L. 508.  >
À Charles Spon,
le 18 décembre 1657

Monsieur mon bon ami, [a][1]

Ce 6e de décembre. Je vous envoyai ma dernière le mardi 4e de décembre par le moyen de M. Falconet, laquelle n’était que d’une page. Tout le monde ne parle ici que de M. le Prince [2] et de sa maladie, et dit-on, qu’il est arrivé un courrier de la nuit passée qui a dit qu’il se porte mieux ; ce que je crois volontiers, d’autant que je ne me puis persuader que l’on ait attendu une grande extrémité à demander de deçà du conseil, vu qu’ils n’en sont qu’à 60 lieues. Quelqu’un a dit dans le Palais que c’était dommage que le prince de Condé ne mourût de regret, afin que le Mazarin [3] en mourût de joie ; mais je ne crois point cela, vu que le prince lui sert de prétexte. On dit ici qu’il s’en va y avoir grosse guerre entre les Hollandais et les Portugais, [1] à cause de quoi Cromwell [4] et le roi de Suède, [5] qui sont fort alliés, menacent le roi de Danemark [6] et ces mêmes Hollandais.

Ce 8e de décembre. Le roi [7] et le Mazarin viennent d’arriver du Bois de Vincennes. [8] On ne parle point ici clairement de la maladie du prince de Condé, nous ne savons tous ce que c’est ; il y en a qui disent que c’est une maladie mystique et politique, et moi je crois qu’il est actuellement bien malade. L’on dit qu’il a eu la fièvre tierce [9] 40 jours et par après, qu’elle est devenue double-tierce avec enflure ; et n’est pas chose étrange si dans cette saison duplex tertiana degeneret in hydropem[2] Un conseiller de la Cour me vient de dire que la reine de Suède [10] s’apprête pour quitter Fontainebleau [11] et s’en aller à Toulon en Provence. [12]

Il faut que je vous dise ce qui m’est arrivé aujourd’hui, mais en secret et comme à mon bon ami : comme je passai devant la maison de M. Bouvard, [13] je m’y suis arrêté à saluer Mme Cousinot sa fille, [14] laquelle m’a mené voir Monsieur son père qui était dans son cabinet, que j’ai trouvé écrivant et barbouillant quelque chose, ut solet ; [3] le bonhomme m’a entretenu plus d’une heure des désordres qui sont à réformer en la médecine par toute l’Europe, à ce qu’il dit, et a fort cette réformation prétendue en la tête. Il dit que ce n’est point la faute du roi ni des autres princes souverains qui n’ont jamais rien demandé tant que de faire et rendre justice, mais que c’est l’avarice et la paresse des médecins qui ne s’y sont pas employés. Je lui ai là-dessus allégué que c’était à lui à faire cela pour le bien public lorsqu’il était près du feu roi. À quoi il m’a répondu qu’il en avait toujours bien eu envie et qu’il en avait maintes fois parlé au roi, [15] au cardinal de Richelieu [16] et au garde des sceaux, M. de Marillac, [17] mais que tous trois l’avaient toujours remis après que la paix serait faite, et que c’était aux facultés à demander justice de tant de désordres et de tant de meurtres qui se commettaient aujourd’hui, nomine et prætextu medicinæ, a chymistis, arabistis, semidogmaticis et aliis impostoribus[4][18][19][20] Après cela, il m’a dit qu’il faut prier Dieu et m’a montré son bréviaire avec lequel il va tous les jours à la messe, à vêpres, au salut et bien souvent à matines. Il m’a aussi parlé de son livre qu’il fit imprimer il y a deux ans, dans lequel il a donné de bons moyens pour, à ce qu’il dit, rétablir la médecine ; mais néanmoins, il a été obligé de le supprimer, ou tout au moins de le tenir caché ad tempus[5] pour de certaines choses qu’il a mises là-dedans contre Vautier [21] et Vallot ; [22] qu’il a néanmoins envie de le mettre au jour et m’en a promis un. Et m’a dit ainsi plusieurs autres badineries auxquelles je n’ai presque rien répondu, et l’ai quitté après une heure de temps que j’ai perdue auprès de lui ; mais il est à noter qu’il m’a dit tout cela, et autres choses, d’une si mauvaise façon, si chétive et si misérable, qu’en vérité parum mihi abesse visus est a senili delirio[6][23] C’est grand’pitié que de l’homme d’être sujet à tant de faiblesses. Il a 83 ans passés et peut dorénavant bien prendre pour sa devise ce demi-vers d’un Ancien : Non sum qualis eram[7][24] Il ne parle que de réformer le monde et ne peut lui-même se réformer. Il n’en peut plus, ni du corps, ni de l’esprit. C’est grand’pitié que d’être vieux et toutefois, ne l’est pas qui veut.

