L. 477.  >
À Charles Spon,
le 13 avril 1657

Monsieur, [a][1]

Ce 4e d’avril. Je viens de délivrer pour vous une lettre à un honnête homme anglais, nommé M. Parker, [2] qui, de Lyon, s’en va à Padoue [3] y prendre ses degrés, avec un petit paquet dans lequel vous trouverez les 17 lettres des jansénistes [4][5] pour vous et autant pour M. Gras notre bon ami, avec deux livres in‑8o que je vous prie d’envoyer le plus tôt que vous pourrez à M. Volckamer [6] à Nuremberg [7] qui par après, les fera tenir à M. Rolfinck [8] qui en a besoin et qui les attend impatiemment. On dit ici que nous perdrons Valence [9] en Italie cette année à cause que le duc de Mantoue [10] a tourné casaque, et que le prince de Conti [11] n’y doit point aller et qu’il n’y fera rien.

Hier, trois dames furent disgraciées de la cour et eurent commandement de sortir de Paris, savoir Mme s de Châtillon, [12] de Montbazon [13] et de Fiesque. [14] Il n’y a eu que Mme de Châtillon qui est sortie. [1] Aujourd’hui sont sorties de Paris cinq compagnies du régiment des gardes qui s’en vont en Flandres, [15] ou au moins sur la frontière. Il n’en reste plus ici que cinq autres, c’est signe que le roi [16] s’en ira bientôt ; mais néanmoins, on dit qu’avant de partir il ira au Parlement y faire vérifier de nouveaux édits sur le sceau, le sel, etc. [2] On dit aussi que le prince de Conti partira samedi prochain pour l’Italie. Enfin, les bans sont publiés du mariage de M. de Nemours [17] avec Mlle de Longueville [18] et les noces s’en feront dans huit jours. Son archevêché de Reims est donné au cardinal Antoine [19] qui est déjà évêque de Poitiers : omnes fluvii currunt ad mare ; [3] les canonistes d’Italie disent que cardinalis est animal rubrum, capax et vorax omnium beneficiorum[4] On dit ici que les Hollandais ont fait leur accord avec le roi d’Espagne à l’encontre de Cromwell, de la tyrannie duquel ils ne peuvent souffrir davantage, à cause de l’iniquité des articles du dernier traité qu’ils firent avec lui il y a environ deux ans. [5] M. le président de Thou [20] est parti d’ici en hâte pour cela (j’entends pour empêcher cet accord), mais on dit qu’il arrivera trop tard. Le cardinal Mazarin a donné l’évêché de Poitiers à son maître de chambre qui est l’abbé de Palluau ; [6][21][22] on dit que sa place s’en va être prise par l’abbé de Parabère. [7][23] [Je viens d’apprendre que M. de Chenailles [24] ne sera pas si mal traité : on dit que le roi a envoyé au parquet des lettres de commutation de peine, et en le quittant du bannissement, le condamne à une prison perpétuelle.] Et hoc est incertum, imo plane falsum[8] On dit de présent que quand le Parlement l’eût condamné à mort, que le roi lui eût pardonné ; et néanmoins je trouve qu’il a été en grand danger, d’avoir eu 45 voix à la mort contre 65 voix au bannissement, et qui l’ont retiré du chemin de la Grève [25] en cas qu’il ne s’en fût racheté nummis præsentibus[9]

Je vois ici des gens qui n’ont pas bonne opinion de notre campagne prochaine, ils disent que nous n’avons point de troupes qui vaillent et que le roi ne trouve point de soldats ; que ce ne sera pas peu si nous pouvons bien nous défendre sans attaquer et empêcher que le prince de Condé [26] avec ses Espagnols ne fasse quelque grand progrès en Picardie. [10]

Ce 8e d’avril 1657. Le duc d’Orléans [27] doit ici arriver mercredi prochain, 11e d’avril, et n’y sera pas longtemps ; la duchesse sa femme [28] n’y vient point, d’autant qu’elle est grosse. Le roi passera ici tout le mois d’avril et n’en partira que le mois de mai prochain ; néanmoins je viens d’apprendre que les officiers du roi ont reçu commandement ce matin de partir dans trois jours, et que devant huit jours, le roi les suivra et se rendra à Amiens. [29]

Ce 9e d’avril. Ce matin, l’arrêt de M. de Chenailles a été exécuté dans la Grand’Chambre. Il y a été amené avec sa robe rouge par les huissiers qui, par commandement de la Cour, l’ont dépouillé ; et puis est sorti en état de garder son ban, ne quid deterius illi contingat[11]

Le duc de Modène [30] est à Pignerol, [31] d’où il n’ose passer pour aller en Italie. Il a écrit au Mazarin [32] qu’on ait à lui envoyer gens et argent ; sinon, qu’il traitera et s’accommodera avec le roi d’Espagne. [12][33] La duchesse de Savoie [34] est aussi en état de nous quitter, combien que depuis peu nous lui ayons rendu la citadelle de Turin [35] dans laquelle nous avions une bonne et forte garnison. C’était afin qu’elle signât le contrat de mariage de la nièce du Mazarin [36] avec le fils du prince Thomas. [13][37] Maintenant, pour récompense, elle nous demande la neutralité, mais cela nous empêcherait de faire passer nos troupes à l’avenir en Italie. [14]

Voici bien encore pis : les Hollandais ont fait et conclu leur traité avec l’Espagnol et les Flamands contre Cromwell et contre nous ; ils ont déjà commencé à prendre de nos vaisseaux sur la mer Méditerranée et on a contremandé M. le président de Thou dès vendredi dernier. Si bien que voilà beaucoup de mauvaises affaires sur les bras du ministre. Tout cela pourrait être bon si bientôt il nous engendrait la paix.

Ce lundi 9e d’avril. Aujourd’hui, après l’expédition de l’affaire de M. de Chenailles dans la Grand’Chambre, aussitôt on a commencé une grande affaire qui est entre le duc d’Orléans et la duchesse d’Aiguillon, [38] nièce du cardinal de Richelieu, [39] pour la terre de Champigny. [15][40] Un savant et célèbre avocat nommé M. Petitpied [41] a plaidé pour M. le duc d’Orléans et a dit rage contre la tyrannie du cardinal de Richelieu, [16] et n’a pas encore fini. La duchesse d’Aiguillon a retenu pour son avocat un nommé de Montauban, gendre du défunt Juif, [42] chirurgien fameux, lequel commence demain contre le duc d’Orléans. [17]

Je viens de voir passer sur le Pont-Neuf le prince de Conti tout seul dans son carrosse, mais il m’a semblé bien abattu et bien décharné. Je ne voudrais point être prince à ce prix-là ; néanmoins, on dit qu’il partira bientôt pour son voyage d’Italie.

