patin de la difficulté qu’il éprouvait souvent à le lire, principalement en raison des bavures de l’encre sur le papier et de son imprégnation importune du recto sur le verso. Il faut convenir que, de ce point de vue, la présente lettre ne présente aucun défaut (contrairement, en effet, aux trois précédentes écrites à Spon) ; on peut même constater que l’écriture en est inhabituellement appliquée et lisible.

2.

V. notes [2], lettre 408, pour le Dictionnaire étymologique de Matthias Martini et [49], lettre 420, pour les ouvrages de Johann Heinrich i Hottinger.

3.

V. notes [2], lettre 420, pour la « Clé de Clavenna » (Trévise, 1648), et [7], lettre 147, pour les Institutiones medicæ (Bologne, 1638) de Georges Scharpe, professeur de Montpellier puis de Bologne.

4.

Charles de Saint-Germain avait été carme déchaussé. Défroqué, il avait été mis en prison pour libertinage de mœurs et relevé de ses vœux, avant de devenir médecin ordinaire du roi. La production médicale de Saint-Germain était alors déjà conséquente :

V. infra note [8] pour la plus mémorable contribution de Saint-Germain à l’histoire de la médecine française au xviie s.

5.

« il les soignait en effet en parfait aveugle ».

6.

Le parrain de son enfant à venir.

7.

« et autres mensonges. » « On dit qu’un homme a été couché sur l’état, pour dire qu’il a été mis et employé sur l’état, sur le catalogue de ceux qui doivent être payés de quelques gages, appointements, pensions, etc. » (Furetière).

8.

« que peut-il avoir de bon ? »

Guy Patin haïssait visiblement Charles de Saint-Germain, mais sans en donner la raison profonde. Il aurait sûrement explosé de rage s’il avait vécu assez longtemps pour voir aboutir le dessein de ce « peintre » bon à rien : en avril 1668, dans le prolongement de l’arrêt prononcé par le Conseil en 1648 pour mettre fin aux querelles entre les médecins de Paris et ceux des provinces, {a} il avait réuni les partisans de l’intégration et s’était fait nommer leur procureur syndic. En janvier 1669, il dressa un tableau de leur Compagnie où figuraient les noms de 48 docteurs en médecine provinciaux (dits étrangers) autorisés à exercer dans Paris : c’était l’acte fondateur de la Chambre royale des médecins des universités provinciales à laquelle appartenaient nombre de praticiens influents tels qu’Antoine Vallot, Antoine d’Aquin, Jean Pecquet ou André Esprit. {b} L’humiliation de la Faculté de médecine de Paris devint complète avec les Lettres patentes du roi, concernant l’établissement de la Chambre des médecins des universités provinciales de France, en confirmation des arrêts du Grand Conseil, avec attribution de juridiction au dit Grand Conseil. Vérifiées au Grand Conseil le dix-dept avril 1673, {c} qui commencent par cet exposé des motifs :