On m’a dit ici une chose que je ne puis croire, qui est que M. Rigaud [25] l’aîné imprime in‑fo à Lyon un Fernel [26] avec des commentaires. Si vous en avez ouï parler, si vous savez ce que c’est, je vous prie de me le mander. Un beau Fernel viendrait fort bien aujourd’hui dans les bibliothèques in‑fo, mais de qui pourraient être ces commentaires ? Plût aux dieux immortels que quelque savant médecin nous donnât un aussi beau commentaire sur sa Pathologie et sa Méthode, comme M. Riolan [27] le père a réussi sur la Physiologie et sur les deux livres de abditis rerum Causis[8]

M. Talon, [28] l’avocat général, a demandé justice contre plusieurs abus qui se sont glissés dans le Palais. On dit qu’il entend particulièrement la Grand’Chambre, et je le crois. Ceux des Enquêtes demandent qu’on y donne ordre et travaillent à dresser les cahiers de leurs plaintes. Cela met fort en peine les conseillers de la Grand’Chambre, lesquels gagnent merveilleusement à donner des arrêts sur requêtes [29] et à des parlers sommaires ; [30] et ces derniers sont fort animés contre les autres qui demandent réformation de ces abus, si bien que voilà dissidium inter fratres, et bellum incruentum[9]

Mais voici une nouvelle qui pourra bien engendrer une grande guerre, sinon en France, pour le moins en Angleterre, où l’on dit que Fairfax [31] et Lambert [32] se sont soulevés et déclarés contre Cromwell, et qu’ils tiennent un port ouvert pour recevoir le roi d’Angleterre [33] qu’ils y ont appelé. [10]

Ce 10e de décembre. C’est aujourd’hui le jour que la reine Christine de Suède devait partir de Fontainebleau pour s’en aller à Toulon ; on ne parle plus de Bourges ni d’Avignon.

Je pense qu’auparavant que cette lettre vous soit rendue, notre M. Fourmy [34] sera arrivé à Lyon et qu’il vous aura rendu les quatre exemplaires du Cornelius Celsus[35][36] Je vous prie de lui donner bon courage pour l’impression du Thomas Erastus[37] au débit duquel je m’emploierai très courageusement et tout de bon. Ce livre servira au public et rembarrera les chimistes, qui sont des imposteurs bien effrontés. [11]

Hic nemini constat de morbo Condæi[12] on a dit par ci-devant une fièvre tierce de 40 jours, laquelle avait dégénéré en double-tierce continue. Aujourd’hui, l’on dit autrement, dicitur dumtaxat fuisse symptoma venereum, nempe dolor acutissimus in scroto propter gonorrhæam virulentam intempestive suppressam[13][38] et que c’est pour cela que Dalancé, [39] qui a autrefois été chirurgien de ce prince, y est allé quant et Guénault. Les princes, qui font autant de mal aux autres, en ont aussi leur part à leur tour. D’autres disent qu’il est enflé et qu’il a encore un peu de fièvre ; qu’avant que Guénault y fût arrivé, un médecin du roi de Hongrie lui avait donné un remède qui l’avait presque guéri, sed hæc omnia sunt admodum incerta[14]

La reine de Suède est fort méprisée à Fontainebleau et partout là alentour à cause du massacre de ce pauvre Monaldeschi [40] que trois hommes furent une demi-heure entière à poignarder tandis qu’il criait et beuglait effroyablement. On dit que s’il eût eu une épée ou un poignard, ils n’en fussent jamais venus à bout ; et néanmoins, il n’a pas laissé d’avoir fort cruellement 27 coups de poignard, qui sont cinq plus que n’en eut Jules César [41] in medio Senatu[15] C’est toujours bille pareille à gens de même pays. [16]

M. de Montdejeu, [42] gouverneur d’Arras, avait une femme riche, [43] laquelle s’est fait séparer de biens d’avec lui et s’est mise en protection du Parlement avec un bon arrêt dont elle est garnie ; et nonobstant tout cela, 200 chevaux, par commandement du Mazarin, ont ici enlevé cette pauvre femme, laquelle était dans son lit et demi-habillée, l’ont mise dans un carrosse et l’ont emmenée à son mari, à Arras ; duquel on dit déjà qu’il la maltraitera et peut-être la poignardera. Hæc sunt deliria morientis sæculi ad quod reservati sumus a Domino[17] Je rougis de honte de voir tant de malheurs et tant de scélératesses.

