L. 472.  >
À Charles Spon,
le 27 mars 1657

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi 13e de mars, laquelle était de cinq grandes pages, et ce même jour mourut ici à 7 heures du soir M. de Bellièvre, [2] premier président du Parlement. Il n’aimait point la saignée, il ne croyait point à notre métier, l’en voilà fort bien récompensé. Sibi fieri passus est medicinam ab aliquot medicastris aulicis, qui quam profitentur artem numquam intellexerunt : sic pereunt magnates[1][3] le petit bourgeois est mieux traité. Les charlatans occupent les premières places de la cour par le désordre du siècle, et ceux qui en sont cause en pourront bien payer eux-mêmes les dépens, et in propria cute[2] Le Mazarin est au lit de la goutte. [4]

Ce 14e de mars. On a trouvé dans le corps du premier président [5] le poumon gauche tout pourri et un abcès dans le foie avec plus d’une livre de boue ; [6][7] et au diable le premier de tous ces charlatans qui l’ont approché qui ait dit un mot du foie, pas même Guénault [8] qui fait tout ce qu’il peut afin que l’on croie qu’il en sait plus que les autres.

On a fait commandement aux officiers de se tenir prêts pour le 20e de ce mois, c’est un avertissement aux capitaines de penser à faire les recrues de leurs compagnies.

Ce 16e de mars. Le bonhomme M. Lyonnet, [9] médecin du Puy, [10] est en cette ville pour des affaires qu’il a au Conseil, il m’a fait l’honneur de me visiter aujourd’hui céans.

Aujourd’hui au matin je me suis rencontré chez un marchand nommé M. Poron, rue des Mauvaises-Paroles, avec M. Marion votre beau-frère ; [3][11][12] et même, à cause du rencontre, y avons déjeuné ensemble et bu à votre santé. Je lui ai promis que je vous le manderais et je m’en acquitte ; si toutes mes dettes étaient aussi tôt payées, je serais bientôt quitte et aussi tôt riche.

Ce 17e de mars. Hier au soir mourut ici M. de Laffemas, [13] maître des requêtes, doyen des deux semestres, âgé de 76 ans ; [4] et cette même nuit, M. de Chenailles, [14] le conseiller, a été sous bonne garde traduit de la Bastille [15] dans la Conciergerie, [16] où il est dans la tour carrée ; on dit que, si nihil aliud adveniat[5] mercredi prochain son procès sera fini et terminé, maximo forsan incommodo, ac infortunio, vitæque dispendio[6]

On tient ici pour certain que Cromwell [17] s’est fait déclarer roi d’Angleterre, combien que la Gazette n’en ait fait aucune mention. [7][18]

Ce lundi 19e de mars. M. de Chenailles, le conseiller, a été aujourd’hui examiné en la Grand’Chambre et mis sur la sellette, [19] interrogé fort civilement par M. le président de Nesmond, [20] qui tient la place de premier jusqu’à ce que le roi [21] y ait pourvu. Il a parlé fort sagement et a fait une petite harangue, laquelle a excité ses juges à miséricorde ; mais de malheur pour lui, il a par ci-devant fait des réponses très dangereuses, sans lesquelles il pourrait être mis hors de Cour et de procès. Tutius egisset si omnia negasset[8] On dit que c’est le chemin qu’il faut suivre dans les procès criminels, vu que les lettres que l’on dit être de telle main ne suffisent jamais à condamner un homme à la mort.

On dit que tôt après Pâques le roi partira d’ici pour aller en campagne, et même on dit encore quelque chose du voyage prétendu de Lyon ; [9] mais je ne puis croire qu’il abandonnera au prince de Condé [22] la frontière de Picardie où la présence du roi est jugée si nécessaire.

Ce mardi 20e de mars. Aujourd’hui mardi, les chambres assemblées, Messieurs du Parlement ont commencé à opiner sur le procès de M. de Chenailles. Il n’y en a encore eu que les quatre de la Grand’Chambre qui ont travaillé à l’instruction du procès, dont trois vont à la mort ; le quatrième, qui est M. < Le > Meusnier de Lartige, [10][23] n’a été qu’au bannissement.