« Les rois nos prédécesseurs ayant établi plusieurs universités dans les principales villes de notre royaume, et leur ayant accordé plusieurs droits, privilèges et prérogatives, et entre autres, que tous les docteurs reçus en icelles pourraient exercer les fonctions de leur doctorat par toutes les villes de notre royaume, ces établissements auraient attiré {d} quantité d’étudiants dans lesdites universités pour y cultiver les sciences, et particulièrement la médecine ; où, après avoir obtenu les degrés dus à leurs mérites et capacités, ils se seraient répandus par toute l’Europe, et principalement dans notre bonne ville de Paris, où l’assistance et le concours continuel de toutes provinces et de toutes nations auraient attiré des docteurs en médecine de diverses universités, pour les traiter et gouverner dans leurs maladies ; {e} ce qui aurait été fort avantageux non seulement au public, mais encore particulièrement aux rois nos prédécesseurs, qui ont presque toujours choisi pour leurs premiers médecins des docteurs qui avaient été reçus en diverses universités du royaume, et qui s’étaient venus établir et exercer la médecine dans notre ville de Paris ; et comme nous avons aussi jugé à propos de faire pour la conservation de notre santé dans le choix que nous avons fait de défunts les sieurs Vautier et Vallot, et à présent du sieur D’Aquin, pour nos premiers médecins ; {f} et comme la rencontre des docteurs de diverses universités aurait produit plusieurs débats et démêlés pour le pas et le rang qu’ils doivent tenir dans leurs assemblées et consultations, et qu’outre ce, plusieurs ignorants sans aveu ni lettres de docteurs se seraient glissés sous le nom et titre de médecins étrangers, et auraient pratiqué et pratiqueraient encore tous les jours la médecine dans Paris au grand préjudice et désavantage du public, {g} notre grand Conseil aurait été obligé d’y pourvoir par plusieurs arrêts et bons règlements, et entre autres par celui du 10 mars 1648 rendu contradictoirement entre les doyen et docteurs de médecine de l’Université de Paris, et Antoine Madelain, docteur en médecine de l’Université de Montpellier, établi et pratiquant la médecine dans Paris, portant défenses respectives aux parties de se méfaire ni médire dans l’exercice de leur profession ; {a} et par celui du 14 mai 1669, aurait ordonné que la liste des médecins de Montpellier, Reims et autres universités résidant dans la ville et faubourgs de Paris serait enregistrée sur les registres du dit Grand Conseil, et que les dénommés dans ladite liste pourraient pratiquer et exercer la médecine dans notre bonne ville de Paris et partout ailleurs, et se trouver aux assemblées et consultations sans aucun trouble ; {h} et par un autre arrêt du 15 octobre 1672, aurait fait défenses à tous docteurs en médecine des dites universités et à toutes autres personnes de faire la médecine dans notre dite ville de Paris, qu’auparavant ils n’eussent fait apparoir {i} leurs lettres de docteur, soutenu une thèse sur la médecine dans la Chambre des docteurs des dites universités, afin que le public ne fût à l’avenir abusé ; et en outre, aurait ordonné plusieurs bons statuts et règlements, en conséquence desquels lesdits docteurs auraient arrêté entre eux et signé plusieurs autres réglements et statuts pour le bon gouvernement de leur chambre, qu’ils désireraient à jamais être gardés, observés et exécutés. »


  1. V. note [30] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot contre la Faculté de médecine de Paris.

  2. P. Delaunay, pages 15, 306 et 383.

  3. Sans lieu ni nom, 1673, une feuille in‑4o.

  4. J’ai respecté les temps conditionnels de conjugaison, qui étaient habituels aux édits de justice.

  5. Sic pour « traiter et gouverner les habitants de Paris dans leurs maladies ».

  6. François Vautier, docteur de Montpellier, a été premier médecin de Louis xiv de 1646 à 1652, suivi par Antoine Vallot, docteur de Reims (de 1652 à 1671), puis Antoine D’Aquin, docteur de Montpellier (de 1671 à 1693). Jacques ii Cousinot (1636 à 1648) manque à la liste car il état docteur de Paris.

  7. Les Commentaires de la Faculté, Décrets et assemblées de 1650-1651 contiennent le décret que les docteurs en médecine de Paris ont adopté le 12 mai 1651 sur ce sujet.

  8. V. note [1], lettre 948.

  9. Connaître.

9.

« Vogue la galère, dit Panurge, tout va bien ! » (Quart Livre, xxiii).

Guy Patin confondait ici Panurge avec frère Jean des Entommeures, dont il est question dans la phrase qui suit immédiatement :

« Frère Jean ne fait rien là. Il s’appelle frère Jean fainéant, et me regarde ici suant et travaillant… »

L’expression se trouve aussi dans Gargantua (chap iii) :

« Je vous prie par grâce, vous autres mes bons averlans, {a} si d’icelles en trouvez que vaillent le débraguetter, montez dessus et me les amenez. Car si au troisième mois elles engraissent, leur fruit sera héritier du mari défunt ; et la groisse {b} connue, poussent hardiment outre, et vogue la gualée puisque la panse est pleine. »


  1. Compagnons.

  2. Grossesse.

Vogue la gualée est le refrain d’une chanson du xve s. Le terme de gualée, vieilli, a cédé la place, à la fin du siècle, à galère (M. Huchon). Lazare Meyssonnier était alors en procès avec le Collège des médecins de Lyon, dont il était agrégé ; son factum n’a pas été imprimé.

10.

