L. 434.  >
À André Falconet,
le 22 février 1656

Monsieur, [a][1]

M. Riolan [2] est fort vieux, M. Moreau [3] se porte mieux, tout cassé qu’il est. Leur mort et notre vie sont entre les mains du Grand Maître qui en disposera comme il voudra. [4] Il n’y a pas longtemps qu’on me fit voir ici un Auvergnat malade, lequel était soupçonné de ladrerie ; [5] peut être que sa famille en avait quelque renom car pour sa personne, il n’y en avait aucune marque. Cela me fit souvenir de quelques familles de Paris qui en sont soupçonnées, mais actuellement nous ne voyons ici aucun ladre, si ce n’est à l’égard de l’esprit ou de la bourse. [1] Autrefois, il y avait un hôpital dédié pour les recevoir au faubourg Saint-Denis. [6][7] On n’en voit aucun, ni en Normandie, ni en Picardie, ni en Champagne, quoique dans toutes ces provinces il y ait des maisons qui leur étaient destinées et qui sont converties en hôpitaux de peste. [8] Autrefois, on prenait pour ladres des vérolés, [9] que l’ignorance des médecins et la barbarie du siècle faisaient prendre pour tels. Néanmoins, il y a encore des ladres en Provence, [10] en Languedoc et en Poitou.

Le Gagneur, [11] notre médecin, est bien fâché d’avoir suivi le prince de Conti [12] auprès duquel Belleval [13] lui rend de mauvais offices. La cour est une belle putain qui donne bien souvent à ses amoureux des cassades et de belles espérances. Pour moi, j’aime bien mieux mes livres qui font ma tranquillité plus sûre et qui feront peut-être celle de mes enfants. [14] Il est vrai que je n’en serai pas plus riche, mais aussi j’en aurai moins d’inquiétude. Pibrac [15] finit ses quatrains avec ce vers qui finira aussi ma lettre : Ce sont les fruits de ma philosophie[2] Je suis, etc.

De Paris, ce 22e de février 1656.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no lxiii (pages 201‑204), et Bulderen, no civ (tome i, pages 268‑270), à Charles Spon ; Reveillé-Parise, no ccccxli (tome iii, pages 57‑58), à André Falconet.

J’ai supprimé les trois premiers paragraphes car ils ont déjà été prélevés, presque mot pour mot, dans trois lettres à Spon, datées : du même jour (no 433, passage sur la femme de Lorraine qui eut trois fois la peste), du 13 juillet 1655 (no 406, sur les pilules de Francfort qui donnent les hémorroïdes) et du 26 mars 1655 (no 395, sur l’emploi du hareng dans la goutte). Bien qu’il s’agisse d’une lettre fabriquée, la fin m’a paru digne d’être conservée, malgré les incertitudes sur son authenticité, sa date et son destinataire. Mon attribution à Falconet tient au fait que la lettre manuscrite du même jour (no 433) est adressée à Spon.

1.

Guy Patin jouait sur le double sens de ladre : proprement lépreux (v. note [19], lettre 79), et « figurément en morale, avare, vilain et malpropre » (Furetière).

Saint-Lazare était l’hôpital du faubourg Saint-Denis où on soignait les lépreux (v. note [27], lettre 402). V. note [20], lettre 211, pour la juste observation de Patin sur les caprices épidémiques de la lèpre.

2.

Guy du Faur de Pibrac (Pibrac près de Toulouse 1529-Paris 1586) eut une riche carrière de magistrat (à Toulouse puis à Paris où il fut nommé président au mortier en 1577) et de diplomate au service de la Couronne de France (au concile de Trente et en Pologne).

En littérature, le nom de Pibrac est resté lié à ses Quatrains… contenant préceptes et enseignements utiles pour la vie de l’homme, publiés pour la première fois en 1574 et souvent réédités, avec des traductions en diverses langues d’Europe et d’ailleurs (turc, persan). Le 126e et dernier de ces quatrains est :

« Plus on est docte, et plus on se défie
D’être savant ; et l’homme vertueux
Jamais n’est vu être présomptueux.
Voilà les fruits de ma philosophie. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 22 février 1656

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0434

(Consulté le 26/04/2024)

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