L. 480.  >
À Charles Spon,
le 8 mai 1657

< Monsieur, > [a][1]

On ne parle ici que de malheurs et de morts étranges. Hier un homme fut tué au bout du Pont-Neuf. [2] Un nommé Le Fouin frère du notaire de Mazarin, [1][3][4] ayant perdu son procès au Châtelet, [5] s’en alla poignarder son procureur dans son étude, qu’il tua sur place de quatre coups de baïonnette qu’il avait achetée pour cet effet 25 sols. Le meurtrier fut pris sur-le-champ et mis en prison. On le dit fou, je crois bien qu’il est maniaque. Dans la même rue du Foin, [2][6] une femme s’est jetée dans son puits le même jour et s’est cassé la tête. [7][8] Un homme a été trouvé faisant de la fausse monnaie [9] et presque tout nu, a été traîné dans la Conciergerie. [10] On fait le procès à la Tournelle [11] à une femme, à sa fille et à son gendre qui ont étranglé un gentilhomme nommé M. Diuville, logé chez eux, après qu’ils ont reconnu qu’il avait alentour de soi une ceinture pleine de pièces d’or. Il y en avait pour 4 000 livres. Son valet était d’intelligence, qui, pensant s’embarquer à Dieppe [12] pour se sauver en Angleterre y fut arrêté, a accusé les autres, et sont en état de mourir dans peu de jours. Ils ont déjà été condamnés d’être pendus et rompus [13] par le bailli de Sainte-Geneviève, [14] leur premier juge, cela étant arrivé sur sa justice. Tous ces malheurs font dire aux bonnes gens que c’est la fin du monde qui approche.

Cromwell [15] a encore découvert une nouvelle conspiration contre sa personne et on en a fait arrêter tous les complices. [3] La duchesse d’Orléans [16] est accouchée avant terme. Elle était grosse de trois mois, et sa fille aînée [17][18] malade de la rougeole. [4][19]

Enfin, le Parlement a cessé ses assemblées touchant les édits nouveaux que l’on voulait y faire vérifier. Ils n’en ont retenu que deux, savoir une nouvelle création de 34 secrétaires du roi à 1 000 livres de gages par an sur les gabelles, [20] et un sur les francs-fiefs ; [21] remontrance ordonnée d’être faite pour le reste. On a rompu au bout du pont Saint-Michel [22] le nommé Le Fouin qui avait tué un procureur du Châtelet nommé Colin, [23] de rage et de dépit de ce qu’il avait perdu son procès. Le 28e d’avril mourut ici, à cinq heures du soir, une des belles dames de la cour, savoir Mme de Montbazon : [24] elle n’a été que deux jours et demi-malade ; la rougeole commençait à paraître après deux saignées qu’on lui avait faites ; ce mouvement critique [25] s’arrêta tout d’un coup et præter spem omnium, statim suffocata obiit ; [5] il faut qu’il y ait eu quelque chose dans le cœur ou bien près, dans les gros vaisseaux, j’entends quelque abcès alentour du cœur ou dans le poumon, [26] aut crudum aliqod tuberculum in pulmone, id est in lævibus arteriis pulmonis[6][27] Elle avait environ 45 ans et avait été une des belles de la cour. J’ai grand regret de la mort de monsieur votre frère ; [28] l’hématophobie [29] est une dangereuse hérésie, [7] et laquelle laisse bien mourir du monde qui en pourrait échapper. Je m’étonne comment les Allemands ne se corrigent de cet abus si étrange et qui leur est si fort préjudiciable. Le bonhomme M. Mestrezat [30] est ici fort malade. [8] On a parlé d’avoir ici, à la première place vacante, un certain savant homme qui est de Genève, qui a demeuré en Zélande, nommé Alexandre Morus, [31] duquel j’ai céans deux belles harangues : De Pace et Calvinus[9] Je voudrais qu’il fût arrêté ici, je tâcherais de faire amitié avec lui. Combien que nous n’allions pas par un même chemin, cela n’empêche pas que je ne fasse grand état de lui et que je ne l’estime un fort galant homme.

Le roi [32] a réformé son Conseil des finances et en a retranché plusieurs officiers, entre autres les deux directeurs des finances, savoir MM. d’Aligre [33][34] et de Morangis, [35] les deux contrôleurs généraux, MM. Le Camus [36] et Ménardeau-Champré, [10][37] et de douze intendants il en a cassé huit ; si bien que voilà beaucoup de gages et d’appointements épargnés.