« le royaume des cieux souffre violence, et des violents le prennent de force » (Matthieu, 11:13) : pour dire qu’on respecte les règles de la pratique (clientèle), mais que des médecins peu scrupuleux les violent impunément.

11.

Dispute de l’Eucharistie. Par David Derodon {a} Professeur en Philosophie à Orange. {b}


  1. V. note [1], lettre 302.

  2. Genève, Pierre Aubert, 1655, in‑8o de 458 pages.

Derodon y cite Pierre Gassendi dans la seconde partie, à la fin du chapitre iv, Continuation des preuves que la doctrine de la transsubstantiation {a} détruit la nature des accidents, où est montré que les qualités sont des substances ou des manières d’être des substances (page 223) :

« Monsieur Gasseid, {b} prévôt ou doyen de Digne, professeur royal et le plus grand philosophe de ce siècle, en sa Physiologie, {b} pages 240 et 241, pose et prouve que les espèces ou images visibles des objets sont des corps et que ce ne sont autre chose que la lumière. En la page 264 et 265, il pose et prouve que la lumière est un corps ; en la 273 et 274, il prouve que le son est un corps ; en la 288, il montre que l’odeur est un corps ; en la 292, il dit que les saveurs sont des corps ; en la 304, il dit que la quantité est la matière même, ou une manière d’être de la matière ; en la 318, il dit que le feu et la chaleur ne diffèrent que selon le plus et le moins, et cite Aristote qui, au livre i de ses Météores, ch. 3, dit que le feu n’est autre chose qu’une chaleur excessive. Bref, presque partout il pose que les qualités ne sont point différentes de leur substance, ou que ce sont des manières d’être des substances. »


  1. V. note [5], lettre 952.

  2. Sic pour Gassendi.

  3. Ce que Derodon appelait la Physiologie de Gassendi est sa Physiologia Epicuri seu Philosophiæ pars physica [Physiologie d’Épicure ou partie physique de la philosophie] qui forme la iie ses de ses Animadversiones in decimum librum Diogenis Lærtii… [Remarques sur le dixième livre de Diogène Laërce…] (Lyon, 1649, 2e référence citée dans la note [1], lettre 147). Le lecteur intéressé pourra utiliser les liens que j’ai inséré dans le texte de Derodon.

12.

« et alors Rome l’aurait, et s’en réjouirait énormément. »

13.

Je n’ai pas identifié ces vers, mais ils portaient probablement sur les cinq petits cantons catholiques de Suisse centrale qui allaient entrer en guerre avec les cantons protestants (v. note [14], lettre 435).

14.

Jacques Lambert (Mâcon 1603-1670), jésuite, enseignant puis prédicateur, recteur du collège de Carpentras et de Vienne : La Philosophie de la Cour sainte. Première partie contenant la morale des saints, établie sur la science du ciel et des astres… (Lyon, Guillaume Barbier, 1656, in‑4o).

15.

« de la gent des antimoniaux » ; on apprend plus bas qu’il s’agissait de François Landrieu, natif de Laon, dont Guy Patin avait signalé la licence à Spon dans sa lettre du 6 septembre 1652, et qui était le plus jeune des 61 signeurs de l’antimoine la même année (v. note [3], lettre 333), avant même d’avoir été reçu docteur régent (décembre 1653).

16.

« de l’antimoine » ; phrase ajoutée par Guy Patin (sans doute à la relecture de sa lettre) en marge du paragraphe.

17.

« sur l’impuissance du pape Alexandre vii » ; sans doute l’anonyme :

Glossa ordinaria ad Litteras Circulares Alexandri Papæ Septimi quæ Prætextu Pacis procurandæ inter Catholicos Principes ad Patriarchas, Archiepiscopos, Episcopos, Cleros, Religiosos Viros, et omnes Christi Fideles Ecclesiæ Catholicæ scripsit.

[Glosssaire ordonné contre la Lettre circulaire du pape Alexandre vii, {a} que, sous prétexte de procurer la paix entre les princes catholiques, il a écrites aux patriarches, archevêques, évêques, clercs, religieux et tous les fidèles de l’Église catholique du Christ].


  1. Cette lettre pontificale du pape Alexandre vii (v. note [3], lettre 399), datée du 20 septembre 1655, première année de son règne, est transcrite au début du livre : il met toute son autorité à inciter les nations catholiques à la paix.