Ce 13e de décembre. Hier au soir, il passa ici un courrier qui venait d’Espagne et qui va en Flandres [44] porter la nouvelle que la reine d’Espagne [45] y est accouchée d’un fils. [46] Voilà un petit prince qui aura quelque jour une belle succession si qua fata aspera rumpat[18] Dieu le gardera, s’il veut, de la petite vérole [47] et des dents ; [48] sinon educabitur in spem multorum regnorum[19] On dit que l’Espagne en a fait de très grandes réjouissances et que tous les prisonniers en ont été mis en liberté, que cela servira à la paix et que l’on prendra d’autres mesures pour l’élection d’un empereur. [49] On parle aussi d’un accord entre les rois de Suède et de Pologne. [50][51]

Il y a eu ce matin un acte à nos Écoles, fort célèbre, [20] où j’ai vu votre M. Basset [52] fort attentif. C’était M. Piètre [53] qui disputait. Il faut que je vous fasse part d’un rencontre qui s’est fait céans : les médecins d’Amiens ont eu dessein de faire un Collège [54] dans leur ville à votre imitation ; depuis que leur fait a été approuvé du magistrat de la ville, il s’est présenté un jeune homme natif du même lieu, fils d’un avocat [55] nommé Dourlens, [56] pour être agrégé à ce Collège ; ils l’ont refusé s’il ne subissait l’examen ; il allègue que leurs statuts ne sont pas encore homologués en Parlement et qu’il n’est pas obligé à ces nouvelles règles ; ils en plaident à Amiens, les juges ordonnent que le Collège poursuivra confirmation de leurs statuts et en attendant, qu’il sera permis à Dourlens de voir des malades ; le Collège en appelle et < ils > députent ici un des leurs nommé Boullanger [57] qui est un garçon de 33 ans, qui est un diable en procès et qui jure qu’ils ruineront ce Dourlens quand même il gagnerait son procès au Parlement, et je tiens pour vrai tout ce qu’il dit. Or votre Basset a rencontré céans ce Boullanger d’Amiens et lui a conté son fait. Boullanger qui est un grand garçon fort et robuste, au poil et à la plume, [21] lui a dit qu’il perdrait son procès tout du long et qu’il serait condamné aux dépens ; mais quand même il le gagnerait, que ses compagnons de Lyon le ruineraient. Cela mit Basset en grosse colère et < ils > pensèrent en venir aux mains ; mais je survins là-dessus fort heureusement et les séparai (car tous deux m’attendaient dans notre salle). Néanmoins, je vous dirai que Basset eut en cela du bonheur car Boullanger en mangerait trois comme Basset. Aujourd’hui ont été pendus à la Grève [58][59] deux criminels, savoir le fils (son père fut pendu l’an passé) [22] et la mère, pour vols et recèlements. Ils étaient natifs de Gaillon [60] en Normandie. [23] Il avait été aux galères [61] dont il s’était sauvé, il a été pris en un autre vol qui l’a fait pendre. Il avait déjà eu trois fleurs de lis [62] et néanmoins, n’avait que 22 ans. Celui-là est de l’espèce de ces gens qui commencent de bonne heure à faire fortune. Les Normands sont sujets à cela, quod corvis debetur, tandem corvis redditur[24]

On dit que la comtesse de Soissons [63] (autrement la Mancini, princesse nièce de Son Éminence, par ci-devant dite la bécasse) est fort grosse. [25][64] Elle ne sort point, mais le roi [65] la va voir, et jouer [66] avec elle jusqu’à onze heures du soir. On dit que son mari, [67] fils du défunt prince Thomas, [68] s’en va être le favori du roi et que le Mazarin le porte là. Je pense que cet homme enfin ressemblera à Dieu le Père dont il est dit dans la Genèse : Omnia quæcumque voluit fecit[26][69] Le cardinal de Richelieu [70] y mit autrefois ainsi le petit Cinq-Mars [71] auprès du feu roi [72] ut esset illic eius explicator ; [27] le compagnon n’y joua pas bien son personnage et voulut tromper son maître qui l’avait mis là, aussi en devint-il mauvais marchand et en eut le collet rouge à Lyon, l’an 1642. [28] Mais celui-ci n’en fera pas de même, il est attaché à la fortune et aux intérêts du Mazarin et est prince de la Maison de Savoie ; [73] même, je pense qu’il en pourrait devenir le duc, comme le plus prochain héritier, si celui qui l’est aujourd’hui venait à mourir sans enfants, mais ce serait un grand dommage car on dit que c’est un sage prince et fort bien instruit. [29][74]

On parle ici d’un beau livre que l’on dit être achevé à Lyon, dont l’auteur est M. Guichenon [75] qui a fait par ci-devant l’Histoire de Bresse. Ce dernier, duquel on dit tant de bien, est l’Histoire de Savoie : [30] de quel prix est-il, se vend-il chez M. Huguetan ou M. Borde, [76] en avez-vous quelque connaissance ?

