L. 463.  >
À Charles Spon,
les 16 et 26 février 1657

< Monsieur, > [a][1]

Le bonhomme M. de Chevreuse [2] est mort, âgé de 83 ans. Il était le dernier fils du duc de Guise [3] qui fut tué à Blois [4] l’an 1588 par le commandement de Henri iii[1][5] Hier mourut le maréchal Foucault [6] âgé de 50 ans, homme fort débauché et dangereux. Il s’appelait par ci-devant le comte de Dognon, c’est lui qui était gouverneur de Brouage [7] et qui, en la rendant au roi [8] par traité particulier, se fit faire maréchal de France il y a environ quatre ans. [2]

J’ai vu aujourd’hui entre les mains d’un Hollandais, jeune médecin natif de Nimègue, le Fernel [9] de la nouvelle impression d’Utrecht in‑4o, Universa medicina, cum notis, observationibus et remediis secretis Io. et Othonis Heurnii[3][10][11] Cette impression me déplaît car, outre qu’elle n’est pas belle et qu’elle est pleine de fautes, ils y ont mis des suppléments qui sont déjà dans l’édition de Hollande in‑8o, ex Sylvio, Platero, Sennerto et Magiro[4][12][13][14][15] Il y a un livre nouveau imprimé à Londres intitulé Xenodochium tabidorum[5][16][17] c’est un livre de leur maladie de consomption [18] qui est une espèce de phtisie, [19] pthoe Hippocratis, marcor pulmonis, morbus materiæ Fernelii, phthisis sine ulcere[6][20][21] Ce mal est fort fréquent en Angleterre et en Hollande à cause de la mer et de la quantité des eaux qui s’y rencontrent ; ils n’en peuvent pas guérir là à cause des brouillards et de la trop grande humidité, mais il faut qu’ils viennent en France, en des villes situées en air sec et éloignées des grandes rivières.

Les quatre libraires qui avaient acheté la bibliothèque [22] de feu M. Moreau [23] avaient arrangé les livres dans une belle grande boutique de la foire [24] pour les vendre lundi prochain, mais ils en sont soulagés de moitié : M. Fouquet, [25] procureur général, a acheté tous les livres de médecine qu’il a fait enlever aussitôt et emporter chez lui moyennant 10 000 livres d’argent comptant ; deux jésuites y sont, qui les arrangent ; on n’en a fait aucun catalogue. Qui a de l’argent passe partout, c’est anima mundi [7] des platoniciens [26] et de tous les autres philosophes, jusqu’au pape et aux jésuites. Et genus et formam regina pecunia donat[8][27][28] Le nouveau nonce du pape, M. Piccolomini, [29] fit ici son entrée il n’y a que trois jours avec un cortège de cent carrosses. Bon Dieu, que de vanité parmi les grands ! M. le prince d’Harcourt [30] fut au-devant de lui au nom du roi ; [9] et depuis, il a fait sa harangue au nom du pape [31] à Sa Majesté. [10][32][33]

Le 8e de février est morte dans l’hôtel de Vendôme la duchesse de Mercœur, [34] nièce [35] du Mazarin. [36] Il y a 15 jours qu’elle était en couches, avant-hier la jambe lui devint paralytique, cette nuit elle est tombée en apoplexie, [37] on lui a donné de l’antimoine et est morte, tam a morbo quam a veneno[11] Elle était fille aînée de Mme de Mancini, [38] laquelle mourut ici le mois passé. Ce qui reste de la bibliothèque de M. Moreau se vend à la foire, j’entends les livres de philosophie, d’humanités et d’histoire ; il avait fort peu de théologie et haïssait toute controverse de religion ; même, je l’ai maintes fois vu se moquer de ceux qui s’en mettaient en peine. Je pense qu’il était de l’avis de M. Naudé [39] qui se moquait des uns et des autres, et qui disait qu’il fallait faire, comme les Italiens, bonne mine sans bruit et prendre dans ce cas-là pour devise Intus ut libet, foris ut moris est[12][40][41][42] Je savais bien que M. Bernier [43] avait eu la peste [44] en Égypte, Dieu le veuille bien ramener de si loin, c’est un bon garçon ; [13] il nous dira des nouvelles de la casse [45] et du séné [46] qui nous viennent de ce pays-là. Pour la reine de Suède, [47] par son changement de religion, [48] elle a bien aiguisé les langues des ministres contre son honneur. Il vaut mieux n’en point dire de mal et n’en croire que du bien. Quoi qu’il en soit, elle a fort augmenté sa réputation par le voyage qu’elle a fait à Paris. Vallot, [49] Guénault [50] et Esprit [51] ont donné trois fois de l’antimoine à Mme la duchesse de Mercœur. Je pense que c’était de peur qu’elle n’en réchappât. Si elle s’en fût réchappée, ils auraient tâché de la faire canoniser. Cette duchesse et sa mère feront un beau chapitre dans le martyrologe de ceux que l’antimoine [52] a écrasés, comme le Iupiter mactator des Anciens. [14][53]