Le 4e de ce mois de mai, qui sera vendredi, Messieurs de l’Assemblée du Clergé [38] feront leur harangue de remerciement au roi, et se sépareront sans avoir fait autre chose que de bien manger le pauvre curé de village et avoir, contre leur conscience et leur honneur, fidèlement servi le Mazarin [39] et les loyolites [40] contre les pauvres jansénistes [41] et le cardinal de Retz. [42] Hélas, que le monde est méchant et dépravé ! J’ai pitié du genre humain quand je vois tant de fourberies. Populus, lex, rex, grex, mundus omnis facit histrioniam ; non est qui faciat bonum, non est usque ad unum[11][43][44] Je viens d’apprendre que Messieurs du Clergé, dans cette dernière assemblée, ont mangé, aux dépens du crucifix et des pauvres bénéficiers, 1 500 000 livres.

M. de Tournes, [45] libraire de Genève, est ici. Je le trouve fort honnête homme et très civil, nous n’avons point ici de gens de ce métier-là si courtois et si gracieux. Il fait ici graver le portrait de Paracelse [46] en taille-douce pour mettre au-devant du livre avec plusieurs éloges que je lui conseille d’y mettre, et dont je lui ai offert mémoire. Tout l’ouvrage sera d’environ 600 feuilles, si bien qu’il en faudra faire trois volumes. C’est trop pour un méchant livre, magnus liber, magnum malum ; [12] mais tout méchant qu’il est, il a trouvé des marchands à Genève qui l’ont réimprimé, et je n’en saurais trouver pour les écrits que nous a laissés feu M. Hofmann, [47] notre bon ami, à quoi je ne sais aucun remède : turbidis hisce imo turbatissimis temporibus, quorum finem qui Deus dabit ? [13] Notre État est bien malade d’être aussi longtemps entre les mains de gens d’Église. Pour nos libraires de Paris, je n’en veux rien espérer, ils n’impriment rien à leurs dépens que des romans utriusque sexus[14] j’entends des livres d’amourettes ou de méchants livres de nouvelle dévotion, des visions ou des rêveries de moines, des miracles, [48] des révélations, des cordons de saint François, des ceintures de sainte Marguerite, [49] aut alia similia morientis sæculi deliria, quibus delendis imparem esse puto nostrum Æsculapium[15] C’est pourquoi il faut prier Dieu qu’il nous donne patience, et faut que nous la prenions puisqu’il l’a lui-même si grande. Vous savez ce que chante l’Église, Patiens nimis et multum misericors Dominus[16] Vraiment il y paraît bien, en ce misérable temps, que nous sommes entre les mains d’un prêtre ou au moins d’un cardinal italien, d’une femme espagnole [50] et d’un jeune roi : Væ tibi, terra, cuius rex puer est, et in qua principes comedunt mane ! [17][51] Ne diriez-vous point, si vous ne me connaissiez déjà d’ailleurs, qu’en cas de nécessité je serais un étrange prêcheur ? Oui certes, pour ne juger qu’à la huguenote, [52] mais je ferais le sermon bien court ; autrement je ferais comme les autres, je dirais bien des fadaises, bien des extravagances, auxquelles je ne croirais point non plus qu’eux : ad populum phaleras ! [18][53]

Les marchands sont ici fort réjouis de ce que la flotte d’Espagne est heureusement arrivée et que les Anglais n’ont pu l’attraper, ils disent que cela s’en va rétablir le commerce qui était fort interrompu. Cette nuit à deux heures du matin est mort de ses plaies le pauvre chevalier de Montrevel [54] qui a été assommé par les gens de M. de Candale [55] fort malheureusement ; [19] et à huit heures du matin est mort M. de Mestrezat, autre ministre de la parole de Dieu, en son église retirée, à Charenton. [56] Nouvelles sont arrivées que M. le président de Thou [57] est arrivé en Hollande, mais qu’il n’y a pas été reçu en ambassadeur, que l’on n’est pas venu au-devant de lui ; [20] ce qui fait croire que les Hollandais ne veulent point de notre amitié si nous ne leur faisons raison de tant de vaisseaux qu’ils nous redemandent et qu’ils se plaignent leur avoir été enlevés par nos chevaliers de Malte [58] qui rôdent et qui volent sur la mer Méditerranée, avec le consentement de celui qui a sa part du butin. Iupiter Capitolinus sex cardinales creavit. Iosephus Scaliger homines illos de novo purpuratos factos eleganter vocabat fungos Vaticanos[21][59][60][61] Ce sont des potirons à qui la tête rougit en une nuit par une influence secrète de ce Jupiter qui préside aux sept montagnes de l’Apocalypse. [22][62]