Ce mercredi 21e de mars. Aujourd’hui mercredi, on a continué d’opiner : 13 juges sont allés à la mort ; quelques-uns, mais en petit nombre, vont au bannissement. M. le président du Blancmesnil, [24] comme l’heure a sonné, était en train de parler ; on a remis à vendredi prochain la fin de son avis. Demain le Parlement ne s’assemble point à cause qu’il est le 22e de mars, jour destiné à une procession générale fort solennelle, laquelle se fait tous les ans pour la réduction de la ville de Paris au service du roi Henri iv [25] depuis l’an 1594. Tout ce grand Corps du Parlement ne se mêle point de ce jugement : plusieurs particuliers en grand nombre s’en sont retirés ; [et particulièrement toute la Chambre de M. de Chenailles.] [11]

Le vendredi 23e de mars. Hier jeudi, la procession générale fut faite more solito[12] et ce matin le Parlement a continué d’opiner. Il n’y en a eu que cinq en tout ; M. du Blancmesnil a achevé son avis et transiit ad mitiorem sententiam[13] qu’il sera plus amplement informé. Voilà la Grand’Chambre et les présidents des Enquêtes et des Requêtes qui ont opiné, maintenant ce seront les conseillers des Enquêtes et des Requêtes qui diront leurs avis ; et puis après, on viendra aux présidents au mortier. Ce sera M. Magdelaine, [26] doyen des Enquêtes, qui parlera demain le premier, qui est un habile homme.

Nous avons ici le bonhomme M. Bouvard [27] fort malade. Il fut attrapé d’une fièvre continue [28] vers la fin du mois passé, pour laquelle il fut saigné cinq fois, purgé [29] ensuite et mis au lait d’ânesse, [30] a quo post octo dies deterius habuit[14] On lui a ôté le lait, on l’a repurgé : nunc v. detinetur lenta quadam febricula, cum summa virium imbecillitate[15] avec 83 ans. Tout cela n’est guère bon, j’ai peur qu’il n’aille plus guère loin. Il n’est pas aimé dans notre Faculté, pour laquelle il n’a jamais rien fait tandis qu’il a été à la cour et qu’il a eu grand moyen de ce faire. S’il meurt, je ne sais qui le regrettera. Je le vis hier, je le trouve fort fondu et abattu, faciem habet hippocratica persimiliem[16][31]

On a fait un grand service fort solennel à Saint-Germain<-l’Auxerrois > [32] pour l’âme de feu M. de Bellièvre, premier président, où le P. Faure, [33] jadis cordelier et aujourd’hui évêque d’Amiens, [34][35] fit une harangue funèbre, laquelle a été fort approuvée.

M. de La Bachellerie, [36] gouverneur de la Bastille, [37] est ici mort en peu de jours d’une fièvre continue entre les mains des médecins de la cour.

Ce samedi 24e. Les Enquêtes ont commencé à opiner aujourd’hui sur le fait de M. de Chenailles. Plusieurs ont été au bannissement, ce qui fait espérer que mardi prochain il y en aura encore plusieurs mitioris illius sententiæ ; [17] néanmoins tout est à craindre et incedit per ignes suppositos cineri doloso[18][38] car on dit que la cour désirerait fort qu’il fût condamné à mort. Il y en a eu un qui a aujourd’hui opiné à la mort, on ne l’eût pas cru de lui ; c’est ce qui a causé un bruit extraordinaire où entre autres, on lui a reproché que l’on voyait bien qu’il avait envie de devenir prévôt des marchands. [19][39]

On dit ici que le 15e d’avril, le roi ira avec la reine et le Mazarin à Amiens ; que le roi de Suède devient le plus fort par le moyen des Cosaques [40] et du prince de Transylvanie ; [20][41][42] que le Turc [43] va faire la guerre par terre à l’empereur [44] et aux Vénitiens, à cause de quoi l’empereur a révoqué les troupes qu’il voulait envoyer contre nous en Italie. On croit que Cromwell se fait nommer et déclarer roi d’Angleterre, mais il court un bruit qu’il y a de la révolte en divers endroits d’Angleterre, principalement dans le pays de Galles ; néanmoins, ut ut sit[21] je ne pense pas que les enfants du roi [45] y viennent jamais.

Ce dimanche 25e de mars. Hier au soir mourut le maréchal de La Mothe-Houdancourt, [46] d’un abcès dans le foie et d’une fièvre lente, [47] après avoir pris en sa maladie des eaux de Sainte-Reine, [48] de Forges, [49] des poudres de perles, [50] des confections précieuses, de l’or potable, [51] de l’antimoine, [52] n’avoir été que très peu saigné et avoir eu de très mauvais médecins de grege aulicorum et eorum qui se Monspelienses profitentur, cum sint meri asini ad lyram, et in operibus artis plane cæcutiant[22]