Pour votre lettre datée du 6e d’avril, pour laquelle je vous rends grâces, je puis vous dire que j’ai grande appréhension pour votre libraire Champion, [43] qui me semble bien malade, si on ne lui fait l’opération de bonne heure. N’est-ce pas lui qui a imprimé les Mémoires de M. de Tavannes ? [44] Que deviendra ce livre, ne le vendra-t-on jamais ?

M. Marion [45] n’est pas si mal fait que vous me le dépeignez : il est un peu maigre et exténué, ut solent convalescentes ; [18] ce que je trouverais à redire en lui, c’est que j’ai peur qu’il ne garde pas bien exactement le régime de vivre comme il devrait et qu’il ne mette pas assez d’eau en son vin. [46] Je lui ai promis de l’aller voir et d’aller saluer mademoiselle votre sœur, [47] ce que je ferai bientôt, Dieu aidant. M. Bouvard [48] est en meilleur état, tant que peut un homme de 83 ans, mais il garde encore le lit. Il est le second de notre Faculté, le bonhomme Guérin [49] va devant lui, âgé de 85 ans. [19] Nous avons ici deux autres de nos anciens qui me semblent bien cassés, savoir MM. Perreau [50] et Barralis, [51] dont l’un a 73 ans et l’autre 77, et j’ai grande peur que tous deux n’aillent plus guère loin.

Si le livre de M. Restaurand [52] de Monarchia microcosmi vient à Lyon, [20] je vous prie de m’en acheter un ; et de faire mes recommandations au sieur de La Poterie, [53] auquel je rends grâces de la lettre qu’il m’a écrite, mais les accents de la nouvelle impression des œuvres de feu M. Gassendi [54] me déplaisent fort, il vaudrait mieux qu’il n’y en eût point du tout et que l’on n’en mît nulle part, que d’en mettre où il n’en faut point. [21][55]

Pour les manuscrits de notre bon ami Casp. Hofmann [56] avec le Sennertus [57] nouveau de M. Huguetan, je vous supplie de les faire bien empaqueter et de me les envoyer au plus tôt dans quelque balle de libraire ; j’en paierai le port de deçà. Il n’y a que six semaines que M. Volckamer m’a écrit, mais il ne m’a rien mandé touchant les notes de C. Hofmann in Galenum[22] qui est une marque que l’on ne les imprime pas ; je lui ai écrit depuis huit jours, mais à la première fois je lui en manderai quelque chose.

Ce 11e d’avril. M. Moreau [58] le fils commença hier ses leçons au Collège de Cambrai[59] mais il n’avait que trois écoliers, et hoc male [23] si cela continue. Pour moi, j’ai commencé aujourd’hui les miennes [60] où j’ai eu plus de 90 auditeurs, mais je pense bien que tous n’étaient pas médecins. J’ai appris aujourd’hui que l’on a achevé en Hollande l’édition du livre de feu M. Grotius [61] de Bello Belgico in‑fo de grosse lettre, et in‑12 de petite ; je pense qu’il y a quelque chose de bon dans ce livre. [24] On achève ici le nouveau livre de la Lumière de M. de La Chambre [62] in‑4o. On est aussi après le deuxième tome de feu M. le président de Thou. [25][63] Dès qu’il sera parfait, qui sera à la mort de Charles ix[64] on mettra ces deux premiers tomes en vente. Les loyolites [65] ont tâché d’en empêcher l’impression, mais ils n’ont pu en venir à bout, on dit qu’ils menacent d’écrire contre. Ces bourreaux menacent ciel et terre, ils veulent faire peur à tout le monde et néanmoins Dieu les souffre. Un des leurs a fait un tome en italien contre l’Histoire du concile de Trente, il s’appelle Pallavicino, [66] il promet un second tome, mais ce n’est que du babil. Plane impar congressus Achilli[26][67] ce jésuite n’est qu’une bête au prix de Fra Paolo, [68] il n’a osé toucher au fait et ce livre demeurera ridicule, pour l’effronterie de ces bons pères.

Pour M. Garnier, [69] votre collègue et notre bon ami, je vous prie de lui dire que je lui baise les mains et que j’attends le libelle du S. Bonav. Basset, [27][70] que M. Falconet s’est chargé de me faire tenir. Je ne comprends pas dans sa lettre pourquoi ce B. Basset a été fait prisonnier. S’il vient à Paris pour plaider, peut-être que je saurai quelque chose de ses nouvelles. Je parlerai à M. Merlet [71] de ce Basset et de M. Pons [72] votre doyen, et après cela je ferai réponse à M. Garnier.

On s’en va ici commencer l’impression de Siméon Sethi, [73] in‑8o, grec et latin, e regione, ex bibliotheca Menteliana ; [28] j’apprends que c’est un Allemand, qui passait par ici, [74] qui en a donné cette copie à M. Mentel. [75]

Je viens d’une consultation [76] avec M. Merlet auquel j’ai parlé de votre doyen M. Pons comme s’il était son ami, il m’a répondu qu’il ne l’était ni ne le voulait être, qu’il ne lui écrirait point, qu’il n’en valait pas la peine, que ce n’était qu’un ignorant, ennemi de la saignée, que si votre B. Basset venait à Paris, qu’on le verrait, mais qu’il ne ferait jamais rien pour M. Pons. Je vous supplie de dire tout cela à M. Garnier et de lui dire aussi que lorsque j’en saurai davantage, je le lui en écrirai.

Il court ici un étrange bruit, mais je le tiens faux, savoir qu’il y a une grande révolte dans le Portugal contre le nouveau roi [77] et la reine sa mère. [78] Cela brouillerait bien encore les cartes des ennemis de la Maison d’Autriche (du bien d’autrui riche). Je souhaite de bon cœur que cela ne soit pas vrai, mais néanmoins le Portugal doit être en appréhension de tel événement, par l’or d’Espagne, par la trahison des prêtres et par les confessions [79] des bons pères loyolites. Ils en ont un bel exemple par ce qui arriva au même royaume par la mort de leur roi Sébastien [80] et du prince cardinal, [81] car alors le roi d’Espagne [82] se servit de tous ces moyens pour attraper ce royaume. [29]

Le duc d’Orléans arriva hier à Paris, le cardinal lui est allé [30] au-devant. Il arriva au palais d’Orléans, autrement l’hôtel de Luxembourg, [83] et puis après, fut au Louvre [84] y saluer la reine, [85] et ensuite souper chez le Mazarin. Voilà des métamorphoses du siècle et de la cour, [86]

Iungentur iam gryphes equis, annoque sequenti,
Cum canibus timidi venient ad pocula damæ
[31][87]

Plût à Dieu que tous les princes pussent bien s’accorder ensemble pour une bonne paix afin que le pauvre peuple s’en pût ressentir et être délivré de tant de calamités que la guerre lui fait souffrir.

