L. 535.  >
À Charles Spon,
le 27 août 1658

< Monsieur, > [a][1]

Le cardinal Mazarin [2] est toujours à Calais, [3] d’où il presse le siège de Gravelines. [4] Le fils de M. d’Aligre [5] (qui est aujourd’hui directeur des finances et ancien conseiller d’État, et fils du chancelier), [6] qui était capitaine, [7] et revenant de l’armée, à trois lieues de Paris, a voulu violer une fille de village, laquelle s’est défendue ; lui, outré du refus de cette fille, la blessa de son épée ; le monde vint au secours ; un paysan voulant chasser ce capitaine fut blessé ; mais aussitôt il ne manqua pas ce capitaine, à qui on fait le procès. [1][8]

Le roi [9] a été le 15e de ce mois à la messe à Notre-Dame [10] où il a fait ses dévotions et delà, est revenu au Louvre [11] y toucher les malades d’écrouelles [12] pro more solito[2] Je l’ai vu au bout du Pont-Neuf [13] comme il revenait de Notre-Dame dans son carrosse bien plein et bien accompagné. Il est fort bien fait, il me semble qu’il est tout à fait revenu de son mal. [3] Le même jour, nouvelles sont arrivées que le canon de Gravelines joue rudement sur nos gens ; il a emporté deux de nos capitaines qui en sont fort regrettés, savoir un lieutenant général de l’armée nommé de Varennes, [14] fort chéri du maréchal de Turenne, et le comte de Moret, [15] aimé du roi et du Mazarin, à qui l’on avait promis le gouvernement de Gravelines [16] après que nous l’aurions. [4] C’est un jeune gentilhomme fort beau et bien fait, fils du marquis de Vardes [17][18] et de la feu comtesse de Moret, [19][20][21] quæ olim fuerat amasia Henrici iv circa annum 1609[5] C’est celle qui est appelée Casina dans l’Euphormion de Barclay, [22] où se lit le contrat de mariage d’un homme qui s’offre et s’oblige d’être cocu. [6][23] C’est celui à qui cette comtesse fut premièrement accordée en mariage, nommé le comte de Cézy, [24][25] de la famille du premier président de Harlay, [26] et qui fut tôt après envoyé ambassadeur à Constantinople. [27] Il fut démarié d’avec cette première femme et en épousa une autre dont il eut quelques enfants, dont il y en a eu un aumônier du roi, qui est aujourd’hui évêque en Languedoc depuis deux ans. [7][28]

Je viens de lire quelque chose dans votre Sennertus[29] j’en suis tout en colère : 1o pour la quantité de fautes qui s’y rencontrent ; 2o pour ce que le bonhomme était bien neuf et peu intelligent en pratique. Il n’entend rien en la saignée [30] des enfants ni des vieillards, [31] voyez ce qu’il en dit tome premier, page 616, initio col. 2[8][32][33][34][35] Ce misérable exemple me fait pitié. Je pense que ce pauvre homme n’a jamais guère vu de malades et que nullus fuit in praxi, saltem admodum indiguit Delio Natatore[9][36] Si l’on faisait ainsi à Paris, tous nos malades mourraient bien vite. Nous guérissons nos malades après 80 ans par la saignée, et saignons aussi fort heureusement les enfants de deux et trois mois sans aucun inconvénient ; j’en pourrais montrer vivants dans Paris, saignés dans ce bas âge, plus de deux cents. Je pense que les malades sont bien malheureux en Allemagne avec de tels médecins, qui n’ont que le nom de la qualité qu’ils portent et qui, n’entendant ni méthode, ni remède, cherchent des secrets de chimie [37] dans Paracelse [38] et dans Crollius, [39] qui ne furent jamais médecins. Il ne se passe jour à Paris que nous ne fassions saigner plusieurs enfants à la mamelle et plusieurs septuagénaires, qui singuli feliciter inde convalescunt[10] Il n’y a point de femme à Paris qui ne veuille bien croire à la saignée et que son enfant soit saigné dans la fièvre à la petite vérole [40] ou à la rougeole, [41] ou aux dents, [42] ou aux convulsions, [43] tant elles en ont vu d’expériences, tant qu’elles sont.

On fait ici des feux de joie sur la rivière vis-à-vis le Louvre pour la convalescence du roi, qui a vu aussi de ses propres yeux plusieurs autres réjouissances du peuple. Je viens d’apprendre que les médecins de Dijon voulaient, à l’imitation de Lyon, faire et dresser entre eux un Collège ; [44] mais qu’ils sont en procès, principalement pour la diversité de religion qui est entre eux. Il y en a là parmi eux un vieux, nommé Guiot, [45] qui a bon esprit et de qui j’ai vu quelque chose de bien fait. [11] Ceux de Rouen [46] sont bien d’accord ensemble, mais ils plaident rudement contre les apothicaires ; [47] ceux d’Amiens [48] contre leur Dourlens [49] et n’en font point la petite bouche : ils disent tout haut qu’ils le ruineront et n’ont point voulu entendre Vallot [50] qui leur en voulait parler pour les accorder ; ils se sont moqués de lui et de son autorité prétendue, et l’ont traité de façon dont il prétend être fort offensé d’eux et dit qu’il se vengera ; mais je pense qu’il a assez à faire à la cour, tant près du roi que de peur d’être chassé, de quo fuit quæstio[12] et de travailler et poursuivre le paiement de ses gages, dont il se plaint fort. La cour est une belle putain qui a bien donné la vérole [51] à des gens. Aulica fortuna est splendida servitus plenissima calamitatis, laboris et miserarium ; paucos beavit aula, quos tandem perdidit[13][52] Heureux qui n’est point attaché à cet écueil infâme de tant de naufrages : [53]

Auream quisquis mediocritatem
Diligit, tutus caret obsoleti
Sordibus tecti, caret invidenda
Sobrius aula
. [14]

Je me tiens céans plus heureux avec mes livres et un peu de loisir que n’est le Mazarin avec tous ses écus et ses inquiétudes. Si panem et aquam habuero, de felicitate cum ipso Iove certare paratus sum ; [15][54] mais il faut de la santé ensuite, et un peu de loisir pour étudier et pour méditer la patience de Dieu sur les péchés des hommes, et considérer le trictrac [55] du monde aujourd’hui, [16] qui est autant fou que jamais. [56]