Pour réponse à la vôtre du 20e de mars que je viens de recevoir, je puis vous dire que ce certain Io. Fr. Grandis [53] est un Parisien soi-disant avocat, fils d’un pauvre homme de la rue Aubry<-le-Boucher >. [23][54] Sa mère était sage-femme [55] (M. Bouvard [56] dans son livre les appelait sagas), [24] laquelle mourut il y a environ deux ans d’une apoplexie, [57] chez une accouchée chez laquelle on s’apprêtait pour porter l’enfant au baptême. Ce garçon ici est âgé d’environ 40 ans. Sa mère, laquelle avait amassé du bien à force d’accoucher des dames et riches bourgeoises de Paris, l’avait fait étudier et le fit recevoir avocat et puis lui acheta moyennant 20 000 livres une charge de substitut de M. le procureur général. Là-dessus, il fut marié fort richement à une belle jeune fille avec laquelle il fit mauvais ménage, la traita fort mal, lui mangea tout son bien et la chassa. Elle a demeuré misérable chez Mme Le Grand, sa belle-mère et sage-femme. Pour lui, il eut en même temps un grand malheur : il eut querelle avec un sien ami, nommé Le Noble, qu’il voulut faire assassiner par une boîte qu’il lui envoya, [58] laquelle était pleine de poudre à canon et de balles ; là-dessus, gros procès, requête, prise de corps, prison, poursuite criminelle ; et fut si chaudement et si puissamment poursuivi par sa partie qu’il eût été la même semaine pendu et étranglé si M. de Nesmond, [59] président de la Tournelle, [60] mari de sa marraine, [61][62] fille de feu M. le président de Lamoignon, [25][63][64] n’eût retardé le procès. Enfin, le crime s’est étouffé petit à petit et sa partie a cessé de le persécuter ; si bien qu’il est hors de prison, mais il n’a ni bien, ni mère, laquelle m’a autrefois dit pis que pendre de lui, en dépit qu’il traitait si mal et si cruellement sa jeune et petite femme ; et a été jusque-là qu’elle eût voulu qu’il eût été pendu, tant elle avait peur que quelque jour, pour d’autres crimes dont elle le tenait capable, il ne fût rompu tout vif. Sa mère ne lui a laissé qu’une rente viagère et a substitué son bien, sa femme est encore en vie et séparée de lui. [26] Voilà ce que je sais de votre Grandis qui ne fut jamais l’homme de feu M. Gassendi [65] et à qui je n’en ai jamais ouï parler. Puisque La Poterie [66] ne le connaît point, il ne l’a point hanté, mais seulement peut-il l’avoir vu quelque part.

M. le président de Thou [67] fait état de partir pour la Hollande dans peu de temps. J’irai bientôt lui dire adieu, j’ai l’honneur d’être dans ses bonnes grâces et honore fort toute cette famille.

M. de Guise [68] est en bonne santé. Les Bellièvre [69] viennent de votre Lyonnais. Le chancelier de Bellièvre [70] était fils et frère d’un premier président de Grenoble ; [71] leur père [72] y avait été conseiller et venait d’un notaire de Lyon qui avait épousé la fille d’un médecin, laquelle apprit à sa famille à se passer d’apothicaire, et même le chancelier de Bellièvre n’en voulait point et ne prenait de remèdes que de la main de sa femme. [27]

Un des conseillers à qui j’avais recommandé l’affaire de M. Breton m’a témoigné qu’il l’eût bien voulu servir et a pris plaisir de me rendre compte de l’état de l’affaire, où l’on en était et à quoi il tenait qu’elle ne fût jugée dans le fond ; dont j’ai dans le temps averti M. Breton. Je serais ravi de vous rendre quelque autre meilleur service, et vous prie de ne me pas épargner si vous m’en jugez capable, tant pour vous que pour vos amis. Je baise les mains à M. Jugeact, prieur, [73] s’il vous plaît.

L’on m’a dit que M. Chastelain [74] a assisté à quelques leçons de mon anatomie. J’ai regret que je ne l’aie su, je lui eusse fait honneur et l’eusse colloqué et fait asseoir près de moi en quelque belle place. J’entends le gendre de M. Courtaud [75] de Montpellier. [28]

Ce médecin de Bâle [76] nommé Bern. Verzascha [77] m’a autrefois écrit, il est bien de loisir de s’amuser à faire un abrégé de Rivière ; [29][78] je voudrais bien avoir du loisir comme cela, je ferais quelque chose de meilleur.

Ce lundi 26e de mars. Il est aujourd’hui fête à Paris à cause de la Notre-Dame d’hier, qui est remise ; [30] si bien que l’on ne fait rien au Palais, mais demain on y travaillera sérieusement à l’affaire de M. de Chenailles que l’on dit ici être issu d’une race de fous, et qu’il y a en sa famille des fous et des folles.