On tient ici depuis quatre jours trois voleurs prisonniers, qui arrêtaient le soir les carrosses, qui volaient et dépouillaient ceux qui étaient dedans. Deux jours avant qu’ils fussent pris, ils avaient volé dans son carrosse Mme Ménardeau-Champré, [54] femme du conseiller de la Grand’Chambre qui est un des directeurs de finances. [15][55] Cette dame est native de Lyon, elle s’appelle Henry en son surnom ; elle était veuve d’un nommé Ferrier, [56] qui était le fils du ministre de Nîmes [57] qui se révolta en l’an 1613 et qui causa tant de bruit en Languedoc. [16][58][59]

Enfin, le 20e de février, s’est fait le mariage du prince Eugène, nommé le comte de Soissons, [60] fils du prince Thomas, [61] avec la Mancini, [62] nièce de Son Éminence. [17] Il court ici un bruit qui me déplaît fort, savoir que, par l’entremise des plus grands de l’Europe, et entre autres du roi de France et du pape, les jésuites [63] ont obtenu d’être rétablis à Venise, [64] moyennant la somme de 600 000 écus qui seront employés à la guerre contre les Turcs, pour le recouvrement de la Candie. [65] C’est ouvrir la porte à un ennemi au même temps que l’autre s’enfuit. Cette vermine des loyolites est merveilleusement adroite à faire ses affaires aux dépens de tout le monde, per ignaviam principum[18][66] Si cela est vrai, certes il faut dire avec Virgile : [67] Timeo Danaos et dona ferentes[19] Les janissaires du pape n’entrent point là-dedans avec leur argent qu’ils n’aient bonne envie et ne sachent presque bien le moyen de le rattraper.

En deux jours sont ici mortes quatre personnes considérables, savoir M. de Lasseville, [68] maître des comptes et doyen de la Chambre âgé de 85 ans, je l’ai vu malade, periit ex suppressione urinæ ab inflammatione et exulceratione urethræ ; [20][69][70] le second a été M. Marreau de Villerégis, [71] conseiller aux Requêtes, âgé de 48 ans ; [21] le troisième est Robert le Diable, autrement dit M. Aubry, [22][72] président des comptes, âgé de 83 ans ; et Mme de Brou-Feydeau, [23][73] âgée de 85 ans, mère d’un conseiller des Enquêtes. Les jésuites d’ici se vantent de leur rétablissement à Venise. Voilà une nouvelle qui me surprend fort : où est la politique de ces vénérables sénateurs de recevoir en leur ville, contre l’ordonnance de leur Sénat de 1606, [74] ces janissaires du pape ? Troiano Sinone deteriores et periculosiores[24][75] Certes, je ne vis jamais tant de faiblesse parmi les hommes, le genre humain va toujours en empirant. Et hæc debemus progeniei monachorum undecumque emergentium, quasi essent locustæ apocalypticæ[25][76] Je me recommande à vos bonnes grâces et à mademoiselle votre femme, et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble, etc.

De Paris, ce 16e < et 26e > de février 1657.


a.

