L. 478.  >
À Charles Spon,
le 24 avril 1657

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du vendredi 13e d’avril, je puis vous dire que je ne crois point le bruit qui court, savoir que le roi d’Espagne [2] a retiré le prince de Condé [3] des Pays-Bas [4] pour l’envoyer en Catalogne ; [5] d’autres disent en Portugal, où l’on dit que le roi d’Espagne veut aller en personne. La duchesse de Savoie [6] nous menace de ne donner aucun passage à nos troupes si on ne lui rend Pignerol. [7] On dit que l’ambassadeur de Hollande [8] a reçu ordre de se retirer pour avoir parlé au roi trop hardiment et trop irrévéremment, et que cette rupture cuira autant et plus aux Hollandais qu’à nous, et que nous nous passerons plus aisément de leur commerce qu’eux ne peuvent faire du nôtre et de notre argent, Paris étant un petit Pérou [9] pour la Hollande, [1] ou plutôt un gouffre qui dissipe bientôt tout ce qu’on nous en apporte.

On dit ici que le voyage du roi [10] est reculé et différé jusqu’au 15e du mois de mai, vu qu’il n’y a rien en campagne qui l’oblige de se hâter.

Ce 17e d’avril. Enfin, Cromwell [11] est déclaré et souhaité roi d’Angleterre, [2] multis ita sentientibus, aliis tamen reclamantibus[3] M. de Thou [12] est au Havre-de-Grâce [13] où il attend bon vent pour passer en Hollande. Cromwell a reçu la proposition de la royauté qui lui a été offerte, mais il ne l’a pas tout à fait acceptée. Il a répondu qu’il demandait du temps pour y penser et pour en consulter Dieu et sa conscience. Je crois néanmoins qu’il prendra à la fin, comme fit Tibère, [14] ce fin renard, après la mort d’Auguste, [15] ce qui est si bien décrit par Tacite, [16] lib. i, Annalium, et dans Suétone, [17] in Tiberio, cap. 24[4]

On a ici saisi tous les effets des Hollandais, mais on dit que ceux de La Rochelle [18] et de Bordeaux n’ont pas voulu permettre qu’on fît la même chose chez eux, et qu’ils sont trop intéressés au commerce de Hollande.

On dit que le roi de Pologne [19] et l’empereur [20] ont fait un grand traité ensemble, et qu’ils sont d’accord tous deux avec le roi de Danemark [21] contre le roi de Suède. [22][23] On dit ici que la duchesse de Savoie est fort malade d’une fièvre, laquelle dure il y a deux mois, que l’on parle à la cour d’envoyer un médecin à Turin [24] et que Vallot [25] a nommé D’Aquin [26] à la reine [27] pour cet effet. [5] C’est un médecin par quartier, fils d’un juif d’Avignon qui servit de faux témoin au procès de la marquise d’Ancre ; [6][28] celui-ci était garçon apothicaire de la feu reine mère ; [29] Vautier [30] et Vallot, et l’impunité, voire plutôt l’iniquité du siècle l’ont fait passer pour médecin, à la cour et apud idiotas[7] ce qu’il est comme je suis peintre ; mais il faut de tels médecins aux princes, genus hominum quod decipit et decipitur[8]

On dit ici que tout le fort de la guerre s’en va être en Portugal, tant à cause du roi d’Espagne qui attaque, que pour ceux du pays qui se veulent bien défendre, et à cause du secours que nous leur allons envoyer ; sans compter celui que Cromwell leur enverra infailliblement.

Ce mercredi 18e d’avril. Aujourd’hui un jeune homme âgé de 20 ans a été condamné à être pendu et étranglé, au Châtelet. [31][32] Comme la sentence de mort lui a été prononcée par le greffier en présence du lieutenant criminel, il a été tellement étonné qu’il en est tombé sur-le-champ en apoplexie, [33] et aujourd’hui à cinq heures du soir il vivait encore ; c’était un valet de chambre, pour vol domestique. Adhuc vixit post quinque dies ; imo adhuc vivit et attigit septimum illum diem Hippocratis, ultra quem non potest vita protelari[9] Messieurs du Châtelet [34] m’ont fait prier de l’aller voir, mais je n’ai pu m’y résoudre tant la prison me fait horreur, j’en ai une fois été dégoûté pour trois mois et n’ai point le cœur d’y retourner.