Je ne veux pas oublier à vous dire que je me souviens d’avoir autrefois lu le factum de votre Io. Fr. Grandis, où il déniait fort et ferme le crime dont il était accusé et de cuius atrocitate constabat ; [31] et où, entre autres moyens, il alléguait qu’il était homme de condition et de grande littérature, qu’il était prêt de faire connaître au public son érudition, laquelle n’était pas commune, par de beaux écrits qu’il avait tous prêts de mettre sur la presse. Si ce que vous avez vu répond à ce beau bouchon, [32] j’y consens, mais je n’ai jamais ouï parler de lui à feu M. Gassendi. Quand vous verrez le sieur de La Poterie, je vous prie de lui faire la grâce de lui faire mes recommandations.

Je n’ai point encore vu les factums du procès de M. de Chenailles, tant pour lui que contre lui. Je ne m’en suis pas même mis en peine à cause qu’un conseiller de la Cour m’a promis de me les donner tous deux ; il dit que M. de Chenailles est fou et qu’il n’est pas le premier de sa race, qu’il y en a eu par ci-devant utriusque sexus, etc[33]

Pour les Mémoires de M. de Tavannes, [79] je n’en dirai mot, je ne fis jamais tort à personne ; [34] mais vous ne me mandez pas s’ils sont in‑fo et combien il y a de volumes, je vous prie de vous en souvenir. Où est allé M. Ravaud, [80] est-il à Lisbonne ? On me vient de dire que le prince de Conti, [81] tout mal fait et tout mal bâti qu’il est, s’en va à la guerre en Italie et qu’il partira jeudi prochain ; sans doute qu’il passera par Lyon, où M. Le Gagneur [82] pourra vous aller voir et vous remercier des obligations qu’il vous a. Les capitaines d’infanterie ont charge d’aller trouver M. Le Tellier, [83] secrétaire d’État qui a la Guerre, duquel ils recevront ordre de faire leurs recrues pour aller bientôt en campagne.

Voyez un livre intitulé La Doctrine curieuse du P. Garasse[84] jésuite, in‑4o : en la page 142, vous y trouverez l’histoire d’un fou qui fut pendu et brûlé à la Grève [85][86] un jeudi absolu, l’an 1573 ; il était proche parent de ce pauvre conseiller M. de Chenailles, [87] et s’appellent tous deux de même nom, savoir Vallée, qui est le nom de leur famille. Ce pendu-là a été son grand-père ou son grand-oncle, [88] il était bien plus fou que méchant. [35][89]

Ce mardi 27e de mars. Ce matin on a continué d’opiner sur le fait de M. de Chenailles. Enfin les Enquêtes ont prévalu de plusieurs voix, et n’a été condamné qu’au bannissement. On a remis l’exécution de la dégradation au lendemain de la Quasimodo, ses biens acquis et confisqués au roi, etc.

On dit ici que le roi partira pour Compiègne [90] le 12e du mois prochain ; que le Mazarin [91] prend du thé [92] pour se garantir de la goutte, ne voilà pas un puissant remède contre la goutte d’un favori ? [36] Le roi ira à Compiègne et delà à La Fère. [93] On dit que le pape [94] est malade et Valence [95] assiégée dans le Milanais ; [96] que l’été prochain nous sommes fort menacés des armées de l’empereur (que c’est ce qui épouvante le Mazarin) si le Grand Turc ne fait faire une diversion de ses forces très puissantes, dont on n’est pas encore bien assuré.

Je vous prie de dire à M. Devenet [97] que je lui baise les mains et que j’aurai soin de lui faire rendre la somme qu’il a déboursée pour moi aux paquets de MM. de Tournes, libraires de Genève. [98]

Je vous salue de toute mon affection, et mademoiselle votre femme, MM. Gras, Guillemin, Garnier et Sauvageon, avec assurance que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 27e de mars 1657.


a.

Ms BnF no 9357, fos 241‑243, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Reveillé-Parise, nos ccci (tome ii, pages 289‑290, du 25 mars 1657) et ccii (tome ii, pages 290‑292, prétendue du 1er avril 1656). À côté de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1657./ Paris, 27 mars/ Lyon, 1er avril/ Rispost./ Adi 6 dudit,/ Avec une lettre de Monsr/ Garnier »

1.

« il a pâti de la médecine qu’il s’est fait administrer par quelques médecins auliques qui professent un art qu’ils n’ont jamais compris : ainsi meurent les grands seigneurs ».

2.

« et au prix de leur propre peau. »

3.

Aujourd’hui disparue, la rue des Mauvaises-Paroles se situait sur le trajet de l’actuelle rue de Rivoli, dans son segment qui est parallèle à la rue des Deux-Boules, dans le ier arrondissement de Paris, non loin du domicile de Guy Patin. V. note [2], lettre 183, pour Josias Marion ; je n’ai pas identifié le marchand dénommé Poron.