Le roi alla sur les dix heures du matin, le 17e de ce mois, à Saint-Eustache [57] où il se fit enrôler et écrire sur le livre de la Sainte et Grande Confrérie, quænam autem illa sit nescio, etc[17][58] Le soir sur les cinq heures, il partit pour s’en aller coucher à Essonnes, [59] et delà à Fontainebleau. [18][60] Son précepteur, M. l’évêque de Rodez, [61] a fait un vœu, pour sa convalescence d’aller à pied à Notre-Dame-des-Ardilliers ; [62] il est en chemin de revenir. Que dites-vous de ce vœu ? Sunt vota et somnia, imo sunt ludibria et figmenta[19] Nouvelles sont arrivées que le marquis d’Uxelles [63] est mort de sa blessure à l’armée. Voilà une grande perte, il était le plus habile et le plus vaillant de tous nos capitaines ; on lui promettait le bâton de maréchal de France, qu’il avait mérité il y a longtemps. Il laisse deux fils [64][65] et est mort âgé de 38 ans, avec une maison fort incommodée pour le bien qu’il a dépensé au service du roi. [20] M. de Fabert, [66] maréchal de France et gouverneur de Sedan, [67] fuit olim typographus et est filius typographi Metensis[21][68] mais on dit qu’il est excellent homme, tam belli quam pacis artibus[22] Il a fort les bonnes grâces de Son Éminence et a eu autrefois celles du vieux d’Épernon [69] qui, étant gouverneur de Metz, [70] fit faire son père échevin [71] de la ville et a enrichi cette famille. Les libraires de Hollande ont tout fraîchement achevé d’imprimer l’Eusèbe de Scaliger [72][73] in‑fo, sur les corrections que l’auteur en avait laissées, et ce livre est tertia parte auctior[23] dédiée à M. le président de Thou [74] d’aujourd’hui et de présent ambassadeur en Hollande, comme en 1606 il avait été dédié à M. de Thou, [75] président à mortier, son père. Je ne sais si les jésuites n’y trouveront point leur part, mais il y a bien du travail in canonibus isagogicis[24]

Il y a ici une plaisante querelle qui fait bien parler du monde. Les augustins du grand couvent, [76][77] au bout du Pont-Neuf, se battent et se chicanent cruellement les uns aux autres depuis quelques années ; tantôt un parti prévaut, tantôt l’autre ; le Conseil en a fait arrêter d’un côté à cause que le Parlement en avait fait emprisonner de l’autre parti, et jusqu’ici le Conseil a été le maître car ceux qu’il avait fait prendre dès le carême sont encore prisonniers, au grand regret du président de Mesmes [78] qui les portait extrêmement. La querelle s’est réchauffée de plus belle depuis quelques jours : requête présentée au Parlement, dont a été suivi arrêt qui leur a été signifié et auquel ils n’ont point voulu obéir. Imo[25] ils se sont barricadés, ont fermé leur église, ont cessé leurs messes et prières et ont pris avec eux des séculiers pour se défendre en cas qu’ils fussent attaqués ou assaillis. Le Parlement n’en a point voulu avoir l’affront, il a été ordonné que par un derrière de leur maison serait faite une brèche, que plusieurs archers y entreraient bien armés et qu’ils se saisiraient de ceux qui feraient résistance aux ordres du Parlement. Ceux de dedans, voyant la brèche, se sont mis en défense. Il y a deux moines de tués et deux archers. Enfin, les moines se sont rendus, plusieurs ont été menés à la Conciergerie [79] avec les séculiers qui ont été trouvés là-dedans. [26] Et notez que la cause de tous ces débats sont le meum et tuum [27] de Platon : [80] ce n’est que pour le partage des deniers qui se reçoivent à la sacristie et à qui en aura de reste pour boire, pour jouer [81] et pour friponner. Voilà comment les moines se jouent du purgatoire [82] et de l’argent qui leur en revient. O speciosa fabula ! [28][83][84] Mais à propos de moines et de fripons, je vous prie de me dire deux choses : la première est que peut être devenu un certain Arnaud, [85] moine chimiste qui voulait autrefois écrire contre ma thèse de Sobrietate[29][86] qui fut fait prisonnier à Turin, [87] et qui avait voulu autrefois être ministre à Genève ; la seconde est quand aurons-nous le Paracelse de Genève, [30] on nous a mandé qu’il est achevé, en avez-vous à Lyon, combien y a-t-il de volumes ? Et hoc unum nobis deerat ad felicitatem sæculi [31] que Paracelse fût imprimé de notre temps afin que ce prince des charlatans et effronté imposteur en produise d’autres de nouveau, comme s’il n’en était pas assez partout et que quelque canton du royaume en pût manquer. Quis enim non vicus abundat tristibus illis et obscænis nebulonibus ac ciniflonibus qui carbonum suorum fœtore omnes inficiunt ? [32][88] Et le monde est si sot qu’il se fie à leurs impostures. Un certain misérable serpent nommé Madelain [89] ex agro Turonensi[33] qui a été valet de feu M. Moreau, [90] qui nunc agit lenoniam cum uxore [34] et se dit médecin de Montpellier [91] (c’est la sauce sans laquelle le poisson ne se mangerait point), vendit l’autre jour des pilules [92] et des tablettes à un fripier qui était riche ; il était sujet à des convulsions épileptiques pour aller tous les jours au cabaret ; la femme du fripier, qui était sujette à un mal de tête, prit du même remède, croyant qu’il lui serait fort bon ; voyant que le charlatan en recevait 3 pistoles, le mari en perdit l’esprit et en mourut au bout de 8 jours, fou et insensé, après plusieurs évacuations par haut et par bas ; et la femme en est morte 22 jours après, avec un vomissement perpétuel qui ne l’a jamais quittée jusqu’à la mort. Vous ne doutez point qu’il n’y ait là de ce bon et précieux remède que Guénault [93] appelle de l’antimoine ; [94] mais bien plutôt, où est la justice de Dieu et des hommes ? Il n’en est plus. [95]

Ultima cælestum terras Astræa reliquit[35][96]

Il est mort un fort homme de bien à Paris, âgé de 40 ans, c’est le chevalier Molé, [97] fils du défunt garde des sceaux [98] de France. Ces chevaliers de Malte [99] sont gens fort simples, fort innocents et fort chrétiens, gens qui n’ont rien de bon que l’appétit, cadets de bonne maison qui ne veulent rien savoir, rien valoir, mais qui voudraient bien tout avoir ; au reste, gens de bien et d’honneur, moines d’épée qui ont fait trois vœux, de pauvreté, de chasteté et d’obédience. Pauvreté au lit, ils couchent tout nus et n’ont qu’une chemise à leur dos. Chasteté à l’église, où ils ne baisent point les femmes. Leur troisième vœu est l’obéissance à table : quand on les prie d’y faire bonne chère, ils le souffrent, ils mangent, après qu’ils sont saouls, [36] d’une cuisse de perdrix, puis du biscuit, en buvant par-dessus du vin d’Espagne, [100] du rossolis [101] et du populo, [37][102] avec des confitures ou de la pâte de Gênes. [38][103] Et tout cela par obéissance, O sanctas gentes ! etc[39][104] Ce bon chevalier laisse deux frères : l’un, M. Molé de Champlâtreux,  [105]président à mortier, et l’autre, M. de Sainte-Croix Molé, maître des requêtes[40][106] Vale et me ama, tuus ex animo[41]

De Paris, ce 27e d’août 1658.


a.

