L. 506.  >
À Charles Spon,
le 4 décembre 1657

Monsieur, [a][1]

Ce 1erde décembre. Je donnai hier à M. Robert, [2] votre collègue, un petit paquet de lettres dans lequel vous en trouverez une petite pour vous et une pour M. Ravaud, [3] dans laquelle je l’exhorte à bien prendre garde à la correction du Heurnius[4] de peur qu’il ne soit aussi maltraité qu’a été le Sennertus [5] dans la dernière édition, quo nomine [1] la lecture m’en déplaît fort. Le Mazarin [6] est de retour de Fontainebleau [7] où il était allé rendre visite à la reine de Suède. [8] On dit qu’elle ne viendra point à Paris, qu’on lui a donné de l’argent et qu’on lui en a promis pour plusieurs années. Je pense que les coups de poignard qu’elle a fait donner à son premier écuyer [9] la reculent un peu d’ici et qu’on ne veut pas entendre de telles marchandises. [2]

Faites-moi une grâce, faites-moi entendre le bas de la page 399 de Varandæus, ubi de μαρασμω περιφρυγη : [3][10] il me semble qu’il y a là quelque demi-ligne oubliée, et ne vois point à quoi l’on puisse rapporter ce mot elanguescat[4]

Je viens d’apprendre que la reine de Suède ne viendra point à Paris, mais qu’elle ira à Bourges. [11] Le prince de Condé [12] est fort malade en Flandres [13] d’une double-tierce. [14] Il a envoyé demander au roi qu’on lui envoyât Guénault, [15] son médecin de jadis, et Dalancé, son chirurgien, [5][16] qui sont partis ce matin avec permission. J’ai ici délivré à M. Fourmy, [17] votre libraire de Lyon, toutes les œuvres de Thomas Erastus [18] qu’il m’a promis d’imprimer in‑fo, de cicéro à deux colonnes ; [19] j’ai eu un petit < peu > de peine à lui persuader, mais enfin il me l’a promis. Ce livre fera pleinement voir l’ignorance des chimistes [20] et le tort que les juges ont de supporter toute cette canaille charlatanesque. Il n’y aura guère de médecin en France, qui aime l’étude et la bonne méthode, qui n’achète ce livre et ne soit bien aise de le voir, et j’espère qu’il en aura très bon débit ; joint que l’impression du Paracelse [21] à Genève y aidera bien, vu qu’à un tel poison un si puissant contrepoison ne saurait manquer d’y venir fort à propos. Le livre ne saurait être gros et je pense qu’il n’aura jamais 200 feuilles, mais j’ai bonne et forte envie de le bien recommander à mes auditeurs et à tous ceux qui me font l’honneur de m’écrire de divers endroits. Je vous conjure au nom de Dieu de le confirmer dans la promesse qu’il m’a faite de l’imprimer si vous trouvez qu’il vacille à l’exécution de sa parole. Il m‘a parlé de vous comme d’un personnage qu’il honore fort particulièrement. Il emporte un mémoire, que je lui ai donné charge de vous montrer, des traités divers de ce livre. Je m’en remets à vous pour l’ordre d’iceux si vous ne le trouvez bien tel que je vous l’envoie.

Le prince de Condé a écrit de sa propre main à Guénault qu’il le priait de l’aller panser et qu’il n’avait alentour de soi que des empoisonneurs. On explique cela des Espagnols qui sont là et qu’il hait bien fort.

Ce 4e de décembre. Le roi et le Mazarin s’en vont au Bois de Vincennes [22] pour huit jours. On dit ici que le prince de Condé apparemment est bien malade puisqu’ayant peur des empoisonneurs de Flandres, il envoie quérir Guénault qui est plus fin et plus corrompu que tous ces Espagnols. Vale, vive, et me ama, cum tua, et Domino Gras, aliisque amicis.

Tuus ex animo, G.P. [6]

Le 4e de décembre 1657.


a.

Ms BnF no 9357, fos 284 et 283 (pour le post‑scriptum), « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Reveillé-Parise, no cccxx (tome ii, pages 359‑361, pour les quelques mots sur la reine de Suède). Au revers, en regard de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1657./ Paris, 4 Xbre/ Lyon, 12 dudit/ Risp./ Adi le 18 décemb. »

1.

« raison pour laquelle ». V. notes [33], lettre 285, pour les Opera omnia de Daniel Sennert (dernière édition de Lyon, 1656, dont Charles Spon avait été l’éditeur), et [12], lettre 446, pour celles de Jan i van Heurne, en cours d’impression à Lyon.

2.

V. note [39], lettre 503, pour l’assassinat du marquis Gian Rinaldo Monaldeschi, premier écuyer de Christine de Suède.

3.

« où il est question de marasme recuit » : v. note [27], lettre 446, pour le marasme, ou cachexie, ici dit « recuit » pour signifier son évolution extrêmement avancée ; la note [4] infra met cette expression dans son contexte.

4.

Ce bas de page 399 appartient au chapitre viii, De Hydrope et eius speciebus [Sur l’Hydropisie et ses catégories], du Tractatus therapeuticus de morbis hepatis et lienis [Traité thérapeutique sur les maladies du foie et de la rate] contenu dans les Opera omnia de Jean Varanda (Lyon, 1658, v. note [10], lettre 485). Guy Patin s’interrogeait sur cette phrase :

Febres autem ardentes hydropem ideo accersunt aliquando, quoniam pestiferæ eiusmodi et lethales febres, tantum faciunt benignæ illius et primigeniæ humiditatis, cui calor inhæret, dissipationem, ut μαρασμον illum περιφρυγη, retorridi scilicet et exsuccati hepatis constitutionem subito elanguescat, nec munere suo perfungi possit.

[Les fièvres ardentes procurent donc aussi parfois l’hydropisie, parce que les fièvres pestilentes et mortelles de cette sorte dissipent l’humidité bienfaisante et primitive de celui dont la chaleur s’est emparé, au point que ce marasme recuit affaiblisse soudain la constitution du foie vraiment desséché et vidé de ses sucs, et que le foie ne puisse s’acquitter de sa fonction].

De fait, ce passage ne devient à peu près compréhensible que si on rapporte elanguescat à μαρασμον illum περιφρυγη, ce qui demanderait un nominatif, μαρασμος ille περιφρυγης, au lieu d’un accusatif, μαρασμον illum περιφρυγη. Pas mieux que Guy Patin, je ne suis parvenu à faire de calor, le seul nominatif singulier de la phrase, un sujet plausible d’elanguescat.

5.

Martin Dalancé, chirurgien de Saint-Côme, natif de Tours, avait d’abord suivi le prince de Condé dans ses campagnes au service de la Couronne de France. Ensuite il s’était installé à Paris où il brillait par ses talents à soigner la vérole. Il mourut en 1675 (Index funereus chirurgicorum Parisiensium, pages 54‑55).

6.

« Vale, vive et aimez-moi, avec votre épouse et Me Gras, et nos autres amis. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 4 décembre 1657

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(Consulté le 11/11/2024)

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