L. 453.  >
À Charles Spon,
le 22 novembre 1656

Pour M. Spon, docteur en méd. à Lyon.

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du mardi 7e de novembre, je vous dirai que le comte d’Harcourt [2] a envoyé un manifeste fort sanglant au Mazarin [3] et quatre exemplaires d’icelui aux quatre secrétaires d’État. [1] On dit qu’il s’est donné à l’empereur [4] qui lui donnera de l’emploi et qui nous va déclarer la guerre à cause que nous sommes pour le duc de Modène. [5] On dit que le vieux duc de Saxe [6] est mort ; il était fort âgé, c’est celui qui gagna la bataille de Leipzig l’an 1631 avec le roi de Suède [7] contre les Impériaux. [2][8] La reine de Suède [9] n’est plus à Turin [10] ni à Cazal, elle est allée à Venise [11] où elle séjournera tant que la peste [12] sera à Rome. La princesse de Condé [13] est allée à Malines [14] pour y accoucher ; elle n’a pu obtenir la permission de pouvoir faire ses couches en France ni à Breda, [15] dans le château où M. de Hauterive, [16] qui en est gouverneur, ne l’a voulu recevoir sans les ordres de Mme la princesse d’Orange. [3][17] Le roi [18] a envoyé dix compagnies du régiment des gardes à Angers [19] pour y vivre à discrétion et y faire leur quartier d’hiver, à cause de quelque maltôte que l’on y a voulu imposer et qu’ils n’ont pas voulu souffrir. Je vous supplie, quand vous verrez M. Sauvageon, [20] de lui faire mes très humbles recommandations et de lui annoncer la mort de MM. Moreau [21] et Guillemeau [22] qu’il a connus tous deux particulièrement.

Ce 11e de novembre. J’ai aujourd’hui après-dîner consulté [23][24] avec un de nos anciens qui est fort caduc, c’est le bonhomme M. Barralis, [25] homme de bien et d’honneur, et dans les bons sentiments du métier et de nos Écoles ; mais il est bien abattu et ai grand peur qu’une apoplexie [26] ou quelque autre chose de pareil ne lui donne dans le cerveau bientôt. Il est fort bon médecin et opine fort bien, il a sainement jugé de la maladie pour laquelle il a été appelé avec moi, qui est une fièvre quarte [27] in vetula, cum hydrope incipiente ; [4][28] mais l’âge de 76 ans gâte tout et fait craindre un funeste coup dans la tête. J’en ai tant plus de peur qu’il me semble que nous sommes en train de perdre de nos meilleurs hommes, et des plus illustres de notre [École,] tandis que Dieu attend les autres à pénitence ou à résipiscence. [5]

Un marchand de Gênes [29] habitué à Paris me vient de dire que la peste fait de grands ravages en Italie, et même à Gênes, sa patrie ; que Rome en est aussi fort tourmentée, que deux hommes en sont morts dans la Maison du pape, [30] etc. Si la peste ne prenait que des moines, [31] des généraux d’ordres, et principalement le général des jésuites, [32] je pense que la chrétienté n’y perdrait guère.

On vend ici un livre nouveau, in‑fo que l’on appelle les Négociations du président Jeannin[33] C’est un recueil de lettres de ce grand homme dans les divers emplois qu’il a eus sous Henri iv [34] et le feu roi Louis xiii, et particulièrement pour avancer et procurer la trêve de l’an 1608 [35] entre les Hollandais, l’Archiduc des Flandres [36] et le roi d’Espagne. [6] Le livre est bon et curieux, mais à mon avis, il ne vaut pas les Lettres du cardinal d’Ossat[37] J’y trouve du défaut et des retranchements, ce que j’attribue à celui qui a fait imprimer le livre par l’autorité des parents qui lui ont commis tous les manuscrits. C’est un jésuite défroqué et déguisé, nommé le P. Cerisiers, [7][38] qui en a supprimé, tronqué et ôté ce qu’il en a voulu. [39] On achève pareillement ici un autre in‑fo qui contiendra les Plaidoyers de M. Le Maistre[40] jadis avocat en Parlement très fameux, aujourd’hui janséniste [41] très zélé et retiré au Port-Royal des Champs [42] où il attend la voix de Dieu. Il est homme très savant et fort éloquent, grand ennemi des jésuites et de toute la fourberie du siècle impudent et extravagant auquel Dieu nous a réservés. [8][43] M. de La Chambre [44] s’en va faire réimprimer les trois traités français qui composaient un livre in‑4o de sa façon : De la Lumière, Du Débordement du Nil, De l’Amour d’inclination ; et de ces trois traités fort augmentés, il en fera trois livres. On commence l’édition du premier d’iceux qu’il dédie au cardinal Mazarin avec une épître fort flatteuse. Le deuxième, qui sera du Débordement du Nil, viendra par après, dans lequel il espère de mettre quelque nouvelle curiosité touchant le Nil que M. Bernier, [45][46] que connaissez et qui a autrefois demeuré chez lui, lui doit envoyer d’Alexandrie [47] d’Égypte où il est de présent. [9] On imprime ici un recueil des ouvrages de feu M. Descartes [48] in‑4o en latin, dans lequel il y aura un tome de ses épîtres latines. [10] Le bonhomme M. Des Gorris [49] s’en va faire réimprimer sa thèse [50] de frequenti Phlebotomia Medic. Paris. [11] avec des annotations et le propre texte des auteurs. Cela fera un livre d’environ douze feuilles, mais il sera bon, au moins j’en ai très bonne opinion.