J’ai reçu lettre de M. Falconet. Je vous supplie de lui faire mes recommandations et de lui dire que j’ai distribué ses deux lettres que j’ai trouvées dedans, avec l’aphorisme [35] du docteur B. Basset, [36] que j’ai lu, et ne le lirai plus : legi, vix intellexi, nec probavi[10] C’est grande pitié que de jeunesse, folie et ignorance ! J’ai regret que l’impression serve ici et ailleurs à imprimer tant de fadaises, et que les ouvrages des hommes savants ne peuvent trouver de presses.

Il est ici mort un de vos ministres de Charenton, [37] nommé M. Le Faucheur [38] que beaucoup de gens regrettent comme un digne personnage, et qui a été excellent opérateur en son métier. [11] Je ne saurais voir la mort des honnêtes gens sans regret.

Ce jeudi 19e d’avril. Vous savez qu’il y a grosse querelle entre le comte de Montrevel [39] et M. d’Épernon : [40] l’un se veut dire gouverneur de Bresse et l’autre, en tant que gouverneur de Bourgogne, veut qu’il ne soit que lieutenant. Cela a fait du bruit dans le pays de Bresse l’an passé et est venu jusque dans le Conseil du roi, où l’affaire n’a pas été jugée. En attendant le jugement, qui serait peut-être longtemps à venir (d’autant que les affaires sont entre les mains d’un homme qui ne termine rien et remet tout de temps à temps), le troisième fils du comte de Montrevel, nommé le chevalier de M. < Montrevel >, [41] attaqua hier M. de Candale, [42] fils unique de M. d’Épernon, comme il passait en carrosse et lui dit : La main à l’épée ! L’autre sortit du carrosse et se mit en état de se défendre. On les voulut séparer et empêcher de se battre, et entre autres, un gentilhomme qui se rencontra là. Inter illas moras[12] les domestiques de M. de Candale, dont la maison était là proche, y accoururent, qui assommèrent ce pauvre chevalier de Montrevel de plusieurs coups de croc et d’épée, qui néanmoins n’était pas encore mort hier à dix heures du soir. Pour M. de Candale, il n’est pas blessé. [13] Si j’avais vu le Grand Turc, le général des jésuites, le grand mufti et le grand kan de Tartarie se battre ainsi ensemble et s’entretuer à coups fourrés, [14] je tâcherais à me résoudre de n’en avoir aucune pitié. [43]

Le roi a envoyé des édits au Parlement pour trouver nouveaux moyens d’avoir de l’argent. Le premier, qui est des notifications, est furieux et horrible, il est en grand état de ne point passer. Un conseiller de la Grand’Chambre nommé M. de Sève < sic pour M. Sevin > [44] a ce matin parlé fort hardiment et a allégué des raisons, [15] lesquelles ont fort plu aux gens de bien, en taxant le luxe de la cour et les dépenses que font les grands partisans. Dieu veuille par sa sainte grâce conserver ce M. de Sève < sic pour M. Sevin > et inspirer à ses autres compagnons d’aussi bonnes pensées. On dit que si cet édit passait, qu’il serait plus dangereux que celui du papier que feu M. de Bellièvre, [45] premier président, fit avorter heureusement il y a deux ans. [16][46] Ah que nous aurons besoin par ci-après de cet excellent homme !

Voilà M. Du Prat [47] qui vient de sortir de céans, qui vous baise les mains. On dit qu’il est passé par la Suisse [48] 9 000 hommes que le roi d’Espagne envoie en Italie. Je pense qu’à la fin nous perdrons tout et je ne sais ce que nous deviendrons.

Ce vendredi 20e d’avril. Nouvelle est arrivée que l’empereur est mort, c’est le Mazarin qui en a reçu le premier la nouvelle et qui en a averti la reine. On dit ici que M. Guillemin [49] est allé à Turin [50] y voir la duchesse de Savoie, et même que l’on y a envoyé D’Aquin, mais qu’il la trouvera morte. Jugez par cet envoi si les princes ne se connaissent pas bien en bons médecins. La mort de l’empereur brouillera et troublera fort les intérêts de la Maison d’Autriche car il n’y a qu’un fils, [51] qui n’est pas couronné roi des Romains [52] et que l’on dit être encore bien jeune ; mais on dit une particularité de lui qui me plaît, c’est qu’il hait fort les jésuites, autant que les aimait défunt son frère aîné qui mourut l’an passé. [53] Je vois néanmoins des gens de deçà qui font les fins, et qui croient que ce que l’on dit de la mort de l’empereur est faux et controuvé, seulement pour faire passer des édits et avoir de l’argent. D’autres disent qu’il est vrai et que le roi [54] sera obligé de faire bientôt un voyage à Metz [55] à cause des affaires d’Allemagne. [17]

Il y a ici des lettres qui portent qu’il y a de la peste [56] à Bordeaux. Je souhaite fort que cette méchante bête demeure là et n’approche point de nous. Paris est déjà assez malheureux : nous avons ici des charlatans, des chimistes, [57] des moines, des jésuites, des courtisans, des partisans, etc. ; tout cela est pis que la peste.