Reveillé-Parise, no cccxxxv (tome ii, pages 418‑426).

1.

La tentative de viol commise par ce capitaine n’était pas sans scandale car il était petit-fils d’un ancien chancelier de France (Étienne i d’Aligre, nommé en 1624 et mort en 1635) et fils d’un futur titulaire de la même charge (Étienne ii, nommé en 1672).

Jean d’Aligre (1632-1710), chevalier de Malte, est le seul de la famille dont la biographie soit compatible avec le crime relaté par Guy Patin.

2.

« suivant la coutume ordinaire. »

3.

Mme de Motteville (Mémoires, page 466) :

« Après l’heureuse guérison du roi, la cour revint à Compiègne où Leurs Majestés reçurent les premières marques de la joie publique ; ils n’y tardèrent guère parce que le roi avait dessein de se montrer à son peuple, et delà s’en aller à Fontainebleau. Il ne parut point changé de sa maladie. Aussitôt qu’il eut pris l’air, les forces lui revinrent et quand il arriva à Paris, moi-même, qui ne l’avais point vu malade et qui n’avais point été du voyage, je le trouvai aussi gras et d’aussi bonne mine qu’à l’ordinaire. Il reçut avec plaisir et quelques marques de bonne volonté ceux qui avaient jeté des larmes pour lui. […] Le roi était sérieux, grave et fort aimable. Sa grandeur, jointe à ses grandes qualités, imprimait le respect dans l’âme de ceux qui l’approchaient. Il parlait peu et bien, ses paroles avaient une grande force pour inspirer dans les cœurs et l’amour et la crainte, selon qu’elles étaient douces ou sévères.

Le cardinal de Mazarin demeura sur la frontière pour finir le siège de Gravelines qu’il avait fait attaquer par le maréchal de La Ferté ; cette place fut en effet si bien attaquée qu’elle se rendit au roi le 30 août. Après cette expédition, le ministre revint trouver le roi et la reine à Fontainebleau, environ quinze jours après leur arrivée. »

4.

Emporté par un coup de canon, Roger de Nagu, marquis de Varennes, baron de Merzé, fils de François (mort en 1633), avait été nommé maréchal de camp en 1642 puis lieutenant général des armées du roi en juin 1655 ; il était gouverneur d’Aigues-Mortes et chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit.

Turenne (Mémoires, tome deuxième, pages 140‑142) :

« On savait bien que, depuis la bataille de Dunkerque, l’ennemi avait retiré ce qu’il y avait de meilleur d’infanterie ; et se flattant sur ce qu’ils pensaient, qu’ayant cette place-là derrière soi, on ne songerait qu’à l’affamer, et aussi que, comme ils avaient le cœur du pays à défendre, ils laissaient la frontière assez mal pourvue (il n’y avait plus que sept à huit cents hommes dans Gravelines), M. de Turenne envoya sept ou huit régiments d’infanterie pour le siège et demeura auprès de Dixmude. {a} M. le marquis de Créqui étant toujours avec un corps détaché fort proche de Nieuport, où M. le duc d’York et M. le marquis de Caracène furent plus d’un mois, M. le Prince à Ostende et Don Juan à Bruges, et le prince de Ligne à Ypres, se tenant tous si serrés que l’armée du roi ne s’affaiblissait que par les maladies, quoiqu’il fallût aller tous les jours au fourrage et que l’on fît beaucoup de courses dans le pays.

M. de Turenne envoya M. de Varennes, lieutenant général, que M. le maréchal {b} lui demanda comme une personne qui entendait très bien les sièges. Le trois ou quatrième jour après la tranchée ouverte, {c} il fut tué d’un coup de canon. {d} Il avait été toute sa vie avec M. de Turenne et c’était un des meilleurs officiers qu’il y eût en France. M. le comte de Moret fut aussi tué du même coup ; il était lieutenant des gendarmes de M. le cardinal, et devait avoir le gouvernement de Gravelines. M. de Turenne l’aimait tendrement et il n’y avait point de gentilhomme en France à qui il eût si tôt ouvert son cœur, lui ayant reconnu en diverses affaires de la cour un procédé fort sincère et accompagné de beaucoup de jugement, sans laquelle qualité toutes les autres, et principalement à la cour, se rendent inutiles, et à soi et à ses amis. Il n’est pas croyable comme il en a été touché, et comme d’une perte qui ne se répare point. »


  1. En Flandre occidentale.

  2. Le maréchal de La Ferté.

  3. L’ouverture de la tranchée avait eu lieu dans la nuit du 7 au 8 août 1658.

  4. Varennes eut la tête emportée dans la nuit du 12 au 13 août.

5.

« qui avait jadis été la maîtresse de Henri iv, vers l’an 1609. »

6.