On dit que le prince Eugène, épousant la nièce du Mazarin, [51][52][53] portera le nom de comte de Soissons. [12][54] Je voudrais que tous les princes eussent épousé chacun une nièce de ce favori, ils en seraient encore tant plus ridicules. Bon Dieu, que nous sommes parvenus à un ridicule et extravagant siècle ! On n’y parle que de malheurs, de guerres, de soldats, de morts, de prêtres, de moines et de querelles, qui sont tous malheureux sujets.

Un jésuite breton qui est ici a fait imprimer une harangue latine in‑4o en l’honneur de saint Augustin, [55] en voici le titre : S. Augustinus Theologorum Aristoteles, sive de sancti Augustini in rebus theologicis authoritate Oratio[13][56] Il fait ce qu’il peut pour louer là-dedans saint Augustin en drapant en récompense tant qu’il peut contre les jansénistes, qui valent mieux qu’eux tous tant qu’ils sont.

J’ai aujourd’hui rencontré M. Courbé, [57] libraire du Palais, qui, entre autres nouvelles des livres, m’a dit qu’il imprimait le deuxième tome de l’Histoire de feu M. de Thou [58] traduite par Du Ryer ; [59] et que quand il en aurait trois d’achevés, qu’il les vendrait, en attendant qu’on ferait le reste ; et qu’en tout, l’ouvrage ira jusqu’à huit volumes. Je pense que cette traduction fera bien pester et enrager les carabins du P. Ignace [60] car ils sont rudement sanglés en divers endroits de ce bel et grand ouvrage. [14]

Ce 12e de novembre. J’ai aujourd’hui reçu de Lyon une lettre de M. A. Cellier, [61] libraire qui a imprimé les Institutions de M. Rivière [62] défunt. Il est en peine si j’ai reçu de chez M. Cramoisy [63] les deux exemplaires desdites Institutions et < dit > qu’il s’en va réimprimer les Observations du même auteur augmentées. [15] Voilà ce qu’il me mande, je vous supplie de lui faire la réponse en mon nom ad 1. que j’ai reçu lesdits deux exemplaires et que je l’en remercie ; ad 2.  [16] < que > pour les Observations augmentées, je souhaite pour son profit qu’elles soient meilleures à la seconde édition qu’à la première car ce que j’en ai vu est un chétif ouvrage et tout à fait indigne d’un professeur du roi. Si vous prenez la peine de lui dire tout cela, vous m’obligerez fort et me sauverez de la peine de lui écrire, d’une part, et de l’autre, vous le délivrerez d’un port de lettre. Votre M. Barra [64] ne fera-t-il jamais réimprimer toutes les œuvres ramassées du bonhomme Rondelet ? [65] Il y a là-dedans quelque chose de bon, M. Riolan [66] fait grand cas et des écrits, et du personnage. Je pense que le malheur est déchaîné sur les gens de bien : nous avons ici un des plus honnêtes hommes de Paris fort malade, savoir M. Dupuy, [67] gardien de la Bibliothèque du roi [68] dont le frère aîné [69] mourut dans la même charge, que tous deux exerçaient conjointement, il y a six ans. Il court ici un épitaphe en latin en l’honneur de feu M. Moreau, mais je ne le trouve pas assez bien fait pro tanti viri dignitate[17] Le roi a fait mettre dans la Bastille [70] un nommé de Gourville. [18][71][72][73] Il était autrefois au duc de La Rochefoucauld, [74] puis au Mazarin, et enfin, au prince de Conti. [75] On l’a mis dans la boîte au caillou [19] sur ce qu’on a découvert qu’il avait intelligence fort secrète avec le prince de Condé. [76] Il a autrefois été laquais, il a merveilleusement de l’esprit et est gascon. On dit qu’il a mainte fois par ci-devant fort heureusement réussi dans les intrigues de la cour et qu’il entend fort bien ce métier-là.