On a ici taxé tous les marchands étrangers à des sommes assez considérables, M. Forne, [88] Mme Olivien et plusieurs autres. On a aussi saisi tous les effets des Hollandais à Paris, à Rouen, au Havre, [89] à Dieppe, [90] etc. On dit que les Hollandais ont encore saisi sur mer quatre vaisseaux de marchandise qui nous appartiennent, en deux différentes fois. J’ai peur que ces brigandages sur mer n’avancent tellement qu’enfin on ne puisse plus faire par après aucun bon accord, et je pense que c’est le dessein des Espagnols qui font comme les pêcheurs et les jésuites, qui ne demandent pas mieux que de pêcher en eau trouble et de faire leurs affaires. Tandem silendum est[32] je vous baise humblement les mains et suis, Monsieur,

totus ex animo tuus, Guido P[33]

De Paris, ce vendredi 13e d’avril 1657.

Après que le cardinal eut été hier au-devant du duc d’Orléans, il retourna au Louvre. Le duc d’Orléans s’alla un petit < peu > reposer et changer d’habit à Luxembourg, et puis s’en alla au Louvre y saluer le roi et la reine. Tôt après et presque aussitôt, l’ambassadeur de Hollande [91] y arriva, [34] qui fit ses plaintes au roi, mais bien rudes : il demande raison de 300 vaisseaux que nos chevaliers de Malte [92] ont pris sur les Hollandais. Comme cet ambassadeur parlait hardiment au roi, il fut interrompu par trois fois par le cardinal ; l’ambassadeur lui dit par trois fois, Monsieur, je ne parle pas à vous. Il dit que les Hollandais avaient obtenu au Conseil du roi 58 arrêts, dont pas un n’avait pu être exécuté ; le cardinal dit à cela que le roi ne se mêlait pas de telle exécution d’arrêts ; l’ambassadeur répondit aussitôt Que fera donc un pauvre étranger en France s’il ne peut faire exécuter les arrêts du Conseil du roi ? Enfin, après que cet ambassadeur eut hardiment parlé, il fit la révérence au roi et se retira. Il voulut aller voir la reine, laquelle ne voulut pas le voir. Le duc d’Orléans y était présent, mais tous ne dirent mot : voilà les descendants du grand Henri iv[93] On attend dorénavant les grandes nouvelles du côté de Hollande. On dit déjà ici que l’on se passera bien en France du commerce des Hollandais ; que pour des épiceries, [94] on les fera venir du Portugal, et pour les draps, que l’on en fait en Languedoc qui valent autant que ceux de Hollande, etc.

On dit que le duc d’Orléans s’en retourne jeudi prochain, les siens même le disent. [35] Le Parlement d’Angleterre [95] a déclaré roi Cromwell, mais on n’a pas encore nouvelle qu’il l’ait accepté. L’ambassadeur [96] qui est ici dit qu’il ne l’acceptera pas : il a eu plus de 160 voix contre environ 54 qui n’en étaient pas d’avis ; je pense que tôt ou tard il sera bien aise de l’être, et la tentation enfin prévaudra. On dit que le roi ira la semaine prochaine au Parlement pour y faire vérifier des édits, où entre autres il y a plusieurs offices nouveaux, et même des greffiers et des procureurs de la Cour ; et tout cela mourra de faim car le peuple n’a plus de quoi plaider. On fera demain un service solennel à Notre-Dame [97] pour le repos de l’âme du feu roi de Portugal ; [36][98] cela est somptueux et magnifique, et je crois que vous pensez bien que cela lui fera grand bien. Le cardinal de Richelieu, [99] qui aimait assez à rire lorsqu’il n’était point tourmenté de sa bile noire, [37][100] demanda un jour au docteur Mulot, [101] son confesseur, combien il fallait de messes pour tirer une âme de purgatoire. [102] Le docteur Mulot lui répondit que l’on ne savait pas cela et que l’Église ne l’avait jamais défini. Le cardinal lui répliqua : C’est que tu n’es qu’un ignorant, je le sais bien moi, il en faut autant qu’il faudrait de pelles de neige à chauffer un four. Ne voilà pas de bonnes gens, qui se moquent ainsi de ce saint et sacré feu qui fait si heureusement bouillir leur marmite ! [38][103][104][105]

Je viens de faire ma leçon où j’avais près de 120 auditeurs. L’ambassadeur de Hollande a vu la reine, laquelle l’a tancé d’avoir parlé au roi comme il fit hier et lui a dit que si le roi ne s’en voulait ressentir, qu’elle le porterait à la vengeance. Vale et me ama[39]

G.P.

De Paris, ce vendredi 13e d’avril, à huit heures du soir.


a.

Ms BnF no 9357, fos 246‑248, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Reveillé-Parise, nos ccciii (tome ii, pages 293‑294, faussement datée du 8 avril 1657) et cciv (tome ii, pages 294‑298, datée du 13 avril) ; Prévot & Jestaz no 27 (Pléiade, pages 497‑504). Au revers à côté de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1657./ Paris, 13e avril/ Lyon, 18e dud./ Rispost./ Adi 24e dud. »

1.

Phrase ajoutée par Guy Patin dans la marge. Gilonne d’Harcourt, veuve du marquis de Piennes, avait épousé en 1644 Charles-Léon, comte de Fiesque (v. note [33], lettre 280).

Dans ses Mémoires, Mlle de Montpensier a relaté une conversation qu’elle eut alors à Saint-Fargeau avec M. de Candale « s’en allant en Catalogne » (première partie, volume 3, chapitre xxvi, page 56) :

« Il me conta que l’abbé Fouquet {a} l’avait prié de n’aller point chez Mme de Châtillon, et qu’il n’y avait pas été depuis. Il se passa une grande affaire entre le maréchal d’Hocquincourt et elle ; mais comme je n’en sais point le détail, je n’en dirai rien, sinon que l’on menaça Mme de Châtillon de la mettre en prison. C’était pour quelques intelligences que l’on prétendait qu’elle avait avec M. le Prince ; et l’abbé Fouquet répondit d’elle et lui fit donner sa maison pour prison, et elle demeura avec la bonne femme Mme Fouquet. » {b}


  1. Basile Fouquet, v. note [51], lettre 280.

  2. Mère de l’abbé.

2.

Ce lit de justice n’eut pas lieu.

3.

« tous les fleuves courent à la mer » ; v. note [37], lettre 334, pour le mariage de Henri de Savoie, duc de Nemours et archevêque démissionnaire de Reims, avec Mlle de Longueville, Marie d’Orléans.

4.

« un cardinal est un animal rouge, insatiable et vorace de tous les bénéfices. »

5.

Guy Patin se trompait de deux années : le traité qui avait mis fin à la première guerre anglo-hollandaise, fort en défaveur de la Maison d’Orange, avait été signé à Westminster en avril 1653 (v. note [26], lettre 327).