  2. Sans lieu ni nom, 1655, in‑4o de 71 pages

Dès son premier paragraphe, ce glossaire dénigre la puissance politique dont le pape se croit investi :

Alexander. Magnum hoc nomen et Monarcha dignum, qui universum orbem, curas videlicet suas, ex summo Apostolatus fastigio, circumspicit. Tremendum etiam nomen : qui enim Alexandrum non metuat ?

[Aexandre. Ce grand nom {a} est digne d’un monarque qui jette un regard circulaire sur le monde entier, c’est-à-dire sur ses soucis, depuis le plus haut sommet de l’Apostolat. {b} C’est même un nom qui doit faire trembler : qui donc ne craint pas Alexandre ?]


  1. Référence ironique à Alexandre le Grand qui domina l’Occident civilisé au ive s. av. J.‑C.

  2. Rome.

18.

« ils n’agissent pas de la sorte avec les princes ».

19.

« flatteurs de tout le monde et ennemis de tout le monde » : v. note [5], lettre 204.

V. note [2], lettre 94, pour Petrus Aurelius, pseudonyme du janséniste Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran.

20.

Dictionnaire de Trévoux :

« Saint Hubert est le patron des chasseurs, parce qu’on dit que Dieu le convertit à la chasse en lui faisant apparaître un crucifix entre le bois d’un cerf ; mais tout ce qu’on raconte de ce saint, avant qu’il fût évêque de Maastricht, {a} passe pour faux chez les nouveaux critiques. Il y a toujours chasse le jour de Saint-Hubert, {b} quelque temps qu’il fasse. » {c}


  1. Au viiie s.

  2. Le 3 novembre.

  3. On attribuait aussi à saint Hubert la vertu de guérir la rage (v. note [2], lettre de Hugues ii de Salins, datée du 16 décembre 1656).

21.

Le médecin traitant.

22.

« je prie bien pour leurs âmes. »

V. note [43], lettre 223, pour François Des François, que Guy Patin croyait déjà mort dans sa lettre du 22 décembre 1654 (lettre 386). Il confondait sans doute ici Forez et Velay : Saint-Didier-en-Velay se situe à une soixantaine de kilomètres au nord-est du Puy-en-Velay.

La date exacte de la mort de Gassendi était le 24 et non 22 octobre.

23.

« sous peu d’années » : Guy Patin se trouvait alors au 31e rang d’ancienneté décroissante sur la liste annuelle des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, qui se raccourcissait inexorablement, et trop rapidement à son goût.

Libitine (Libitina en latin) :

« Nom propre d’une déesse de l’Antiquité. {a} Plutarque dit que c’était Vénus. Elle avait un temple à Rome, et c’était dans ce temple qu’on vendait tout ce qui était nécessaire pour les funérailles. […] Le temple de Libitine était dans un bois. Par une ancienne coutume établie par le roi Servius Tullus, on portait à ce temple de l’argent pour chaque personne qui mourait : on mettait cet argent dans le trésor de Libitine, et ceux qui étaient préposés pour le recevoir écrivaient sur un registre le nom de chaque mort pour lequel on venait apporter cette espèce de tribut. {b} Ce registre s’appellait le registre de Libitine, en latin Libitinæ ratio. C’est par là qu’on savait combien il mourait de monde à Rome chaque année. La porte libitine était celle par laquelle on portait les morts hors de Rome. »


  1. Horace (Odes, livre iii, xxx, vers 6‑7) :

    Non omnis moriar, multaque pars mei
    Vitabit Libitinam…

    [Je ne mourrai pas tout entier, et une grande part de moi évitera la déesse libitine…]

  2. On appelait libitinaires (libitinarii) les officier publics qui « avaient soin des funérailles et de ce qui concernait cette cérémonie » (ibid.).

24.

« sur l’ordre de Mazarin ».

25.

Catarrheuse veut ici dire « propice à la survenue de catarrhes » (v. note [12], lettre 121).

V. note [2], lettre 36, pour Guillaume Sauvageon et la première (Paris, 1638) de plusieurs éditions qu’il a données de la Pharmacopée de Brice Bauderon (v. note [15], lettre 15). Je n’ai pas trouvé son édition latine des Opera chirurgica [Œuvres chirurgicales] de Fabrice d’Aquapendente (v. note [14], lettre 113). Il ne reste aucune lettre de la correspondance que Huy Patin a eue avec Bauderon.