Le 6e de mai, il est ici survenu un gros débat, ou plutôt querelle non préméditée, entre M. de Vendôme [63] et M. d’Épernon, [64] à la porte de la chambre du roi. Toute la cour en fut aussitôt divisée en deux partis. Le roi en ayant été averti, les envoya tous deux à la Bastille [65] où ils ont couché une nuit. Le lendemain, le roi les a envoyé quérir et les a accordés, mais avec quelques menaces à M. d’Épernon, etc. [23] Ce même lundi le roi est parti d’ici avec toute sa cour pour Compiègne, [66] dans un carrosse à huit chevaux, à midi sonnant. Le roi a commandé à M. d’Épernon de se retirer en son gouvernement de Bourgogne et à M. de Vendôme d’aller en Picardie avec lui. Le roi a réglé son Conseil privé [67] avant que de partir, et l’a réduit à douze ordinaires qui serviront toute l’année et à 14 autres qui seront semestres, sept d’iceux durant six mois et les sept autres durant les six autres mois ; de sorte qu’il y aura toujours 19 conseillers d’État à chaque séance du Conseil, sans M. le chancelier et les maîtres des requêtes.

La duchesse d’Orléans n’est plus grosse et ne l’a pas été : ce n’était qu’une suppression [24] qui a fait faire à Guénault [68] un voyage à Blois, [69] d’où il est revenu tout tel qu’auparavant, j’entends aussi méchant, aussi charlatan et autant déterminé à tout pourvu qu’il y ait des écus blancs à mettre dans son saquet : sunt verba hominis super omnia lucro addicti[25]

Les jésuites ont envie de pousser les jansénistes jusqu’au bout. Ils ont obtenu une déclaration du roi avant son départ, en faveur des deux bulles des deux derniers papes, [26][70][71] qu’ils ont fait approuver et confirmer par le Clergé lorsque leur assemblée durait. Ils l’ont présentée au parquet afin de la faire venir à la Grand’Chambre pour l’y faire vérifier. Les cinq Chambres des enquêtes en ont eu l’avis et ont formé opposition afin que la Grand’Chambre n’en puisse jamais rien délibérer que les cinq Chambres n’y aient été appelées. Cette déclaration ne passera jamais et je crois que les loyolites, malignum hominum genus[27] n’auraient jamais eu l’impudence d’entreprendre cela si feu M. le premier président de Bellièvre [72] vivait encore. [28] Voilà comment les charlatans offensent le public aussi bien que les particuliers. Je me recommande à vos bonnes grâces et je suis, Monsieur, votre très humble, etc.

De Paris, ce 8e de mai 1657.


a.

Reveillé-Parise, no cccvii (tome ii, pages 307‑313).

1.

Ce criminel devait être frère de François Le Fouin ou Fouyn, notaire garde-note au Châtelet de Paris, qui a exercé du 20 février 1650 au 25 avril 1670 rue Coquillère, paroisse Sainte-Eustache (Notaires de Paris, étude xcv).

D’abondantes archives attestent que Mazarin employa régulièrement les services de ce notaire, jusqu’au recueil de sa déclaration (Vincennes, le 6 mars 1661) qui fondait à Paris le Collège des Quatre-Nations : c’est le splendide bâtiment qui abrite aujourd’hui l’Institut de France et la Bibliothèque mazarine, quai Conti ; il convient de ne pas le confondre avec les quatre nations qui formaient la Faculté des arts (v. note [8], lettre 679). Félix et Louis Lazare ont transcrit la donation du cardinal dans leur Dictionnaire administratif et historique des rues et monuments de Paris (Paris, Bureau de la Revue municipale, 1855, 2e édition), au mot Institut de France, première partie, pages 434‑435.

2.

Proche de la place des Vosges (alors place royale), la rue du Foin existe toujours, dans le iiie arrondissement de Paris. Le nom du notaire de Mazarin (qui précède) est aussi écrit Foin (pour Le Fouin) dans Reveillé-Parise, ce qui laisse planer un doute sur l’exactitude de la transcription.

3.