6.

Après la nomination d’Antonio Barberini à l’archevêché de Reims, l’évêché de Poitiers était attribué à Gilbert de Clérambault de Palluau (mort en 1680), frère cadet du maréchal-comte Philippe de Clérambault.

7.

César de Beaudéan de Parabère, mort en 1678, abbé de Saint-Vincent de Metz, de La Réole en Bigorre, de Notre-Dame de Noyers près de Chinon, était fils de Henri de Beaudéan de Parabère et de Catherine de Pardaillan d’Armagnac (Jestaz).

8.

« Mais cela n’est pas certain, et même plutôt complètement faux. » Guy Patin a écrit ce commentaire dans la marge, et rayé le passage que j’ai mis entre crochets.

9.

« par force argent comptant. »

10.

La prise de Saint-Ghislain par les Hispano-Condéens faisait mal augurer à Paris de la campagne de 1657. Guy Patin traduisait ici le pessimisme ambiant.

11.

« sous peine que quelque chose de pis ne lui arrive. »

Garder son ban (bannissement) : « ne pas revenir aux lieux d’où l’on a été exilé » (Littré DLF).

12.

Le duc de Modène n’allait pas changer de camp. Le 17 juillet, il mit le siège devant Alexandrie en Piémont, mais divers contretemps l’obligèrent à le lever le 19 août.

13.

Phrase ajoutée par Guy Patin dans la marge. V. note [12], lettre 453, pour le mariage d’Eugène-Maurice de Savoie-Carignan avec Olympe Mancini, le 19 février 1657.

14.

Turin qui appartenait à la Savoie, était une zone stratégique de l’Europe : le passage obligé pour aller de France au Nord de l’Italie ; mais aussi pour l’Espagne, le couloir indispensable, via la Méditerranée, pour assurer la communication avec ses possessions des Flandres.

15.

Champigny (Indre-et-Loire) se situe à 15 kilomètres. au sud-est de Chinon, sur la Veude.

Les Bourbon-Montpensier avaient à Champigny un magnifique château, mais Richelieu l’avait fait démolir pour se venger de Gaston d’Orléans à qui ce domaine était échu. Le cardinal n’avait laissé debout que le logement des pages. Mlle de Montpensier, fille aînée du duc d’Orléans, était venue y habiter en 1656, à l’issue d’un procès gagné contre le duc de Richelieu, neveu du cardinal, pour la propriété de cette terre. Il subsistait aussi une Sainte-Chapelle, bel édifice commencé en 1508 par Louis ier de Bourbon et achevé par son fils, Louis ii, premier duc de Montpensier (G.D.U. xixe s.). L’affaire se rallumait alors.

16.

« Cet avocat a fait rage pour sa partie, il a bien plaidé pour elle » (Furetière).

17.

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome ii, page 259) a brocardé la curieuse manière de plaider qu’avait ce Rousset de Montauban, qui :

« en lisant les auteurs, mettait ce qu’il y trouvait de beau sur de petits morceaux de papier et jetait tout cela dans un tiroir ; puis, quand il faisait un plaidoyer, il tirait une poignée de ces billets comme à la blanque, {a} Dio te la mandi bona, {b} et il fallait que tout ce qu’il avait tiré entrât dans ce plaidoyer. »


  1. Loterie.

  2. « À la grâce de Dieu ».

V. note [10], lettre 35, pour Jean Juif, chirurgien de Richelieu.

18.

« comme sont d’habitude les convalescents ».

19.

Denis Guérin (docteur régent en 1605, v. note [11], lettre 3) était alors l’ancien de la Faculté. Charles i Bouvard (1607) était au second rang sur le tableau.

20.

V. note [15], lettre de Charles Spon, le 21 novembre 1656, pour la « Monarchie du microcosme » (sans lieu, 1657) de Raymond Restaurand, médecin de Pont-Saint-Esprit.

21.

La requête, ici réitérée (v. note [39], lettre 458), de Guy Patin n’eut pas de suite : tous les accents ont été conservés dans l’édition, alors en préparation à Lyon, des Opera omnia de Pierre Gassendi (1658, v. note [19], lettre 442).

22.

« sur Galien », commentaires parus à Francfort en 1680, v. note [15], lettre de Charles Spon, le 6 avril 1657.

23.

« et ça n’est pas bon ». Jean-Baptiste Moreau succédait à son père, René, comme titulaire de la chaire de médecine du Collège de France.

24.

V. note [4], lettre 276, pour les Annales et historiæ de rebus Belgicis [Annales et histoires flamandes] de Hugo Grotius imprimées par Jan Blaeu à Amsterdam en 1657, in‑4o, et 1658, in‑8o.

25.

V. notes [9], lettre 453, pour les Nouvelles pensées sur les causes de la lumière… de Marin Cureau de La Chambre, et [9], lettre 441, pour Pierre Du Ryer et sa traduction de l’Histoire universelle de Jacques-Auguste i de Thou.

26.

« Engagé dans un combat tout à fait inégal avec Achille », Virgile, Énéide (chant i, vers 475), à propos de Troilus, prince troyen qu’Achille décapita à l’issue d’un combat homérique :

Infelix puer atque impar congressus Achilli.

[Malheureux enfant engagé dans un combat inégal avec Achille].

À l’Histoire du concile de Trente (Londres, 1619, et Genève, 1621) de Fra Paolo (Pietro Sarpi, v. note [13], lettre 467) répondait l’Istoria del concilia di Trento (rééditée à Rome, Angelo Bernabo, 1656‑1657, 2 volumes in‑fo) du cardinal jésuite Francesco Maria Sforza Pallavicino (v. note [2], lettre 421).

27.

Le « Sieur » Bonaventure Basset, dont il allait être souvent question dans la suite des lettres, engageait alors une terrible dispute avec le Collège des médecins de Lyon qui refusaient de le recevoir. Originaire de cette ville, il avait pris son immatriculation à la Faculté de médecine de Montpellier le 25 avril 1652, obtenu son baccalauréat le 5 juillet 1653, sa licence le 8 janvier 1654, puis son doctorat le 26 mars 1654.

Dulieu a fourni les titres de ses thèses :

Après bien des chicanes, Basset finit par être agrégé, à contrecœur, au Collège des médecins de Lyon. On s’apprêtait alors à engager un procès devant le Parlement de Paris (auquel ressortissait Lyon) et les Lyonnais priaient Guy Patin d’intervenir en faveur de leur Collège auprès des nombreux magistrats qu’il comptait dans sa pratique.

28.

