L. 441.  >
À Claude II Belin,
le 20 juillet 1656

Monsieur, [a][1]

Je sais bien que je vous dois réponse pour cinq lettres auxquelles je n’ai point fait réponse en leur temps, et pour cause. Pour les apothicaires, [2] je souhaite qu’en veniez bientôt à bout, et n’y en a point meilleur moyen que de se servir du Médecin charitable [3] en introduisant les seringues [4] dans les familles, [1] avec une décoction d’herbes émollientes et du miel [5] commun, faire des bouillons et des tisanes [6] laxatives avec le séné, [7] et purger [8] les autres qui sont plus forts avec casse, [9] séné, sirop de roses pâles [10] et de fleurs de pêcher : [11] voilà qui a ruiné ceux de Paris et qui les empêchera de se relever ; et dès qu’ils sentiront leur mal, s’ils sont bien sages, ils vous demanderont pardon. M. Moreau [12] n’a pas achevé la vie de M. Naudé, [13] faute de loisir. Il pense aussi à la seconde partie de son École de Salerne [14] si liceat per otium et valetudinem[2] Son premier tome est chez M. Blaise, [15] libraire rue Saint-Jacques. [3][16] Flosculi historiarum [17] est en bon latin, cet auteur travaille à une grande histoire. [4] On imprime à Lyon in‑fo les œuvres de Io. Varandeus[18] j’en ai ici poursuivi et obtenu le privilège[5] On parle aussi d’y réimprimer le Rondelet ; [19] les Institutions de Laz. Rivière [20] y sont achevées, in‑4o[6] On achève ici les Mémoires et négociations de M. le président Jeannin in‑fo[7][21] Nous avons depuis peu la vie de MM. d’Épernon [22] et du marquis de Guébriant, [23] in‑fo tous deux. [8] On imprime aussi M. de Thou [24] traduit en français par Du Ryer. [9][25] Nous aurons le mois de septembre prochain Selecta Io. Ant. Vander Linden [26] in‑4o, qui est un célèbre professeur de Leyde, [27] ce livre sera fort bon. [10] Guernerus Rolfinck, Professor anatomicus Ienensis, in Thuringia, vir doctissimus, nuper edidit Anatomiam novam in‑4o[11][28] que M. Riolan [29] prise fort ; nous n’en avons encore que le premier tome, deux autres suivront. De Vita Erasmi[12] je n’ai pu en avoir de nouvelles.

Pour nos apothicaires, ils sont examinés dans leur chambre de communauté en présence de notre doyen et des professeurs en pharmacie [30] qui sont deux ; mais ils sont toujours les plus forts à cause du nombre, qui nos non terret[13] Le miel commun, le séné et le sirop de roses pâles sont les vrais et très certains moyens de les ruiner. Les juges sont trop peu soigneux du bien public et n’entendent pas assez raison in illa causa[14] Vous pouvez vous faire justice vous-mêmes comme nous avons fait : les nôtres n’en peuvent plus et se voient réduits à devenir épiciers ; [31] la pauvreté du peuple et l’incommodité des familles y a < sic > pareillement aidé. Le Médecin charitable a ruiné les apothicaires et a fait travailler les jeunes médecins : voilà le chemin le plus court sans plaider, à quoi il coûte trop ; joint que les juges n’en feront jamais tant que vous en pouvez faire. Pour y attirer le peuple, donnez des médecins aux pauvres aux dépens de votre communauté, cela ne coûte presque rien. Si vous n’avez point de sirop de roses pâles, il y a moyen de vous en envoyer d’ici, et du séné aussi. Personne ne vous peut empêcher de donner l’aumône ; et traitez vos malades comme vous, vous traitez vous-mêmes chez vous vos femmes et vos enfants, le peuple y courra comme au feu ; et ne vous amusez pas à chicaner leurs examens et leurs maîtrises, d’où ne proviendront que des procès qui coûtent trop de peine à poursuivre, etc.

Le siège de Valenciennes [32] est levé, M. de La Ferté-Senneterre [33] prisonnier avec plusieurs autres ; on dit que le désordre y est grand. M. de Turenne [34] s’est retiré dans Le Quesnoy [35] en bon ordre. [15] Le roi, [36] la reine [37] et le Mazarin [38] sont à Soissons. [39] Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin

De Paris, ce 20e de juillet 1656.

La peste [40] est grande à Naples, [41] et à Rome même. Le courrier qui en était attendu la semaine dernière n’en est pas encore arrivé, ce qu’on attribue à ce mal. La reine de Suède [42] revient d’Italie, passera par la France pour s’en retourner en Suède où l’on dit déjà qu’elle se refera luthérienne. [16][43][44][45]


a.

Ms BnF no 9358, fo 159, « À Monsieur/ Monsieur Belin,/ Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cxxviii (tome i, pages 218‑219).