Dans la seconde partie de l’Euphormion de Jean Barclay (v. note [20], lettre 80), Henri iv apparaît sous le pseudonyme de Protagon. Introduit dans le palais (l’Arsenal) de Doromise (Sully), Euphormion assiste au mariage de la jeune et jolie Casina avec Olympio, déguisé en femme (page 141) :

« < il > avait un voile si gentiment replié que les deux bouts se relevaient pour représenter naïvement sur son front deux petites cornes, aussi bien faites que celles que les poètes donnent à Bacchus. Sur son porte-épée était la ceinture conjugale, attachée et nouée de tant de nœuds et si serrés que quelques années se devaient passer sans que l’on pût venir à bout de les détacher. […] Un certain pontife revêtu de blanc les maria avec des clauses véritablement nouvelles […] : “ Que vous, Olympio, ne toucherez point à votre épouse ni ne la baiserez, sinon quand vous irez aux champs et que vous promettrez de ne point revenir que trois semaines ne soient passées. Que vous ne lui toucherez point le sein, ne vous informerez point comme elle passera les nuits et ne viendrez tirer les rideaux de son lit qu’il ne soit au moins neuf heures du matin. Que si cependant les dieux lui font des enfants, vous en ferez état et en aurez autant ou plus de soin que s’ils étaient à vous, trop heureux de voir augmenter votre maison et de vous voir des héritiers qui ne vous ont pas donné beaucoup de peine à mettre au monde et qui ne vous coûteront guère à nourrir. Si vous observez ponctuellement ces conditions, il vous sera loisible de vous dire le mari d’une telle et de courir heureusement par tout le monde en fort bon équipage. ” »

Dans cette satire allégorique, Casina est Jacqueline de Bueil (v. note [4], lettre 579), orpheline de bonne famille. Elle fut plus ou moins vendue (30 000 écus) à Henri iv, à l’âge de 15 ans, par une grand-tante qui lui tenait lieu de tutrice (Charlotte de la Trémoille, princesse de Condé). Quelques semaines après la « négociation », le 5 octobre 1604, le roi donna de la respectabilité à sa nouvelle maîtresse en lui faisant épouser celui que Barclay appelait Olympio : Philippe de Harlay de Champvallon, sieur de Cézy, gentilhomme ruiné ; la belle ne le vit que le jour de son mariage, et le royal amant lui acheta le comté de Moret.

Casina est le titre d’une pièce de Plaute, qu’Édouard Sommer, dans son édition des Comédies de Plaute (Paris, L. Hachette et Cie, 1865, in‑8o), a introduite par cette notice (tome premier, pages 235‑236) :

« Si l’on n’a pas lu Casina, on ne saurait se faire une idée de la licence que comportait le théâtre des Romains. Dans cette pièce, Plaute est le rival d’Aristophane, dont il égale presque les tableaux les plus licencieux, sans s’élever cependant, ou plutôt sans s’abaisser jusqu’à la verve impudente de Lysistrate. {a} Le dénoûment de Casina est sans aucun doute moral et honnête ; mais avant d’y arriver on risque plus d’une fois de se boucher les oreilles et de détourner les yeux.

Un vieillard, amoureux d’une servante de sa femme, veut la faire épouser à son fermier, {b} et promet à ce dernier de l’affranchir s’il lui cède la première nuit ; le fils, amoureux de cette même servante, veut la donner aux mêmes conditions à son écuyer. Les deux esclaves se disputent Casina avec acharnement, et ni l’un ni l’autre ne paraît éprouver aucun scrupule du marché honteux qu’il a conclu. Le fermier l’emporte ; l’autre s’entend, pour se venger, avec la femme du vieillard, et à la nouvelle épousée on substitue pour la nuit un garçon vigoureux, qui bat à outrance le nouveau marié et le vieux libertin. Le fermier s’élance éperdu et presque nu sur la scène, roué de coups, bafoué, honteux, et raconte sa mésaventure dans des termes tels que le manuscrit a été mutilé et lacéré en cet endroit d’une façon presque complète ; le peu qui reste suffit cependant pour nous faire juger du ton du récit. Le vieillard, qu’on s’est bien gardé d’avertir, se présente à son tour au lit de la mariée et revient dans un état aussi piteux, recevoir les reproches et les railleries de sa femme et d’une commère. »


  1. V. note [34] du Borboniana 7 manuscrit.

  2. Dénommé Olympio.

En 1607, la belle Jacqueline mit au monde un bâtard, Antoine de Bourbon, comte de Moret (v. note [32] du Patiniana I‑1), qui fut légitimé l’année suivante. La comtesse réussit à faire annuler son mariage et après des années de vie légère, elle s’adonna à la dévotion. Elle en sortit après la mort de Henri iv et épousa en 1617 René ii du Bec-Crespin, marquis de Vardes. Ils eurent deux fils : l’aîné, François-René, fut le marquis de Vardes (v. note [2], lettre 579), que ses intrigues à la cour de Henriette d’Angleterre ont rendu célèbre ; le cadet, Antoine, comte de Moret, avait été tué au siège de Gravelines le 13 août 1658. La comtesse était morte en octobre 1651.

Tallemant des Réaux a consacré une historiette à Mme de Moret et M. de Cézy (tome i, pages 62‑65).

7.

Le comte de Cézy (1582-1652), Philippe de Harlay, était de la famille du premier président Achille i de Harlay (v. note [19], lettre 469). Après l’annulation, en 1607, de son mariage avec la belle Jacqueline, le comte épousa Marie de Béthune en 1610. Ayant obtenu l’ambassade de Constantinople en 1619, il y commit toutes sortes de friponneries et d’imprudences, qui le menèrent à la ruine. En 1631, on l’y remplaça par Henry de Gournay, qui fit encore pis que lui ; si bien qu’en 1634 on remit le comte de Cézy auprès du Grand Turc, où il demeura jusqu’en 1639. Après quelques années passées à Venise, il revint définitivement à Paris. Le fils de Cézy dont parlait ici Guy Patin se prénommait Roger (1615-1669) ; nommé évêque de Lodève le 30 juin 1657 par Louis xiv, il avait été sacré le 2 juin 1658 (R. et S. Pillorget et Adam).

8.

« en haut de la 2e colonne. »

Dans le dédale des rééditions lyonnaises alors disponibles (1654 et 1656) du Sennertus, c’est-à-dire des Opera [Œuvres (complètes)] de Daniel Sennert (v. note [33], lettre 285), il devait exister un tome premier contenant plus de 616 pages, mais je n’ai pas su le trouver. Toutefois, par heureuse coïncidence, ce numéro de page existe dans une réimpression ultérieure (Lyon, 1666, v. note [3], lettre 819) et le lecteur voudra bien me pardonner cet anachronisme bibliographique. Ce qui mettait Guy Patin « tout en colère » était sans aucun doute le paragraphe intitulé De venæ sectione in Infantibus et Senib. Zacutus Lusitanus [Zacutus Lusitanus sur la phlébotomie chez les enfants et les vieillards], dans le chapitre xvii (De venæ Sectione [La Phlébotomie]), section i (De Indicatione præservatoria [L’Indication préventive]), partie ii (De Methodo medendi [La Méthode pour remédier]) du livre v (De Therapeutica [La Thérapeutique]) des Institutiones Medicæ [Institutions de médecine] :