Reveillé-Parise, no cclxcvii (tome ii, pages 275‑279). Cette lettre est un rapiécetage maladroit de plusieurs fragments : certains détails, comme la fausse annonce de la mort du maréchal Foucault, authentifient sa date et son destinataire ; mais d’autres, comme le mariage d’Olympe Mancini avec le prince Eugène (v. note [17], lettre 463) ou la mort d’Hector Marreau (v. note [21], lettre 463), marquent des événements survenus après le 16 février. J’ai marqué ces incohérences en lui donnant un intervalle de dates plutôt qu’une date unique.

1.

Claude de Lorraine, duc de Chevreuse (v. note [2], lettre 195) était fils de Catherine de Clèves et de Henri ier de Lorraine, duc de Guise (1550-1588), le Balafré (à cause d’une blessure reçue à la bataille de Dormans en 1575), chef de la Ligue qui dirigea le massacre de la Saint-Barthélemy (1572, v. note [30], lettre 211), voulut ravir la couronne à Henri iii et fut assassiné dans le château de Blois le 23 décembre 1588 sur ordre du roi.

2.

Louis Foucault, comte Du Dognon (v. note [3], lettre 207), maréchal de France en 1653, ne mourut que le 10 octobre 1659 à l’âge de 43 ans. Guy Patin a corrigé cette fausse nouvelle dans sa lettre suivante à Charles Spon.

3.

Joann. Fernelii Ambiani, Universa Medicina, Primùm quidem studio et diligentia Guiljelmi Plantii, Cennomanni elimata, Nunc autem notis, observationibus, et remediis secretis Joann. et Othonis Heurnii, Ultraject. et aliorum præstantissimorum Medicorum scholiis illustrata. Cui accedunt Casus et observationes rariores, quas Cl. D.D. Otho Heurnius in Academia Leydensis Primarius Medicinæ praticæ, Anatomiæ et Chirurgiæ Professor, in diario annotavit…

[La Médecine universelle de Jean Fernel, natif d’Amiens, que le soin et la diligence de Guillaume Plancy, {a} natif du Maine, ont précédemment retouchée, mais qu’ont maintenant éclairée les notes, les observations, et les remèdes secrets de Jan i et Otto van  Heurne, natifs d’Utrecht, et les commentaires d’autres médecins très éminents. On y a ajouté les cas et observations plus que rares, que le très distingué M. Otto van Heurne, premier professeur de médecine pratique, d’anatomie et de chirurgie en l’Université de Leyde, a consignées dans son journal…] {b}


  1. V. note [1], lettre 80.

  2. Utrecht, Gisbertus van Zijll et Theod. van Ackersdijk, 1656, in‑4o ; réédition à Paris, Th. Jolly, 1657, in‑4o.

    Imprimée un très grand nombre de fois, la Medicina de Jean Fernel avait été publiée pour la première fois en 1554 (v. note [4], lettre 72).


Otto van Heurne (Utrecht 1577-Leyde 1652), fils aîné de Jan i (v. note [1], lettre 36), avait succédé à son père dans la chaire de médecine de Leyde. Otto était aussi théologien, historien et philosophe ; il s’intéressa surtout à la Barbarica philosophia, c’est-à-dire celle qui a précédé l’ère grecque, à Babylone, en Inde et en Égypte (hermétisme, v. note [9], lettre de Thomas Bartholin, datée du 18 octobre 1662), sujet sur lequel il a publié plusieurs ouvrages.

4.

« tirés de Sylvius, Felix i Platter [v. note [12], lettre 363], Daniel Sennert et Johann Magiri. »

Johann Magiri, médecin allemand, mort en 1596, était docteur et professeur de l’Université de Marbourg ; l’édition qu’évoquait ici Guy Patin est la Ioan. Fernelii Universa medicina… [Médecine universelle de Jean Fernel…] imprimée à Leyde en 1644-1645 (v. note [6], lettre 115).

5.

Tabidorum theatrum, sive Phtisios, atrophiæ et hecticæ xenodochium, authore Christ. Benedicto, Med. Doct. Collegii Londinensis Socio.