Ce 18e de novembre. Aujourd’hui au matin a été enterré feu M. Dupuy, garde de la Bibliothèque du roi. Voilà une belle charge vacante, laquelle ne sera guère donnée qu’à quelqu’un qui viendra en part de la faveur du siècle. On parle ici de la mort du comte d’Aubijoux, [77] gouverneur de la citadelle de Montpellier. [20] France [78] et Espagne renvoient leurs deux nonces à Rome, et le pape en envoie deux autres : en France, c’est Piccolomini ; [79][80] en Espagne, Bonelli. [21][81] J’apprends que notre maître Bourdelot [82] a promis à la reine de Suède de l’aller trouver en Italie et qu’il fait ses apprêts pour ce voyage. En ce cas-là, il passera à Lyon, et sans doute il y visitera ses bons et anciens amis ; on dit pourtant qu’il vit fort superbement et qu’il méprise la plupart du monde, en dépit [qu’il] soit fort bigot ; jamais ne fut un tel badin.[ Je suis votre Gui Patin.] [22]


a.

Ms BnF no 9357, fo 221, la fin manque ; Reveillé-Parise, no cclxcii (tome ii, pages 261‑264). Une plume anonyme a écrit sur le manuscrit la date du 18 novembre, qu’a reprise l’édition de Reveillé‑Parise ; pourtant au début de sa lettre suivante à Charles Spon (28 novembre), Guy Patin datait la présente du 22 novembre ; il indiquait en outre que sa longueur était de deux pages, soit le recto et verso du fo 221 ; la fin qui nous manque doit donc être très courte, limitée à une brève politesse et à la signature. Spon lui‑même s’est plaint à Guy Patin d’avoir reçu une lettre sans souscription (v. note [12] de la lettre du 26 décembre 1656).

1.

Ce manifeste du comte d’Harcourt (v. note [4], lettre 29), qui se ralliait alors à l’empereur Ferdinand iii de Habsbourg, n’a pas laissé de trace imprimée. Les quatre secrétaires d’État étaient alors Michel Le Tellier (guerre), Henri de Guénégaud du Plessis (Maison du roi et Paris), Henri-Auguste de Loménie de Brienne (affaires étrangères) et Louis Phélypeaux de La Vrillière (affaires de la Religion prétendue réformée).

2.

L’une des plus sanglantes de la guerre de Trente Ans, la bataille de Leipzig s’était déroulée le 17 septembre 1631 à Breitenfeld (une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Leipzig, v. note [18], lettre 467). Elle avait opposé les Impériaux à la coalition du roi de Suède, Gustave-Adolphe, et de la plupart des électeurs protestants. Menée par Johan t’Serclaes van Tilly, l’armée de l’empereur, Ferdinand iii de Habsbourg, fut taillée en pièces, laissant sur le terrain plus de 7 000 tués et blessés, et abandonnant à l’ennemi toutes ses pièces d’artillerie ainsi que 9 000 prisonniers. Gustave-Adolphe chargea ensuite l’électeur duc de Saxe, Jean Georges ier (mort le 8 octobre 1656, v. notes [10], lettre 23, et [9], lettre 369), de diriger son armée vers Prague qui se rendit sans grande résistance le 15 novembre suivant (Bogdan, page 140).

3.

François de L’Aubespine, marquis de Hauterive (1586-27 mars 1670), était le frère cadet de Charles de L’Aubespine, marquis de Châteauneuf, qui avait été garde des sceaux (v. note [13], lettre 10). La fille du marquis de Hauterive, Charlotte de L’Aubespine (1640-1725), duchesse de Saint-Simon, fut la mère de Louis, l’illustre mémorialiste (tome i, page 82) :

« Ma mère était L’Aubespine, fille du marquis de Hauterive, lieutenant général des armées du roi et des états généraux des Provinces-Unies, et colonel général des troupes françaises à leur service. La catastrophe du garde des sceaux de Châteauneuf, son frère aîné, {a} mis au château d’Angoulême, lui avait coûté l’Ordre, auquel il était nommé pour la Pentecôte suivante de 1633, et le bâton de maréchal qui lui était promis. M. de Charost, {b} devant qui le cardinal de Richelieu donna l’ordre d’arrêter les deux frères, qui avait porté le mousquet en Hollande sous mon grand-père comme presque toute la jeunesse de ce temps-là et qui l’appelait toujours mon colonel, se déroba et vint l’avertir comme il jouait avec les filles d’honneur de la reine. Mon grand-père ne fit semblant de rien ; mais un moment après, feignant un besoin pressant, il demanda permission de sortir pour un instant, alla prendre le meilleur cheval de son écurie et se sauva en Hollande. Il était dans la plus intime confidence du prince d’Orange {c} qui lui donna le gouvernement de Breda. […] Mon grand-père passa une grande partie de sa vie en Hollande, et mourut à Paris en 1670. »


  1. Sic pour cadet.

  2. Louis de Béthune, neveu de Sully.

  3. Frédéric Henri de Nassau (v. note [8], lettre 66).

La princesse d’Orange était la princesse Marie, veuve de Guillaume d’Orange (v. note [11], lettre 252). V. note [1], lettre 446, pour l’état pitoyable où se trouvait alors Claire-Clémence de Maillé-Brézé, épouse du Grand Condé.