1.

La seringue est l’instrument qui servait à administrer les clystères (lavements).

2.

« si loisir et santé le lui permettent ». Pour les projets de René Moreau, v. notes :

3.

Thomas Blaise (1578-1654) avait été syndic des libraires de Paris en 1624. Il exerçait rue Saint-Jacques, à L’Image de Saint-Thomas, au coin de la rue de la Parcheminerie (ve arrondissement, longeant l’église Saint-Séverin au sud).

Son fils Pierre (vers 1610-vers 1676), reçu en 1634, s’était associé à lui, mais se consacra principalement à la religion : moine capucin, il était chanoine de l’église de Langres et chapelain de la Sainte-Chapelle.

4.

V. note [38], lettre 242, pour les « Fleurons des histoires » du jésuite Jean de Bussières (Lyon, 1649 et 1651) et pour ses œuvres historiques ultérieures.

5.

V. note [10], lettre 485, pour la réédition lyonnaise en préparation des Opera omnia [Œuvres complètes] de Jean Varanda par Henri Gras (Lyon, 1658, achevé d’imprimer le 1er octobre 1657).

Le Summa Privilegii Regii {Résumé du privilège royal], daté du 16 mai 1656, en est attribué à Jean Champion, libraire de Lyon, aut illos quibus ipse concesserit [ou ceux à qui il l’aura lui-même cédé]. Il est suivi de cette mention non datée : Ioannes Champion cessit ius privilegiis Christophoro Fourmy [Jean Champion a cédé son droit de privilège à Christophe Fourmy] ; cela dut se faire pendant la maladie qui précéda la mort de Jean Champion en avril-mai 1657 ; Christophe Fourmy était le gendre et l’associé de Jean Champion. Guy Patin avait dû intercéder pour obtenir ce privilège détenu par les imprimeurs de la première édition (1620), Pierre et Jacques Chouët de Genève.

6.

V. notes [5], lettre 429, pour les Institutiones medicæ… de Lazare Rivière (Lyon, 1656), et [4], lettre 442, pour le projet qu’avait Pierre Barra de rééditer les œuvres de Guillaume Rondelet, mais qui n’a pas abouti.

7.

Pierre Jeannin (Autun 1540-vers 1622), dit le président Jeannin, était fils d’un tanneur qui avait été échevin d’Autun. Pierre étudia à Paris et à Bourges, sous Jacques i Cujas, fut reçu avocat à Dijon en 1569 et mena dans sa jeunesse une vie fort débauchée. Conseiller de la province de Bourgogne, il réussit à empêcher le massacre des protestants à Dijon (1572) : deux envoyés du roi ayant apporté des ordres d’exécution, Jeannin, malgré sa jeunesse, sut persuader les conseillers d’attendre de nouveaux ordres qui n’arrivèrent pas. Il fut en 1575 nommé gouverneur de la chancellerie de Bourgogne. L’année suivante, député du tiers aux états de Blois (1576), il soutint avec la majorité de son ordre le parti de la tolérance envers les protestants et n’en fut pas moins créé par Henri iii conseiller au parlement de Dijon, puis président. Conseiller intime du duc de Mayenne, il le suivit à Paris en 1589, entra dans le parti de la Ligue, fut chargé de diverses missions, rédigea le traité de son parti avec l’Espagne, mais fit cependant des efforts persévérants pour s’opposer aux projets ambitieux du roi Philippe ii sur la France et pour ramener la concorde entre les partis. Il négocia la paix entre Mayenne et Henri de Navarre.

Après la victoire de Fontaine-Française (Côte-d’Or), qui mit fin à la huitième et dernière guerre de Religion, le 5 juin 1595, Henri iv s’attacha Jeannin et le nomma conseiller d’État puis intendant des finances. Jeannin eut part à la paix de Vervins (2 mai 1598), à la préparation de l’édit de Nantes (13 avril 1598), au traité de 1601 avec la Savoie, au rétablissement des jésuites (1604, ce que Sully lui a reproché, non sans raison), et négocia la trêve de Douze Ans entre l’Espagne et la Hollande (1609-1621, v. notes [6], lettre 453, et [10], lettre 529). L’inquiète jalousie de Sully ne fut pas étrangère à ces missions qui éloignaient momentanément son rival. La paix, qu’il sut faire signer sous le nom de trêve, lui valut de la part des Provinces-Unies une très vive reconnaissance : on peut le considérer comme le fondateur de cette république. Henri iv avait pour lui la plus haute estime et l’avait recommandé à Marie de Médicis qui, après la mort de son époux, chargea le président Jeannin de l’administration des finances et de la direction des affaires les plus importantes. Éloigné un instant par les intrigues du maréchal d’Ancre, il fut bientôt rappelé (G.D.U. xixe s.).