« reliés en vis-à-vis, tiré de la bibliothèque de Jacques Mentel. »

Simeo Seth ou Siméon Sethi écrivain grec du xie s. natif d’Antioche (Syrie), était médecin et exerçait aussi les fonctions de protovestiaire (maître de la garde-robe) à la cour impériale de Constantinople. Chassé de cette ville par Michel le Paphlagonien, il se réfugia sur le mont Olympe, dans un couvent où il mourut. Seth a écrit un commentaire sur les ouvrages de son maître Psellus. Son style, qui est assez mauvais, dépare l’original qu’il a encore altéré en le copiant ; il aurait dû pourtant se piquer de plus de fidélité puisque le livre qu’il a commenté était alors entre les mains de tout le monde. Une conduite aussi blâmable lui attira les reproches de ses contemporains ; mais elle n’empêcha pas Lilio Gregorio Gyraldi de Ferrare, et Martin Bogdan de Driesen de traduire cet ouvrage de grec en latin et de le publier, l’un en 1538 et l’autre en 1658 (Éloy et Panckoucke).

Guy Patin parlait ici du second :

ΣΙΜΕΩΝΩΣ μαγισττρου αντιοχειας σηθι συνταγμα κατα στοιχειων περι τροφων δυναμεων. Simeonis Sethi magistri Antiocheni Volumen de alimentorum facultatibus iuxta ordinem litterarum digestum, ex duobus Bibliothecæ Mentelianæ M.M.S.S. Codd. emendatum, auctum, et latina versione donatum cum difficilium locorum explicatione a Martino Bogdano, Drisna Marchico.

[Volume de Simeo Seth, maître des offices d’Antioche, sur les facultés des aliments, suivant l’ordre alphabétique, {a} tiré de deux manuscrits de la bibliothèque de Jacques Mentel. {b} Martin Bogdan, marquis de Drisna, {c} l’a corrigé, augmenté et traduit en latin avec l’explication des passages difficiles]. {d}


  1. Grec.

  2. Jacques Mentel (v. note [6], lettre 15) était dédicataire de l’ouvrage.

  3. Martin Bogdan, docteur en médecine de l’Université de Bâle, était disciple de Thomas Bartholin ; il exerça la médecine à Bâle puis à Berne (Éloy). Les quatre centuries épistolaires de Bartholin (vBibliographie) contiennent plusieurs lettres qu’il a échangées avec Bogdan.

  4. Paris, veuve de Mathurin Dupuis, 1658, in‑8o de 174 pages, grec et latin juxtalinéaires.

29.

V. notes [7] et [8], lettre 457, pour la reine régente du Portugal, Louise de Guzmán (de 1633 à 1666), son combat pour l’indépendance de son État contre les Espagnols, et pour son fils Alphonse vi (qui régna de 1655 à 1667).

Quelque soixante ans plus tôt, Sébastien ier (Dom Sebastião, Lisbonne 1554-1578) et le cardinal Henri (Henrique i, 1512-1580), son grand-oncle, avaient successivement porté la couronne du Portugal : de 1569 à 1578, pour le premier, et de 1578 à 1580 pour le second.

Fils posthume de l’infant Jean de Bragance, Sébastien était âgé de trois ans quand lui échut la couronne de son aïeul Jean iii le pieux (roi de 1521 à 1557), sous la tutelle de sa grand-mère, Catherine de Castille, sœur de Charles Quint, de 1557 à 1562, puis sous celle du cardinal Henri de 1562 à 1569, année où Sébastien commença à régner. D’une dévotion outrée et d’une ambition démesurée, il voulut marcher sur les traces d’Alexandre le Grand et forma le projet gigantesque de passer le détroit de Gibraltar, soumettre l’Afrique, pénétrer dans les Indes, en Perse, revenir en Europe par la Turquie et arracher Constantinople à l’islamisme. La victoire de Lépante (1571) lui parut être un signe du Ciel, il leva des troupes, passa à Tanger et commença la guerre contre les Maures. Après une première campagne victorieuse, Philippe ii, roi d’Espagne, le fils de Charles Quint, qui convoitait le Portugal, excita Sébastien, son neveu, à secourir Moulay Mohammed, sultan déchu du Maroc (v. note [1], lettre 701). Sébastien repartit pour le Maroc, mais se heurta à la formidable armée du vieux sultan Moulay Abd al-Malik. Il fut tué à la bataille dite des Trois Rois (Ksar el-Kébir, 4 août 1678, ainsi nommée parce que les deux sultans y périrent aussi), et son armée fut presque entièrement exterminée.

Le cardinal Henri, cinquième fils du roi Manuel ier, prit sa succession. Il avait été nommé archevêque de Braga en 1533, grand inquisiteur en 1539, archevêque d’Évora en 1540, puis cardinal en 1545. Ennemi puis allié des jésuites, il leur confia la création de l’Université d’Évora (1559). Quand il reçut la couronne, il était cacochyme, phtisique, brisé par l’âge et par la maladie, et ne prenait pour toute nourriture que du lait de femme, ce qui ne l’empêcha pas de songer un instant à demander au pape l’autorisation de se marier, dans le fol espoir de donner un héritier au trône. Toutefois, il renonça à ce projet, abandonna la direction des affaires d’État à Christovam de Moura, et se montra plein de faiblesse et d’irrésolution. N’ayant pas voulu reconnaître pour son héritier dom Antonio, prieur de Crato et neveu de Jean iii, il entra en négociation avec Philippe ii et lui offrit la Couronne de Portugal, que le roi d’Espagne accepta bien volontiers à la mort du cardinal-roi, en 1580, après avoir fait taire, par la puissance de son armée, les nombreux autres prétendants (v. note [9] du Borboniana 10 manuscrit). Le Portugal ne redevint un royaume indépendant qu’après la révolution de 1640 qui plaça sur le trône la Maison de Bragance.

V. note [1] du Patiniana 3, pour les « faux Sébastien », imposteurs qui se manifestèrent vainement après sa mort pour reprendre sa couronne.

Dans trois de ses lettres françaises, Guy Patin a dit que la Maison d’Autriche était « du bien d’autrui riche », blâmant son avidité à marier ses fils à des filles uniques très richement dotées – Marie de Bourgogne (v. note [19], lettre 312), puis Jeanne de Castille (dite la Folle, v. note [4], lettre 692) – et à bâtir ainsi le giganteque empire des Habsbourgs. La paternité de ce brocard semble lui appartenir.

30.

À la place de « Le roi et Son Éminence lui sont allés » que Guy Patin a rayé.

La Gazette, ordinaire no 45, de Paris le 14 avril 1657 (page 360) :

« Le 12, Monseigneur le duc d’Orléans, accompagné du duc d’Anville qui avait été envoyé par Leurs Majestés {a} au-devant de Son Altesse Royale {b} à Limours, ayant été reçu à une lieue d’ici par Son Éminence, {c} arriva en cette ville avec un fort grand cortège de carrosses et vint en même temps saluer Leurs dites Majestés, qui lui donnèrent toutes les marques de tendresse qu’il en pouvait désirer, ayant été ensuite splendidement traité à souper par Son Éminence dans son appartement du Louvre. »


  1. Le roi et sa mère.

  2. Gaston d’Orléans.

  3. Mazarin.

31.