[Amphithéâtre des tabides, ou l’hôpital de la phtisie, atrophique et hectique, par Christopher Bennet, {a} docteur en médecine, membre du Collège de Londres]. {b}


  1. Christopher Bennet (Christophorus Benedictus ; Rayton, Sommerset vers 1617-Londres 1655) avait commencé ses études au Lincoln College d’Oxford en 1632 ; devenu membre du Collège des médecins de Londres, il mourut de phtisie pulmonaire, maladie à laquelle il avait consacré ses principaux travaux.

  2. Londres, 1656, J. Thompson, in‑16 de 187 pages ; réédition à Francfort, Ægidius Vogelius, 1665, in‑12 de 208 pages.

6.

« la φθοη [consomption] d’Hippocrate, la putréfaction du poumon, la maladie de la matière de Fernel, la phtisie sans ulcère. »

Consomption, phtisie, atrophie, cachexie, tabès (v. note [9], lettre 93), marasme, émaciation sont sept synonymes servant à désigner une maladie qui engendre un épuisement (combustion, flétrissement) de tout le corps avec extrême amaigrissement. Le syndrome est aujourd’hui principalement lié aux cancers (v. note [54] du Patiniana I‑3 pour une liste des autres causes), mais il était alors surtout la conséquence de la tuberculose (qu’on a appelée phtisie jusque vers le milieu du xxe s., ce qui vaut encore à la tuberculose d’être désignée sous le nom abrégé de « phi »).

Consumption était le terme adopté par les Anglais pour couvrir non seulement la tuberculose, mais aussi le rachitisme (rickets) : du fait du manque d’ensoleillement, cette carence en vitamine D leur était sans doute plus particulière que l’infection par le bacille tuberculeux (de Koch) qui sévissait alors dans toute l’Europe sans prédominance géographique. Le commentaire climatique et géographique de Guy Patin qui suit plaiderait ici plutôt en faveur du rachitisme. Toutefois, on s’est servi des bains de soleil (héliothérapie) pour soigner la tuberculose dans les sanatoriums (que les antibiotiques antituberculeux ont opportunément vidés).

7.

« l’âme du monde ».

Pour Platon, « Dieu n’a pu produire le monde, en tant que le monde a des caractères diamétralement opposés aux siens. Il existe donc hors de Dieu un principe du variable, de l’imparfait, du fini qui, n’ayant pu sortir de Dieu, existe aussi par soi-même. Ce principe, c’est la matière passive, aveugle, indéterminée, sans forme. Par l’action de Dieu sur la matière, l’invariable et le variable, les archétypes et l’élément informe se mêlent en quelque degré ; il en résulte une substance intermédiaire participant de cette double nature ; cette substance, c’est l’âme du monde. L’âme du monde s’individualisant, se divisant en âmes diverses, forme les dieux multiples du vulgaire et les hommes en tant qu’êtres intelligents » (G.D.U. xixe s.).

8.

Emprunt abrégé à Horace (Épîtres, livre i, lettre 6, vers 36‑37) :

Scilicet uxorem cum dote fidemque et amicos
et genus et formam regina Pecunia donat
.

[C’est que la reine Pécune {a} donne à la fois femme bien dotée, crédit, amis, rang et beauté].


  1. Pecunia, divinité romaine de l’argent : j’ai donc mis sa majuscule poétique au pecunia de Reveillé-Parise ; mais c’est aussi un nom commun en latin, qui désigne primitivement le revenu tiré du bétail (pecus).

9.

Le prince d’Harcourt était Charles iii de Lorraine (1620-1692), fils aîné de Charles ii, duc d’Elbeuf (v. note [12], lettre 18). Titulaire de ce duché en novembre 1657, il allait devenir gouverneur d’Artois et de Picardie. Quoique son homonyme, il est à distinguer de Charles iii, duc de Lorraine (v. note [35] du Borboniana 4 manuscrit).

10.

En arrivant à Paris, le nonce Celio Piccolomini {a} apportait une massue pour assommer les jansénistes ; Louis xiv le reçut au Louvre le 5 février. L’Assemblée du Clergé de l’été 1656, à l’exception de trois évêques, avait approuvé la bulle Cum occasione d’Innocent x {b} contre les jansénistes. Le 2 septembre suivant, l’Assemblée avait déclaré impossible de séparer le point de fait du point de droit {c} et demandé à Alexandre vii, élu le 7 avril 1656, son opinion concernant les thèses jansénistes.