4.

Isaac de Laffemas (v. note [12], lettre 447) était cette fois-ci (v. note [8], lettre 469) bel et bien mort.

5.

« si rien d’autre n’advient ».

6.

« peut-être pour son plus grand préjudice et sa plus grande infortune, et au prix de sa vie. »

7.

L’ordinaire no 33 de la Gazette, daté du 17 mars 1657, contenait une lettre De Londres, ledit jour 8 mars 1657 (pages 261‑262), qui parlait de Cromwell en ces termes :

« Le lendemain, il {a} observa le jour d’actions de grâces publiques à Westminster pour l’heureuse délivrance de Mylord Protecteur ; {b} lequel traita ensuite à dîner tous les membres dudit Parlement, puis les régala d’un excellent concert de musique d’instruments et de voix, qui dura jusqu’au soir. […] Le 5, le Parlement, après avoir remis à l’examen d’un comité un acte pour l’entretien d’un ministre en la ville de Tornes dans le comté de Devon, passa le reste de la journée et les deux suivantes sur une affaire très importante pour le règlement public et perpétuel de cette Nation ; et comme elle est de la dernière conséquence, la Maison jugea à propos d’ordonner qu’elle s’assemblerait demain afin d’implorer l’assistance de Dieu en cette occasion. »


  1. Le Parlement britannique, le 2 mars.

  2. D’un complot qu’on avait ourdi contre lui.

La première mention d’une érection possible de Cromwell à la royauté se lit dans l’ordinaire no 45 (14 avril 1657) dans une lettre datée de Londres le 5 avril (page 357) :

« Le Parlement […] a été depuis, presque tous les jours, occupé sur le nouveau gouvernement de la République, comme il le fut encore particulièrement les 2e, 3e et 4e de ce mois, 120 de ses membres ayant donné leurs voix pour le rétablissement de la monarchie, et 63 été d’avis contraire. »

Les extraordinaires nos 49 (28 avril, pages 385‑396) et 52 (4 mai, pages 409‑420) relatent respectivement :

Là-dessus, la Gazette et son correspondant londonien étaient mieux renseignés que Guy Patin (v. note [7], lettre 471).

8.

« Il aurait agi plus sûrement s’il avait tout nié. »

9.

Le dimanche de Pâques fut le 1er avril 1657. Le roi ne partit pour Compiègne que la 7 mai, et n’entreprit son voyage à Lyon qu’à la fin d’octobre 1658 (v. note [5], lettre 542).

10.

Clément Le Meusnier, seigneur de Lartige etc., avait été reçu en 1611 conseiller au Parlement de Paris en la première Chambre des enquêtes ; il était monté à la Grand’Chambre en 1641 ; il mourut doyen du Parlement le 3 mai 1664, âgé de 79 ans (Popoff, no 1757).

11.

Henri iv, vainqueur de la Ligue, avait fait son entrée triomphale dans Paris le 22 mars 1594. Une plume, peut-être celle de Guy Patin, a barré la fin du paragraphe (entre crochets). La Chambre à laquelle appartenait Chenailles était la quatrième des Enquêtes.

12.

« suivant la coutume ordinaire ».

13.

« et il a changé pour une sentence plus douce ». Mal bâtie, la fin de la phrase signifie sans doute que le président René Potier, sieur du (ou de) Blancmesnil, demandait qu’on poursuivît l’instruction.

14.

« dont il s’est trouvé plus mal au bout de huit jours. »

15.

« maintenant, au cinquième jour, il est incommodé d’une sorte de petite fièvre lente avec extrême faiblesse ».

16.

« il a un faciès d’allure tout à fait hippocratique. »

Le faciès hippocratique est en médecine une « face profondément altérée et qui annonce une mort prochaine ; ainsi dite, parce qu’Hippocrate en a donné une description dans son Pronostic » (Littré DLF). « Il a toujours le visage maigre, les yeux enfoncés et languissants, ce qu’on appelle un visage hippocratique » (Trévoux).

17.

« en faveur de cette sentence plus douce ».

18.

« il marche sur des feux couverts d’une cendre perfide » : Horace, Odes (livre ii, i, vers 7‑8), parlant du poète qui décrit les troubles de la guerre civile romaine.

19.

Curieuse assertion : le prévôt des marchands de Paris était alors Alexandre de Sève ; il avait été élu en août 1654, réélu en 1656, mais encore loin de céder la charge qu’il occupa jusqu’en 1662 (v. note [6], lettre 367).

20.