Je vous prie de me mander si vos libraires ont obtenu le privilège de l’histoire de M. de Tavannes ; [18][58] et en cas qu’ils ne l’obtiennent point, ne la vendront-ils jamais ? On s’en va imprimer à l’Imprimerie royale une histoire des chanceliers de France faite par M. Godefroy, [59] homme fort entendu dans l’histoire. [19]

Confirmation est arrivée de la mort de l’empereur. [60] Les lettres du pays portent qu’on lui a trouvé les entrailles bonnes [61] et que les médecins n’ont point connu son mal, qu’ils ont pris martre pour renard ; [20] je n’en doute nullement, je crois qu’il n’y a guère de bons médecins en ce pays-là, non plus qu’ailleurs : Apparent rari nantes in gurgite vasto, Illic et alibi venditur piper[21][62][63] La bonne femme Mme de Saumaise [64] est morte, elle fut hier enterrée à Charenton. [22] Je pense que vous avez reçu les 17 lettres des jansénistes, [65] on m’a aujourd’hui assuré que dans trois jours nous en aurons une 18e. On dit aussi qu’à Leyde [66] on les réimprime in‑12 chez les Elsevier, avec une préface de leur vrai auteur. [23]

Hier, M. le comte de Guiche, [67] fils aîné du maréchal de Gramont, [68] fut fiancé avec Mlle de Béthune, [69] fille de M. de Sully, [70] et petite fille de M. le chancelier. Ce M. de Sully est gendre de M. le chancelier : [71] fils du marquis de Rosny, [72] qui était fils du bonhomme M. de Sully, [24][73] surintendant des finances sous Henri iv[74] la charge duquel lui fut ôtée l’an 1611 par la persuasion des jésuites et à l’instance du P. Cotton. [75] C’est de lui qu’il faut entendre ce bel épigramme qui se lit inter Poemata Nic. Borbonii[76] qui a pour titre Gazophylax exauthoratus, dont voici les deux vers de la fin dont je me souviens :

Dii facite ut regni constet fortuna : labare
Non illam videam, non me desideret illa
[25]

Ce lundi 23e d’avril. On dit aujourd’hui que notre désordre augmente entre les Hollandais et nous, et que nos galères [77] avec les leurs ont eu un mauvais rencontre et dangereux choc sur la mer Méditerranée. M. le président de Thou s’est embarqué au Havre-de-Grâce il y a douze jours, et néanmoins nouvelle n’est point encore arrivée qu’il soit en Hollande ou qu’il ait eu audience ; mais on a de nouveau arrêté tous les effets des Hollandais par toute la France. [26]

On dit que la duchesse de Savoie se porte mieux, que M. le maréchal de Turenne [78] partira dans six jours, et le roi le 12e de mai. On s’en va ici imprimer un livre in‑4o qui sera des harangues récitées aux ouvertures du parlement par M. Quarré, avocat général au parlement de Dijon. [27][79][80] L’évêque d’Autun, nommé Dony d’Attichy, [81] neveu du maréchal de Marillac, [82] par ci-devant évêque de Riez [83] en Provence et auparavant moine ex ordine Minimorum Francisci de Paula[28][84] s’en va faire imprimer trois tomes in‑fo de Vitis cardinalium doctrina et pietate illustrium[29] mais j’apprends que c’est à ses dépens et qu’il en paie l’impression, n’ayant pu trouver aucun libraire qui l’ait voulu entreprendre à ses dépens.

Le duc d’Orléans [85] a aujourd’hui gagné son procès contre Mme d’Aiguillon [86][87] et le duc de Richelieu [88] pour la terre de Champigny, [89] que le feu cardinal de Richelieu [90] a presque ruinée pour embellir sa maison, ou plutôt son palais de Richelieu. [30][91] M. Talon, [92] l’avocat général, y a fait merveilles et ses conclusions ont été confirmées par arrêt. Tout le monde en est bien aise. M. le duc d’Orléans est aujourd’hui parti d’ici, va coucher à Limours, [93] et demain à Orléans. [94] On doute encore ici de la mort de l’empereur. On dit ici que le prince de Conti [95] partira demain pour Turin, et M. de Turenne pour la frontière de Picardie. Ce sera M. d’Estrades [96] qui commandera en Italie. Et moi, je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 24e d’avril 1657.