Des opposants au Protectorat britannique, pour la plupart anciens niveleurs (levellers, radicaux prônant l’abolition de la propriété privée et de l’égalité des droits), complotaient depuis un an contre Cromwell. Plusieurs tentatives d’attentat avaient échoué. Leur meneur, Edward Sexby, agissait depuis les Pays-Bas espagnols. Son principal exécutant, Miles Sindercombe, avait été arrêté tandis qu’il tentait d’incendier le palais de Whitehall où résidait Cromwell. Condamné en février 1657 à être pendu puis écartelé, il s’était suicidé dans la Tour de Londres, la veille de son exécution, en prenant du poison. Sexby le déclara martyr to the Good Old Cause [martyr de la bonne vieille Cause]. Arrêté quelques mois plus tard, Sexby fut emprisonné et mourut d’une fièvre en janvier 1658, avant d’être mis en jugement et sans avoir livré les noms de tous les conjurés (Plant).

4.

Premier enfant né du second mariage de Gaston d’Orléans avec Marguerite de Lorraine, Marguerite-Louise d’Orléans, Mlle d’Orléans (1645-1721), allait devenir grande-duchesse de Toscane en épousant (1661) Cosme iii de Médicis (v. note [6], lettre 652).

5.

« et contre l’espérance de tous, elle mourut suffoquée aussitôt » (v. note [3], lettre 228, pour la « crise » médicale, ici fatale).

6.

« ou bien quelque tubercule cru dans le poumon, [v. note [10], lettre 725] c’est-à-dire dans les artères lisses du poumon [v. note [15], lettre 433]. »

Hormis cette supposition diagnostique (pouvant faire évoquer une embolie pulmonaire), Guy Patin ne disait rien de bien extraordinaire sur la mort de la duchesse de Montbazon (v. note [4], lettre 252). Elle a pourtant fait couler des flots d’encre car elle coïncida avec la retraite à la Trappe (à Soligny, dans le Perche) d’Armand-Jean Le Bouthillier, abbé de Rancé. D’abord il y eut un ouvrage de Daniel de La Roque, Les véritables Motifs de la conversion de l’abbé de la Trappe, avec quelques réflexions sur sa vie et sur ses écrits, ou les Entretiens de Timocrate et de Philandre sur un livre qui a pour titre : Les saints Devoirs de la Vie monastique (Cologne, Pierre Marteau, 1685, in‑12), où se lisent (pages 25‑28) ces macabres détails :

« Philandre. […] Je vous ai déjà dit que l’abbé de la Trappe était un homme galant et qui avait eu plusieurs commerces tendres. Le dernier qui ait éclaté fut avec une duchesse fameuse par sa beauté et qui, après avoir heureusement évité la mort au passage d’une rivière, la rencontra peu de mois après dans la petite vérole, dont elle fut attaquée l’an 1657. […]

L’abbé, qui allait de temps en temps à la campagne, y était lorsque cette mort imprévue arriva. Ses domestiques, qui n’ignoraient pas sa passion, prirent soin de lui cacher ce triste événement qu’il apprit à son retour d’une manière fort cruelle. Car montant tout droit à l’appartement de la duchesse, où il lui était permis d’entrer à toute heure, au lieu des douceurs dont il croyait aller jouir, il y vit pour premier objet un cercueil qu’il jugea être celui de sa maîtresse en remarquant sa tête toute sanglante qui était par hasard tombée de dessous le drap dont on l’avait couverte avec beaucoup de négligence, et qu’on avait détachée du reste du corps afin de gagner la longueur du col et éviter ainsi de faire un nouveau cercueil qui fût plus long que celui dont on se servait, et dont on avait si mal pris la mesure qu’il se trouvait trop court d’un demi-pied. »

Saint-Simon a refusé de croire une telle horreur (Mémoires, tome i, pages 521‑522) :

« La princesse de Guéméné morte duchesse de Montbazon en 1657, mère de M. de Soubise, était cette belle Mme de Montbazon dont on a fait ce conte, qui a trouvé croyance, que l’abbé de Rancé, depuis ce célèbre abbé de la Trappe, en était fort amoureux et bien traité ; qu’il la quitta à Paris se portant fort bien, pour aller faire un tour à la campagne ; que bientôt après, y ayant appris qu’elle était tombée malade, il était accouru et qu’étant arrivé brusquement dans son appartement, le premier objet qui y était tombé sous ses yeux avait été sa tête, que les chirurgiens, en l’ouvrant, avaient séparée ; qu’il n’avait appris sa mort que par là, et que la surprise et l’horreur de ce spectacle, joint à la douleur d’un homme passionné et heureux, l’avaient converti, jeté dans sa réforme. Il n’y a rien de vrai en cela, mais seulement des choses qui ont donné cours à cette fiction. […] Mme de Montbazon mourut de la rougeole en fort peu de jours. M. de Rancé était auprès d’elle, ne la quitta point, lui vit recevoir les sacrements et fut présent à sa mort. La vérité est que, déjà touché et tiraillé entre Dieu et le monde, méditant déjà depuis quelque temps une retraite, les réflexions que cette mort si prompte fit faire à son cœur et à son esprit achevèrent de le déterminer ; et peu après, il s’en alla en sa maison de Véretz, en Touraine, qui fut le commencement de sa séparation du monde ».