Quod ætas puerilis et senilis, ob debilitatem virium, venæ sectionem non admittat, apud Medicos plerosque in confesso est : aliqui tamen audaciores etiam in his ætatibus venas aperiunt, ut supra dictum. Inter eos non immerito numeratur Zacutus Lusitanus, qui non solum, in Prax. Med. Admir. lib. 3. observ. 3. refert, se puello quadrimo, febre calidissima laboranti, sanguineo, eadem die bis venam aperuisse, et postea adhuc quinquies sanginem emisisse, et puerum onere sanguinis levatum septimo die sudore iudicatum fuisse ; et ibid. observ. 5. scribit, se sæpius venæ sectionem in senibus adhibuisse, in octogenariis multoties, in ætate 85. annorum septies, in nonagenariis bis solum ; sed et de Med. Princ. histor. lib. 1. histor. 80. q. 47. prolixe probare conatur, quod etiam infantibus duos annos natis, imo septimo sextove mense, vena aperiri tuto possit : et Medicos Septentrionales oscitantiæ arguit, quod in mittendo sanguine in pueris ante 14. annuum adeo timidi sint, et plures ægrorum acutis morbis correptos perire sinant, qui sanguinis missone servari potuerint. Et in specie Hamburegenses Medicos reprehendit, qui sancita veluti lege caveant, ne ante annum ætatis nonum vena aperiatur ; cum sine venæ sectione etiam minoris ætatis pueri in inflammationibus internis, et acutissimis morbis servari non possint. Imprimis vero eos taxat, qui in adultis in sanguine mittendo sunt timidiores, et inter eos, Medicos in Septentrionalibus locis medicinam facientes ; et quidem ea de caussa, quod homines in istis regionibus sunt robustissimi, sanguinei, rubicundi, quippe qui victu utantur valentissimo, carnibus avide nutrientibus, et similibus, et cervisiam sanguini generando satis aptam copiosus bibant. […]

Responsio ad obiectionem Zacuti de venæ s. in Septentrionalibus

Quod vero Zacutus Medicos Septentrionales reprehendit, quod in mittendo sanguine parciores et minus audaces sint, id sine caussa facit. Nam cum, ut ipse ait, differat pro natura locorum medicina, et aliud sit Romæ, aliud in Ægypto, aliud in Gallia medicinam facere : omnino, quod licet in venæ sectione in Italia, Hispania, Ægypro, India ; non licet in Germania, et præcipue locis magis septentrionalibus. […]

Præterea cum Septentionales plerumque sunt carnosi, maxima pars sanguinis in carnes absumitur : contra qui in calidis regionibus habitant, plerumque minus sunt carnosi ; propterea plus sanguinis in venis colligunt. Cum ergo in iis, qui in regionibus calidis habitant, sanguis et copiosus et calidus, ac spirituosus, imo nec tam copiosus est, imitari tutum non est. Et experientia testatur, quam faile multi in hisce regionibus, qui etiam videntur robustissimi, si sanguis paulo copiosus emittatur, animo linquantur, vel etiam in alium morbum incidant. Memini, cum adhuc Studiosus, Medicinæ operam darem, Medicum quendam, qui ex Italia nuper huc venerat, cuidam Studioso, civi meo, pleuritide laboranti, non semel, sed aliquoties venam aperuisse, et sanguinem satis copiose emisisse. Unde factum, ut æger quidem pleuritide liberatus fuerit, palo post vero, hepate ob sanguinis nimiam evacuationem, valde refrigerato, in hydropem inciderit : quo et obiit.

[De nombreux médecins croient que les enfants et les vieillards ne tolèrent par la phlébotomie, en raison de leur faible résistance. Toutefois, certains audacieux ouvrent les veines même à ces âges, comme je l’ai dit plus haut. Parmi eux, il n’est pas injustifié de nommer Zacutus Lusitanus qui rapporte non seulement, en sa Praxis medica admiranda (livre 3, observation 3), {a} qu’il a ouvert les veines deux fois le même jour chez un petit garçon de tempérament sanguin, âgé de quatre ans, qui souffrait d’une fièvre très ardente, puis qu’il l’a encore saigné cinq autres fois, et qu’au septième jour, une fois l’enfant délivré de sa surcharge de sang, son mal s’est conclu par une suée ; mais il écrit aussi, ibid. observation 5, qu’il a très souvent prescrit la phlébotomie à des vieillards, maintes fois chez des octogénaires, dont sept fois à l’âge de 85 ans, mais seulement deux fois à des nonagénaires ; et aussi, en ses Medicorum principum Historiæ (livre 1, histoire 80, question 47), il entreprend de prouver longuement que, même chez des enfants de deux ans, voire de six ou sept mois, il a pu ouvrir les veines sans danger ; et il accuse les médecins septentrionaux de nonchalance pour leur timidité à saigner les enfants avant l’âge de 14 ans, si grande qu’ils laissent périr beaucoup de ceux qui sont atteints de maladies aiguës, quand ils auraient pu être secourus par la phlébotomie. Il s’en prend tout particulièrement aux médecins de Hambourg qui se gardent d’ouvrir les veines avant l’âge de neuf ans, comme si la loi l’interdisait, étant donné que, sans phlébotomie, même les enfants en bas âge ne pourraient être sauvés en cas d’inflammation {b} interne et de maladies suraiguës. En vérité, il blâme surtout ceux qui montrent trop de crainte à saigner les adultes et, parmi eux, les médecins qui exercent la médecine dans les pays du nord ; et ce pour la raison, bien sûr, que les hommes de ces contrées sont extrêmement robustes, sanguins, rubiconds, car ils se nourrissent très richement, étant fort friands de viandes et autres mets semblables, et consomment de grandes quantités de bière, qui est une boisson apte à engendrer le sang. (…)

Réponse à l’objection de Zacutus sur la phlébotomie chez les Septentrionaux.