4.

« chez une vieille femme, avec une hydropisie débutante ».

5.

Résipiscence : « reconnaissance qu’on fait de sa mauvaise conduite, qui oblige à s’en corriger » (Furetière). La pénitence suit ou accompagne la résipiscence (repentir), mais n’en est pas vraiment une alternative. Un effacement du manuscrit m’a mené à supposer le mot École dans la phrase.

6.

V. note [7], lettre 441, pour le président Pierre Jeannin et ses Négociations (Paris, 1656). Il avait joué un rôle de premier plan dans celles qui aboutirent en 1608 à l’alliance de la France avec les Provinces-Unies (traité de La Haye, 23 janvier), prélude à leur indépendance de l’Espagne, consacrée par la trêve de Douze Ans, signée à Anvers le 9 avril 1609. Elle avait interrompu la guerre des Quatre-vingts Ans (1568-1548) et permis aux Provinces d’établir leur puissance commerciale et maritime, en prélude à la ratification définitive de leur indépendance lors de la paix de Westphalie (1648).

7.

V. notes [9], lettre 37, pour le cardinal Arnaud d’Ossat et ses Lettres, et [14], lettre 361, pour le P. René de Cerisiers, jésuite que Guy Patin accusait ici d’avoir censuré Les Négociations de Pierre Jeannin.

8.

Antoine Le Maistre (Paris 1608-Port-Royal-des-Champs 1658) était fils de Catherine Arnauld (1590-1651), sœur d’Antoine, le Grand Arnauld (v. note [46], lettre 101). Il avait reçu, sous la direction de son grand-père, Antoine i Arnauld, avocat au Parlement (v. note [17], lettre 433), une forte et solide instruction, et dès l’âge de 20 ans, il avait débuté avec un tel éclat au barreau de Paris qu’il se plaça aussitôt au premier rang auprès de Patru (v. note [5], lettre 597). Peu après, il avait été nommé conseiller d’État et avocat général au parlement de Metz, mais il refusa ces fonctions et continua à plaider jusqu’en 1637. À cette époque, à la suite d’un mariage manqué, et à l’instigation de Saint-Cyran (mort en 1643, v. note [2], lettre 94), il avait renoncé tout à coup au monde pour aller s’enfermer dans la retraite de Port-Royal.

À partir de ce moment, comme les membres de cette solitude, il partagea son temps entre des exercices de piété et l’étude, fit des traductions, composa des ouvrages religieux, travailla avec son frère Le Maistre de Sacy à la traduction du Nouveau Testament et fournit des documents à Pascal pour ses Provinciales. À Port-Royal, où quatre de ses frères se retirèrent avec lui, Le Maistre exerça une grande influence, enflammant sans relâche l’ardeur et le zèle de tous. Ou l’avait surnommé le Père des solitaires (G.D.U. xixe s.).

Guy Patin annonçait la parution des :

Plaidoyers et harangues de Monsieur Le Maistre, ci-devant avocat au Parlement, et conseiller du roi en ses Conseils d’État et privé. Donnés au public par M. Issali {a} avocat au Parlement. {b}


  1. Jean Issali (1620-1707), avocat janséniste, ami et exécuteur testamentaire de Le Maistre.

  2. Paris, Pierre Le Petit, 1657, in‑4o de 707 pages, contenant 38 plaidoyers.

La préface d’Issali explique la difficile genèse de ce livre, et illustre la mentalité des solitaires de Port-Royal et les abus de certains libraires parisiens :

« Tout le monde sait qu’il y a près de vingt ans que M. Le Maistre est sorti du barreau et s’est même retiré du monde, et que depuis il a mené une vie qui, l’attachant au seul service de Dieu, l’a autant éloigné de la vue des hommes que les dix années qu’il avait passées au Palais l’avaient exposé à la lumière de tout Paris et avaient fait connaître son nom en toutes les provinces du royaume.