Depuis trois jours sont partis d’ici quelques cavaliers en petit nombre (desquels est un des principaux le comte de Moret [77][78] qui est un des favoris du Mazarin) [31] pour aller à Mardyck, [79] pour quelque nouvelle entreprise ou intelligence en ce pays-là. Quelques-uns disent que c’est sur Dunkerque [80] ou Gravelines. [81] D’autres disent que c’est la crainte qu’il y a qu’en plein hiver les Espagnols n’aillent assiéger et enlever cette place, comme ils ne manqueront point de faire, ne devant en aucune façon souffrir que les Anglais demeurent là jusqu’à l’été prochain. Et de peur que cela n’arrive, le Mazarin y a même envoyé son neveu Mancini [82] avec quelques cavaliers pour fortifier la garnison qui est dedans.

Enfin, la reine de Suède s’est ennuyée à Fontainebleau, elle a vu et reconnu qu’elle y était et méprisée et haïe pour les coups de poignard qu’elle avait fait donner à ce pauvre malheureux Italien{. Elle en est donc partie et a pris le chemin de Toulon en Provence} [32] avec 12 000 pistoles que le Mazarin lui a fait porter de l’Épargne. Cela ne leur coûte guère à tous deux : l’argent qu’on lui prêtait sur des bagues qu’elle a en Hollande. [33]

La paix se traite entre le roi de Danemark et < celui > de Pologne avec le roi de Suède. On dit ici que le roi ira bientôt au Parlement pour y faire vérifier la déclaration contre les jansénistes, [83] leurs fauteurs, et tous ceux qui auront leurs livres et qui tiendront leur parti. Mais ne croyez pas cela simplement, afin que la sauce soit bonne il y faut ajouter un grain de sel : c’est que le roi fera mettre sur le tapis plusieurs autres impôts [84] afin d’en tirer de l’argent sous ombre de continuer la guerre, et est illud propter quod bellum in tot annos prorogatur[34][85] Il y a grand deuil à la cour pour une belle dame qui y est morte en trois jours, c’est Mme de Roquelaure, [86][87] sœur du comte du Lude, [88] laquelle laisse deux enfants, fils et fille. [35] On m’a dit aujourd’hui qu’un jésuite natif de Bourges nommé le P. Labbe, [89] que je connais, mais que je n’ai point vu il y a longtemps, travaille à continuer et à augmenter (voire même aussi à corriger et à en ôter plusieurs fautes) le livre du cardinal Bellarmin [90] de Scriptoribus ecclesiasticis[36] Ce livre est fort utile dans une bibliothèque et crois que ce dernier travail le rendra tout autrement meilleur.

Un marchand de la rue Saint-Denis, [91] qui a depuis peu fait un voyage de huit mois par presque toute la France, m’a envoyé céans un petit in‑fo d’environ cent pages (je ne sais s’il a envie de me le laisser et de m’en faire présent, et en ce cas-là, je le garderai, sinon je m’en passerai très volontiers) ; il l’a acheté à Rennes en Bretagne. [92] Il y a là-dedans deux titres, le premier desquels est Astrologiæ nova methodus Francisci Allæi Arabis-Christani, anno 1654 ; [93] le second est Fatum Universi observatum a Francisco Allæio, Arabe-Christiano, 1654. Si rogas quid sentiam de libro[37] je vous dirai que j’ai perdu presque une heure de temps : ce livre n’est pas seulement obscur, mais aussi mal fait et ne contient que des nouveautés, vanités et curiosités d’astrologie [94] qui ne sont bonnes à rien. J’aimerais mieux avoir lu trois pages de la Méthode de Galien, j’aurais mieux employé mon temps. Je ne suis guère en peine du futur, il n’en arrivera que ce que voudra le Grand Maître qui est par-dessus toutes les prédictions ; c’est folie aux hommes de s’en enquérir. [95] Prudens futuri temporis exitum Caliginosa nocte premit Deus[38][96] Et là-dessus, je brise et finis avec protestation d’être toute ma vie, à vous et carissimæ uxori[39] votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce mardi 18e de décembre 1657.