Cromwell [97] a refusé d’accepter la royauté, d’autant qu’elle ne lui a été offerte qu’avec diverses propositions et conditions auxquelles il ne veut pas se soumettre, et au-dessus desquelles il se voit aujourd’hui colloqué. Il attend un autre Parlement au mois de septembre prochain, dans lequel il prétend obtenir encore plus de crédit, et du rabais à tant de conditions. Notre M. Bouvard a eu plusieurs petites rechutes et ne peut revenir præ summa imbecillitate partium thoracicarum ; [31] à peine peut-il être entendu quand il parle. Il pleut rudement dum hæc scribo[32] on dit que c’est un temps d’or pour les biens de la terre. Vale et me, quod facis, amare perge[33]


a.

Ms BnF no 9357, fos 249‑250 ; Reveillé-Parise, no cccv (tome ii, pages 298‑302) ; Prévot & Jestaz no 28 (Pléiade, pages 504‑510).

1.

Pérou : « nom d’une province de l’Amérique riche en or et en argent ; il est passé en usage dans la langue en cette phrase : c’est un Pérou, en parlant d’une affaire fort lucrative où il y a à faire des gains inconnus » (Furetière). Le Pérou avait été conquis pour le compte de la Couronne d’Espagne en 1535 par Francisco Pizarro. Cette vice-royauté coloniale était immense, bien plus vaste que l’actuel État du Pérou : elle occupait près des trois quarts du continent sud-américain.

L’avant-dernier mot de la phrase, « en », désigne la Hollande.

2.

Le mot « souhaité » remplace ici « reconnu », rayé par Guy Patin. Cromwell ne prit en effet jamais le titre de roi d’Angleterre (v. note [7], lettre 471), et ne fonda qu’une éphémère dynastie (éteinte en 1660, deux ans après sa mort, avec la destitution de son fils Richard).

3.

« par beaucoup qui le veulent ainsi, quand d’autres cependant protestent. »

4.

À la mort d’Auguste, premier empereur romain, en l’an 14 de notre ère (v. note [6], lettre 188), Tibère, son gendre et fils adoptif, lui succéda. Il sut habilement obtenir du sénat qu’il lui confiât la totalité des pouvoirs.

5.

Comme fille de Henri iv, la duchesse de Savoie, Christine de France (Madame Royale), était belle-sœur d’Anne d’Autriche et tante de Louis xiv. La présente lettre de Guy Patin allait croiser celle de Charles Spon, écrite aussi le 24 avril, qui donnait des nouvelles plus rassurantes sur la santé de la duchesse.

6.

Léonora Galigaï, épouse de Concino Concini, marquis d’Ancre, fut arrêtée trois jours après le massacre de son mari, jugée sommairement, puis exécutée le 8 juillet 1617 (v. note [124], lettre 166).

7.

« et chez les ignorants ».

8.

« genre d’hommes qui trompent et qu’on trompe. »

9.

« Voilà déjà plus de cinq jours qu’il survit ; et même il vit encore et a atteint ce septième jour d’Hippocrate, au delà duquel la vie ne peut être prolongée. » Guy Patin a ajouté cette phrase et la suivante dans la marge, sans doute en deux temps. Il ne faut bien sûr pas conclure de la seconde que Patin a été emprisonné trois mois, mais simplement qu’il a mis trois mois à se remettre d’une visite au chevet d’un détenu.

10.

« je l’ai lu, ai eu du mal à le comprendre et ne l’ai pas trouvé bon. » V. note [27], lettre 477, pour Bonaventure Basset, postulant que le Collège des médecins de Lyon avait refusé d’admettre, trouvant mauvais le commentaire qu’il avait fait de l’aphorisme d’Hippocrate qu’on lui avait soumis pour connaître sa capacité médicale. Le commentaire que Basset en a rédigé est resté à l’état de manuscrit.

11.

V. note [10], lettre 125, pour Michel Le Faucheur.

12.

« Sur ces entrefaites ».

13.