Romantique jusqu’à la moelle, François-René de Chateaubriand (Vie de Rancé, Paris, Garnier Frères, 1844, livre ii, pages 63-67) n’a pas suivi Saint-Simon :

« Tous les poètes ont adopté la version de La Roque, tous les religieux l’ont repoussée ; ils ont eu raison, puisqu’elle blessait la susceptibilité de leurs vertus, puisqu’ils ne pouvaient pas détruire le récit de La Roque par un démenti appuyé d’un document irrécusable. […]

On prétend qu’on montrait à la Trappe la tête de Mme de Montbazon dans la chambre des successeurs de Rancé, ce que les solitaires de la Trappe ressuscitée rejettent. […]

Dès le jour de la mort de Mme de Montbazon, Rancé prit la poste et se retira à Véretz : il croyait trouver dans la solitude des consolations qu’il ne trouvait dans aucune créature. La retraite ne fit qu’augmenter sa douleur ; une noire mélancolie prit la place de sa gaieté, les nuits lui étaient insupportables ; il passait les jours à courir dans les bois, le long des rivières, sur les bords des étangs, appelant par son nom celle qui ne lui pouvait répondre. »

7.

Littré DLF a utilisé cette phrase de Guy Patin pour illustrer sa définition du mot hématophobie, ou opposition à la pratique de la saignée ; v. note [6], lettre de Charles Spon, le 24 avril 1657, pour la mort de Paul Spon, son frère cadet, qui en fut, disait-il, victime à Breslau.

8.

Jean Mestrezat (Genève 1592-Paris 1657) avait étudié à Saumur avant d’être nommé, dès l’âge de 22 ans, ministre à Charenton (v. note [18], lettre 146). Au nom du calvinisme, il avait soutenu maintes controverses publiques contre le jésuite Véron, le P. Regourd et contre l’abbé de Gondi, futur cardinal de Retz, qui en a parlé dans ses Mémoires (année 1642, pages 259‑260) :

« Je trouvai par hasard Mestrezat, fameux ministre de Charenton, chez Mme d’Harambure, huguenote, précieuse et savante. Elle me mit aux mains avec lui par curiosité. La dispute s’engagea, et au point qu’elle eut neuf conférences de suite en neuf jours différents. M. le maréchal de La Force et M. de Turenne se trouvèrent à trois ou quatre. […] J’avais eu quelque avantage sur lui dans la cinquième, où la question de la vocation fut traitée. Il m’embarrassa dans la sixième, où l’on parlait de l’autorité du pape, parce que, ne voulant pas me brouiller avec Rome, je lui répondais sur des principes qui ne sont pas si aisés à défendre que ceux de Sorbonne. Le ministre s’aperçut de ma peine, il m’épargna les endroits qui eussent pu m’obliger à m’expliquer d’une manière qui eût choqué le nonce. Je remarquai son procédé ; je l’en remerciai au sortir de la conférence, en présence de M. de Turenne, et il me répondit ces propres mots : “ Il n’est pas juste d’empêcher M. l’abbé de Retz d’être cardinal. ” Cette délicatesse n’est pas, comme vous voyez d’un pédant de Genève. »

Mestrezat jouit d’une grande considération parmi ses coreligionnaires. Il présida le synode réuni à Charenton en 1631, lequel se montra remarquable par sa modération et par sa sollicitude pour l’enseignement dans les académies. Mestrezat ne fut pas seulement un homme d’un beau caractère et un éminent prédicateur, il fut aussi un savant et un écrivain fécond (G.D.U. xixe s.). On a notamment de lui :

9.

V. notes [63], lettre 211, pour le De pace [De la Paix] (Genève, 1647), et [11], lettre 226, pour le Calvinus [Calvin] (ibid, 1648) d’Alexandre More (Morus).

10.

Étienne ii d’Aligre (1592-1677), fils d’Étienne i (v. note [4], lettre 133), fut comme lui garde des sceaux (1672, au lendemain de la mort de Séguier) et ensuite chancelier (1674). Conseiller au Grand Conseil en 1615, il avait été ambassadeur à Venise.

V. notes : [31], lettre 223, pour Antoine de Barillon, seigneur de Morangis ; [2], lettre 233, pour Antoine Le Camus ; et [143], lettre 166, pour Claude Ménardeau, seigneur de Champré, qui suivent.