Georges ii Rakoczy (ou Ragotzky, 1621-7 juin 1660) avait été élu prince de Transylvanie en 1642 pour succéder à son père, Georges ier, en 1648. Son dessein était de soumettre la Pologne en s’alliant au plus grand nombre des souverains d’Europe centrale. En 1657, après avoir conclu un traité d’alliance avec Charles-Gustave, roi de Suède, il s’emparait de Cracovie, puis de Varsovie ; mais abandonné par son allié, il fut complètement battu en juillet 1657 par les Polonais et les Impériaux réunis, et contraint de signer la paix. Le sultan Mohammed iv, offensé de la conduite de Rakoczy, ordonna aux Transylvains d’élire un autre prince (novembre 1657). Réélu en janvier 1658, Georges ii engagea une guerre contre les Turcs. Blessé au cours de la bataille de Gyalu (mai 1660), il mourut le mois suivant.

21.

« quoi qu’il en soit » ; les « enfants du roi » dont Guy Patin parlait ensuite étaient ceux de feu Charles ier, roi d’Angleterre : Charles ii, son frère Jacques, prince de Galles, et leur sœur Henriette, alors exilés en Europe continentale.

22.

« du troupeau des courtisans et de ceux qui se déclarent de Montpellier, alors qu’ils sont de vrais ânes devant la lyre [v. note [5], lettre 439] et n’y entendent absolument rien aux opérations de notre métier. »

23.

V. notes [3], lettre 253, pour la rue Aubry-le-Boucher, et [4], lettre de Charles Spon, le 20 mars 1657, pour les Dissertationes de Grandis, Jean-François Le Grand, qui avaient éveillé la curiosité de Charles Spon ; Guy Patin lui répondait ici avec un grand souci des détails et une maligne volonté de dénigrer cet auteur.

24.

Saga a les sens péjoratifs de sorcière, magicienne, entremetteuse ; v. note [23], lettre 417, pour le discours de la Historicæ hodiernæ medicinæ rationalis veritatis [Vérité historique de la médecine d’aujourd’hui] de Charles i Bouvard.

25.

Chrétien de Lamoignon, seigneur de Bâville (1567-1636), père du premier président, Guillaume de Lamoignon (v. note [43], lettre 488), avait été conseiller (1572) puis président à mortier du Parlement de Paris, et mourut doyen de la Grand’Chambre (Popoff no 111).

Son épouse, Marie des Landes (1576-1651), fut d’une piété et d’une charité telles que M. Vincent l’appela « la mère des pauvres », et que François de Sales la jugea l’une des plus saintes femmes de son temps (R. et S. Pillorget et Dictionnaire de Port-Royal, page 578).

Leur fille aînée, Anne, avait épousé en 1624 François-Théodore de Nesmond (v. note [15], lettre 180), président au Parlement de Paris depuis 1636 (Popoff, no 111).

26.

Phrase ajoutée par Guy Patin dans la marge. Substituer « se dit aussi en parlant des secondes institutions qu’on fait dans un testament, en cas que l’héritier institué répudie la succession ou meure avant qu’elle soit ouverte, ou même pour transmettre les mêmes biens à d’autres personnes après sa mort. Les testateurs substituent plusieurs héritiers et légataires les uns aux autres. On substitue les petits enfants à leur père pour lui ôter la faculté d’aliéner le bien qu’on lui laisse » (Furetière).

27.

Pomponne i de Bellièvre (Lyon 1529-1607), chancelier de France en 1599 (v. note [32], lettre 236), était le fils de Louise Faye et de Claude de Bellièvre (1487-1577), antiquaire, historien et premier président du parlement de Grenoble.

Popoff (no 58) ne confirme pas les autres détails généalogiques fournis par Guy Patin. Pomponne i avait épousé Marie Prunier. Le premier président Pomponne ii de Bellièvre, qui venait de mourir, était petit-fils de Pomponne i et fils du président Nicolas de Pomponne de Bellièvre.

28.

Guy Patin laissait à peine paraître sa jubilation d’avoir eu pour auditeur Matthieu Chastelain (v. note [41], lettre 442), gendre de son intime ennemi, Siméon Courtaud, qui était doyen de Montpellier et fort ami de Charles Spon.

29.

V. note [24], lettre de Charles Spon, le 20 mars 1657, pour le Compendium de la Pratique de Lazare Rivière par Bernhard Verzascha (Bâle, 1663).

30.

On célébrait chaque 25 mars l’Annonciation de la Vierge Marie. Quand c’était un dimanche, on reportait au lendemain la fête et le jour chômé.

31.

« et dont il reconnaissait l’atrocité ».

32.