Le troisième fils de Ferdinand de La Baume, comte de Montrevel (1603-1678, ici Maurevers dans la graphie de Guy Patin) était François de La Baume, chevalier de Malte. Voici ce que la Grande Mademoiselle dans ses Mémoires (début du chapitre xxvi) a écrit au sujet de leur querelle avec le duc d’Épernon et son fils, M. de Candale :

« Il se passa une grande affaire pendant que Son Altesse Royale {a} était à Paris. Le comte de Montrevel, qui est lieutenant de roi en Bresse, eut quelque démêlé avec M. d’Épernon qui est gouverneur de Bresse et Bourgogne. Ce comte en avait toujours usé, du temps que M. le Prince était gouverneur de la province, comme il faisait alors. M. d’Épernon voulut en user autrement ; de sorte qu’ils en vinrent quasi aux mains. Le comte de Montrevel fit une assemblée de ses amis ; M. d’Épernon y envoya ses gardes et même y fit marcher du canon. On leur envoya ordre de la cour de s’y rendre pour accorder leurs différends. Comme ils y furent, au lieu de les terminer on n’y songea plus ; l’affaire demeura là et tira en longueur. Comme M. de Montrevel se sentit outragé, son fils, le chevalier, envoya le marquis du Garo parler à M. de Candale. Il y fut le matin et monta dans son carrosse avec lui, lui disant qu’il lui voulait parler. Comme ils furent tous deux seuls, du Garo lui dit qu’il était bien fâché d’avoir été obligé de se charger de cette commission, mais qu’il n’avait pu refuser son ami ; que le chevalier de Montrevel désirait qu’il lui donnât satisfaction des mauvais traitements que son père avait reçus de M. d’Épernon. M. de Candale lui répondit qu’il était très fâché de ce qui s’était passé entre leurs pères, qu’il avait beaucoup d’estime pour lui, qu’il ne donnait point de rendez-vous, mais qu’il allait tous les jours dans les rues. Comme du Garo n’était pas ami particulier de M. de Candale, on s’étonna de le voir avec lui, on en eut quelque soupçon. Tout le monde en parla et on n’y donna point ordre, non plus qu’à l’affaire qui causait tout le mal. Un jour que M. de Candale passait derrière l’hôtel de Guise, à une fontaine qui est vis-à-vis l’hôtel de Saint-Denis, le chevalier de Montrevel, accompagné seulement du chevalier de La Palisse, fit arrêter son carrosse et lui dit qu’il le voulait voir l’épée à la main. M. de Candale n’avait avec lui que Rambouillet, qui n’est point d’épée. Il se jeta à bas de son carrosse, sauta à son épée qu’un page tenait. Pendant tout cela, de petits pages et laquais de M. Candale coururent à son logis, qui était devant les Petits Capucins du Marais, qui est tout proche du lieu où le chevalier de Montrevel l’attaqua, et crièrent : “ On assassine Monsieur ! ” Il sortit des valets de toutes façons et un gentilhomme, nommé La Berte, qui donna un coup d’épée par derrière au chevalier de Montrevel. Les gens de l’hôtel de Guise sortirent ; de sorte que M. de Candale remonte dans son carrosse, et on porte le chevalier à l’hôtel de Guise. Son Altesse Royale alla voir M. de Candale. Monsieur {b} y voulut aller aussi, mais le roi le lui défendit. Tous les parents du chevalier de Montrevel furent au désespoir de l’état où il était. Son mal ne dura pas longtemps sans qu’il mourût. Ils publiaient partout que c’était un assassinat, firent décréter contre La Berte, que M. de Candale chassa, et fut au désespoir de cet accident. Ses ennemis ont dit qu’il devait empêcher que l’on ne le tuât, mais ceux qui l’auront connu ne croiront pas < qu’il ait eu aucune part en cette action > car c’était un garçon plein d’honneur et de douceur, et incapable d’une mauvaise action. M. de Guise, qui est ami intime du comte de Montrevel, se déchaîna au dernier point contre M. d’Épernon et contre M. de Candale, et en dit des choses fort fâcheuses ; ce qui obligea le roi de mettre un de ses gentilshommes ordinaires auprès de M. de Candale afin d’empêcher que personne lui portât aucune parole. Ce chapitre de duels me fait souvenir que l’on renouvela les édits des duels au retour du roi, en 1652, avec une rigueur la plus grande du monde. Et assurément c’était fort bien fait, et les lois divines nous le prescrivent aussi bien que celles de nos rois, et ceux qui les font observer exactement attirent sur eux la bénédiction de Dieu. Pour pouvoir les maintenir et qu’ils fussent de plus de durée qu’ils n’avaient été par le passé, on dressa des projets de peines imposées sur tous les sujets de plaintes que les gentilshommes pouvaient avoir les uns contre les autres, et pour leur donner satisfaction ; et même on proposa de faire signer que l’on ne se battrait plus. D’abord cette proposition fut tournée en ridicule parce qu’elle avait été faite par de certains dévots qui l’étaient assez, et qu’il n’y avait eu que des estropiés qui avaient signé. On disait : “ C’est parce qu’ils ne sont pas en état d’empêcher qu’on ne leur donne sur les oreilles ; c’est pourquoi ils ont trouvé cet expédient. ” Pourtant comme l’action était bonne de soi, elle trouva des partisans ; elle fut autorisée et elle a très bien réussi, car on se bat fort peu. »


  1. Gaston d’Orléans.

  2. Philippe d’Orléans.

14.