Aussitôt qu’il eut quitté sa profession, en 1637, il fit une revue de tous ses écrits. Et après en avoir brûlé une partie, il eut la pensée de brûler aussi tous ses plaidoyers, et ce ne fut que la déférence qu’il eut pour l’avis d’un de ses amis, qu’il consulta sur ce sujet, {a} qui l’empêcha de le faire. Il croyait alors que lui seul les avait, et ainsi le sacrifice qu’il en eût fait eût été tout entier dans son esprit ; {b} mais Dieu s’est contenté de sa bonne volonté : sa providence a conservé ce qu’on voulait perdre, et nous a laissé le moyen d’étouffer aujourd’hui les copies contrefaites et falsifiées, par la vérité de l’original. […]

C’est ce qui fit qu’en 1651 on vit paraître la première édition de ses Plaidoyers, avec son nom à la tête, et un privilège du roi que deux libraires {c} avaient obtenu par surprise. ce procédé me parut, aussi bien qu’à l’auteur, d’autant plus étrange qu’il st tout à fait contre l’ordre de la société civile d’imprimer les ouvrages d’un homme vivant à son desçu {d} et sans sa participation. […] Car tout ce qu’on put faire envers ces libraires ne produisit aucun effet ; et le mal même s’accrut encore davantage, puisqu’aussitôt que cette première édition fut vendue, ils en publièrent une seconde en 1653, plus ample que la première, et qui contenait dix plaidoyers, dont il n’y en avait que huit de l’auteur ; les deux autres étaient absolument faux et il n’en avait jamais ouï parler. Ils y ajoutèrent même une longue lettre qu’on lui avait attribuée, et qu’il avait trouvé moyen de faire supprimer lorsqu’elle fut imprimée la première fois en 1652. […]

Mais il fut bien étonné quand un ou deux ans après il reçu avis qu’on en préparait une troisième, qui serait beaucoup plus ample que la seconde, parce qu’un homme de Paris offrait d’ajouter pour sa part douze nouveaux plaidoyers aux dix autres, et qu’avec ceux qu’on pourrait avoir d’un gentilhomme de Bordeaux pour qui il a plaidé autrefois, qu’on dit en avoir dix-neuf, on pourrait composer un juste volume. Ce fut alors que j’appris avec certitude que ses plaidoyers avaient été copiés il y a vingt ans, quoique sur des minutes toutes brouillées, et qu’ainsi il n’en était plus le maître. » {e}


  1. L’abbé de Saint-Cyran, selon le Dictionnaire de Port-Royal (page 537).

  2. Eût été entièrement accompli comme il l’entendait.

  3. Il y a eu quatre éditions non autorisées par l’auteur (1651-1656). La seconde (1655, dix plaidoyers et trois harangues) est signée « À Paris, chez Henry Le Gras, au troisième pilier de la grande salle du Palais, et Michel Bobin, au même pilier ». Le privilège du roi en est daté du 7 octobre 1652.

  4. Insu.

  5. Tout cela convainquit Le Maistre d’autoriser Issali à faire la première édition approuvée de ses plaidoyers : « Après s’y être opposé, il s’y est rallié ; mais tout aussitôt, dans son entourage, des voix se sont élevées pour regretter qu’il renonce au silence et à l’obscurité qu’il avait choisis » (ibid. notule {a} supra).

9.

Nouvelles pensées sur les causes de la lumière, du débordement du Nil, et de l’amour d’inclination. Par le Sieur de La Chambre, {a} médecin de Monseigneur le garde des sceaux. {b}


  1. Marin Cureau de La Chambre, v. note [23], lettre 226.

  2. Paris, Pierre Rocolet, 1634, in‑4o en 3 parties de 131, 17 et 112 pages ; sans réédition que j’aie su trouver dans les années 1650.

    Le discours sur le Nil a été réédité, augmenté et accompagné du Discrours sur la Nature divine, selon la philosophie platonique (ibid. Edme Martin, 1665, in‑4o de 272 pages).


V. notes [69], lettre 332, pour François Bernier, dit le Mogol et [1], lettre 462, pour un copieux commentaire sur l’Amour d’inclination.

Plusieurs villes antiques ont porté le nom d’Alexandrie. « La plus fameuse est Alexandrie d’Égypte, surnommée la Grande, bâtie par Alexandre le Grand (v. note [21], lettre 197) 332 ans avant Jésus-Christ. Elle est située entre un des sept bras du Nil, appellé par les Latins Ostium Canopicum, l’embouchure de Canope, et est assez près de l’île de Pharos qui est aujourd’hui une péninsule. […] Alexandrie est célèbre dans l’histoire ecclésiastique. L’Église d’Alexandrie fut fondée par saint Marc vers l’an 50 de Jésus-Christ, et la 7e année de Néron, et elle a eu titre de patriarchat, qu’elle conserve encore. C’était le patriarche d’Alexandrie qui indiquait tous les ans le jour de Pâques » (Trévoux).