Bouchon pourrait ici être à prendre dans le sens allusif de « plusieurs morceaux de foin ou de paille tortillés avec quoi on panse un cheval et on le frotte après l’avoir étrillé » (Furetière).

François Le Grand (Grandis) n’a, me semble-t-il, jamais rien publié d’autre que ses Dissertationes (v. supra note [23]), dont la prétention médusait Guy Patin et Charles Spon.

33.

« de chacun des deux sexes, etc. »

34.

V. note [5], lettre 467, pour les Mémoires de Gaspard de Tavannes dont Charles Spon avait annoncé à Guy Patin la parution prochaine à Lyon, mais en lui demandant de taire le nom des libraires car il y avait encore une affaire de privilège en suspens.

35.

Guy Patin invitait Charles Spon à lire ce passage (pages 142‑143) de la Doctrine curieuse du P. François Garasse (Paris, 1624, v. note [1], lettre 58) :

« L’an 1573 sous le règne de Charles ix, il y eut dans Paris un méchant homme vagabond, lequel ayant été surpris sur le fait, dogmatisant en secret pour l’athéisme, fut déféré au Parlement et comme impie, condamné à une étroite prison jusqu’à ce que plus pleinement on pût être informé de ses déportements et de sa vie ; et comme l’affaire allait un peu trop languissant, suivant la coutume des bonnes actions, lesquelles se ralentissent sur leur progrès, Sorbin, évêque de Nevers {a} et confesseur du roi, étant informé de l’affaire, eut le courage de remontrer à Sa Majesté, le jeudi saint, {b} après sa confession, qu’elle ne pouvait être en bonne conscience jusqu’à ce qu’elle eût commandé que le procès fût fait à cet impie, lequel était criminel de lèse-majesté divine au premier chef. Le roi, qui était pieux de sa nature, ordonna que sur l’heure on terminât cette affaire, et le même jour ce malheureux fut condamné d’être brûlé en Grève pour ses méchantes propositions, desquelles il ne voulut jamais se dédire, quoique plusieurs habiles docteurs, et entre autres le Père Charles Sager de notre Compagnie, fussent appelés pour lui arracher cette maudite créance.

Son erreur était entièrement contraire à celle de nos nouveaux dogmatisants car il soutenait qu’il n’y avait autre Dieu au monde que de maintenir son corps sans souillure ; et en effet, à ce qu’on dit, il était vierge, de la même façon que les frères de la croix des roses, et les torlaquis de Turquie ; {c} il avait autant de chemises qu’il y a de jours en l’année, lesquelles il envoyait laver en Flandres à une certaine fontaine renommée pour la clarté des eaux et le blanchissement excellent qui s’y fait ; il était ennemi de toutes les ordures, et de fait et de parole, mais encore plus de Dieu, et faisant semblant d’aimer la pureté, il haïssait purissimum purissimorum : {d} c’est ainsi que le grand Hippocrate définit la divinité au livre de Morbo sacro. {e} Il fut impossible à tous les docteurs de rappeler cet homme en son bon sens, il vomissait d’étranges blasphèmes, quoiqu’il les proférât d’une bouche toute sucrée et d’une mine doucette, mais non moins dangereuse en son extrémité que celles des beaux esprits prétendus parmi leurs ivrogneries. Le feu qui purge tout purifia par ses flammes les puretés prétendues de cette impure créature, car par commandement du roi on en fit un beau sacrifice à Dieu en la place de Grève, le propre jour du jeudi saint, et fut brûlé à demi vivant. »


  1. Arnaud Sorbin de Sainte-Foi (vers 1532-1606), évêque de Nevers de 1578 à sa mort.

  2. Jeudi absolu.

  3. V. notule {b}, note [6], lettre 853, pour la confrérie de la Rose-Croix.

    Les torlaquis, proches des derviches, étaient des moines ascétiques turcs. Le géographe Nicolas de Nicolay (1517-1583) leur a consacré le chapitre xviii, livre iii, de ses Navigations et pérégrinations orientales (Lyon, Guillaume Roville, 1568, in‑4o), pages 117‑118, avec une gravure.

  4. « le plus pur des plus purs ».

  5. « de la Maladie sacrée » (l’épilepsie).

Le supplicié du jeudi saint de 1573 était Geoffroy ii Vallée natif d’Orléans, grand-oncle du conseiller Claude Vallée, seigneur de Chenailles. {a} Venu jeune à Paris, il y mena une vie de plaisirs et de dissipation, et il publia un unique écrit, qui le mena au bûcher (G.D.U. xixe s.) :

La Béatitude des Chrétiens, ou le Fléo de la Foy {b} par Geoffroy Vallée natif d’Orléans. Le vrai Catholique ou Universel. {c}


  1. La note [1] du Patiniana 2 fournit une généalogie de la famille Vallée, avec un renvoi à la minutieuse étude d’Alain Mothu qui situe la naissance de Geoffroy ii vers la fin des années 1520.

