L. 582.  >
À André Falconet,
le 17 octobre 1659

Monsieur, [a][1]

Ce 15e d’octobre. Esprit André [2] est le nom et le surnom : la famille se surnomme André ; Esprit était le nom du père, [1][3] médecin de Béziers [4] qui mourut à Toulouse [5] à la poursuite d’un procès par lequel il était accusé d’avoir empoisonné un malade ; ils ont retenu ce mot d’Esprit, qui est capable de faire venir de la pratique et de l’argent. Toute cette famille vient du pays de David. [6] M. Gras, [7] votre collègue, a dîné aujourd’hui céans, nous y avons bu à votre santé et à < celle > de Mme Falconet. M. Troisdames [8] le jeune est arrivé, [2] Dieu merci. Il m’a fait vos recommandations, je lui ai fait vos excuses de ce que vous ne l’aviez pu voir lorsqu’il partit de Lyon. M. Gras dit que nos chirurgiens [9][10] tirent trop de sang à la fois et dit toujours qu’il s’en ira bientôt.

Un conseiller me vient de dire que les lettres sont venues par lesquelles on reconnaît que le roi [11] ne viendra point à Paris devant la Saint-Jean à cause que son mariage est différé, bien que l’on n’en sache pas la cause ; mais on parle de guerre en Allemagne où l’on fait marcher des troupes. Je fis hier saigner M. de Breteuil, [12] contrôleur général des finances, où j’appris que M. Fouquet, [13] procureur général et surintendant des finances, était allé de Bordeaux à Toulouse avec le roi et que delà il irait voir le cardinal Mazarin [14] sur la frontière où il est, et qu’ils retourneront de deçà vers la Toussaint. On dit que l’évêque de Nantes, [15][16] M. de Beauveau, [3][17] autrefois maître de chambre du cardinal de Richelieu, [18] est fort malade en Anjou, son pays. Voilà bien des évêchés pour ceux qui s’en veulent fournir, et moyennant les conditions séculières et politiques qui sont requises en ce temps-ci. Il y en a qui disent que le roi ne sera pas longtemps à Toulouse, mais qu’il reviendra passer l’hiver à Lyon, ce que je ne crois pas. Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon affection votre, etc.

De Paris, ce 17e d’octobre 1659.


a.

Bulderen, no cliii (tome i, pages 401‑402) ; Reveillé-Parise, no cccclxxxix (tome iii, pages 156‑157).

1.

Le père de Jean-André Esprit (v. note [15], lettre 292), docteur de Montpellier exerçant à Béziers, avait pour nom de famille (« surnom ») André, et pour prénom (« nom ») Esprit. Sa femme, Judith Sanche, lui avait donné deux autres fils : Pierre André (Béziers vers 1605-Limoux 1687) fut aussi docteur en médecine de l’Université de Montpellier ; Jacques (Béziers 1611-ibid. 1678, mentionné dans la notule {a}, note [18], lettre 453), après avoir songé à devenir oratorien, connut le succès en écrivant et fut membre de l’Académie française (Dulieu et G.D.U. xixe s.).

2.

Ce jeune Troisdames, de prénom inconnu, était le frère cadet de Charles (v. note [1], lettre d’André Falconet, le 13 février 1658) et son associé en affaires. Comme lui, il devait voyager souvent entre Paris et Lyon.

3.

Gabriel de Beauveau de Rivarennes avait été sacré évêque de Nantes en 1636 ; il abdiqua en 1666 et mourut l’année suivante (Gallia Christiana). Tallemant des Réaux parle de lui dans son historiette intitulée Gens sauvés ou guéris par moyens extraordinaires (tome i, page 214) :

« L’évêque de Nantes d’aujourd’hui, du temps qu’il était l’abbé de Beauveau, étant à Toulouse au voyage que le roi {a} fit en Languedoc lorsque M. de Montmorency {b} eut la tête coupée, tomba malade d’une fièvre continue si violente que les médecins en eurent fort mauvaise opinion. Un jour qu’ils croyaient qu’il aurait une crise, il eut, au lieu de cela, une érection si furieuse qu’il se jeta sur une vieille qui le gardait, et la vieille, par charité, le laissa faire. Après cela, il se trouva le mieux du monde. Les médecins crurent que cela venait de cette crise qu’ils attendaient, mais il se moqua d’eux et les renvoya à la vieille pour savoir la vérité. La bonne femme leur dit en riant qu’il avait fait le fou et que cela l’avait guéri. C’est un terrible évêque que ce sire-là. Quoique grand jureur, grand débauché, grand batteur et le plus méchant voisin du monde, le cardinal de Richelieu l’a fait évêque parce qu’il est son parent et qu’il est de bonne maison. Il a chez lui une fille bâtarde mariée, avec tout le ménage, et il consulte les avocats pour faire légitimer un bâtard qu’il a encore. »


  1. Louis xiii.

  2. En 1632, v. note [15], lettre 12.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 octobre 1659

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0582

(Consulté le 12/12/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.