Coup fourré : « coup qu’on porte avec furie et sans se mettre en garde, qui en fait recevoir un autre en même temps » (Furetière).

15.

Guy Patin a surchargé la fin du nom de ce conseiller, puis l’a distinctement écrit « de Séve » quelques lignes plus bas, ce qui permet de mettre en doute son identité exacte : aucun de Sève dont Popoff a décrit la carrière (no 2289) n’a en effet siégé à la Grand’Chambre du Parlement au xviie s. ; en outre, Alexandre de Sève était alors prévôt des marchands de Paris (v. note [6], lettre 367). Patin voulait probablement parler ici de Jean Sevin, monté à la Grand’Chambre en 1645 (v. note [25], lettre 39). Ma transcription propose une correction du texte en ce sens (sans avoir trouvé de source me permettant d’être catégorique sur ce point).

16.

V. notes [1], lettre 399, pour l’édit du 20 mars 1655 visant à instituer la rédaction des actes sur papier timbré, et [8], lettre 26, pour Pomponne ii de Bellièvre, permier président du Parlement de 1653 à sa mort, le 13 mars 1657.

La question xxvi, livre ii, des Œuvres de M. Claude Henrys…, {a} contenant son recueil d’arrêts, ses plaidoyers et harangues… Par M. B.J. Bretonnier, avocat au Parlement. Tome second (Paris, Nicolas Gosselin, 1708, in‑4o), Règlement notable pour le greffe des notifications {b} (pages 139‑140) résume leurs enjeux :

« Les droits qu’on établit de nouveau sont fâcheux et odieux, et l’on a quelque raison d’en empêcher, si l’on peut, l’établissement et ont été vérifiés aux cours souveraines, il en faut passer par là et consodérer que ce sont des fruits de la guerre, et quoiqu’ils soient de mauvais goût, qu’il en faut user. Puisque nous avons mérité le premier fléau et que nos péchés en sont la cause, il se faut résoudre à souffrir les maux qui en sont inséparables : c’est-àdire les subsides, les charges extraordinaires et les nouveautés.

Puisque c’est de tout temps qu’on a dit, et qu’on l’a expérimenté, que l’argent est le nerf de laguerre, il ne faut pas trouver étrange que notre monarque, ayant à soutenir une si longue et pressante guerre, soit obligé de recourir à des remèdes extraordinaires. {c}

Mais comme il se peut qu’on ait quelque répugnance à payer ces droits insolites, et même jusques à ce que l’usage les ait adoucis, aussi faut-il que ceux qui les lèvent, {d} le fassent avec quelque modération et retenue, et que bien loin d’en exiger plus, ils en prennent moins. Ils le peuvent d’utant mieux faire qu’ils en ont bon compte, et que semblables denrées sont à vil prix.

C’est ce qui nous oblige d’insérer dans ce Recueil l’arrêt et règlement donné depuis peu pour les notifications, {e} et, pour les propriétaires ou fermiers {d} de ce droit, de n’en exiger davantage qu’il est porté par les précédents règlements de la Cour. {f} C’est afin que chacun sache ce qu’il en peut devoir, et qu’on n’en demande pas aussi davantage. »


  1. Claude Henrys (1615-1662) était « conseiller du roi, et son premier avocat au bailliage et siège présidial de Forez ».

  2. La notification était l’enregistrement (taxé) des contrats privés (ce qui les rendait publics) par le greffe dit des notifications. Cela revenait à en faire du papier timbré.

  3. V. note [10], lettre 176, pour l’extraordinaire des guerres.

  4. Les traitants ou partisans qui achetaient la délégation (ferme) du roi pour percevoir les taxes et impôts.

  5. Suit un extrait de l’arrêt enregistré en Parlement le 20 avril 1657, confirmant les droits de notification et tentant de réprimer les abus des partisans chargés de les percevoir.

  6. Promulgés en janvier 1640, novembre 1655 et janvier 1656.

17.