Alexandrie est aussi célèbre pour avoir été la capitale savante du monde grec et pour sa bibliothèque, fondée au ive s. av. J.‑C. par Démétrios de Phalère, disciple d’Aristote et tyran d’Athènes exilé en Égypte. Elle a conservé des centaines de milliers de volumes manuscrits, puis a été dispersée et détruite, à une date et dans des circonstances incertaines, entre le ier s. av. J.‑C. et le vie s. de notre ère.

10.

La seule édition latine des œuvres de René Descartes datant de cette période n’est pas de Paris : Opera philosophica omnia [Œuvres philosophiques complètes] (Amsterdam, Louis et Daniel Elsevier, 1656, 8 volumes in‑4o).

11.

Jean iii Des Gorris : {a}

Opuscula iv. Quæstiones duæ cardinalitiæ matutinis disputationibus ad discutiendum propositæ in Scholis Medicorum Parisiensium. i. An medicorum Parisiensium frequentes Phlebotomiæ iure vel iniuria accusantur ? ii. An Methodus medendi Medicorum Parisiensium omnium saluberrima ? Quæstionis utriusque Assertiones singulæ confirmantur ex enarratis Hippocratis et Galeni locis. Item de Usu Venæ sectionis ad curandos morbos δευτεραι φροντιδες : Secundæ cogitationes. Nec non ; Brevis animadversio in Libellum Ioannis Lanæi Chirurgi togati Parisiensis, quo Aphorismos Hippocratis in novum ordinem digessit.

[Quatre opuscules. Deux questions cardinales soumises pour être débattues aux discussions du matin dans les Écoles de médecine de Paris : i. Les fréquentes Saignées des médecins de Paris sont-elles justement ou injustement mises en accusation ? {b} ii. La Manière de soigner des médecins de Paris est-elle la plus salubre de toutes ? {c} Toutes les assertions de chacune des deux questions s’appuient sur des passages d’Hippocrate et Galien qu’on a commentés. Ainsi que des secondes pensées {d} sur l’emploi de la saignée pour traiter les maladies ; une remontrance contre l’opuscule de Jean Lanæus chirurgien de robe longue de Paris, où il a classé les Aphorismes d’Hippocrate suivant un ordre nouveau, {e} n’y a pas été omise]. {f}


  1. V. note [3], lettre 225.

  2. Thèse cardinale disputée en 1625, v. note [2], lettre 121.

  3. Autre thèse cardinale disputée le 22 février 1657 (affirmative).

  4. Expression écrite en grec et en latin.

  5. Jean de Lanay :

    Aphorismi Hippocratis, Græce et Latine, in nouum ordinem digesti, et in Sectiones septem distributi, cum Argumentis in eosdem. Authore Ioanne Lanæo Bos-Communensis, Regis Chirurgo, et in Chirurgiæ Facult. Parisiensis Professore ac Magistro…

    [Les Aphorismes d’Hippocrate, en grec et en latin, classés dans un ordre nouveau et distribués en sept sections, avec des arguments dirigés contre eux. Par Jean de Lanay, natif de Bois-Commun, {i} chirurgien du roi, et professeur et maître en la Faculté de chirurgie de Paris…] {ii}

    1. Près de Montargis.

    2. Paris, Ludovicus Iulianus, 1628, in‑8o.

    Cette seconde édition répondait aux attaques subies par la première (parue en 1620) et se termine par une longue diatribe en vers latins, De Officio Medici [Sur les devoirs du médecin], contre les médecins parisiens, horrifiés par un chirurgien qui avait la triple audace de reclasser et commenter les saints Aphorismes d’Hippocrate, de donner à la confrérie de Saint-Côme le nom de faculté, et de s’en dire professeur.

  6. Paris, Gaspard Meturas, 1660, in‑4o de 205 pages ; v. note [7], lettre 647, pour quelques compléments sur le contenu de cet ouvrage.

12.

Le 20 février 1657 (v. note [17], lettre 463), pour devenir comte de Soissons, Eugène-Maurice de Savoie-Carignan (v. note [10], lettre 433) allait épouser Olympe Mancini (Rome 1637-Bruxelles 1703), troisième des dix enfants de Geronima Mazzarina et de Michele Lorenzo Mancini. Arrivée à Paris en 1647 avec ses deux aînés, Laure et Michel-Paul, Olympe était devenue l’amie de jeu puis l’une des premières maîtresses supposées du jeune Louis xiv.