Guy Patin signalait ici la parution des :

Négociations de Monsieur le président Jeannin. {a}


  1. Paris, Pierre Le Petit, 1656, in‑4o de 717 pages, précédées d’un Éloge de Monsieur le président Jeannin (6 pages). Nicolas de Castille, abbé de Sainte-Bénigne (à Dijon), petit-fils du président, a édité l’ouvrage et l’a dédié à son cousin par alliance « Messire Nicolas Fouquet, chevalier, vicomte de Melun et de Vaux, conseiller du roi en tous ses Conseils, ministre d’État, surintendant des finances de France, et procureur général de Sa Majesté ».

8.

V. notes [16], lettre 349, pour l’Histoire de la vie du duc d’Épernon… par Guillaume Girard (Paris, 1655), et [32], lettre 224, pour l’Histoire du maréchal de Guébriant… par Jean Le Laboureur (ibid. 1656).

9.

Pierre Du Ryer (Paris 1605-ibid. 6 octobre 1658) était fils du poète Isaac Du Ryer (mort en 1632). Après avoir acheté une charge de secrétaire du roi, il avait été obligé de la vendre à la suite de son mariage avec une jeune fille qui n’était pas plus fortunée que lui. Il était alors devenu secrétaire du duc de Vendôme. L’Académie française l’avait reçu en 1646. Toujours besogneux, il avait dû se mettre aux gages des libraires qui lui payaient ses traductions un écu la feuille et ses vers, de deux à quatre livres le cent (selon la longueur). Du Ryer fut aussi historiographe de France avec une pension sur le sceau (G.D.U. xixe s.).

Il a publié de nombreux ouvrages, dont une traduction partielle de l’Histoire de Monsieur de Thou, des choses arrivées de son temps. Mise en français par P. Du Ryer, de l’Académie française, conseiller et historiographe du roi (Paris, Augustin Courbé, 1659, 3 volumes in‑4o) Le volume i (achevé d’imprimer le 4 janvier 1658) va de 1505 (Louis xii) à 1559 (Henri ii) ; le ii, de 1559 (François ii) à 1567 (Charles ix) ; et le iii, de 1567 (id.) à 1574 (id.). La mort empêcha Du Ryer d’achever sa traduction de l’ouvrage monumental de Jacques-Auguste i de Thou qui va jusqu’en 1607. Une version française complète ne parut qu’en 1734 (v. note [1], lettre 1017).

10.

V. note [29], lettre 338, pour les Selecta medica… [Morceaux médicaux choisis…] (Leyde, 1656) de Johannes Antonides Vander Linden.

11.

« Werner Rolfinck, très savant professeur d’anatomie à Iéna, en Thuringe, a publié récemment une Nouvelle anatomie » : Dissertationes anatomicæ…, Nuremberg, 1656, v. note [2], lettre latine 52.

12.

« De la Vie d’Érasme » (v. note [10], lettre 413).

13.

« qui ne nous effraie pas. »

14.

« dans cette affaire. »

15.

Après la déroute des Français devant Valenciennes contre les Hispano-condéens (v. note [16], lettre 440), Turenne s’était retiré au Quesnoy, tandis que le reste de l’armée du maréchal de La Ferté, prisonnier, s’était réfugié à Condé-sur-l’Escaut.

Montglat (Mémoires, page 315) :

« Le maréchal de Turenne voyant le dessein de don Juan {a} et n’étant pas en état de l’empêcher, après s’être rafraîchi quelques jours au Quesnoy, fut se camper à Berlaimont pour essayer de jeter des vivres dans Condé. La cour fut fort affligée de la défaite du maréchal de La Ferté et du secours de Valenciennes ; {b} et le cardinal Mazarin envoya le plus de renfort qu’il put au maréchal de Turenne pour réparer cette perte ; mais les Espagnols étaient postés si avantageusement devant Condé qu’il était impossible de tenter aucun secours ; tellement que ce maréchal, n’y pouvant apporter aucun remède, résolut de changer de poste et de faire subsister l’armée dans des pays pleins de fourrages. Il décampa pour cet effet de Berlaimont et fut loger à Inchy, proche de Douai ; et ayant passé près d’Arras, il alla sur la rivière du Lys pour piller le pays et obliger les Espagnols à donner bonne composition {c} à ceux qui étaient dans Condé pour venir au secours de leurs peuples. » {d}


  1. De prendre Condé-sur-l’Escaut.

  2. Sauvetage de Valenciennes par les Espagnols.

  3. Une capitulation honorable.

  4. Condé-sur-l’Escaut se rendit mi-août aux Espagnols.

16.

V. note [18], lettre 440, pour l’arrivée en France de la reine Christine.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 20 juillet 1656

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(Consulté le 24/04/2024)

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