L’empereur Ferdinand iii était mort le 2 avril. Son fils aîné Ferdinand iv (v. note [7], lettre 318), roi de Hongrie et de Bohême en 1647, roi des Romains en 1653, était mort le 9 juillet 1654 (et non en 1656 comme écrivait ici Guy Patin, qui avait pourtant mentionné ce décès dans sa lettre du 4 août 1654, v. note [5], lettre 363). Le trône impérial n’était pas assuré à son cadet, Léopold-Ignace de Habsbourg, roi de Hongrie en juin 1655, car il n’était pas encore roi des Romains. Après de longues tractations, il allait être élu empereur à la place de son père pour régner sous le nom de Léopold ier (v. note [8], lettre 432).

Poussé par Mazarin, Louis xiv allait un moment avoir l’ambition d’être élu empereur (Goubert, pages 344‑345) :

« Pourtant souffrant et en pleine guerre contre l’Espagne, Mazarin rêva, aperçut puis accomplit une opération de grand style, mélange quasi somptueux de manœuvres, de promesses, de séduction et de corruption : rien de moins que l’impossible candidature à l’Empire du jeune Louis xiv, qu’il tourna en une opération diplomatico-politique – la constitution de la Ligue du Rhin. […]
La campagne de 1657 close, Mazarin mena son pupille à Metz pour passer l’automne et recevoir maintes visites des princes et seigneurs allemands, bons catholiques et rhénans. Il faisait répandre toutes sortes de bruits contradictoires à propos de la future élection. Ayant tâté le terrain et compris que les chances de Louis xiv étaient nulles, il chercha un candidat crédible et le trouva dans la lignée des Wittelsbach, séculaire rivale des Habsbourg : c’était l’électeur de Bavière, qui pourrait au moins monnayer son ralliement et celui de ses amis au jeune Léopold […]. Dans cette perspective, le cardinal régala de banquets, de bals, de vin, d’argent et de nombreux cadeaux les électeurs ecclésiastiques et de nombreux ducs, comtes et moindres seigneurs. Un à deux millions d’or généreusement dépensés n’empêchèrent pas l’élection de Léopold, mais aboutirent à des résultats positifs. Les uns tenaient aux promesses du nouvel empereur avant son élection, les autres à la constitution, juste un mois après, de la Ligue du Rhin. »

18.

V. note [5], lettre 467.

19.

Histoire des connétables : chanceliers, et gardes des sceaux : maréchaux : amiraux, surintendants de la navigation, et généraux des galères de France : des grands maîtres de la Maison du roi, et des prévôts de Paris : depuis leur origine : avec leurs armes et blasons. Ouvrage commencé et mis au jour par Jean Le Féron, {a} l’an 1555 : revu et continué jusques à présent. Par Claude Collier, graveur de Monseigneur le duc d’Orléans. Augmenté de diverses recherches, non encore imprimées, servant au plus grand éclaircissement de ce recueil. Par Denis Godefroy, {b} conseiller et historiographe du roi. {c}


  1. Jean Le Féron, avocat au Parlement de Paris au xvie s.

  2. V. note [13], lettre 209.

  3. Paris, Imprimerie royale, 1658, in‑4o richement illustré (en couleur).

20.

« On dit proverbialement prendre martre pour renard pour dire se tromper, prendre une chose pour l’autre » (Furetière).

21.

« On aperçoit quelques rares hommes nageant sur l’immense abîme. {a} Ici comme ailleurs on vend du poivre ». {b}


  1. Virgile, Énéide, chant i, vers 118.

  2. « On trompe le monde », Horace, v. note [3], lettre 247.

22.

V. note [5], lettre 95, pour la veuve de Claude i Saumaise, née Anne Mercier.

23.

Dans ce tout premier recueil incomplet (17 lettres) des Provinciales, Blaise Pascal demeurait caché derrière son pseudonyme de Louis de Montalte. La préface n’était pas de lui, mais de Pierre Nicole (v. note [3], lettre de Charles Spon, le 15 mars 1657).

24.

Guy-Armand de Gramont (Paris 1637-Kreuznach, Rhénanie-Palatinat 1673), comte de Guiche (ou La Guiche), était le fils aîné du maréchal Antoine de Gramont (v. note [14], lettre 39). Brillant militaire, il participait alors à la dernière phase de la guerre franco-espagnole (1655-1659) et épousait Marguerite-Louise-Suzanne de Béthune (1642-1726). Le mariage ne fut pas heureux et le couple n’eut pas d’enfants. Le comte de Guiche fit partie de la bande libertine (dépravée) qui provoqua le scandale de Roissy en 1659 (v. note [3] lettre 562). Cela ne l’empêcha pas, la même année, de succéder à son père dans la charge de colonel des gardes françaises (G.D.U. xixe s. et R. et S. Pillorget). Guiche fut amant de Madame, Henrierre-Anne d’Angleterre et, dit-on, de Monsieur, Philippe d’Orléans, frère cadet de Louis xiv. La suite des lettres conte ses aventures et mésaventures de cour.

