L. 575.  >
À Charles Spon,
le 5 septembre 1659

Monsieur, [a][1]

Un de nos anciens docteurs, Guillaume Du Val, [2] disait que pour aller en paradis il fallait devenir Normand et se dédire de ses péchés ; [1] aussi faut-il que je me dédise car Mme de Beauvais [3] n’est pas morte comme je vous avais écrit, elle a seulement été bien malade à Saintes. [4] Le roi [5] est encore à Bordeaux. On tient la paix [6] et le mariage conclus, et que l’entrevue des deux ministres d’État des couronnes [7][8] ne continue que pour l’intérêt des alliés. [2] M. le maréchal de Gramont [9] est parti pour aller en Espagne ; il entrera à petit bruit dans Madrid, mais il en sortira fort leste et avec grand train quand il emmènera la reine. [10]

M. Gras [11] dira tout ce qu’il voudra, mais je n’ai ouï parler de lui à personne. Je pense qu’il ne réformera non plus notre médecine que l’état politique de l’Europe. Ne vous fiez à rien de ce qu’on dit d’Angleterre, tout est faux : le roi d’Angleterre [12] n’y est point, il est encore en Brabant. [13] On ne rentre pas si tôt dans un royaume lorsqu’on en a été chassé, principalement quand il est environné de la mer. Ils ont coupé la tête au père, [14] s’ils peuvent attraper le fils, ils le pendront à un arbre. Cette nation est cruelle, et puis ils doivent faire leur profit d’un ancien proverbe qui dit que c’est être fou de laisser vivre les enfants après avoir tué le père. [3] Je suis, etc.

De Paris, ce 5e de septembre 1659.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no lxxxi (pages 265‑266), à Charles Spon ; Bulderen, no cxlviii (tome i, pages 388‑389), et Reveillé-Parise, no cccclxxxiv (tome iii, pages 147‑148), à André Falconet. Le début de la lettre du 19 septembre 1659 (no 579) montre que celle-ci est destinée à Spon.

1.

V. note [10], lettre 73, pour Guillaume Du Val. Son bon mot sur les péchés s’entend mieux aujourd’hui avec « revenir sur ce qu’on a confessé » pour « dédire », et en se rappelant le « ptêt’ bin qu’oui, ptêt’ bin qu’non », dont Furetière disait déjà :

« On appelle un homme Normand, quand il ne veut pas tenir un marché qu’il a fait ; on dit aussi qu’un homme répond en Normand lorsqu’il ne dit ni oui, ni non, qu’il a crainte dêtre surpris, de s’engager ; on dit aussi, qu’un homme s’est donné à plus de diables qu’il n’y a de pommes en Normandie, pour dire, qu’il a fait un grand serment. »

2.

Mazarin, pour la France, et don Luis de Haro, pour l’Espagne, traitaient des conditions de la paix et du mariage de Louis xiv.

3.

V. note [29], lettre 86, pour cet adage d’Aristote commenté par Érasme.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 septembre 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0575

(Consulté le 10/12/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.