Dès le 16 octobre, Alexandre vii avait signé la bulle Ad sacram affirmant que les Cinq Propositions {d} se trouvent bien dans l’Augustinus et sont condamnées au sens où Jansenius les avait entendues. Pour des raisons obscures, Piccolomini ne présenta cette bulle au roi que le 2 mars 1657.

Quinze jours plus tard, pour en finir, pensait-elle, avec toutes les résistances, l’Assemblée du Clergé décida d’imposer à toutes les personnes ecclésiastiques, religieux et religieuses, aussi bien que prêtres pourvus de bénéfices, la signature d’un Formulaire qu’elle avait arrêté dès septembre 1656 : {e}

« Je reconnais que je suis obligé, en conscience, d’obéir à ces constitutions, {f} et je condamne de cœur et de bouche les doctrines des Cinq Propositions de Cornelius Janssen, soutenues dans son livre l’Augustinus, que le pape et les évêques ont condamnées. »


  1. V. note [21], lettre 453.

  2. Datée du 31 mai 1653, v. note [16], lettre 321.

  3. V. notule {a}, note [16], lettre 321.

  4. V. note [16], lettre 321.

  5. V. note [9], lettre 733.

  6. Les deux bulles pontificales condamnant le jansénisme.

Le Parlement, pénétré pour longtemps d’influences jansénistes, manifesta quelque esprit d’opposition. Il fallut un lit de justice, tenu le 29 novembre, pour en venir à bout. En revanche, dès la publication de la bulle, Port-Royal mesura l’étendue de sa défaite. Après sa 18e lettre provinciale, Blaise Pascal mit fin à son combat, que d’ailleurs la Mère Angélique et bien d’autres estimaient peu conforme à la charité chrétienne (R. et S. Pillorget).

11.

« autant de sa maladie que de ce poison. » V. note [2], lettre 461, pour une précédente évocation de la mort de Laure Mancini, duchesse de Mercœur, en termes fort similaires.

12.

« Au-dedans comme il plaît à chacun, au-dehors comme veut le monde » : devise des « libertins érudits », empruntée à Cesare Cremonini (v. note [28], lettre 291). Il me semble injuste de prendre cette mention (non autographe) de Guy Patin pour une professiondhésion à ce courant de pensée, voire d’athéisme.

V. note [39] du Naudæana 4, pour la conversation de Gabriel Naudé contenant la devise de Cremonini.

13.

V. note [69], lettre 332, pour François Bernier, dit le Mogol.

14.

Iupiter mactator, « Jupiter massacreur » : l’épithète est rare, mais se lit dans les Troyennes de Sénèque le Jeune (vers 1003), appliquée à Pyrrhus, fils d’Achille et meutrier de Priam. Son attribution à Jupiter semble une invention de Guy Patin, qui y a recouru sept fois dans ses lettres (aux endroits recensés dans notre index).

Littré DLF a employé cette phrase de Patin pour illustrer sa définition du mot martyrologe : « Il se dit quelquefois d’une longue liste de cas de mort que l’on rapporte, ou de souffrances infligées. » Patin n’a bien sûr pas établi le martyrologe de la saignée.

15.

L’épouse de Claude Ménardeau, seigneur de Champré (v. note [143], lettre 166), était née Catherine Henry, fille de François Henry, sieur de Gerniou, et de Marie de Gabian.

Elle avait épousé en premières noces François-Nicolas Ferrier, fils aîné du pasteur Jérémie Ferrier (v. infra note [16]). Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette (tome ii, pages 272‑282), ainsi qu’à son premier beau-père (tome i, pages 654‑658) (Adam).

16.

Jérémie Ferrier (Nîmes 1576-Paris 1626) avait d’abord eu la carrière d’un brillant ministre protestant, fort remarqué pour ses prises de position contre le pape Clément viii qu’il désignait comme l’Antéchrist (v. note [9], lettre 127).