Mme de Sévigné (lettre 207, à Mme de Grignan, le 7 octobre 1671, tome i, page 361) :

« Le comte de Guiche est à la cour tout seul de son air et de sa manière, un héros de roman qui ne ressemble point au reste des hommes ; voilà ce qu’on me mande. »

La mère de la fiancée était née Charlotte Séguier, fille du chancelier ; son père était Maximilien iii-François de Béthune, duc de Sully (v. note [17], lettre 222), fils de Maximilien ii, marquis de Rosny, et petit-fils de Maximilien i de Béthune, baron de Rosny, duc de Sully, le ministre de Henri iv.

25.

« Dieux, faites que la fortune du royaume se maintienne : que je ne la voie pas s’écrouler et qu’elle n’ait pas à déplorer ma perte. »

Vers de Nicolas de Bourbon le jeune, tirés de ses Poemata [Poèmes latins], appartenant à celui qui est intitulé Gazophylax exauthoratus [le Trésor répudié] (on le trouve aussi dans le tome 5 des Mémoires ou Œconomies royales d’État, domestiques, politiques et militaires de Henri le Grand, de Maximilien de Béthune, duc de Sully, v. note [4], lettre 208).

Dans les semaines suivant l’assassinat de Henri iv (14 mai 1610), le duc d’Épernon, Concini, Vualdini le nonce du pape, l’ambassadeur d’Espagne et le P. Pierre Cotton (v. note [9], lettre 128), jésuite, confesseur du feu roi, devinrent les principaux conseillers de Marie de Médicis. Tous, elle comprise, ont été soupçonnés d’avoir plus ou moins dirigé le poignard de Ravaillac. Sully, le vieux ministre, fut mis à l’écart : la reine régente le congédia le 16 janvier 1611 et dissipa sans tarder en prodigalités le trésor conservé à la Bastille.

Dans ses Mémoires, Sully (qui s’y exprimait à la deuxième personne, par la bouche de son entourage) a résumé l’état des choses en ces termes (Amsterdam, 1725, tome onzième, pages 247‑248) :

« Toutes vos remontrances furent vaines, de quelque belle raison qu’elles pussent être accompagnées […], vous commençâtes à prendre mauvaise opinion de la forme du gouvernement à venir et à croire que l’on s’allait jeter dans des desseins tout contraires aux règles, ordres et maximes du feu roi ; car à votre retour, vous dîtes à Madame votre femme, comme à l’oreille, mais néanmoins si haut que nous le pûmes bien entendre : “ Ma mie, nous allons tomber dans la faction contraire à celle de France, et sous l’entière domination espagnole et des jésuites ; partant, c’est aux bons Français à penser à eux, et surtout aux huguenots, car ni les uns ni les autres ne demeureront plus guère en repos. ” » {a}


  1. V. note [4], lettre 796, pour ce que Sully a écrit sur l’assassinat de Henri iv. Alexandre Dumas, quant à lui, en a fait un ressort de l’intrigue de son dernier roman (Le Comte de Moret, rebaptisé Le Sphinx rouge, 1865-1866).

Sully et Henri iv représentaient une époque idéale dont Guy Patin avait la nostalgie.

26.

La Gazette a suivi de près les événements de Hollande.

27.

Les Plaidoyers et harangues de Monsieur Quarré, {a} conseiller du roi en ses conseils, avocat général au parlement de Bourgogne, baron d’Aligny, seigneur de Gouloux, jurisconsulte. {b}


  1. Gaspard Quarré (Carré dans l’orthographe de Guy Patin), baron d’Aligny (Dijon 1605-ibid. 1659), avocat général en 1641.

  2. Paris, Pierre Lamy, 1658, in‑4o de 360 pages.

28.

« de l’Ordre des minimes de François de Paule ».

29.

« sur les Vies des cardinaux illustres en doctrine et en piété » ; v. note [1], lettre 203, pour cet ouvrage de Louis Dony d’Attichy, qui ne parut qu’en 1660.

30.

V. note [15], lettre 477, pour la terre de Champigny qui se situe à six kilomètres au nord de la ville de Richelieu (v. note [30], lettre 237).

31.

« en raison d’une extrême faiblesse des parties thoraciques ».

32.

« tandis que j’écris ces lignes ».

33.

« Vale, et continuez de m’aimer comme vous faites. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 avril 1657

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(Consulté le 16/04/2024)

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