Le voyage du roi au Parlement est remis, à cause du siège de Mardyck. On dit qu’il ira deux fois, dont la première sera contre les jansénistes, et une autre fois pour des impôts. On parle d’une création de maîtres des requêtes, 20 tout à la fois. Mme de Roquelaure, qui était une des belles de la cour, âgée de 20 ans, est ici morte tertio die a partu[40] en suite d’une prise de vin émétique [97][98] que Vallot [99] lui a donné, dont on crie fort contre lui ; il dit qu’il n’avait donné ce remède que pour dégager et désemplir la matrice. Vide et ride quantum sit imperitus, et quam primum sapiat iste aulicus agyrta, qui superbo Comitis Archiatrωn nomine gloriatur ; [41][100] voyez en quelles mains est la santé du roi. La réformation de la chicane continue. Les greffiers s’en plaignent déjà, et les clercs des conseillers de la Grand’Chambre. Pour leurs maîtres, ils sont trop gens de bien ou bien ils n’osent se plaindre. Les procureurs avouent que cette réforme était nécessaire au Palais. Quand on aura achevé tous les articles, on les imprimera et publiera. M. de Nesmond [101] et M. Talon furent dimanche dernier chez le cardinal par commandement du roi, sed causa nescitur[42]

Je serais marri d’avoir oublié de vous prier, sur la fin de cette année présente, de me conserver vos bonnes grâces pour l’an prochain ; comme aussi, je vous supplie de présenter mes très humbles baisemains à Messieurs nos bons amis MM. Gras, Guillemin et Falconet. Mardyck est tout de bon assiégée, on y a envoyé plusieurs compagnies du régiment des gardes. La comtesse de Soissons est accouchée d’un fils. [43] M. le maréchal de Turenne [102] partit hier au matin et y est allé en diligence[44] La reine de Suède est encore à Fontainebleau, elle a envoyé un courrier à Cromwell, elle ne veut point aller en Provence, elle demande à toute fin [45] à venir à Paris y passer l’hiver. Quelques-uns ont vu un manifeste pour elle avec intention de la justifier du massacre qu’elle a fait faire ; il est en italien, on le mettra en français.

On fait en nos Écoles la dissection [103] d’une femme où il y a merveilleusement du monde, votre Basset n’en perd point une leçon. Votre procureur, M. Alleaume, [104] m’a dit qu’il avait rendu le procès, qu’il est entre les mains du rapporteur et qu’il serait bientôt jugé.

Je viens d’apprendre d’un avocat de Bourg-en-Bresse nommé M. Girard [105] que l’Histoire de Savoie n’est que sur la presse. Mandez-moi seulement qui est celui qui l’imprime.

Je viens d’apprendre que demain matin le roi ira au Palais, contre les jansénistes. M. le maréchal d’Aumont, [106] gouverneur de Boulogne, [107] s’est jeté dans Mardyck avec 80 hommes pour défendre cette place contre les Espagnols qui l’assiégeaient. M. le maréchal de Turenne y est retourné d’hier au matin. Vale et me ama[46]

De Paris, ce mardi 18e de décembre 1657.


a.

Ms BnF no 9357, fos 285‑286 ; Reveillé-Parise, no cccxxi (tome ii, pages 361‑364).

1.

V. note [1], lettre 505.

2.

« une double tierce vient à dégénérer en hydropisie. »

3.

« comme à son habitude ».

4.

« au nom et sous prétexte de médecine, par des chimistes, des arabistes, des semi-dogmatiques et autres imposteurs. » La médecine semi-dogmatique teintait d’empirisme la pure doctrine dogmatique (v. note [2], lettre 70).

5.

« pour un temps ».

V. note [23], lettre 417, pour le discours de la Historicæ hodiernæ medicinæ rationalis veritatis [Vérité historique de la médecine d’aujourd’hui] de Charles i Bouvard.

6.

« il m’a semblé n’être pas très loin de la démence sénile ».

7.

Horace (Odes, livre iv, i, vers 3‑4) :

Non sum qualis eram bonæ
sub regno Cinaræ
.

[Je ne suis plus tel que j’étais sous le règne de la bonne Cinara]. {a}


  1. Le premier amour perdu du poète Horace.

8.

« sur les Causes cachées des choses ». V. notes :

9.

« la division entre les frères, et une guerre sans épanchement de sang. »

Un arrêt sur requête, ou requête civile, était « un remède de droit introduit pour faire casser les arrêts qui ont été surpris, et où il y a erreur […]. Les arrêts sur requête ne sont d’aucune considération quand on juge le fond » (Furetière). « Lorsqu’on entérine la requête civile, on ne peut juger le principal en même temps : on se contente de remettre les parties en tel état qu’elles étaient avant l’arrêt contre lequel on s’est pourvu par requête civile » (Trévoux).