Bayle :

« Cela le rendit tellement suspect qu’on le regardait comme un pensionnaire de la cour, comme un faux frère, comme un traître des Églises. Le synode national de Privas en 1612 lui défendit de prêcher dans Nîmes. Là-dessus Ferrier se fit pourvoir d’une charge de conseiller au présidial de cette ville, mais il s’éleva un tumulte populaire contre lui qui donna lieu à son changement de religion. L’auteur du Mercure français a décrit les circonstances de ce tumulte : les adversaires de Ferrier, dit-il, le voyant reçu conseiller au présidial, “ l’excommunièrent à leur mode et excitèrent la populace de Nîmes à lui courir sus comme il voudrait aller au présidial, ou qu’il en retournerait ” ; Ferrier, averti de ce dessein, ne laissa pas de se rendre au présidial avec le prévôt le 14 juillet 1613 ; “ en y allant il ne rencontra personne, mais à sa sortie, pensant retourner à sa maison, il trouva ses adversaires avec la populace qui s’entredisaient en le démontrant de la main, vege lou, vege lou, lou traitre Judas, {a} puis commencèrent à lui jeter des pierres ” et à le poursuivre “ en intention de le prendre ” ; mais il se sauva chez le lieutenant Rozel ; “ fâchés de ce qu’il s’était échappé, ils allèrent à sa maison, la saccagèrent, et brûlèrent devant la porte plusieurs de ses meubles et livres ; ” les 15 et 16 juillet, “ ils furent aussi saccager ce qu’il avait aux champs et arracher ses vignes ; ce qu’ayant fait, ils retournèrent à Nîmes tenant tous des ceps de vigne et des arbrisseaux du clos de Ferrier ” ; il trouva moyen de se sauver à Beaucaire après avoir été enfermé durant trois jours dans un sépulcre ; Ferrier assure qu’il fut “ à demi assommé à coups de pierres et qu’il n’échappa que miraculeusement des mains de trente estafiers du consistoire qui, par serment, s’étaient obligés de le tuer ; que sa mère, âgée de 60 ans, veuve et fille de ministre, était morte par l’horreur de ce triple spectacle durant lequel elle fut cent fois menacée pas ces assassins d’être brûlée toute vive ; que deux petits enfants furent arrachés miraculeusement du feu par la sage conduite des magistrats, qui furent menacés de mort par ces zélateurs enragés ; que sa propre femme, enceinte de neuf mois, fut battue à coups de hallebarde ; que sa belle-mère, âgée de près de 80 ans, fut traitée avec la même inhumanité ; que tous ses meubles furent brûlés devant leur Temple, la plus grande part de ses livres et papiers pillés ou brûlés, tout le meilleur de son bien emporté et ruiné ; que les arrêts donnés par la Chambre de l’édit de Castres et par les avis de tous les juges de la Religion prétendue réformée condamnèrent à la roue ou au gibet 17 de ces pauvres misérables qu’ils avaient obligés à le tuer par l’intérêt de leur religion, et en leur promettant le paradis par le moyen d’un acte si détestable ; ” […] après quoi, il s’établit à Paris où il tâcha de faire fortune. […] {b} Le roi se servit de lui en plusieurs actions d’importance et l’an 1626, il lui commanda de suivre Sa Majesté au voyage de Bretagne où elle l’honora de l’état de conseiller d’État et privé. Le cardinal de Richelieu l’honora de son estime particulière. Ferrier, au retour de ce voyage, fut attaqué d’une fièvre lente qui empira de jour en jour. Il en mourut le 26 septembre 1626. »


  1. V. note [2] de l’Introduction au Borboniana manuscrit.

  2. Excommunié par l’Église de Nîmes en 1613, Ferrier s’était aussitôt converti au catholicisme. Plus tard, il prit le parti du roi contre ses anciens coreligionnaires qui, selon lui, devaient se contenter de l’édit de Nantes tel qu’il avait été vérifié par les parlements.

17.

V. note [12], lettre 453, pour le mariage d’Eugène-Maurice de Savoie-Carignan avec Olympe Mancini. Le 19 février, l’évêque de Rennes, Henri de La Mothe-Houdancourt, avait célébré les fiançailles au Louvre dans la chambre du roi qui signa le contrat ; le mariage fut consacré le lendemain vers onze heures du matin dans la chapelle de la reine, suivi dans la soirée d’un souper de noces chez le cardinal Mazarin (Levantal). La transcription de Reveillé-Parise porte la date du 15 février, qu’on a corrigée.

