L. 461.  >
À Hugues II de Salins,
le 12 février 1657

Monsieur, [a][1]

Je vous écrivis il y a environ dix jours par la voie de M. de La Ville, [2] avocat, et maintenant je vous envoie le Selecta medica de Vander Linden, [3] que je vous ai promis et que je vous supplie d’avoir agréable. Ce livre a du sens et du sang aux ongles. [1] J’y ai ajouté quelques thèses ; [4] environ Pâques, nous en aurons d’autres que je délivrerai à celui que m’adresserez.

Mme la duchesse de Mercœur, [5] nièce [6] de Son Éminence, [7] est allée chercher sa mère, Mme de Mancini, [8] en l’autre monde. Elle était en couche, elle sentit quelque refroidissement en son bras gauche qui se communiqua à la cuisse ; les médecins de la cour y appelés lui donnèrent aussitôt vinum venenatum ex stibio emeticum, ex cuius tertia dosi infelicem animam efflavit, ann. æt. 21[2][9][10] Jugez par là de la capacité de ces médecins courtisans, hominum genus admodum ignarum [3] qui donnent de l’antimoine à une jeune dame en couche pour être menacée de paralysie. Les bonnes gens disent que c’est le chapelet qui se défile, mais l’on ne sait pas quand le gros Pater tombera. [4] Il n’y a ici rien de nouveau digne de vous être mandé, je vous baise les mains, et à mademoiselle votre femme, et à Messieurs vos père et frère, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce lundi 12e de février 1657.


a.

Ms BnF no 9357, fo 231, « À Monsieur/ Monsieur de Salins le puîné,/ Docteur en médecine,/ À Beaune » ; Chéreau no xi (25).

1.

« On dit qu’un homme a bec et ongles, qu’il a du sang aux ongles, pour dire qu’il sait bien se défendre en toutes manières, soit en paroles, soit en actions, qu’il a de la force et du courage » (Furetière).

V. note [21], lettre 460, pour le contenu du paquet que Guy Patin envoyait à Hugues ii de Salins.

2.

« du vin émétique empoisonné d’antimoine, dont la troisième dose fit expirer cette malheureuse âme à l’âge de 21 ans. »

Les symptômes décrits par Guy Patin indiquent une attaque d’hémiplégie gauche, probablement par hémorragie cérébrale. V. notes [35], lettre 176, pour Laure Mancini, épouse du duc de Mercœur, et [44], lettre 458, pour Hiéronyme (Geronima) Mancini, sa mère, sœur du cardinal Mazarin, morte le 15 janvier.

3.

« genre d’hommes tout à fait ignorants ».

4.

« On dit en proverbe, quand il meurt coup sur coup plusieurs personnes d’une même famille ou d’une cabale, que le chapelet se défile » (Furetière).

Le « gros Pater » désigne ici le cardinal Mazarin : le gros grain d’un chapelet indique au fidèle qu’il doit réciter un Pater noster [Notre Père], qui sépare chaque dizaine de petits grains d’Ave Maria [Je vous salue Marie].


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 12 février 1657

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0461

(Consulté le 20/04/2024)

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