On dit en termes de Palais : « un parler sommaire, une ordonnance de parlant sommairement, pour dire faire une instruction d’une affaire sommaire et provisoire devant un tel rapporteur » (Furetière). Parler y a le sens de « s’obliger en un contrat, y intervenir : je ne veux point prêter de l’argent à cet homme-là si sa femme ou son fils majeur n’y parlent, ne s’obligent solidairement avec lui » (ibid.).

10.

Les généraux anglais Thomas Fairfax et John Lambert n’étaient alors pas en bons termes avec Cromwell, mais ne complotaient pas ouvertement pour le retour de Charles ii sur le trône.

11.

V. notes [20], lettre de Charles Spon, le 28 août 1657, pour l’édition récente de Celse (De Re medica) par Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1657), et [8], lettre 358, pour le projet avorté que Guy Patin avait de faire éditer les œuvres complètes de Thomas Lieber, dit Éraste.

12.

« Pour la maladie de Condé, nul n’est ici certain de ce que c’est ».

13.

« on dit que ça a seulement été un symptôme vénérien, savoir une douleur très aiguë dans le scrotum à cause d’une gonorrhée virulente {a} malencontreusement supprimée » {b}.


  1. Chaude-pisse.

  2. Qui est fâcheusement devenue chronique (faute de bon traitement).

14.

« mais tout cela est extrêmement incertain. »

15.

« au beau milieu du Sénat. » Jules César, assassiné en 44 av. J.‑C. dans le Sénat de Rome au pied de la statue de son défunt ennemi Pompée (v. note [1], lettre 101) par un groupe de conjurés que menaient Crassus et Brutus, est réputé avoir reçu 23 coups de poignard. Suétone, Jules César, chapitre lxxxii :

Atque ita tribus et viginti plagis confossus est uno modo ad primum ictum gemitu sine voce edito, […] Nec in tot vulneribus, ut Antistius medicus existimabat, letale ullum repertum est, nisi quod secundo loco in pectore acceperat.

[Ainsi fut-il percé de vingt-trois coups. Au premier seulement, il poussa un gémissement, sans dire un mot. (…) Le médecin Antistius a estimé que seul le deuxième, porté dans la poitrine, avait été mortel].

V. note [39], lettre 503, pour l’assassinat du marquis Gian Rinaldo Monaldeschi à Fontainebleau.

16.

« On dit proverbialement que deux hommes sont billes pareilles, qu’ils sont sortis d’une affaire billes pareilles, quand ils n’ont point remporté d’avantage l’un sur l’autre » (Furetière).

17.

« Ce sont les extravagances du siècle moribond auquel le Seigneur nous a réservés. »

Jean de Schulemberg, comte de Montdejeu (v. note [11], lettre 365), avait épousé Madeleine de Roure (morte en 1674).

18.

« si quelque funeste destin ne le brise. »

19.

« il sera élevé dans l’espérance de nombreux royaumes » (v. note [27], lettre 287, pour la même phrase au sujet de l’infante Marie-Thérèse d’Espagne, demi-sœur de l’enfant qui venait de naître) ; sinon est à prendre ici pour un lapsus calami, au lieu d’alors. « On dit ordinairement que la plupart des enfants meurent aux dents, pour dire, qu’ils meurent quand les dents leur viennent » (Académie).

Marie-Anne d’Autriche, seconde épouse de Philippe iv (v. note [27], lettre 287), venait d’accoucher d’un fils prénommé Felipe Prosper. Mort en 1661, il ne résista pas aux calamités de la petite enfance dont Guy Patin craignait la survenue. Charles ii, qui succéda à Philippe iv sur le trône d’Espagne en 1665, naquit en 1661.

20.

Solennel : le matin du 13 décembre 1657 avait eu lieu l’acte pastillaire de Claude de Frades sur la question : An pueri senibus Facilius insultu epileptico liberentur ?/ Felicius vesicæ calculo curentur ? [Comparés aux vieillards, les enfants sont-ils plus facilement libérés de l’épilepsie ?/ plus heureusement guéris du calcul de vessie ?].

21.

« On dit qu’un homme est au poil et à la plume pour dire qu’il est bon à être soldat et homme de robe » (Furetière).

François-Philippe Boullanger, syndic du Collège des médecins d’Amiens, avait écrit à Guy Patin en 1654 (deux lettres datées des 27 et 29 août).