18.

« par la lâcheté des chefs », Tacite blâmant les guerres civiles qui ont mis fin à la république romaine (Histoires, livre ii, chapitre xxxviii) :

Eadem illos deum ira, eadem hominum rabies, eadem scelerum causæ in discordiam egere ; quod singulis velut ictibus transacta sunt bella, ignavia principum factum est.

[La même colère des dieux, la même rage des hommes, la même soif d’exactions poussaient les citoyens à la discorde ; la lâcheté des chefs a fait que les batailles se sont terminées dès le premier échange de coups].

V. note [4], lettre 37, pour l’expulsion des jésuites de Venise en 1606. Ils y revenaient en janvier 1657 (v. note [1], lettre 465), prenant possession de l’ancien couvent des Crociferi. Plus tard (1715), ils édifièrent l’église Santa Maria Assunta, autrement nommée la Chiesa dei Gesuiti.

19.

« Je crains les Grecs, surtout s’ils portent des cadeaux » (Énéide, v. note [183], lettre 166).

20.

« il a succombé à une rétention d’urine par inflammation [v. note [6], lettre latine 412] et ulcération de l’urètre ».

21.

Hector Marreau, seigneur de Villerégis, avait été reçu en 1641 conseiller aux Enquêtes du Parlement de Paris ; il mourut le dimanche 25 février 1657 selon Popoff (no 1682).

22.

Robert Aubry (ou Aubéry), marquis de Vatan (v. note [55] du Faux Patiniana II‑1 pour l’origine de cette seigneurie), avait été reçu maître des requêtes en 1609, président de la Chambre des comptes en 1620, puis conseiller d’État ordinaire en 1651 (Popoff, no 459).

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome ii, pages 469‑474) :

« On appelait le président Aubry Robert le Diable. Je n’en sais pas bien la raison, si ce n’est qu’ayant nom Robert et étant brusque, on lui ait donné ce surnom ; vous voyez qu’il ne l’a pas trop été pour sa femme qui était plus diablesse qu’il n’était diable. Elle le méprisait, de sorte qu’elle a pissé plus d’une fois dans les bouillons qu’elle lui faisait prendre. […]

On dit que les Aubry viennent d’un vinaigrier de la rue Montmartre et cela leur fut une fois plaisamment reproché par un homme qui était de leurs parents, contre lequel ils plaidaient. Ils traitaient cet homme de haut en bas, et lui, en riant, dit en plein conseil : “ Messieurs, MM. Aubry sont un peu aigres et je ne m’en étonne pas ; je me souviens d’avoir ouï dire à mon père qu’on disait que leur père leur avait donné plus de moutarde que de bouillie et plus de vinaigre que de lait. ” C’est une espèce de proverbe. »

23.

Gabrielle Hennequin, sœur de Dreux Hennequin (v. note [7], lettre 258), avait épousé Denis Feydeau, seigneur de Brou. Leur fils Henri avait été reçu conseiller aux Enquêtes du Parlement de Paris en 1622, puis était monté à la Grand’Chambre. Henri était mort en 1655 ; son fils Denis, né en 1633, avait alors pris sa place de conseiller au Parlement (Popoff, no 1189).

24.

« Ils sont plus méchants et plus dangereux que Sinon le Troyen » : Sinon est le modèle du traître dans L’Énéide (mais il était grec, v. note [6], lettre latine 325).

25.

« Et nous devons cela à la race des moines, de quelque endroit qu’ils émergent, comme s’ils étaient les sauterelles de l’Apocalypse » ; Cinquième trompette de l’Ange (9:3) :

Et de fumo putei exierunt locustæ in terram, et data est illis potestas, sicut habent potestatem scorpiones terræ.

[Et de cette fumée, des sauterelles se répandirent sur la terre ; on leur donna un pouvoir pareil à celui des scorpions de la terre].


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, les 16 et 26 février 1657

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(Consulté le 24/04/2024)

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