Ce n’est pas sans raison que Zacutus reproche aux médecins septentrionaux d’être fort parcimonieux et de manquer d’audace dans le recours à la saignée, car, comme il dit lui-même, les remèdes diffèrent selon la nature des lieux, et la médecine s’exerce différemment à Rome, en Égypte, en France : en somme, ce qui permet la phlébotomie en Italie, en Espagne, en Égypte, en Inde, ne la permet pas en Allemagne, ni plus géralement dans les pays nordiques. (…)

En outre, puisque les Septentrionaux sont habituellement corpulents, la plus grande partie de leur sang est absorbée dans les chairs ; au contraire, ceux qui habitent dans les régions chaudes sont ordinairement moins charnus et ont en conséquence plus de sang dans les veines. Puisque donc, chez ceux qui habitent dans les régions chaudes, le sang des veines est abondant, chaud et spiritueux, il est permis de les saigner fort libéralement ; ce qu’il n’est pas prudent d’imiter chez les Septentrionaux dont le sang est plus froid et moins spiritueux, et surtout n’est pas aussi abondant. Et l’expérience atteste à quel point beaucoup de ceux-là, qui pourtant paraissent très robustes, rendent l’âme ou tombent aisément en une autre maladie si on les saigne, même en petite quantité. Je me souviens, alors que j’étudiais encore la médecine, d’un médecin récemment arrivé là {c} d’Italie qui avait prescrit non pas une, mais plusieurs saignées, et assez copieuses, à un étudiant de mes collègues qui souffrait de pleurésie. Cela fait, le malade guérit tout à fait de sa pleurésie ; mais peu après, le foie ayant été fort refroidi par la trop grande évacuation de sang, il tomba en hydropisie et en mourut].


  1. V. note [7], lettre 68, pour Abraham Zacutus Lusitanus, médecin portugais d’Amsterdam mort en 1642, et ses deux ouvrages que Sennert citait dans ce passage : la « Pratique médicale admirable » et ses six livres d’« Observations médicales des principaux médecins ».

  2. V. note [6], lettre latine 412.

  3. À Wittemberg, en Saxe (v. note [22], lettre 104), où Sennert avait étudié puis professé la médecine.

Ces propos se lisent à l’identique dans l’édition des Opera de Sennert parue à Lyon en 1650 (tome premier, pages 718‑719). Pourtant, ils ne figurent pas dans l’édition que Patin a donnée de ce chapitre (Paris, 1641, tome premier, pages 709‑715 ; impression entamée en novembre 1638, v. note [12], lettre 44) ; on ne peut cependant pas l’accuser de censure puisqu’ils ne figurent pas non plus dans ce même chapitre des Institutionum Medicinæ libri v. Authore Daniele Sennerto… Ultimum aucti, recogniti, iamque ter editi in Germania, nunc primum in Gallia [Cinq livres des Institutions médicales. Par Daniel Sennert… Augmentés pour la dernière fois, revus et déjà publiés trois fois en Allemagne, mais pour la première fois en France] (Paris, sans nom, 1632, in‑4o, pages 1041‑1054), qui était la dernière édition dont Patin avait pu se servir pour établir la sienne. Cette discussion oiseuse à propos de Zacutus ne se trouvant pas non plus dans l’édition publiée l’année même où mourut Sennert (Venise, Franciscus Baba, 1641, in‑fo, pages 441‑446), elle est à considérer comme une addition posthume. Patin pouvait donc légitimement en contester l’authenticité, et ce d’autant plus vigoureusement que sa teneur lui déplaisait : comme il l’a écrit plusieurs fois, il n’admettait pas la méfiance des médecins du nord de l’Europe à l’encontre de la saignée.

9.

« il a été nul en pratique, ou du moins y a-t-il eu grand besoin du nageur de Délos. »

Le nageur de Délos (Δηλιος κολυμβητης, Delius natator) est un personnage proverbial venant au secours des lecteurs qui se noient dans les complexités d’un livre (ou, comme ici plutôt, au secours des praticiens perdus dans celles de leur art). Piochant dans Diogène Laërce, Érasme (adage no 529) a attribué l’expression à Socrate : {a}

Cum enim huic Euripides librum obtulisset Heracliti, cui cognomen additum σκοτεινω ptopter affectatam scriptorum obscuritatem, rogaretque cujusmodi videretur, respondisse fertur hoc pacto : Α μεν συνηκα γενναια οιμαι δε και α μη συνηκα πλην Δηλιου δειται κολυμβητου εις το μη αποπνιγηναι εν αυτω, id est Quæ quidem intellexi, præclara ; arbitror autem et ea, quæ non intellexi, quamquam natatore Delio opus, ut ne quis in eo præfodetur. Hæc Socrates alludens simul et ad proverbium est ad Heracliti sensus nimium abstrusos ac profundos. Ut nisi natator insignite peritus contigisset, periculum esset ne lector in eo libro suffocaretur mergereturque. Laertius in Heraclito refert hoc dictum ad Cratetem quemdam, qui primus Heracliti librum de natura Græcis invexerit et hoc elogio commendarit.

[Comme Euripide {b} lui avait montré un livre d’Héraclite, {c} auquel il avait ajouté le surnom de ténébreux, à cause de l’obscurité étudiée de ce qui y était écrit, et lui avait demandé ce qu’il en pensait, on raconte que Socrate répondit : « Ce que j’en ai compris est bien fait ; ce que je n’ai pas compris aussi, me semble-t-il ; sauf qu’il faut être un nageur de Délos pour ne pas s’y noyer. » Socrate ici s’amusait à la fois du proverbe, et des pensées trop abstruses et trop profondes d’Héraclite, au point qu’à moins de tomber sur un nageur extrêmement adroit, il y avait danger pour le lecteur d’en être submergé et de s’y noyer. Laërce {d} dans Héraclite attribue ce dicton à un certain Cratès qui a le premier apporté aux Grecs le traité d’Héraclite sur la Nature et l’aurait accompagné de ce commentaire].


  1. V. note [4], lettre 500

  2. V. note [16], lettre 290

  3. V. note [8], lettre latine 326.

  4. Diogène Laërce, ix, 12.

10.

« qui tous s’en trouvent heureusement guéris. »

11.

V. note [11], lettre 437, pour l’ouvrage de Jean Guiot de Garambé sur les eaux de Sainte-Reine (Bâle, 1653).

12.

« ce dont il a été question ».

13.

« La fortune de cour est une servitude resplendissante, tout emplie de malheur, de souffrance et de misères ; la cour a rendu peu de gens heureux, qu’elle a cependant ruinés. »

Ce sont les deux derniers vers (morale) de la fable de Gabriele Faerno (Gabriel Faërne ; Crémone vers 1510-Rome 1561), intitulée Turdi [Les Grives] :

Paucos beavit aula, plures perdidit ;
Sed et hos quoque ipsos, quos beavit, perdidit
.

[La cour a rendu peu de gens heureux, elle en a perdu beaucoup ; mais elle a aussi perdu ceux-là mêmes qu’elle a rendus heureux].