« On va voir les griffons s’unir aux chevaux, et bientôt les daims craintifs iront avec les chiens se désaltérer à la même source » : Virgile, Bucoliques, églogue viii, vers 27‑28, avec annoque au lieu d’ævoque.

Le griffon (gryps en latin, γρυψ en grec) est un « animal fabuleux ayant quatre pieds, des ailes, un bec d’oiseau, le derriere d’un lion, qui est gardien des trésors, et ennemi du cheval » (Furetière).

32.

« Il faut enfin que je me taise. »

33.

« votre Guy Patin de tout cœur ».

34.

Willem Boreel van Duinbeke (Middelburg 1591-Paris 29 septembre 1668) était ambassadeur des Provinces-Unies en France depuis 1650, allant et venant entre les deux pays. La Gazette a signalé que Louis xiv lui accorda une audience au Louvre le 13 novembre 1660 (Levantal).

35.

Le duc d’Orléans prit congé du roi le mardi 24 avril pour retourner à Blois.

36.

Jean iv (v. note [27], lettre 86), mort à Lisbonne le 6 novembre 1656.

37.

V. note [5], lettre 53, pour la bile noire, atrabile ou mélancolie, celle des quatre humeurs (v. note [4], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656) qui n’exista jamais. Elle était censée être sécrétée par le foie ou les capsules surrénales et s’accumuler dans la rate où son excès produisait les tourments qu’on regroupait sous le nom de mélancolie. Désopiler la rate (v. note [5], lettre 61) c’était la vider de cette mauvaise bile et mettre « de bonne humeur ».

V. note [13], lettre 333, pour l’abbé Jean Mulot, docteur de Sorbonne.

38.

Gianluca Mori {a} a fait la remarquable découverte que cette singulière anecdote a été reprise dans un intitulé :

Theophrastus redivivus, sive Historia de iis quæ dicuntur de Diis, de Mundo, de Religione, et Dæmonibus, de Contemnenda morte, de vita secundum naturam.

[Théophraste {b} ressuscité, ou l’Histoire de ce qu’on a dit des dieux, du monde, de la religion et des démons, du mépris de la mort, de la vie suivant la nature]. {c}


  1. V. note [5], lettre latine 302.

  2. Théophraste d’Érèse, philosophe grec du iiie s. av. J.‑C., tenu pour athée, mais dont seule a survécu la Botanique (v. note [7], lettre latine 115).

  3. Manuscrit de 1 090 pages, dont une des quelques copies est numérisée dans Gallica. Guido Canziani et Gianni Paganini en ont donné une très soigneuse édition critique (Florence, La nuova Italia, 1981-1982, deux volumes).

Ce manifeste est déroutant car fort ambigu sur l’athéisme, dont il détaille méticuleusement les arguments pour les réfuter en bloc dans son introduction et dans sa conclusion, qui sont de vibrantes professions de foi catholique. Il retient aujourd’hui l’attention de plusieurs chercheurs en histoire de la théologie, de la philosophie et de la littérature moderne. Sur la foi de deux mentions qu’il contient, il est supposé avoir été écrit en 1659.

Le bon mot de l’abbé Mulot se lit dans le traité iii, Qui est de religione [Qui traite de la religion], chapitre v, In quo de quatuor supradictis religionibus in particulari, deque illarum authoribus, superstitionibus et imposturis agitur. Ex quo patet religionem esse omnino artem politicam [Où sont individuellement examinées chacune des quatre susdites religions (paganisme, judaïsme, christianisme et mahométisme), de leurs auteurs, superstitions et impostures. D’où il ressort que la religion n’est rien d’autre qu’un subterfuge politique], section De Religione christiana [Sur la Religion chrétienne] (page 574) :

Absurda igitur etiam plane est, et ridicula Purgatorii, plus quam anilis fabula, et ab hominibus non supestitiosis, talia semper existimata : Unde cardinalis Richelæus per iocum interrogatus quot missarum sacrificiis opus esset ad animam purgatoriis ignibus solvendam, facete respondit, tot opus esse, quot nivis globis ad furnum incendendum.

[La fable du purgatoire est de même parfaitement absurde et ridicule, un vrai conte de bonne femme, que tous ceux qui ne sont pas superstitieux ont toujours jugée telle : c’est ainsi qu’interrogé par plaisanterie sur le nombre de messes requis pour sauver une âme des flammes du purgatoire, le cardinal de Richelieu répondit spirituellement qu’il en fallait autant que de boules de neige pour chauffer un four].

L’historiette ne se lisant nulle part ailleurs, G. Mori en a déduit que Guy Patin était l’anonyme auteur du Theophrastus redivivus (T.R.), et m’a soumis son idée après l’avoir publiée dans un article intitulé À la recherche du nouveau Théophraste : Guy Patin redivivus (Academia, 19 avril 2020). Nous avons entamé une longue et riche correspondance, à laquelle ont participé Antony McKenna (v. note [4] de l’Introduction aux ana de Guy Patin) et Alain Mothu (v. notre Journal de bord, en date du 22 juin 2019), mais sans parvenir à tomber d’accord. J’ai opposé cinq arguments principaux à cette hypothèse qui ferait de Patin rien de moins que le plus athée et « le plus fameux des libertins érudits du xviie s. » (comme l’appelle G. Mori).

  1. Fort absorbé par sa pratique et ses enseignements médicaux (au Collège de France et à la Faculté), et par sa correspondance, Patin n’avait ni le loisir ni la compétence requis pour écrire des livres (à l’unique exception du petit Traité de la Conservation de santé). Notre index compte une soixantaine d’entrées (classées en neuf rubriques) sur les projets d’écriture qu’il n’a pas menés à bien. Il l’a particulièrement déploré au début de sa lettre du 4 mars 1666 à Johann Theodor Schenck ; sans parler d’une somme théologique et philosophique telle que le T.R. (à laquelle il n’a jamais fait la moindre allusion, fût-elle oblique, dans ses écrits).

  2. Même s’il a souvent montré ses inclinations vers le jansénisme et le calvinisme, Patin n’a jamais renié le christianisme et a toujours parlé de l’athéisme avec mépris mêlé d’effroi (v. entre autres la note [26] des Préceptes particuliers d’un médecin à son fils). Après l’avoir fouillé jusqu’à la moelle, je peine énormément à concevoir qu’un esprit aussi imperméable au progrès médical ait pu s’échiner à rédiger un des plus audacieux et volumineux pamphlets impies de son siècle.