11.

« peuple, loi, roi, troupeau, le monde entier joue la comédie ; {a} il n’y en a aucun, pas même un, qui fasse le bien. » {b}


  1. Dominicus Baudius, v. notule {e}, note [37] du Patiniana I‑3.

  2. Psaumes, 13:3.

12.

« grand livre, grand malheur » (v. note [22], lettre 14).

V. note [8], lettre 392, pour les Opera omnia de Paracelse publiées à Genève par Samuel et Jean-Antoine de Tournes en 1658 (3 tomes en 2 volumes in‑fo).

En tête du 1er volume, le portrait de Paracelse par Jacopo Robusti, dit Le Tintoret (Venise 1518-ibid. 1594), gravé par François Chauveau (Paris 1613-ibid. 1676), est surmonté de cette devise :

Alterius non sit qui suus esse potest

[Que n’appartienne pas à un autre celui qui peut appartenir à soi-même].

Au-dessous, se lisent ces vers :

Aureolus Philippus Theophrastus
Bombast ab Hohenheim, dictus Paracelsus

Stemmate nobilium genitus Paracelsus avorum.
Qua vetus Helvetia claret Eremus humo,
Sic oculos, sic ora tulit, cum plurima longum
Discendi studio per loca fecit iter.
Lustra novem et medium vixit : lustro ante Lutehrum,
Postque tuos lustro functus, Erasme, rogos.
Astra quater sena Septembris luce subivit :
Ossa Saliburgæ nunc cineresque iacent.

I. Tintoret ad vivum pinxit, F. Chauveau sculpsit.

[Philip Aureolus Theophrastus Bombas von Hohenheim, dit Paracelse

Paracelse est descendu d’une race de nobles ancêtres. Par elle, ce solitaire de illumine le sol helvète, tel fut son regard, telle fut sa bouche, quand il chemina longtemps par tant de lieux pour s’adonner à l’étude. Il a vécu quarante-sept ans et demi : il est mort cinq ans avant Luther, et cinq ans après tes funérailles, Érasme. Il est monté au firmament un vingt-quatrième jour de septembre. {a} Ses os et ses cendres reposent maintenant à Salzbourg.
Le Tintoret l’a peint de son vivant, F. Chauveau l’a gravé].


  1. Né en 1493, Paracelse est mort le 24 septembre 1541. Luther mourut le 18 février 1546, et Érasme le 12 juillet 1536.

13.

« quel Dieu mettra un terme à ces temps troublés et même extrêmement agités ? »

V. notes [13] et [14], lettre 150, pour les manuscrits des Chrestomathies de Caspar Hofmann et ceux de ses trois traités physiologiques, qui désespéraient Guy Patin, leur détenteur, après l’échec de leur publication par le libraire de Lyon, Pierre Rigaud (v. note [3], lettre latine 28).

14.

« de l’un et l’autre sexe ».

15.

« ou autres semblables extravagances de notre siècle moribond, et je crois que notre Esculape [v. note [5], lettre 551] aurait été sans égal pour les détruire. »

L’allusion de Guy Patin portait sans doute sur l’un des grands maîtres de l’École médicale parisienne, Jean Fernel ou Simon ii Piètre. Dans sa lettre 318 (v. sa note [16]), il a parlé de la ceinture des augustins, qui n’était pas celle de sainte Marguerite, mais de sainte Monique.

La ceinture est l’un des attributs iconologiques de sainte Marguerite d’Antioche, vierge martyre du iiie s. Il en existait alors quatre exemplaires en France, elle avait la réputation d’assurer une heureuse délivrance après qu’on en avait ceint le ventre d’une femme grosse.

16.

« Notre Seigneur est rempli d’amour et de miséricorde. »

17.

« Malheur à toi, terre, dont le roi est un enfant et où les princes dévorent de bonne heure ! » (L’Ecclésiaste, v. note [21], lettre 177).

18.

« Du clinquant bon pour le peuple [À d’autres, mais pas à moi !] » (Perse, v. note [16], lettre 7).

Par « juger à la huguenote », Guy Patin entendait probablement « juger objectivement », mais je n’en ai pas trouvé confirmation ailleurs.

19.

V. note [13], lettre 478.

20.

