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À Saumaise, Claude II, sieur de Saint-Loup,
le 27 décembre 1657

Monsieur, [a][1]

Je suis tout ravi de l’honneur que m’avez fait de m’écrire, [1] comme je me tiens tout glorieux de l’honneur que m’a fait autrefois feu monsieur votre père de m’aimer : [2] je l’ai autrefois embrassé avec joie, je l’ai consulté comme un oracle, je l’ai écouté comme un ange, et l’ai révéré et considéré comme un dieu des plus belles sciences dont soit capable le genre humain, car lui seul possédait en sa tête tout ce que les autres sont bienheureux d’avoir par parcelles, et quæ divisa beatos efficiunt, ille unus collecta tenuit[2][3] J’en ai porté le deuil en mon cœur et le porte encore. La plaie que me fit la nouvelle de sa mort n’est point encore cicatrisée. J’ai céans, en taille-douce et en tableau, son digne portrait. J’ai tout ce qu’il a jamais fait de ses beaux livres. Habeo quoque in sanctiore repositorio literas quas ad me Leida scribere dignatus est[3] Et tout cela, combien qu’il vaille beaucoup, n’est rien au prix de l’amour que j’ai pour sa mémoire et du respect dont je vénère sa connaissance. Il ne se passe jour que je ne me souvienne de lui ou que je n’en parle avec joie, affection et honneur, comme je dois et autant que je puis. Si vous doutez de tout cela, M. de Salins, [4] à qui j’ai l’obligation de l’honneur de votre connaissance, vous en peut donner quelque assurance, combien que n’en ayez besoin car tout ce que je vous ai dit est très vrai. Voyez donc là-dessus, Monsieur, si vous pouvez vous fier à moi après la protestation que je vous fais de mes services, tant en votre nom en particulier que comme un des adorateurs de la mémoire de feu monsieur votre père, laquelle me sera toujours très chère et en très grande révérence. Voilà, Monsieur, ce que je vous puis dire en vous confirmant ce que M. de Salins peut vous avoir dit de moi, et vous suppliant de m’aimer, mais plutôt de me commander et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin, docteur en médecine et professeur du roi, à Paris.

De Paris, ce 27e de décembre 1657.


a.

Ms BnF no 9357, fo 289 ; Chéreau no xvii (31‑32). Cette lettre était jointe à la précédente, de même date, de même date, envoyée à Jean‑Baptiste de Salins. Claude ii Saumaise, sieur de Saint‑Loup, qui vivait à Beaune, était le deuxième fils de Claude i Saumaise. La lettre est une copie : Hugues ii de Salins, qui devait la remettre à Saint‑Loup, eut soin de la transcrire lui‑même pour sa collection. Le ton, inhabituellement obséquieux, tient sans doute au fait que Saint‑Loup détenait des manuscrits de son père, que Guy Patin rêvait de pouvoir consulter, et peut‑être même éditer un jour (mais cet honneur ne lui échut pas).

1.

Lettre de Claude ii Saumaise à Guy Patin, datée du 8 novembre 1657.

2.

« et à lui seul, il a possédé réunis en ses mains des biens qui, partagés, font des heureux », Claudien, Panégyriques (Éloge iv, Pour le consulat de Stilicon, i, dvers 34‑35) :

et quæ divisa beatos efficiunt, collecta tenes.

[et tu possèdes, réunis en tes mains, des biens qui, partagés, rendent les gens heureux].

3.

« J’ai aussi dans un cabinet plus que sacré les lettres qu’il a daigné m’écrire depuis Leyde. » Il n’est rien resté de cette correspondance.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Saumaise, Claude II, sieur de Saint-Loup, le 27 décembre 1657

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0510

(Consulté le 28/03/2024)

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