  3. Charles Spon, destinataire de la présente lettre du 13 avril 1657, avait fort bien pu la faire lire au petit cercle de ses amis lyonnais, auquel appartenait notamment le R.P. Théophile Raynaud (v. note [8], lettre 71). Au grand dam de la Compagnie de Jésus, ce théologien jésuite prolifique était volontiers fulminant et hétérodoxe : ses Erotemata (Lyon, 1653) avaient été condamnés par la congrégation de l’Index (v. note [7c], lettre 205) ; il mourut à Lyon en 1663, apparemment reclus dans un couvent par la Compagnie de Jésus (v. note [3], lettre 757), pour des raisons mal éclaircies, mais auxquelles ses jugements ambigus sur l’immortalité de l’âme et ses attaques contre les dominicains (1662) n’étaient probablement pas étrangères (v. notes [15] [16], lettre latine 207, et [3], lettre 757, notule {i}).

    Outre ses initiales (T.R.), j’ai particulièrement pensé à lui parce que le Theophrastus redivivus se conclut sur cette profession de foi aussi bizarre que loyolitique, intitulée Ad fideles et vere sapientes religionis christianæ sectatores [Adresse aux fidèles et vraiment sages sectateurs de la religion chrétienne] (page 1090) :

    Si qui forte nobis arma argumentorum quæ in proœmio huiusce operis postulavimus, subministraverit ; eiusmodi auxilio tuti adversùs impiorum conatus non firmiores quidem in fide erimus, cui nullum præter divinum, necessarium est auxilium : sed fortiores et ad illos oppugnandos audaciores efficiemur ; ut pote fide et ratione naturali, id est, divino et humano subsidio, adversus solam naturalem et humanam rationem, decertaturi simus ad maiorem Dei gloriam et ad infidelium confusionem.
    Soli Deo laus, honor et gloria.
    Finis
    .

    [Si quelqu’un nous a peut-être fourni les armes des arguments, que nous avons demandés dans le Proœmium {a} de cet ouvrage, et si ce secours nous a protégés contre les entreprises des impies, nous serons certes plus solides dans la foi, qui n’a besoin d’aucun secours autre que celui de Dieu ; mais nous serons rendus plus forts et plus audacieux pour les attaquer puisque, bien sûr, par la foi et par la raison naturelle, c’est-à-dire par le soutien divin et humain, nous allons mener le combat décisif contre le raisonnement naturel et humain, pour la plus grande gloire de Dieu {b} et la confusion des infidèles.
    À Dieu seul sont dus louange, honneur et gloire. {c}
    Fin].


    1. Dans sa préface, l’anonyme T.R. professe sa foi catholique et expose son dessein de renverser les arguments des athées en montrant leur inanité.

    2. A.M.D.G., Ad maiorem Dei gloriam, est la célèbre devise des jésuites (v. note [1], lettre 46). Il arrivait au P. Raynaud (comme à maints de ses confrères) de terminer ses livres sur cette formule consacrée.

    3. Profession chrétienne rituelle et fort banale.

  4. L’anonyme T.R. cite la thèse de Patin Estne totus homo a natura morbus [L’homme n’est que maladie] (1643) en deux endroits du traité v, De contemnenda morte [Le mépris de la mort], chapitre ii, Vivendi amorem esse minuendum [Il faut supprimer l’amour de vivre].

    • Page 853 :

      Doctissimus et clarissimus Facultatis Parisiensis medicus Guido Patin in quadam quæstione medica proposuit et concludit totum hominem esse a natura morbum. Nullum vero unquam extitit qui proposuerit illum esse totum a natura voluptatem, adeo verum est cum infinitis rationibus modisque miserum dici posse, felicem vero fere nullis. Et eo miseriores sunt homines, quod nemo miserum se credat, licet sit. In hac tam vasta multitudine navigantium, bella gerentium, in foro litigantium, tetram aratro proscidentium, fœnerantium, ferre quam sortem patiuntur omnes nemo recusat, et malis suis unusquisque delectatur et indulget.

      [Dans une thèse de médecine, le très docte et très brillant Guy Patin, médecin de la Faculté de Paris, a proposé et conclu que, par nature, l’homme est tout entier maladie. {a} En vérité, on n’a jamais vu personne proposer que, par nature, l’homme est tout entier volupté, tant on peut authentiquement dire qu’il est malheureux pour une infinité de raisons et en une infinité de manières, quand il n’y en a presque aucune qui le fasse heureux. Et les hommes sont d’autant plus malheureux que nul ne se croit malheureux, bien qu’il le soit. Dans cette si vaste multitude de navigateurs, de soldats en guerre, de plaideurs au tribunal, de laboureurs accrochés à la charrue, de prêteurs avec intérêt, personne ne nie que tous souffrent de ce que le sort leur a réservé, et n’affirme que chacun s’abandonne à ses misères et s’en délecte]. {b}

    • Page 866 :

      Et tandem quidquid in vita agatur, moriendum est. Huc omnis ista quæ in foro litigat, in theatris desidet, in templus precatur turba, dispari gradu venit. Et quæ coluntur et quæ contemnuntur, unus æquabit cinis. Quæcumque et artes moliuntur et parit natura, una mors hæc sibi vindicat, inquit doctissimus Guido Patin, stant ut ruant, vivunt ut obeant ; huic extremo discrimini servatur orbis, et singula omnia quæ mundi sinu coercentur.

      [Et enfin, tout l’enjeu de la vie, c’est qu’il faut mourir. Toute cette foule de gens qui intente des procès, qui se vautre dans les théâtres, qui prie dans les temples, marche d’un pas inégal. {c} Et ce qu’ils vénèrent et ce qu’ils méprisent, tout se réduira à une seule et même cendre. La mort seule revendique pour elle-même tout ce que façonnent les arts aussi bien que tout ce que produit la nature, dit le très docte Guy Patin, ce qui est immobile comme ce qui court, ce qui vit comme ce qui est mort ; le monde entier est soumis à cet extrême péril, comme l’est absolument tout ce que renferme le sein de la terre]. {d}


      1. Guido Patin doctor medicus Parisiensis in sua quæstione medica disputavit et concludit… [Dans sa thèse de médecine, Guy Patin, docteur en médecine de Paris, a disputé et conclu…] aurait été plus conforme au style d’un ancien doyen de la Faculté, fort attaché à son vocabulaire rituel. Il aurait aussi pu trouver mesquin de se qualifier lui-même de doctissimus et clarissimus.

        L’anonyme T.R. attribue la sentence Totus homo a natura morbus à Patin, sans sembler savoir qu’il s’agit d’un lieu commun hippocratique, si connu des médecins que Patin ne s’est même pas donné la peine de le dire : v. note [94] de sa thèse de 1643.

        À mon avis, T.R. n’écrivait pas comme un médecin, et encore moins comme Patin. Le seul point qu’ils avaient vraiment en commun était leur manière (alors fort commune) de tisser des centons (rhapsodies), qui consite à enchaîner des citations latines, en laissant le plus souvent au lecteur le soin d’en identifier la source.

