L. 501.  >
À Claude II Belin,
le 8 novembre 1657

Monsieur, [a][1]

Je me souviendrai dans l’occasion de vous acheter ce que je trouverai des Déclamations de Melanchthon, [2] hormis le premier tome que vous avez. Les Disputes de Thomas Erastus [3] contre Paracelse [4] sont très rares. [1] Je suis après à faire imprimer toutes ses œuvres, in‑fo. Ha que ce serait un bon livre ! Auro contra charus[2][5] il serait un des premiers après Fernel. [6] Il y a ici un homme qui marchande avec moi et qui a bien de la peine à y mordre ; toute cette difficulté ne vient qu’à cause de la guerre, de la cherté du papier et de la rareté des ouvriers. Je n’ai point vu ce Regimen sanitatis de Magninus ni sa Pratique[3][7] toutes ces vieilles pratiques sont barbares, il n’y en a point une qui vaille celle de Jacques Houllier [8] cum enarrat. Dureti[4][9] On imprime en Hollande bien plus malsainement qu’à Paris, et si on imprime l’Erastus, ce sera à Lyon ou à Genève.

Le roi [10] est ici arrivé le lundi 5e de novembre avec toute la cour. Le Mazarin [11] se porte bien, il paraît seulement sur son visage qu’il a été un peu malade. Le même jour mourut ici M. d’Elbeuf [12] le père, ex utroque hydrope, hepatico et thoracico[5] Les Espagnols ont voulu chasser les Anglais de Mardyck, [13] mais M. de Turenne, [14] qui est là auprès avec notre armée, les a fait retirer, et en cette retraite ils ont perdu environ 500 hommes. Le duc de Mantoue [15] a cédé Casal [16] aux Espagnols qui, en récompense, lui ont donné Crémone ; [17] l’échange est fait de part et d’autre. Le prince de Conti [18] est ici. La reine de Suède [19] est encore à Fontainebleau [20] où l’on dit qu’elle s’ennuie fort. Le roi de Suède [21] est tout abattu, et le roi de Pologne [22] rétabli. [23] On dit que le roi s’en retournera à Metz [24] dès le commencement du carême à cause des affaires d’Allemagne. [25] Une sœur du Mazarin, [26] religieuse en Italie, vient ici pour y être abbesse de Poissy [27] à la place d’une tante du cardinal de Retz, [6][28] laquelle a 83 ans, et qui la recevra pour sa coadjutrice. Vale et me ama.

Tuus ex animo, G.P. [7]

De Paris, ce 8e de novembre 1657.


a.

Ms BnF no 9358, fo 168, « À Monsieur/ Monsieur Belin/ Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cxxxvi (tome i, pages 231‑232).

1.

V. notes [1], lettre 497, pour les Selectionæ Declamationes de Melanchthon en 2 volumes in‑8o (Strasbourg, 1566-1569), et [6], lettre 71, pour les Disputationes de medicina nova Philippi Paracelsi d’Erastus (Bâle, 1572-1573).

2.

« Il vaudrait son pesant d’or », v. note [5], lettre 76.

3.

Magninus Mediolanensis est le nom d’un prétendu médecin de Milan au xive s., mais il s’agit d’un très probable pseudonyme d’Arnauld de Villeneuve. {a} On lui attribue le : {b}

Regimen sanitatis Magnini mediolanensis medici famosissimi attrebacensi episcopo directum. Insuper opusculum de fleubotomia editum a perspicacis ingenii viro magistro Reginaldo de villa nova. Additur quoque astronomia Hippocratis facile omnium medicorum principis de variis egritudinibus et morbis. Item secreta Hippocratis. Item Averrois de venenis. Item quid pro quo appotecariorum nuperrime castigatum accuratissimeque per peritissimum artis medice cultorem magistrum Nicholaum Rabby recognitum. Cum nonnullis insuper Avicenne ac plerumque aliorum auctorum in margine cartharum insertis.

[Régime de santé de Magninus de Milan, très fameux médecin, écrit sur l’ordre l’évêque d’Arras. {c} Avec : un opuscule sur la phlébotomie mis au jour par Maître Reginaldus de Villanova, {d} homme de profonde intelligente ; l’astronomie d’Hippocrate, de loin le premier de tous les médecins, sur les divers malaises et maladies ; les secrets d’Hippocrate ; Averroès sur les poisons ; un qui pro quo des apothicaires que Nicholaus Rabby {e} a tout récemment blâmé et dénoncé grâce à sa connaissance très éprouvée de l’art médical ; ainsi que quelques commentaires d’Avicenne et de maints autres auteurs qui ont été insérés dans les marges des pages]. {f}


  1. Médecin de Montpellier mort en 1313 (v. note [1], lettre 62), l’un des commentateurs de la Schola Salernitana [École de Salerne], attribuée à Jean de Milan (v. notes [4], lettre 12, et [19], lettre 236). Selon Éloy et d’autres, Arnauld de Villeneuve aurait emprunté le nom de Magninus pour éviter les blâmes de ses ennemis.

  2. Magninus (Maino De Maineri), supposé mort en 1368, n’est connu que par cet ouvrage.

  3. Andrea Ghini de Malpighi, natif de Florence, évêque d’Arras de 1331 à sa mort, en 1334.

  4. Réginald est un autre prénom utilisé par Arnauld de Villeneuve.

  5. Autre pseudonyme probable d’Arnauld de Villeneuve ; v. note [15], lettre 88 pour la définition d’un qui pro quo d’apothicaire.

  6. Paris, Jehan Petit, 1506, in‑8o de 256 pages, pour la première de nombreuses éditions.

La question d’attribution ne se pose pas pour l’auteur du livre que Guy Patin entendait sans doute ici par la pratique de Magninus :

Breviarium practicæ excellentissimi Reinaldi de villanova medici quondam s.d.d. nostri pontifici a capite usque ad plantam pedis cum capitulo generali de urinis, et tractatu de omnibus febribus peste epiala et liparia.

[Abrégé de pratique de l’excellentissime Reinaldus de Villanova, jadis médecin de notre saint père le pape, depuis la tête jusqu’à la plante du pied, avec un chapitre général sur les urines, et un traité sur toutes les fièvres, pestilentes, intermittentes et continues]. {a}


  1. Sans lieu ni nom, 1485, in‑8o de 208 pages.

4.

« avec les commentaires de [Louis] Duret » (v. note [9], lettre 131).

5.

« d’une double hydropisie, à la fois hépatique et thoracique ». Cette assertion de Guy Patin pourrait aujourd’hui correspondre à une double défaillance, cardiaque et hépatique : une insuffisance cardiaque grave peut retentir sur le foie, jusqu’à y provoquer une cirrhose.

6.

Louise de Gondi (morte en 1661), fille du maréchal de Retz, tante du cardinal, était prieure du monastère Saint-Louis des dominicaines de Poissy. La sœur religieuse de Mazarin, née en 1609, se prénommait Anna Maria (P. Guth). Elle avait été successivement abbesse du couvent de Citta di Castello, où elle avait pris le voile, et de celui de Santa Maria di Campo Marzio à Rome (Goubert).

7.

« Vale et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 8 novembre 1657

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0501

(Consulté le 19/04/2024)

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