L. 574.  >
À Claude II Belin,
le 2 septembre 1659

Monsieur, [a][1]

Je ne sais rien de si certain et si véritable que je voudrais bien vous écrire ; néanmoins, je vous fournirai ce que j’en sais présentement. Le roi [2] est encore à Bordeaux où il attend le cardinal Mazarin [3] qui y doit arriver, à ce qu’on dit, le 5e de ce mois. On dit qu’après ils iront à Montauban [4] où les huguenots [5] ont fait les sots, ils y ont pendu leur évêque [6] en effigie. On dit que le roi y en fera pendre quelques-uns et y bâtir une citadelle, puis après qu’ils iront à Toulouse ; [1][7] et que, le temps venu, qu’ils iront à Bayonne. [8] On dit que ce sera M. le maréchal de Gramont [9] qui ira en Espagne quérir la reine ; [10] mais il court un bruit que le roi d’Espagne [11] est fort malade et qu’il a fait son testament. On tient que les entrevues sont achevées et que la conclusion est entièrement faite pour la paix et le mariage[12]

Il y a bien du bruit en Angleterre, divers partis y sont armés. Le roi [13] y est entré, il est dans Exeter, comme en retraite et lieu de sûreté. Il y a été appelé par le parti des presbytériens, qui sont les luthériens, [14] mais il y a d’autres partis contraires, a quibus sibi debet metuere : ardua res est quam suscepit[2] mais je pense qu’il fallait faire ainsi. Omnibus magnis in rebus conatus est in laude, eventus in Fortuna[3][15] s’il ne se pousse, personne ne le poussera. On attend ici journellement des nouvelles de Londres.

J’ai eu ici entre mes mains le catalogue de la foire de Francfort [16] de Pâques, dans lequel on nous promet pour celle d’automne deux livres nouveaux, bons et curieux, de médecine, savoir Thomæ Reinesii Epistolæ ad Casp. Hofmannum, etc. in‑4o, l’autre est Melch. Sebizii Speculum medico-practicum, in‑8o. Il pourra y en avoir à Paris et à Lyon le mois de novembre prochain. On fait en Hollande un recueil de toutes les œuvres de Ioan. Wierus, [17] ce sera un in‑fo. On y imprime aussi le Rabelais, [18] qui sera de belle impression. Vive, vale et me ama. Tuus ex animo, G.P. [4]

De Paris, ce mardi 2d de septembre 1659.


a.

Ms BnF no 9358, fo 177, « À Monsieur/ Monsieur Belin le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no cxliv (tome i, pages 243‑244).

1.

Le roi et la cour étaient arrivés à Bordeaux le 19 août. Ils en partirent le 6 octobre pour gagner Toulouse le 14, mais sans passer par Montauban.

V. note [16], lettre 459, pour Pierre Bertier, évêque de Montauban depuis 1652, qui s’y comportait en grand zélote de la contre-réforme catholique. L’émeute de 1659 avait été provoquée par les jésuites désireux de prendre aux protestants les classes qu’ils détenaient encore dans le Collège royal de la ville. Les affrontements avaient débuté lors d’une représentation théâtrale donnée par les écoliers catholiques, avant de dégénérer par toute la ville. Pierre Bertier fut pendu en effigie, alors que circulaient ces vers :

L’an mil six cent cinquante nau,
lous papistos nous volon mal,
et menasson de nous penja,
mais nous qual a nous commencea,
per Pierres de Bertier avesque de Montalba
.

Sur ordre du roi, le marquis de Saint-Luc, gouverneur de Guyenne, organisa une expédition punitive : 5 000 hommes de troupes furent logés de force chez les familles protestantes, et plusieurs réformés arrêtés et condamnés à mort ou aux galères. Le consulat mi-parti de la ville (moitié catholique, moitié protestant) fut définitivement supprimé au profit des seuls catholiques en 1661.

2.

« dont il doit craindre pour lui : ce qu’il a entrepris est une affaire difficile ».

Le prince de Galles, futur roi Charles ii d’Angleterre, avait dû quitter la France quand Mazarin avait fait alliance avec Cromwell, en 1654. Il combattait depuis en Flandres aux côtés des Espagnols contre les armées anglo-françaises menées par Turenne. La nouvelle de son retour en Angleterre était prématurée (comme Guy Patin allait en convenir dans le second paragraphe de sa lettre à Charles Spon, datée du 5 septembre 1659).

3.

« Dans toutes les grandes affaires l’effort est louable, mais l’issue entre les mains de la Fortune » (Apulée, v. note [1], lettre 479).

4.

« Vive, vale et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. » Les ouvrages mentionnés dans ce passage sont, dans l’ordre :


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 2 septembre 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0574

(Consulté le 20/04/2024)

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