22.

Parenthèse ajoutée dans la marge.

23.

V. note [6], lettre 292, pour Gaillon (Eure).

24.

« ce qu’on doit aux corbeaux, on finit par le rendre aux corbeaux » (sans source identifiée).

La prévention de Guy Patin à l’encontre des Normands s’est manifestée plusieurs fois dans ses lettres. V. note [44] du Faux Patiniana II‑2 pour une autre illustration possible de sa méfiance envers les habitants du « pays de sapience » (v. note [3], lettre 41).

25.

Le 21 février 1657, Olympe Mancini (v. note [12], lettre 453) avait épousé le prince Eugène, Eugène-Maurice de Savoie-Carignan, comte de Soissons ; comme on ne la trouvait ni belle ni spirituelle, on la surnommait la bécasse de Soissons. Guy Patin a annoncé son heureux accouchement dans le post-scriptum de sa lettre (v. infra note [43]).

26.

« Tout ce qui lui a plu, il l’a fait » : passage des Psaumes (v. note [9], lettre 339), et non de la Genèse.

27.

« pour qu’il fût là son intermédiaire. »

28.

V. note [6], lettre 75, pour la décapitation du marquis de Cinq-Mars le 12 septembre 1642 à Lyon.

29.

Le duc de Savoie était alors Charles-Emmanuel ii (1634-1675, v. note [10], lettre 354).

30.

V. notes [26], lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657, pour l’Histoire de Savoie de Samuel Guichenon (Lyon, 1660), et [7], lettre 214, pour son Histoire de Bresse (ibid. 1650).

31.

Antoine du Bec-Crespin, comte de Moret, était le fils de Jacqueline, comtesse de Moret, ancienne maîtresse de Henri iv, et du marquis René ii de Vardes ; son frère aîné était François-René du Bec-Crespin, marquis de Vardes (tous personnages dont il est question plus loin dans la correspondance de Guy Patin). Lieutenant général des armées du roi, il fut tué d’un coup de canon au siège de Gravelines le 13 août 1658.

32.

Ce début de phrase {transcrit entre accolades} est biffé sur le manuscrit, sans absolue certitude que ce soit de la plume de Guy Patin.

33.

Fin de paragraphe mal construite pour dire que Mazarin ne sortait pas les pistoles de sa bourse et que la reine, devenue fort embarrassante, se faisait payer son départ en gageant fictivement des bijoux qu’elle avait remisés en Hollande.

34.

« et c’est la raison pour laquelle la guerre est prolongée toutes ces années. » Guy Patin annonçait le lit de justice du 19 décembre.

35.

Charlotte-Marie de Daillon du Lude, duchesse de Roquelaure, était la fille de Timoléon de Daillon, comte du Lude, et la sœur de Henri de Daillon, comte du Lude, duc et pair en 1675, mort en 1685. Elle avait épousé en septembre 1653, à l’âge de 17 ans, Gaston-Jean-Baptiste, marquis puis duc de Roquelaure (v. note [34], lettre 524). Ses contemporains ont abondamment évoqué la beauté de Charlotte-Marie : Tallemant des Réaux (Historiettes, tome ii, page 223) l’a dite « une des plus belles et des plus douces personnes de ce siècle » ; et plus loin (page 382), « une des plus belles, pour ne pas dire la plus belle de la cour » ; et Mme de Sévigné, « tellement belle qu’elle défit hier le Louvre à plate couture, ce qui donne une si terrible jalousie aux belles qui y sont que, par dépit, on a résolu qu’elle ne sera point des après-soupers, qui sont gais et galants, comme vous savez » (lettre du 25 novembre 1655, à Bussy-Rabutin, tome i, page 35).

Après son mariage, la duchesse de Roquelaure avait continué d’aimer sans retour le marquis François-René de Vardes. Le duc Philippe d’Anjou, frère du roi, avait recherché ses faveurs. Elle était morte le 15 décembre 1657 après une maladie de quelques jours. On crut qu’elle mourait d’un accouchement difficile, mais elle avait annoncé qu’elle allait mourir « et qu’une passion ardente et cachée qu’elle avait dans le cœur la tuerait. La cour fut vivement émue du décès. Le lendemain, le duc d’Anjou communia et fit dire mille messes pour la jeune morte » (Adam).

36.