Mme de Motteville (Mémoires, page 446) :

« La reine, qui savait la sagesse du roi et celle de mademoiselle Mancini, ne se fâchait point de cet attachement, parce qu’elle le croyait innocent ; mais elle ne pouvait souffrir, pas même en riant, qu’on parlât de cette amitié comme d’une chose qui pourrait tourner au légitime. La grandeur de son âme avait de l’horreur pour ce rabaissement ; et dans le vrai, il a paru que le roi n’eut jamais cette pensée. »

Sans espoir d’épouser le roi, Olympe se rabattit alors sur les grands du royaume car il lui fallait un mari illustre. Il avait été question du prince de Conti, puis du prince de Modène, puis du duc de La Meilleraye qui refusa comme avaient fait avant lui les deux premiers. Mazarin finit par mettre la main pour elle sur un grand seigneur, Eugène de Carignan, de la Maison de Savoie et prince du sang de France par sa mère, Marie de Bourbon-Condé. Pour lui, le cardinal faisait revivre le titre de comte de Soissons, éteint avec la mort, sans descendance légitime, de Louis de Bourbon, comte de Soissons. Le mariage eut lieu le 21 février 1657. Nommée surintendante de la Maison de la reine, Olympe devint l’une des grandes dames et intrigantes de la cour. Elle eut trois filles et cinq fils, dont le plus célèbre fut le prince Eugène de Savoie-Carignan (1663-1736) (G.D.U. xixe s.).

13.
S. Augustinus Theologorum Aristoteles, sive de S. Augustini in rebus theologicis auctoritate Oratio, dicta Lutet. Paris. vi. Non. Octob. m. dclvi, in Aula Theologica Collegii Claromontani, a patre Stephano Dechamps Societatis Iesu.

[Saint Augustin, l’Aristote des théologiens, ou Discours sur l’autorité de saint Augustin en matière théologique, prononcé à Paris le 2 octobre 1656 en l’auditorium théologique du Collège de Clermont, {a} par le père Étienne Dechamps {b} de la Compagnie de Jésus] {c}


  1. Collège des jésuites de Paris, distinct et concurrent de la Sorbonne : v. note [2], lettre 381.

  2. Étienne-Agard Dechamps (Bourges 1613-1701), jésuite (berrichon et non breton), s’est principalement consacré à écrire contre les jansénistes et leur interprétation des écrits de saint Augustin.

  3. Paris, Officina Cramosiana [librairie Cramoisy], 1656, in‑4o de 32 pages.

Au plus chaud de la querelle de Port-Royal, alimentée par les Provinciales de Blaise Pascal, ce discours est une virulente attaque contre les jansénistes, assimilés aux calvinistes, sur l’interprétation de la grâce qu’ils prétendaient avoir tirée des écrits de saint Augustin

14.

Traduire en français l’Histoire du président Jacques-Auguste i de Thou, par les soins de Pierre Du Ryer (v. note [9], lettre 441), c’était en effet mettre à portée d’un bien plus grand nombre leur contenu, souvent peu conforme aux préjugés officiels du temps.

15.

V. notes :

16.

« en premier lieu… en second lieu ».

17.

« eu égard à la dignité d’un si grand homme. »

18.

« un nommé » remplace ici un passage que Guy Patin a rayé :

« deux hommes, dont l’un s’appelle L’Esprit (fils d’un médecin de Béziers) qui demeurait chez M. le Chancelier, {a} et est frère de M. Esprit, médecin de M. le duc d’Anjou ; {b} l’autre s’appelle… »


  1. Il s’agissait de Jacques Esprit, dit l’abbé (1611-1678), écrivain et membre de l’Académie française.

  2. V. notes [1], lettre 582, pour André Esprit, médecin de Béziers, et [15], lettre 292, pour son fils Jean-André, médecin de Philippe d’Anjou, futur duc d’Orléans.

Jean-Hérault de Gourville (La Rochefoucauld, Limousin 1625-Paris 1703), après une enfance misérable, a connu une étonnante carrière politique. À 17 ans, il avait été placé comme petit clerc chez un procureur d’Angoulême. Six mois plus tard, son frère, maître d’hôtel de l’abbé de La Rochefoucauld, le faisait admettre dans cette maison en qualité de valet de chambre. Au bout de trois ans, le prince de Marcillac, futur duc de La Rochefoucauld (v. note [7], lettre 0219) et frère de l’abbé, le prit pour son maître d’hôtel et l’emmena avec lui à l’armée. C’était au moment de l’ouverture de la campagne de 1646. Gourville fit si bien que le prince l’éleva aux fonctions de secrétaire. Gourville devint alors l’un des principaux agents politiques du parti condéen pendant la Fronde. La guerre civile terminée, Gourville s’était entremis dans l’accommodement du duc de La Rochefoucauld avec la cour puis s’était mis au service du prince de Conti, en Catalogne et en Languedoc. Devenu homme d’importance et déjà riche, Gourville était revenu à Paris pour se replonger dans les intrigues secrètes au service de Mazarin et de Nicolas Fouquet, procureur général et surintendant des finances alors en pleine ascension. Il en a parlé lui-même dans ses Mémoires (pages 93‑94)  :