26.

Situé sur les rives de la Meuse, le pays de Liège (du Liège, ici pour Guy Patin) était depuis le xe s. une principauté indépendante enclavée dans le sud des Pays-Bas espagnols. Ville wallonne, au sens linguistique (v. note [8], lettre 911), c’était un des États du Cercle de Westphalie. Son évêque, suffragant de Cologne, était prince de l’Empire. Il était élu par un chapitre de 60 chanoines, tous nobles ou docteurs. Maseyck, Viset, Huy, Tongres et Dinant étaient les principales villes de la principauté.

27.

« On appelle droit d’avis, la paraguante [pourboire, v. note [27], lettre 203] qu’on est obligé de donner à celui qui a été cause qu’une affaire a réussi, qui en a donné le premier avis » (Furetière).

28.

V. note [5], lettre 424, pour la paix de Westminster.

29.

« la foudre secouera-t-elle notre éminence empourprée ? »

30.

« Même les enfants ne le croient plus, sauf ceux qui n’ont pas encore l’âge de payer aux bains » (Juvénal, Satire ii, vers 152).

31.

« Armes contre armes, rivages contre rivages, flots contre flots » (imitation de Virgile, v. note [1], lettre 418).

32.

Guy Patin a ajouté cette précision dans la marge. Élisabeth-Angélique de Montmorency, duchesse de Châtillon (v. note [74], lettre 166), était la veuve de Gaspard duc de Châtillon, tué lors du combat de Charenton aux côtés du Grand Condé, le 8 février 1649. Les intrigues de la duchesse en faveur de Condé, son amant, avaient mené à la défection du maréchal d’Hocquincourt et à la prise de Péronne (v. note [11], lettre 428), place qui fut libérée quelques mois plus tard.

33.

Pour ruse : ironie de Guy Patin imitant l’accent italien de Mazarin.

34.

Montglat (Mémoires, pages 309‑310) :

« Quoique la campagne {a} fût finie, le roi ne laissa pas de retourner à Compiègne vers la fin de novembre, sur un avis qu’il eut que le maréchal d’Hocquincourt traitait avec le prince de Condé pour lui remettre les villes de Péronne et de Ham. Ce maréchal, durant la guerre civile [la Fronde], s’embarqua d’abord avec le duc de Beaufort et lui donna parole d’être de son parti ; mais le cardinal Mazarin, en ayant été averti, lui manda de la part du roi de venir à la cour, qui était à Amiens en 1649 ; ce qu’il refusa nettement et ce refus augmenta l’envie que le cardinal avait de le voir ; lequel le pressa tant qu’enfin il demeura d’accord de se trouver dans une plaine avec pareil nombre de gens que lui, et qu’il l’entretiendrait là tout à loisir. {b} L’entrevue se fit de la sorte, et le cardinal le cajola si bien, lui promettant le bâton de maréchal de France, qu’il le retira de ce parti et le ramena au service du roi ; et sans considérer l’inconstance de son esprit et le peu de confiance qu’il devait prendre en lui, il en fit son principal confident, le fit maréchal de France comme il lui avait promis et lui donna les principaux emplois ; même, il se servit de lui pour le ramener d’Allemagne en France ; mais ayant connu que le maréchal de Turenne était plus capable de commander que lui, il lui ôta le commandement de l’armée sous prétexte qu’on appréhendait que Péronne ne fût attaqué. Il ne fut depuis guère employé, dont il eut un tel dépit qu’il ne se put empêcher de se plaindre du cardinal ; et comme il était fort amoureux de la duchesse de Châtillon, qui était dans les intérêts du prince de Condé, elle envenima sa colère et augmenta si bien son mécontentement qu’elle l’engagea dans le parti du prince et tira parole positive de lui sur ce sujet. Dès que le cardinal en eut le vent, il fut fort alarmé, considérant de quelle conséquence étaient au roi les villes de Ham et de Péronne : c’est pourquoi il n’oublia rien pour le gagner. Il se servit de la maréchale d’Hocquincourt, {c} sa femme, plus spirituelle que lui, et la prit par son faible, qui était l’amitié qu’elle avait pour son fils aîné, en lui offrant les gouvernements de son père, et à lui deux cent mille écus pour en sortir. Elle négocia si bien qu’elle conclut le traité, par lequel le maréchal sortit de Péronne et se retira chez lui avec les six cent mille livres, et le roi y entra au commencement de décembre ; et y ayant établi le marquis d’Hocquincourt, fils aîné du maréchal, il revint à Paris en carrosse de relais en un jour, par un temps de neige fort fâcheux. La duchesse de Châtillon, qui avait été arrêtée, fut mise en liberté par ce traité. »


