L. 598.  >
À André Falconet,
le 23 mars 1660

Monsieur, [a][1]

Ce samedi 20e de mars, nous avons reçu dix bacheliers [2] qui vont commencer leurs cours de deux ans. On en a renvoyé deux afin qu’ils s’amendent et étudient mieux à l’avenir. De ces dix reçus, il y en a huit de fort bons et deux autres plus faibles, mais qui sont capables d’amendement ; ils sont jeunes et on en peut tout espérer, [3] Si modo culturæ patientem commodet aurem[1] Un exercice de disputes perpétuelles, deux ans durant, les rendra indubitablement meilleurs, outre l’émulation qui les y obligera puissamment ; [4] outre que si dans cet espace de temps ils manquaient à leur devoir, on les chasserait de nos Écoles comme inhabiles et indignes de nos privilèges. Le même jour on fait un festin aux Écoles, auquel sont invités les doyen [5] et censeur, [6] les anciens doyens, les quatre examinateurs, [7] leurs cinq électeurs, les quatre anciens des Écoles, [2] les professeurs ordinaires, [8] quelques amis du doyen, qui sont des forts de l’École et les plus considérables de la Faculté. Nous faisions trois tables médiocres et nous étions douze ou treize à chacune. Je n’ai jamais vu telle réjouissance de part et d’autre. On n’y a parlé que de rire et de bonne chère en poisson. [3] Un de nos docteurs [9] s’est mis auprès de moi, qui m’a donné en cachette un petit in‑8o que le P. Labbe, [10] jésuite, lui a dédié, qui a pour titre, Claudii Galeni chronologicum elogium[11] Ce P. Labbe est natif de Bourges, ce n’est pas votre P. Labbé [12] de Lyon qui attrapa 10 000 livres sous ombre de l’exécution du testament de Vautier [13] en 1652. Je fais céans un petit paquet dans lequel cela se trouvera pour vous avec autre chose, et surtout le livre de M. Des Gorris, [14] qui est in‑4o et fort bon. [4]

On dit ici que le mariage du roi [15] est reculé d’un mois. Je prie Dieu que les Espagnols ne nous trompent point. Nous sommes plus forts qu’eux, mais ils sont plus fins que nous et je serais bien fâché que ce mariage vînt à manquer. Les Espagnols peuvent trouver leur compte de marier leur fille [16] à l’empereur, [17] j’ai peur que l’occasion ne fasse le larron. [5] On dit pour certain que le roi de Suède [18] est mort, voilà nos affaires du Nord en un autre état. [6] Le roi d’Espagne [19] a mandé qu’il ne pouvait venir si tôt qu’il avait projeté. N’y a-t-il point là-dessous quelque embûche après que nous avons perdu deux belles campagnes qui nous auraient à peu près rendus les maîtres de la Flandre ? [7][20] Si cela arrivait, je crois que la reine [21] serait bien fâchée de ce changement.

Un jeune médecin de Lyon nommé M. de Serres [22] m’a visité aujourd’hui. [8] Il n’aime guère Basset, [23] et non sans raison. Faites-moi la grâce de vous informer tacitement à Lyon, de M. Lanchenu [24] ou de quelque autre de vos amis, s’il n’y a point à Lyon un nommé M. de Bagnols (c’est un nom de guerre et emprunté, mais il se fait appeler ainsi pour se déguiser et se cacher de ses créanciers, son vrai nom est Augustin Budé, [25] Parisien). Celui qui m’a prié de m’en informer de vous est un brave homme qui vous honore. Il m’a dit que ce M. de Bagnols est occupé à quelque recette de Lyon. Mais ce n’est point un grand homme, âgé d’environ 64 ans, nommé M. de Banneau ou Bagneaux, qui avait la sœur de MM. de Groüin des Bordes [26] et Marchand pour femme. Je sais bien qui est celui-là et je crois qu’il a autrefois demeuré à Lyon. Il était bon ami de feu M. Guillemeau, [27] il avait été le secrétaire de l’ambassade de M. de Senneterre, [28] le bonhomme, et parlait de bonne grâce. Je connais fort celui-là, ce n’est point celui que je cherche, je vous prie d’y penser à votre commodité. [9] Je me recommande à vos bonnes grâces, et de Mlle Falconet, comme aussi à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 23e de mars 1660.


a.

Bulderen, no clxix (tome ii, pages 7‑9) ; Reveillé-Parise, no div (tome iii, pages 182‑184).

1.

« [il n’est aucun homme si sauvage qui ne puisse être adouci] s’il prête une oreille docile aux leçons » (Horace, Épîtres, livre i, lettre 1, vers 40).