      2. L’anonyme T.R. s’est contenté de citer la sentence hippocratique (qu’il croit « patinienne » !), avant de la ridiculiser en dénonçant un inepte truisme : sans en comprendre la portée médicale, il se lance dans un commentaire éthique.

        Patin serait-il capable d’une telle bévue sur la source hippocratique de sa sentence et d’une telle dérision : se moquerait-il ainsi (gentiment mais catégoriquement) de la thèse qui a fait son renom européen en étant très largement diffusée et rééditée ?

        Lui et sa fameuse quodlibétaire font vraiment figure d’intrus dans une somme théologique de plus de mille pages : s’il en avait été l’auteur (qui faisait tout pour se cacher), aurait-il laissé un tel indice en se citant et se dénigrant ainsi lui-même ? Je peine à le croire, connaissant l’orgueil et la forfanterie ordinaires du personnage.

      3. Hoc omnis ista quæ in foro litigat, in theatris, in templis precatur turba dispari gradu vadit, est une citation de Sénèque le Jeune, (Consolation à Marcia, chapitre 11, § 2). Dans sa thèse, Patin a emprunté un autre passage de cet ouvrage, mais sans rapport avec cette citation-là (v. sa note [10]) ; il n’a jamais ailleurs fait référence au passage que l’anonyme T.R. a ici prélevé dans la Consolation à Marcia.

      4. Cette conclusion (fin du dernier article) n’est pas dans la thèse originale de 1643, mais figure dans sa réédition de 1647, comme l’a fort pertinemment établi G. Mori.

    Sur ces troisième et quatrième points, je pense que l’anonyme T.R. connaissait et estimait Patin, et qu’il pouvait avoir eu accès à certaines des lettres que Patin a écrites à leurs communs amis lyonnais, ainsi qu’à sa thèse de 1643 (ce qui est beaucoup plus banal car elle a joui d’une très large diffusion). Patin collectionnait avec ardeur les ouvrages du P. Raynaud et admirait leur originalité. Il a souvent demandé de ses nouvelles à Charles Spon et à André Falconet, et lui a même sûrement écrit, {a} mais il n’est rien resté de cette correspondance. Mes soupçons se renforcent du fait susdit que le P. Raynaud finit ses jours en étant mis au ban de sa Compagnie, laquelle accueillit fort mal la publication ultérieure de ses Opera omnia. {b}


    1. V. note [3], lettre du 6 mars 1663.

    2. Avant-dernier paragraphe de la lettre à Falconet datée du 20 novembre 1665, sur les Opera omnia [Œuvres complètes] du P. Raynaud (Lyon, 1665, 19 volumes in‑fo) : {i}

      « Pour le P. Théophile, on n’en voit point ici. Quelqu’un m’a dit que les pères ne veulent point qu’il soit mis en vente si premièrement on n’en refait beaucoup de feuilles qui leur déplaisent. Voilà une tyrannie bien grande sur les esprits des savants et sur les écrits des hommes morts. Je n’en ai du regret que pour M. Boissat {ii} qui manque à gagner et à distribuer son grand ouvrage par tout le monde où il y a des curieux. Jamais je ne l’achèterai que l’on me fournisse les feuilles retranchées ; c’est peut-être le meilleur de tout l’ouvrage et j’en ai bonne opinion puisqu’il déplaît à ces bons pères passefins, nigra cohors. » {iii}

      1. Qui aura jamais la patience de fouiller ce monument pour y rechercher l’amas des références théologiques qui s’entrelacent dans le Theophrastus redivivus ?

      2. Horace Boissat, l’imprimeur des Opera omnia.

      3. « noire cohorte. »

      En 1667, Patin a lui-même analysé ces Opera omnia dans le Journal des Sçavans (v. note [10], lettre 853), sans manquer d’y insister sur leurs parties polémiques et hétérodoxes qui valurent au R.P. Raynaud quelques rudes frictions avec sa Compagnie et avec Rome.


  5. Il a paru une traduction très partielle (elle aussi anonyme) de ce mystérieux ouvrage :

    La Fausseté des miracles des deux Testaments, prouvée par le parallèle avec de semblables profiges opérés dans diverses sectes ; ouvrage traduit du manuscrit latin intitulé : Theophrastus redivivus. {a}


    1. Londres, sans nom, 1775, in‑12 de 167 pages.

    Le Discours préliminaire se termine sur quelques spéculations (pages 21‑22) :

    « […] il ne nous reste qu’à dire ce que nous avons puabbrendre d’anecdotes sur l’auteur et sur son ouvrage.

    On ignore absolument son nom, sa patrie ; mais on croit assez communément qu’il a vécu dans le dernier siècle. Il a écrit en latin sous le titre de Theophrastus redivivus. Son manuscrit, qui était un très gros in‑fo était divisé par chapitres : De Natura, De Deo, De Mundo, etc. Il y traitait du paradis, de l’enfer, de l’âme, des corps, etc., etc. Un grand prince en fit l’acquisition, le paya, dit-on, fort cher, et le fit mettre dans le lieu le plus secret de sa bibliothèque. Cette précaution n’empêcha pas qu’on n’en traduisît quelques chapitres à la dérobée : du moins c’est ce qu’on peut inférer de la précipitation avec lauqelle on voit que notre manuscrit a été rédigé. Non seulement le traducteur avait omis toutes les citations, si essentielles à un ouvrage de cette nature, mais encore il avait négligé de traduire un grand nombre de mots. Nous avons suppléé à ces deux défauts.

    Il serait inutile de tenter la recherche de l’original : on sait qu’un zèle, peut-être poussé trop loin, a forcé l’héritier du prince dont nous avons parlé, à faire brûler de Theophrastus redivivus, par l’avis de ses docteurs. C’est ce qui arrive le plus osuvent qu’on ne pense ; ainsi nous présumons qu’on doit avoir quelques obligations à ceux qui nous conservent ces précieux monuments de la raison. »

G. Mori a publié sur Academia une Courte réponse aux objections de Loïc Capron. Là et ailleurs, il a depuis fait paraître d’autres articles à l’appui de sa thèse. Je lui ai soumis, mais il n’a pas pris en considération, mon hypothèse que Theophrastus redivivus soit un pseudonyme du R.P. Raynaud, qui était friand de ce genre de déguisement. Dans l’attente d’arguments plus solides pour trancher dans un sens ou dans l’autre, nous demeurons en amical désaccord sur une question que nous trouvons tous deux fort importante dans la critique littéraire sur l’athéisme libertin du xviie s. Notre débat ne date pas d’hier : v. note [39] du Faux Patiniana II‑6.

Note mise à jour le 19 janvier 2022.

39.

« Vale et aimez-moi. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 13 avril 1657

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(Consulté le 23/04/2024)

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