  1. Page 8 des Fabulæ centum ex antiquis auctoribus delectæ et a Gabriele Faerno Cremonensis carminibus explicatæ [Cent Fables choiies chez les anciens auteurs et illustrées par les poèmes de Gabriele Faerno natif de Crémone] (Rome, Vincentius Luchinus, 1564, in‑4o illustré de 200 pages).

V. note [5], lettre latine 294, pour le jugement mitigé de Jacques-Auguste i de Thou sur les talents de Faerno.

14.

« chacun aime la modération qui vaut de l’or, tout le monde évitera la crasse d’un toit délabré, et celui qui est sobre évitera la cour qu’il faut regarder d’un mauvais œil » (Horace, Odes, livre ii, x, vers 5‑8).

15.

« Tant que j’aurai du pain et de l’eau, je suis prêt à disputer du bonheur avec Jupiter en personne ».

16.

Au sens propre, le trictrac était un jeu de dés et de pions (dames) sur un tablier (damier) identique à ce qu’on appelle aujourd’hui le jacquet ou le backgammon. « Le nom lui vient du bruit que font les dames en les maniant. On disait autrefois tictac, comme on fait encore en Allemagne » (Furetière). Pour le sens figuré, « la manière d’être, le train d’une chose », Littré DLF cite ce passage de Guy Patin.

17.

« mais je ne sais diable pas de laquelle il s’agit, etc. » : sans doute s’agissait-il de la Grande Confrérie de Notre-Dame (v. note [4], lettre 642), mais elle se réunissait ordinairement à la Madeleine (sur l’Île de la Cité), et non pas à Saint-Eustache.

18.

D’après la Gazette (Levantal), la famille royale quitta Paris pour Essonnes (v. note [28], lettre 166) dans l’après-midi du 19 août ; elle ne mentionne ni ce jour-là, ni le 17, une venue du roi à l’église Saint-Eustache.

19.

« Ce ne sont que souhaits et rêveries, pour ne pas dire fables et chimères. » Hardouin de Beaumont de Péréfixe (v. note [38], lettre 106), évêque de Rodez, avait été nommé précepteur du roi en 1642.

Notre-Dame des Ardilliers est, à Saumur, un sanctuaire édifié près du lieu où au xve s. un journalier trouva, en bêchant auprès d’une source, une statue de la Vierge en argile (ardille en vieux français) ; l’ayant plusieurs fois rapportée chez lui, elle retourna autant de fois dans son trou ; plusieurs miracles s’y produisirent ensuite. C’était au xviie s. le pèlerinage marial le plus couru de France, confié aux oratoriens, qui y firent construire une chapelle royale et un séminaire de théologie.

20.

Louis-Chalon Du Blé, marquis d’Uxelles (v. note [3], lettre 313) avait été tué devant Gravelines. Son fils aîné (1648-1669) portait le même prénom que lui ; le second, Nicolas (1652-1730), devint maréchal de France en 1703.

21.

« fut jadis imprimeur et est fils d’un imprimeur de Metz ».

Le maréchal Abraham ii de Fabert (v. note [15], lettre 357) était le fils d’Abraham i (vers 1560-1638) imprimeur juré à Metz, pensionnaire de la cité, qui en fut cinq fois maître échevin. Né en 1599, Abraham ii ne prit pas le temps d’apprendre l’imprimerie : « Dès sa jeunesse, il annonça un goût décidé pour les armes ; et aussitôt qu’il fut en âge d’entrer au service, le duc d’Épernon le plaça dans un de ses régiments » (Michaud).

Écrites par Abraham i, les Coutumes générales de la ville de Metz et Pays messin… (Metz, 1613, in‑8o) ont paru sous la signature du libraire A. Fabert le jeune ; mais Abraham ii n’avait alors que 14 ans et a probablement dû servir de prête-nom à son père.

22.

« tant pour les arts de la guerre que de la paix. »

23.

« augmenté d’une troisième partie » :

Thesaurus temporum Eusebii Pamphili Cæsareæ Palestinæ episcopi, Chronicorum canonum omnimodæ historiæ libri duo, interprete Hieronymo, ex fide vetustissimorum Codicum castigati. Item auctores omnes derelictos ab Eusebio et Hieronymo continuantes. Eiusdem Eusebii utriusque partis chronicorum canonum reliquiæ Græcæ, quæ colligii potuerunt. Opera ac studio Iosephi Iusti Scaligeri, Julii Cæsaris à Burden Filii. Editio altera in qua eiusdem Iosephi Scaligeri tertia fere parte auctiores notæ et castigationes in Latinam Hieronymi interpretationem et Græca Eusebii suprema autoris cura emendatæ. Eiusdem Iosephi Scaligeri Isagogicorum chronologiæ canonum libri tres ad Eusebii chronica et doctrinam de temporibus admodum necessarii cum duobus indicibus rerum et auctorum.

[Trésor des calendriers d’Eusèbe Pamphile, évêque de Césarée en Palestine, {a} deux livres de chroniques canoniques de tous les genres d’histoire, d’après la traduction de Jérôme, corrigés sur la foi des recueils les plus anciens. De même que tous les auteurs oubliés qui ont suivi Eusèbe et Jérôme. Du même Eusèbe, tous les fragments en grec de l’une et l’autre partie des chroniques canoniques qu’on a pu colliger. Par les soins et l’étude de Joseph-Juste Scaliger, fils de Jules-César de Burden. Nouvelle édition où se trouve presque une troisième partie de ce même Scaliger, très augmentée par les notes et les corrections qu’il a apportées avec le plus grand soin au grec d’Eusèbe et à la traduction latine de Jérôme. {b} Du même Joseph Scaliger, trois livres tout à fait nécessaires de canons introductifs à la chronologie, sur les chroniques et la doctrine d’Eusèbe à propos des temps, avec deux index, des choses et des auteurs]. {c}


  1. Le théologien grec Eusèbe de Césarée (vers 265-339), surnommé Pamphile (à cause de son amitié pour son maître saint Pamphile), a fondé l’histoire ecclésiastique chrétienne.

  2. Saint Jérôme (v. note [16], lettre 81) a traduit en latin la chronique d’Eusèbe et l’a prolongée jusqu’à l’année 379.

  3. Amsterdam, Joannes Janssonius, 1658, in‑fo de 435 pages, texte grec commenté en latin. La première édition avait paru à Leyde en 1606 (v. note [2], lettre latine 116).

24.

« dans les canons introductifs. »

25.