  1. De 1655.

  2. V. note [4], lettre 186.

  3. Éléonore d’Étampes de Valençay.

35.

« symptômes qui, croit-on, le feront passer sur le registre de la déesse Libitine [v. supra note [23]] » ; l’expression est imitée de Suétone (Vie de Néron, chapitre xxxix) : Pestilentia unius autumni, quo triginta funerum milia in rationem Libitinæ venerunt [En un seul automne, la peste inscrivit trente mille convois funèbres sur les registres de la Libitine].

V. notes [13], lettre 398, pour la mort du cardinal Francesco Adriano Ceva, et [17], lettre 420, pour celle du prince Thomas.

36.

« et avec un état comateux. »

37.

« qui, le jour même, l’a expédié dans l’au-delà ».

38.

« qu’ils se méfient bien de ce qu’ils font. »

39.

V. note [3], lettre 228, pour le sens médical du mot crise.

40.

Épopée poétique latine de Jean Chapelain (v. note [37], lettre 402), La Pucelle d’Orléans déclencha un torrent de louanges et de critiques. Dans le premier genre, on comparait l’ouvrage à l’Énéide et on trouve par exemple ce distique adressé par l’évêque de Vence, Godeau, à l’auteur :

« Le grand bruit de ton nom te trouble et t’incommode ;
L’un t’apporte un sonnet, l’autre t’apporte une ode. »

À l’opposé, se déclara une cabale dont Nicolas Boileau-Despréaux fut l’un des plus mordants acteurs. Il plut des épigrammes. Celle que citait Guy Patin sortait du carquois de François Payot, chevalier de Linière (1628-1704), contrefaisant deux vers de louanges (G.D.U. xixe s.) :

« Dans mille ans l’on parlera d’elle,
Ou l’on ne parlera de rien. »

Il courut un distique latin,

Illa Capellani dudum expectata puella,
Post tanta in lucem tempora prodit anus
.

[On a attendu depuis un bon moment cette pucelle de Chapelain ; si longtemps après, c’est une vieille grand-mère qui est venue au jour].

Linière le traduisit en ce couplet :

« Nous attendions de Chapelain
Une pucelle
Jeune et belle.
Vingt ans à la forger, il perdit son latin,
Et de sa main
Il sort enfin
Une vieille sempiternelle. »

41.

Henri Sauval (Paris vers 1620-ibid. vers 1670, d’abord avocat au Parlement de Paris, n’avait pas tardé à abandonner le barreau pour se livrer à des recherches sur la capitale. Avec une infatigable ardeur, il se mit à compulser les registres du Parlement, les archives de la ville et des principales communautés, les manuscrits de Saint-Victor, les chartes royales. Il réunit une masse de documents et de faits curieux, et écrivit, dans un style ampoulé et diffus, une histoire de Paris à laquelle il n’avait pas mis la dernière main lorsqu’il mourut.

En 1654, il avait obtenu un privilège pour la faire imprimer sous le titre de Paris ancien et moderne, contenant une description exacte et particulière de la ville de Paris, et quelques érudits avaient déjà connaissance de l’importance de ce travail ; mais Sauval avait apporté si peu d’ordre dans la masse de matériaux accumulés qu’il retardait toujours le moment de livrer à l’impression, ne pouvant faire lui-même la lumière dans ce chaos de notes incohérentes. À sa mort, ses manuscrits, fruit d’un travail persévérant de plus de 20 années, formaient neuf gros volumes in‑fo offrant plutôt les éléments d’une histoire de Paris que cette histoire elle-même. L’ouvrage, même après avoir été remanié et mis dans un meilleur ordre, a toujours gardé ce caractère de confusion qui avait présidé à sa rédaction première ; il n’en est pas moins très important pour l’histoire de Paris, de ses monuments et de ses coutumes. Un des amis de Sauval, nommé Rousseau, s’attacha à en combler les lacunes, à y faire des corrections et des additions, mais il mourut lui-même avant de l’avoir fait imprimer.