Gazette, ordinaire no 60 du 19 mai 1657 (pages 476‑477) :

« D’Amsterdam, le 10 mai 1657. Le président de Thou, ambassadeur de France, {a} continue ses soins pour le rétablissement d’une parfaite intelligence entre nos deux nations ; mais la plupart de ceux qui sont dans le gouvernement s’aigrissent si fort d’eux-mêmes, quelque nécessité qu’aient ces Provinces de donner entière satisfaction à Sa Majesté très-chrétienne si elles veulent continuer leur navigation, que l’on ne sait encore qu’en espérer. La réponse qui fut délivrée à cet ambassadeur le 7e de ce mois par huit députés des États généraux, ensuite d’une grande assemblée qu’ils avaient tenue le jour précédent, au lieu de la restitution des deux vaisseaux pris par le vice-amiral Ruyter {b} et de la punition que mérite son procédé, condamné par toutes les personnes désintéressées, contenant en substance qu’avant toutes choses on doit faire raison sur les dommages soufferts par les sujets desdits États depuis l’année 1640, outre la restitution qu’ils demandent de grand nombre de vaisseaux et l’exécution de diverses sentences rendues à leur profit, avec main-levée des marchandises et autres effets depuis peu arrêtés en France. Après quoi lesdits États s’offrent de rendre les deux vaisseaux dont est question, même de faire un traité de marine et renouveler les anciennes alliances. Cette réponse ayant été suivie des défenses qui se doivent publier par toutes les provinces, comme elles l’ont déjà été en celle de Hollande, d’y apporter aucunes marchandises ou manufactures de France. De sorte que les affaires semblent être ici disposées à une rupture, mais à laquelle les plus sensés auront beaucoup de peine à se résoudre, vu que les Provinces seules, qui n’ont presque point d’autre subsistance que le commerce, en recevraient les principales incommodités ; outre qu’elles auraient peine à se garantir du reproche que leur pourraient faire les autres nations de s’être volontairement mises mal avec la France qui, dans leurs plus grandes nécessités, les a toujours si utilement secourues. »


  1. V. note [36], lettre 294.

  2. V. note [1], lettre 876.

Ordinaire no 63 du 26 mai 1657 (pages 499‑500) :

« D’Amsterdam, le 17 mai 1657. On continue d’équiper ici grand nombre de vaisseaux, les uns pour renforcer l’escadre du vice-amiral Ruyter, et quelques autres pour croiser sur les côtes de France ; en attendant que ceux qui nous gouvernent aient fait prendre aux affaires un train plus favorable à notre navigation et moins désavantageux à ces Provinces, dont quelques-unes commencent déjà à se lasser bien fort de tous ces désordres, lesquels ne peuvent causer que de très grands dommages ; ce qui leur fait souhaiter un prompt accommodement, que l’ambassadeur d’Espagne [don Estévan de Gamarre] tâche par tous les moyens de traverser par les offres qu’il fait, au nom du roi son maître, tantôt de quelques troupes entretenues, tantôt de sommes immenses, et enfin de mettre les États généraux en possession de quelques places importantes, pour assurance du traité. Mais comme l’on est ici que trop bien instruit de la façon d’agir des Espagnols, aucune de ces Provinces ne paraît pas même tant soit peu touchée des offres de cet ambassadeur, qui partit de La Haye le 11e de ce mois pour aller à Bruxelles où il avait été mandé par Dom Juan d’Autriche. »

21.

« Le Jupiter capitolin [le pape était celui qui avait sa part du butin des chevaliers de Malte] a nommé six cardinaux. Joseph Scaliger appelait spirituellement “ champignons du Vatican ” ces hommes qui viennent de recevoir la pourpre » (v. note [10], lettre 53).

Ces six premiers cardinaux nommés par Alexandre vii étaient tous italiens : Flavio Chigi (neveu du pape, v. note [1], lettre 735), Camillo Melzi, Giulio Rospigliosi (élu pape en 1667, sous le nom de Clément ix), Nicolo Guido di Bagno, Girolamo Buonvisi et Francesco Paolucci.

22.

Allusion antipapiste aux sept collines de Rome : Capitolin, Palatin, Aventin, Cœlius, Esquilin, Quirinal et Viminal.

Apocalypse de saint Jean (17:9) :

Et hic est sensus qui habet sapientiam. Septem capita septem montes sunt super quos mulier sedet et reges septem sunt.

[Et c’est ici qu’il faut avoir de l’intelligence et de la sagesse. Les sept têtes sont les sept collines sur lesquelles la femme est assise, et elles sont aussi sept rois].
23.