« Quelque temps après, je fus connu de M. Fouquet, qui me goûta assez en me parlant un jour de la peine qu’il y avait à faire vérifier des édits au Parlement. Je lui dis que, dans toutes les chambres, il y avait un nombre de conseillers qui entraînaient la plupart des autres et que je croyais qu’on pourrait leur faire parler par des gens de leur connaissance, leur bailler à chacun cinq cents écus de gratification et leur en faire espérer autant, dans la suite, aux étrennes. J’en fis une liste particulière et je fus chargé d’en voir une partie que je connaissais ; on en fit de même pour d’autres.

[…] Il se présenta une occasion au Parlement où M. Fouquet jugea que ce qu’il avait fait avait utilement réussi. Il me chargea encore de quelques autres affaires, et étant fort content de moi, cela me fit espérer que je pourrais faire quelque chose par ce chemin-là. Mais en ce temps, M. le cardinal se trouvant fatigué des demandes que lui faisait M. le prince de Conti, un de ces Messieurs de la cabale contre moi qui était auprès de Son Altesse et qui ne m’aimait pas, étant venu à Paris et M. le cardinal s’étant plaint de ses fréquentes demandes, il lui dit que c’était par mes conseils et que j’avais beaucoup empiété sur l’esprit de Mme la princesse de Conti ; que si Son Éminence me faisait mettre à la Bastille et faisait venir M. le prince de Conti, elle verrait qu’il ne lui ferait pas la moindre peine. M. le cardinal, au commencement de novembre 1656, donna l’ordre à M. de La Bachelerie, gouverneur de la Bastille, de m’y mener. Il vint pour cela le lendemain à mon appartement, accompagné de quelques gens et ayant trouvé mon laquais à la porte de ma chambre, il lui demanda si j’étais là et ce que je faisais. Ce laquais lui répondit que j’étais avec mon maître à danser. M’ayant trouvé < alors > que je répétais une courante, il me dit en riant qu’il fallait remettre la danse à un autre jour, qu’il avait ordre de M. le cardinal de me mener à la Bastille. »

Gourville sortit de la Bastille en avril ou mai 1657 pour reprendre ses affaires jusqu’à la chute de Fouquet ; condamné alors à mort par contumace, comme un des principaux agents du surintendant déchu, il s’enfuit à Bruxelles pour y intriguer de nouveau, mais en faveur du prince de Condé, auprès de la cour d’Espagne. Amnistié sans difficulté, Gourville eut l’honneur d’être favorablement présenté à Louis xiv par le prince de Condé, à Chantilly, en avril 1671.

Vers le milieu du mois de juin 1702, au crépuscule d’une des vies les plus aventureuses du xviie s., Gourville dicta ses mémoires en quatre mois et demi, sans avoir recours à personne et sans autre aide que ses souvenirs. Ils parurent pour la première fois sous le titre de Mémoires contenant les affaires auxquelles il a été employé par la cour depuis 1642 jusques en 1698 (Paris, Ganeau, 1724, 2 volumes in‑12).

19.

« On dit, mais fort bassement d’un homme qu’on a mis prisonnier, qu’on l’a mis dans la boîte aux cailloux » (Trévoux).

20.

François-Jacques d’Amboise, comte d’Aubijoux (v. note [34], lettre 288), était mort à Graulhet (Tarn) le 19 novembre 1656.

21.

Succédant à Nicolo Guido di Bagno, Celio Piccolomini (Sienne 1609-ibid. 1681), archevêque de Césarée en 1656, fut nonce apostolique en France du 27 octobre 1656 au 12 septembre 1662. En raison de l’incident survenu entre l’ambassadeur à Rome et la garde corse du pape (v. note [2], lettre latine 208), il dut alors quitter Paris pour Cambrai où il eut à subir le harassement de la populace. Il fut nommé cardinal en 1664.

Carlo Bonelli (Rome 1612-ibid. 1676) venait d’être nommé évêque de Corinthe et aussitôt envoyé comme nonce extraordinaire auprès de Philippe iv afin d’œuvrer en faveur de la paix franco-espagnole. Il demeura à Madrid jusqu’en 1664, année où il retourna à Rome et fut lui aussi nommé cardinal.

22.

Il manque la fin de la lettre dans le manuscrit. Pour la conclure, une plume anonyme a ajouté cette dernière phrase, en l’encadrant.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 22 novembre 1656

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(Consulté le 25/04/2024)

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