« Bien pire ».

26.

Suite de la grande querelle des moines du couvent des Grands-Augustins (v. note [26], lettre 524). Jean de La Fontaine a donné une Ballade sur le siège et la bataille des Augustins, le vendredi 23 Août 1658, sur le refus que firent les Augustins de prêter leur interrogatoire devant Messieurs en 1658 :

« Aux Augustins, sans alarmer la ville,
On fut hier soir ; mais le cas n’alla bien :
L’huissier, voyant de cailloux une pile,
Crut qu’ils n’étaient mis là pour aucun bien.
Très sage fut, car, avec doux maintien,
Il dit : “ Ouvrez ; faut-il tant vous requerre ?
Qu’est-ce ceci ? Sommes-nous à la guerre ?
Messieurs sont seuls, ouvrez et croyez-moi.
– Messieurs, dit l’autre, en ce lieu n’ont que querre.
Les Augustins sont serviteurs du roi.

– Dea ! {a} répond l’un des Messieurs fort habile,
Conseiller clerc, et surtout bon chrétien,
Vous êtes troupe en ce monde inutile,
Le tronc vous perd depuis ne sais combien ;
Vous vous battez, faisant un bruit de chien.
D’où vient cela ? Parlez, qu’on ne vous serre.
Car, que soyez de Paris ou d’Auxerre,
Il faut subir cette commune loi ;
Et, n’en déplaise aux suppôts de saint Pierre,
Les Augustins sont serviteurs du roi. ”

Lors un d’entre eux (que ce soit Pierre ou Gille,
Il ne m’en chaut, car le nom n’y fait rien)
“ Vraiment, dit-il, voilà bel évangile !
C’est bien à vous de régler notre bien.
Que le tronc serve à l’autel de soutien,
Ou qu’on le vide afin d’emplir le verre,
Le Parlement n’a droit de s’en enquerre ;
Et je maintiens comme article de foi
Qu’en débridant matines à grand’erre
Les Augustins sont serviteurs du roi. ”

[Envoi]

Sage héros, ainsi dit frère Pierre.
La Cour lui taille un beau pourpoint de pierre ; {b}
Et dedans peu me semble que je voie
Que, sur la mer ainsi que sur la terre,
Les Augustins sont serviteurs du roi. »


  1. Dame.

  2. La Cour le met en prison (v. note [4], lettre 219).

27.

« ce qui est à moi et ce qui est à toi » ; Platon, dialogue entre Socrate et Glaucon (livre v de La République) :

« [S.] Un État n’est-il pas désorganisé s’il n’y existe pas de sentiment collectif, mais seulement des sentiments individuels, si une moitié de la population est en liesse tandis que l’autre est plongée dans la tristesse quand les mêmes événements arrivent à la cité ou aux citoyens ?
[G.] Certes.
[S.] De telles différences surviennent ordinairement quand on n’est pas d’accord sur l’emploi des termes “ mien ” et “ non mien ”, “ sien ” et “ non sien ”.
[G.] Exactement.
[S.] Et l’État le mieux ordonné n’est-il pas celui où la plus grande partie des habitants appliquent les termes “ mien ” et “ non mien ”, de la même façon aux mêmes choses ?
[G.] C’est tout à fait vrai. »

28.

« Ô la belle fable ! » (j’ai a mis au vocatif cette exclamation que Reveillé-Parise a mise à l’accusatif, O speciosam fabulam !).

29.

« sur la Sobriété » : thèse retentissante que Jean de Montigny avait disputée en mars 1647 sous la présidence de Guy Patin (v. note [6], lettre 143) et contre laquelle le médecin chimiste E.R. Arnaud avait écrit un libelle, Patinus fustigatus [Patin fouetté] (v. note [3], lettre 243), mais l’intervention des amis lyonnais de Patin avait permis d’en bloquer la parution.

30.

V. note [8], lettre 392, pour cette édition latine des Opera omnia medico-chymico-chirurgica de Paracelse.

31.

« Et tout ce qui manquait à la félicité du siècle, c’est ».

32.

« Quel bourg, en effet, ne regorge point de ces austères et funestes vauriens et de ces souffleurs, qui infectent toutes choses par la puanteur de leurs charbons ? » Le début est de Juvénal : Quis enim non vicus abundat tristibus obscænis ? (Satire ii, vers 8‑9).

33.

« de Touraine » ; v. note [30] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot…, pour Antoine Madelain (qui était de fait docteur en médecine de Montpellier).

34.

« qui maintenant fait le maquereau avec son épouse ».

35.

« Astrée a été la dernière des déesses à quitter les terres » (Ovide, Métamorphoses, livre i, vers 150).

Dans la mythologie grecque, Astrée, fille de Zeus et personnification de la Justice, fut la dernière des immortelles à vivre parmi les humains durant l’Âge d’or. Elle quitta la terre, durant l’Âge de bronze, quand l’humanité devint corrompue et Zeus la plaça dans le ciel sous la forme de la constellation de la Vierge.

36.

Repus.

37.

Populo (Trévoux) : « espèce de rossolis [v. note [6], lettre 220] fort léger et délicat, qui se fait avec de l’eau commune ou de l’eau de veau, de l’esprit de vin et du sucre, à quoi on ajoute de l’essence d’anis, de celle de cannelle, et tant soit peu de musc et d’ambre. » Littré DLF cite ce passage de Guy Patin pour illustrer le mot.

38.

La pâte de Gênes était une confiserie faite de fruits confits (pêches, abricots, etc.). Quelquefois, en la pressant dans un moule, on lui donnait diverses figures et on la nommait ramage de Gênes.

39.

« Ô les saintes gens ! etc. » ; Juvénal (Satire xv, vers 10‑11), à propos des Égyptiens :

O sanctas gentes, quibus hæc nascuntur in hortis
numina !

[Ô les saintes gens dont les divinités poussent dans les jardins !]

40.

Mathieu ii, chevalier de Malte, était le quatrième et dernier fils de Mathieu i Molé (Popoff, no 123).

V. notes : [8], lettre 214, pour Jean-Édouard Molé de Champlâtreux, président à mortier, son fils aîné ; [53], lettre 280, pour son deuxième fils, Édouard, évêque de Bayeux, mort en 1652 ; et [20], lettre 312, pour François Molé, abbé de Sainte-Croix de Bordeaux, son troisième fils.

41.

« Vale et aimez-moi, vôtre de tout cœur. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 27 août 1658

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(Consulté le 23/04/2024)

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