En date du samedi 13 mars 1660, le doyen Blondel a noté (Comment. F.M.P., tome xiv, fo 515), par ordre de mérite, les noms des 12 candidats qui s’étaient présentés à l’examen du baccalauréat (v. note [17], lettre 596) :

  1. Joseph Texier, natif de Saumur,

  2. Jacques Boujonnier, de Paris,

  3. Nicolas Rainssant, de Paris,

  4. Jean-Baptiste Ferrand, de Paris,

  5. André Pochon, du diocèse de Sens,

  6. François Sorand, du diocèse de Sées,

  7. Nicolas Bonvarlet, de Rethel,

  8. Antoine Le Moine, de Paris,

  9. Simon Giblat, du diocèse de Langres,

  10. Jacques Le Ménestrel, de Paris,

  11. Charles Brisset, docteur en médecine d’Angers,

  12. Nicolas Robin, de Paris, docteur de Montpellier.

Furent déclarés reçus, le samedi suivant, les dix candidats dont les noms sont écrits en caractères romains. Ni Pochon ni Giblat n’obtinrent jamais leur licence à Paris. Les deux années d’études qui suivaient le baccalauréat représentaient à la Faculté de médecine de Paris la durée incompressible de la préparation à la licence ; dans les autres facultés, comme Montpellier, quelques mois y suffisaient généralement.

2.

Ces « quatre anciens » étaient l’ancien proprement dit (qui était alors, par exception, le doyen Blondel lui-même, v. note [1], lettre 596) el les trois docteurs régents qui le suivaient sur le tableau d’ancienneté.

3.

Le samedi 20 mars était la veille des Rameaux, jour maigre, comme tous ceux du carême (v. note [10] du Naudæana 3).

4.

V. note [9], lettre 593, pour l’« Éloge chronologique de Claude Galien » du P. Philippe Labbe, dédié Viro cl. Iac. Mentelio, Doctori Medico Parisiensi [à l’éminent M. Jacques Mentel, docteur en médecine de Paris], avec ces quatre vers :

Tetrastichon
Quam multis olim felici sorte dedisti,
Cum tibi nunc vitam, Magne Galene, damus ;
Mentellio hanc debes : cui maxima quæque professo
Hoc breve pro Xeniis misimus Elogium
.

[Tétrastiche
Nous donnons maintenant, grand Galien, le récit de ta vie, celle que par un heureux sort tu consacras jadis à la multitude. Tu dois cela à Mentel, à qui, en récompense de tout ce qu’il a professé de grand, nous avons dédié ce bref éloge].

V. notes [11], lettre 301, pour l’éloge funèbre de François Vautier que le P. Pierre Labbé avait écrit en 1652, pour le remercier de son legs en vue de faire construire une chapelle dans le collège jésuite d’Arles, et [11], lettre 453, pour les Opuscula iv de Jean iii Des Gorris (Paris, 1660).

5.

« On dit que l’occasion fait le larron, pour dire que la facilité de dérober invite à le faire ; ce que l’espagnol exprime plus élégamment, En casa abierta el iusto pecca [Maison ouverte rend voleur honnête homme] » (Furetière).

V. note [17], lettre 547, pour le projet de mariage de l’infante Marie-Thérèse avec Léopold ier de Habsbourg, empereur germanique.

6.

Charles x Gustave était mort subitement le 22 février à Göteborg tandis que ses troupes assiégeaient de nouveau Copenhage. Il laissait pour successeur un chétif enfant, âgé d’à peine cinq ans, qui n’en devint pas moins le roi Charles xi. La régence passée, il régna de 1672 à 1697.

7.

La dernière grande bataille franco-espagnole en Flandre avait été la victoire franco-anglaise des Dunes, le 14 juin 1658 (v. note [13], lettre 528). À cause des négociations qui s’étaient ensuite engagées pour la paix, la France n’avait pas mené de campagne en Flandre durant la belle saison de 1659 et n’en préparait pas pour 1660. Pourtant, les Pays-Bas espagnols étaient à portée de conquête aisée car Philippe iv était devenu militairement très inférieur à Louis xiv.

8.

Louis ii de Serres, fils de Louis i (v. note [37], lettre 104), était lui aussi agrégé au Collège des médecins de Lyon.

9.

V. note [11], lettre 641, pour le financier Charles Des Bordes, seigneur de Groüin, et ses trois frères. Le marquis Henri i de La Ferté-Nabert (v. note [40], lettre 279) était le père du maréchal de Senneterre.

Augustin Budé de Bagnaux (Bagneaux ou Bagnols) était le 5e fils de Dreux Budé, seigneur châtelain d’Yères et de Bagnaux, conseiller et secrétaire du roi, l’un des quatre notaires du Parlement de Paris (comme en atteste une quittance qu’il a signée le 19 juillet 1568), et de Marie Allegrin, sa seconde épouse. Le père de ce Dreux Budé, de même prénom, était le fils aîné de Guillaume Budé (v. note [51] du Borboniana 6 manuscrit). Augustin fut écuyer, conseiller du roi et trésorier de l’Extraordinaire des guerres. Il se maria avec Anne Malon, fille de Claude Malon, écuyer et conseiller au Parlement, et d’Anne Le Charon. En 1658, il avait laissé sa charge à son fils aîné, lui aussi prénommé Dreux (Jestaz).

Non sans quelque hésitation, j’ai fait un seul et même personnage d’Augustin Budé et du sieur de Bagnaux (Bagneaux), ami de Charles Guillemeau. Je n’ai pas su démêler l’écheveau financier lugduno-parisien dont Guy Patin parlait ici à André Falconet.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 23 mars 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0598

(Consulté le 23/04/2024)

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