Philippi Labbe, Biturici, Societatis Iesu Theologi, De Scriptoribus Ecclesiasticis quos attigit Eminentiss. S.R.E. Card. Robertus Bellarminus, philologica et historica Dissertatio : In qua plurima, cum ad Historiam, Chronologiam, Criticenque Ecclesiasticam spectantia explicantur ; tum aliorum præsertim Hæreticorum, Rivetti, Coci, Perkinsii, Tossani, Gerhardi, Aubertini, Hottingeri, Maresii, etc. errata castigantur. Duobus tomis.

Tomus secundus. Cui præter Diatribam de Aimoino Historiæ Francicæ Auctore, adjuncti sunt plusquam xx. Indices omnibus pernecessarii, cum Regia Epitome Patriarcharum, Regum, Impp. Pontificum ; Versibus Technicis ante et post Christum 3 Abaco Chronologico per sæcula mundana, Romana, Christiana ; aliisque Observationibus et Additionibus.

[Dissertation philologique et théologique de Philippe Labbe, {a} jésuite natif de Bourges, sur les Écrivains ecclésiastiques dont a traité Robert Bellarmin, {b} éminentissime cardinal de la sainte Église romaine. Y sont expliqués quantité de faits relatifs à l’histoire, la chronologie et la critique ecclésiastiques ; et y sont aussi blâmées les erreurs d’autres auteurs, en particulier Rivettus, Cocus, Perkinsius, Tossanus, Gerhardus, Aubertinus, Hottingerus, Maresius, etc. {c} En deux tomes. {d}

[Tome second, auquel, outre une Diatribe sur Aimonius, auteur de l’Histoire Franque, {e} ont été ajoutés plus de 20 index indispensables à tous les lecteurs, avec : un abrégé royal des patriarches, des rois, des empereurs, des pontifes ; des vers mnémoniques pour les périodes précédant et suivant le Christ ; une triple table chronologique suivant les siècles du monde, de Rome et de la chrétienté ; et d’autres observations et suppléments]. {f}


  1. V. note [11], lettre 133.

  2. V. note [16], lettre 195

  3. Liste de théologiens protestants qui ont écrit sur le même sujet, v. notes :

    • [25], lettre 79, pour le Français André Rivet ;

    • [1], lettre latine 194, pour l’Anglais William Perkins ;

    • [51], notule {c}, du Borboniana 7 manuscrit, pour l’Allemand Johannes Gerhardus ;

    • [10], lettre 125, pour le Français Edme Aubertin ;

    • [3], lettre 413, pour le Suisse Johann Heinrich i Hottinger ;

    • [14], lettre 76, pour le Français Samuel Desmarets.

    Je n’ai pas identifié Cocus et Tossanus.

  4. Paris, Sébastien Cramoisy, 1660, 2 volumes in‑8o de 1 006 pages.

  5. Aimoin de Fleury, chroniqueur du xe s., est auteur de quatre livres sur l’histoire des Francs.

  6. Ibid. et id. 1660, in‑8o de 982 pages.

37.

« Si vous me demandez ce que je pense de ce livre ».

Les titres cités sont : « Nouvelle méthode d’astrologie de Franciscus Allæus, Arabe chrétien, 1654 », et « Destin de l’Univers observé par Franciscus Allæus, Arabe chrétien, 1654 », ouvrages attribués au P. Yves de Paris, en collaboration avec le marquis d’Assérac (v. note [26], lettre 415).

38.

« Le sage Dieu a enveloppé d’une nuit épaisse les événements futurs » (Horace, Odes, livre iii, xxix, vers 29‑30).

39.

« et à votre très chère épouse ».

40.

« au troisième jour suivant un accouchement ».

41.

« voyez comme est ignorant et à quel point s’y connaît ce charlatan aulique qui se glorifie du superbe nom de comte des archiatres, {a} et riez-en ».


  1. Antoine Vallot (v. note [18], lettre 223), premier médecin du roi (v. note [18], lettre 164).

42.

« mais on en ignore la raison. »

43.

Naissance de Louis-Thomas de Savoie-Carignan (1657-1702, comte de Soissons en 1673) premier enfant d’Olympe Mancini et du comte de Soissons (v. supra note [25]). Sa naissance le 1er août 1657 est une fable visant à accréditer la thèse que le roi fut son véritable père.

L’ordinaire no 160 de la Gazette, daté du 22 décembre (page 1312) relate que le 16 décembre le roi alla visiter la princesse de Carignan, Marie de Bourbon, et la comtesse de Soissons (Olympe Mancini) sur la naissance de leur petit-fils et fils.

44.

C’est à Mardyck que le maréchal de Turenne se rendait en diligence (toutes affaires cessantes).

45.

Instamment.

46.

« Vale et aimez-moi ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 18 décembre 1657

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(Consulté le 25/04/2024)

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