Ce grand travail parut enfin sous le titre de Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris (Paris, Charles Moette et Jacques Chardon, 1724, 3 tomes in‑4o). Une édition plus complète fut publiée en 1733 (G.D.U. xixe s.).

42.

Adolf Vorst ne mourut que huit ans plus tard (à Leyde le 8 octobre 1663, v. lettre 759).

V. note [57], lettre 166, pour Albert Kyper, mort à Leyde le 15 décembre 1655.

43.

L’Epitaphium dicatum præstantissimo viro Petro Gassendo [Épitaphe consacrée au très éminent Pierre Gassendi] {a} est imprimée à la fin (pages Tt ro‑vo) de la 3e édition de :

l’Institutio Astronomica iuxta Hypotheses tam Veterum quam Copernici et Tychonis : dictata Parisiis a Petro Gassendo, Regio Matheseos Professore. Accedunt Eiusdem varii Tractatus Astronomici, quorum catalogum pagina versa indicabit. Editio ultima paulo ante mortem Authoris recognita, aucta et emendata.

[Institution astronomique suivant les hypothèses tant des Anciens que de Copernic et de Tycho : {a} établie par Pierre Gassendi, professeur royal de mathématiques. Y sont adjoints ses Traités d’astronomie, dont la page suivante fournit la liste. {b} Dernière édition révisée, augmentée et corrigée peu avant la mort de l’auteur]. {c}


  1. Amico Veteri, Præceptori bene merito, grati animi Monumentum [Témoignage de reconnaissance envers leur ancien ami et bien méritant maître] daté du 24 octobre 1655 et signé :

    • Abrahamus Pratæus (Abraham Du Prat), v. note [27], lettre 152 ;

    • Thomas Martellus (de Martel), gentilhomme languedocien, disciple de Gassendi ;

    • Samuel Sorbierus (Sorbière) ;

    • Franciscus Bernerius (François Bernier), v. note [69], lettre 332.

  2. Tycho Brahe, v. note [28], lettre 211.
  3. Lectori benevolo [Au bienveillant lecteur].

  4. La Haye, Adriaan Vlacq, 1656, in‑4o de 328 pages.

Cette épitaphe est pompeuse et convenue :

Hic iacet,
Non unus e septem Sapientibus,
Verum
Tota Sapientium Familia,
Philosophi omnes, Politici, Philologi, Mathematici, Theologi…
.

[Ci gît non pas un des sept Sages, {a} mais la famille tout entière des sages, tous les philosophes, politiques, philologues, mathématiciens, théologiens…]


  1. V. notule {e}, note [24] du Borboniana 9 manuscrit pour les sept Sages de la Grèce.

Elle est moins élégante et touchante que les vers imprimés sous le portrait paisible et souriant de Gassendi, qui se trouve au début du livre :

Talis erat veterem excipiens Gassendus Amicum,
Talis erat placido pectore vera sequens.
Cernitur hic rerum prudentia rara, fidesque,
Candor, cum cauta simplicitate patet.
Deficit ille unus (nam cælatura negavit)
Qui laudes temnens pinxerat ora pudor.
Cætera divini ingenii miracula, Lector,
Facundi referet pagina docta Senis

Sam. Sorberius M.P.

[Tel était Gassendi recevant un vieil ami, tel il était, poursuivant la vérité d’un cœur tranquille. Ici se discerne la rare sagesse des choses et la confiance, la candeur est visible avec une prudente ingénuité. Il n’y manque qu’une chose (car la gravure n’a pas pu la rendre), c’est la délicatesse qui, méprisant les louanges, colorait ses paroles. Lecteur, ce docte ouvrage restitue les autres merveilles du divin génie d’un éloquent vieillard.
Samuel Sorbière, médecin de Paris].

44.

V. note [12], lettre 333, pour mordre à la grappe.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 novembre 1655

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(Consulté le 28/03/2024)

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