  2. Fléau de la Foi.

  3. On ne connaît qu’un exemplaire de l’édition originale, qui est conservé à la Bibliothèque Méjanes (Aix-en-Provence) et d’après lequel a été faite, vers 1770, une réimpression, sans lieu ni nom ni date, in‑8o de 20 pages.

    Le Mazarinum (Bibliothèque Mazarine) met en ligne une copie manuscrite datée de 1764, avec une note historique de M. Falconet (Camille Falconet, mort en 1762, v. note [36] du Manuscrit 2007 de la BIU Santé), écrite de sa main « à la fin de la copie figurée [entièrement fidèle] de l’ouvrage de Vallée sur le seul exemplaire imprimé qui soit à Paris, dans le cabinet de M. le président de Cotte ».


Le texte de Vallée n’occupe que 13 pages de cet opuscule et consiste en six déclarations qui en résument bien le propos :

  1. Le Papiste – Je n’ai que crainte en Dieu, de Dieu je suis peureux ;

  2. Le Huguenot – Je n’ai que crainte en Dieu, de Dieu j’ai espérance ;

  3. L’Anabaptiste – Je suis peureux en Dieu, de Dieu j’ai espérance ;

  4. Le Libertin – Je suis douteux de Dieu, sans Dieu je suis tourmenté ;

  5. L’Athéiste – J’ai ma volonté sans Dieu, en Dieu n’ai que tourment ;

  6. Qui est en crainte, quelque crainte que ce soit, ne peut être heureux.

Les six pages d’annexes contiennent une vie de Vallée et divers jugements sur lui, dont celui de Bayle (1702) :

« C’est un livre plein de blaspèmes et d’impiétés contre Jésus-Christ. L’auteur fut brûlé pour son hérésie l’an 1574. On l’appelait ordinairement le beau Vallée. […] Maldonat a fait une fausse réflexion sur une chose contenue dans ce livre à ce qu’il prétend. Je m’étonne qu’il y ait si peu d’auteurs qui parlent de cet athée, et que presque tous ceux qui en font mention < se > soient fondés sur le témoignage de ce jésuite espagnol. » {a}


  1. V. note [12] du Grotiana 1 pour le R.P. Juan Maldonado. Bayle renvoie à ce passage de ses Commentarii in quatuor Evangelistas [Commentaires sur les quatre Évangélistes] (deuxième édition, Lyon, Ioannes Baptista Buysson, 1598, in‑fo), sur Matthieu, chapitre xxvi, haut de la colonne 584, Godefridus a Vallé Lutetiæ anno 1571, publice exustus : {i}

    Nonnulli progressi sunt longius, ut nihil crederent, quorum unus, cum libellum quendam his annis de arte nihil credendi composuisset, nihil in eo, nisi hoc unum, verum dixit, oportere prius Calvinistam fieri, qui atheus esse volet. Fuerat ille antea Calvinista, fuit postea atheus, et unicuique in sua arte credendum est. Verissima sententia ; nam quisquis Calvinista est, si ea, quam ingressus est, incredulitatis via ire pergat, ad nihil credendum perveniat necesse est.

    [Certains sont même allés plus loin, en ne croyant rien. L’un d’eux, dans un opuscule qu’il a composé ces dernières années sur l’art de ne rien croire, n’y a dit qu’une seule chose vraie : qui veut adopter l’athéisme doit d’abord se faire calviniste. Cet homme avait été calviniste avant de devenir athée, et de vouloir convaincre chacun de sa profession. Sa sentence est profondément vraie : {ii} tout calviniste, s’il continue d’avancer sur le chemin de l’incrédulité où il s’est engagé, en viendra nécessairement à ne plus croire en rien].

    1. « Geoffroy Vallée brûlé publiquement à Paris l’an 1571 [sic] ».

    2. Le souci est que Vallée n’a rien dit de tout cela dans son petit livre ; mais comme la plupart de ceux qui l’ont commenté avant le milieu du xviiie s., Bayle semble ne pas avoir eu la possibilité de le lire.

Un autre membre de la famille Vallée, Jacques iii, seigneur des Barreaux (v. note [13], lettre 868), cousin germain de Claude, s’est signalé par les scandales de son libertinage.

36.

V. note [21], lettre 151, pour les vertus thérapeutiques du thé.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 27 mars 1657

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0472

(Consulté le 20/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.