Le récit de Guy Patin était conforme à ce qu’en a écrit la Grande Mademoiselle (Mlle de Montpensier, Mémoires, chapitre xxvi) :

« M. d’Épernon et M. de Candale m’envoyèrent faire des excuses de quoi ils ne me venaient pas voir à Juvisy. Ils avaient eu ordre du roi de sortir de Paris sur leur démêlé de M. de Vendôme et de M. d’Épernon. Trois ou quatre jours devant le départ du roi, {a} ils se trouvèrent à la porte de sa chambre ; l’un entrait et l’autre sortait ; ils se poussèrent. Cela fut vu, on le dit au roi, qui les envoya tous deux à la Bastille où ils couchèrent une nuit ou deux, puis eurent ordre de sortir de Paris. M. de Beaufort s’en approcha. {b} Cela fit grand bruit, et comme nous étions à Fontainebleau, le duc de Vitry y vint voir M. de Beaufort, qui nous dit que M. de Candale devait passer, et M. d’Épernon aussi. Je dis à M. de Beaufort qu’il fallait, si cela rencontrait, que je les accommodasse ; à quoi je le trouvai peu disposé. » {c}


  1. Le dimanche 6 mai 1657.

  2. S’en mêla.

  3. Le motif de la querelle était la mort du chevalier de Montrevel après son altercation avec le comte de Candale.

24.

Suppression de menstrues (aménorrhée).

25.

« c’est la devise d’un homme qui est par-dessus tout accroché au gain. » Un saquet est un « petit sac, sachet » (Littré DLF, qui cite ce passage de Guy Patin).

26.

Les bulles Cum occasione d’Innocent x (1653) et Ad sacram d’Alexandre vii (1656) condamnant les Cinq Propositions des jansénistes et instituant le Formulaire (v. note [9], lettre 733).

27.

« espèce d’hommes malfaisante ».

28.

De son vivant, le premier président Pomponne ii de Bellièvre ne faisait pas mystère de ses sympathies jansénistes. « Les jansénistes, devenus moins difficiles sur leurs alliés, perdirent beaucoup à sa mort », avec une anecdote fort parlante (Sainte-Beuve, Port-Royal, livre iii, chapitre vii ; tome ii, pages 79‑781) :

« Le jour de la Purification, 2 février, on arrêta Savreux, {a} l’un des libraires et imprimeurs ordinaires de Port-Royal. […] Les deux autres libraires de Port-Royal, Le Petit et Desprez, furent avertis à temps pour prendre leurs précautions. On mit les scellés à leur imprimerie, mais le lendemain un des garçons de < Le > Petit alla trouver le premier président de Bellièvre avec la seconde Provinciale toute fraîche, voulant lui prouver par là qu’on n’avait pu l’imprimer chez Le Petit où il y avait le scellé. Le président de Bellièvre, qui d’ailleurs était bien intentionné, se laissa convaincre et fit lever le scellé, enchanté de plus d’avoir par l’occasion les prémices {b} de la seconde Lettre. Il se faisait apporter exactement toutes les suivantes dès qu’elles paraissaient et s’en régalait à plaisir. Pascal, par manière de remerciement, a trouvé moyen de le citer avec éloge dans la huitième. »


  1. En 1656, après la publication de la première Provinciale par le libraire Charles Savreux (v. note [44] des Déboires de Carolus).

  2. La primeur.

Dans cette huitième Provinciale, au jésuite qui lui explique que la corruption des juges peut se justifier, Louis de Montalte (Blaise Pascal) répond (page 129) :

« Mon Révérend Père, je suis surpris de cette permission que les premiers magistrats du royaume ne savent pas encore. Car M. le premier président {a} a apporté un ordre dans le Parlement pour empêcher que certains greffiers ne prissent de l’argent pour cette sorte de préférence : ce qui témoigne qu’il est bien éloigné de croire que cela soit permis à des juges ; et tout le monde a loué une réformation si utile à toutes les parties. Le bon père, surpris de ce discours, me répondit : Dites-vous vrai ? Je ne savais rien de cela. Notre opinion n’est que probable. Le contraire est probable aussi. En vérité, mon Père, lui dis-je, on trouve que M. le premier président a plus que probablement bien fait, et qu’il a arrêté par là le cours d’une corruption publique et soufferte durant trop longtemps. J’en juge de la même sorte, dit le père ; mais passons cela, laissons les juges. Vous avez raison lui dis-je ; aussi bien ne reconnaissent-ils pas assez ce que vous faites pour eux. Ce n’est pas cela, dit le père ; mais c’est qu’il y a tant de choses à dire sur tous, qu’il faut être court sur chacun. »


  1. Pomponne ii de Bellièvre.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 mai 1657

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(Consulté le 24/04/2024)

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