Je vous dirai pour réponse à votre dernière que l’abbé Aubry [2] est le nom d’un imposteur public, et rien davantage. Notre Robin [3] a été reçu bachelier, [4] mais il n’a eu d’amis que ce qu’il lui en fallait car peu s’en est fallu qu’il n’ait été refusé. Ils sont dix en tout, mais il est un des plus faibles et néanmoins, il paraît avoir 42 ans, puer 40 annorum semper erit puer. [1][5][6] Quand notre arrêt [7] aura été tiré du greffe, on l’imprimera et puis après vous en aurez. Pour vos thèses, je vous en remercie de bon cœur. J’aimerais mieux les voir que de les avoir, j’en ai plusieurs de cette nature et plusieurs des vôtres seront dans le recueil que l’on imprime à Genève sous le titre de Theses Sedanenses ; néanmoins, si vous voulez m’en envoyer le paquet, je le verrais volontiers et puis après, je vous les renverrai sans y faire aucun tort. Le Zacchias [8] s’imprime à Lyon chez M. Huguetan ; [2] l’on m’a mandé qu’il y aura deux volumes, mais je n’en sais point la grosseur. Nous n’avons encore rien ici vu sur la paix [9] digne d’être admiré. L’on m’a dit que M. La Mothe Le Vayer [10] en écrit un recueil de lettres qu’il va mettre sur la presse. C’est le Plutarque [11] français, il est précepteur de M. le duc d’Anjou. [3][12]
Pour le mariage [13] du roi, l’on dit qu’il est reculé de 20 jours. Quelques-uns disent qu’il ne se fera que le mois de septembre prochain, sed non ego credulus illis ; [4] néanmoins, on tient ici pour certain que l’empereur [14] ferait bien volontiers quelque grand effort pour l’empêcher. On dit que l’infante d’Espagne [15] est tout à fait française et qu’elle veut être mariée à notre roi, et non pas à l’empereur, frère de sa belle-mère, qui est reine d’Espagne ; [5] [16] et de plus, que la reine, [17] mère de notre roi, a obtenu cette princesse pour sa bru future par une puissante intrigue, par laquelle le mariage lui a été promis et se fera. Plusieurs officiers sont partis d’ici pour se rendre à la cour au commencement d’avril.
On fait ici un grand bruit de la mort du roi de Suède, [18] il y a des lettres de Hollande qui le portent. Si la nouvelle est vraie, cela causera quelque changement à nos affaires du Nord. [6] Le roi a envoyé vers l’empereur un certain M. Colbert [19] pour obtenir de lui qu’on rende au roi de Suède les places à lui appartenantes, qu’on lui a prises dans la Prusse [20] ducale depuis quelques années. [7] Si l’empereur s’offre de les rendre, M. Colbert a charge de demeurer là ; si on lui refuse, il a charge de s’en revenir. Les Anglais sont en grand repos en attendant le nouveau Parlement [21] qui doit être assemblé et établi sur la fin d’avril. On attendait le roi pour les fêtes à Toulouse, [22] mais on dit qu’il les passera à Aix. [23] Le prince de Condé [24] a dit ici que, quelque chose qui arrive, le mariage du roi se fera avec l’infante d’Espagne, et c’est ce que nous devons tous souhaiter. Si vous me faites l’honneur de m’envoyer votre paquet de thèses, je vous en tiendrai bon compte, d’une façon ou d’autre et comme il vous plaira. Je vous baise les mains, et à monsieur votre fils, et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Guy Patin
De Paris, ce mercredi 24e de mars 1660.
Ms BnF no 9358, fo 181, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes ».
« un enfant de 40 ans sera toujours un enfant. »
Quod autem aulicæ ipsæ virtutes non conveniant, testantur primo historiæ, in quibus cum multa de aulicis viris, de scurris, de assentatoribus, de affabilibus, ac urbanis legantur, de mulieribus tamen nihil nemini legere. Nec id est incongruum : nam pueris aulicas virtutes convenire, nemo sanæ mentis concederet, potissimum cum superiore libro demonstratum sit puerum non esse aulicis rebus idoneum. Quod autem mulier a puero non distet, Xenocrates eo libro, quem de puellis, ac mulieribus edidit, demonstrat, cum inquit, Mulier a puero in alio non dissidet, nisi quod qui puer est, non semper puer sit ; Mulier vero toto vitæ tempore puer est. Galenus præterea, Mulier inquit puer est confirmatus, qui vero puer est, sanabilis est. Hermagoras vero, Pueris, inquit, oportet nos ad tempus blandos esse, mulieribus semper qui semper pueri sunt. Aristoteles vero mulierum consilia invalida esse semper testatur, quod Iureconsulti probarunt, qui mulierum promissiones irritas esse volunt, quæ non fiunt authoritate viri alicuius ; puerorum autem consilia imperfecta, quoniam procedente ætate et consulta et promissa eorum valida esse ac perfecta consuevere. Quæ ratio docet mulieres semper esse pueros, pueros vero ipsos non semper. Quare cum puer non sit idoneus rebus aulicis, sit ut pari ratione mulier, aulica esse non possit.[Le fait qu’elle ne serait pas dotée de vertus auliques est d’abord attesté par l’histoire, où se lisent quantité de choses sur les courtisans, comme hommes de bel esprit, de flatterie, d’affabilité, d’urbanité, mais où nul ne lit rien sur les femmes. Et cela n’est pas incongru, car personne en son bon sens ne conviendrait que les vertus auliques ressortissent aux enfants, comme on l’a démontré dans le premier livre. Xénocrate, {d} dans les livre qu’il a mis au jour sur les fillettes et les femmes, démontre que la femme ne se distingue pas de l’enfant, quand il dit : « La femme ne diffère en rien de l’enfant sinon que le petit garçon ne le demeurera pas toujours, tandis que la femme reste un enfant pendant toute la durée de son existence. » Galien ajoute que la femme est assurément un enfant, et qu’elle est donc à soigner comme telle. Hermagoras {e} dit avec vérité que les petits garcons ont besoin de caresses pendant quelque temps, mais qu’il en faut toujours aux femmes parce qu’elles restent des enfants. Aristote a attesté que les avis des femmes sont constamment infondés, ce qu’ont approuvé les juristes en décidant que les promesses des femmes sont sans valeur, si elles ne se fondent pas sur l’autorité d’un homme. Les avis des petits garçons sont de même imparfaits, et on a coutume de ne tenir leurs décisions et leurs promesses pour valides qu’après qu’ils ont pris de l’âge. Voilà pourquoi on enseigne que, contrairement aux garçons, les femmes demeurent toujours des enfants ; d’où vient que, puisqu’un enfant n’est pas apte à exercer une charge aulique, une femme ne l’est pas non plus]. {f}
- Ouvrage dont Guy Patin a dit grand bien : v. note [7], lettre 108.
- « À Phausina » : la préface de Niphus, écrite en 1534, et son Elogium, par Naudé en 1645, identifient cette Phausina (nom inventé signifiant « Aurore », dérivé du grec phausis, « lumière ») à Phœba Rhea, très belle jeune dame d’honneur de la princesse de Salerne, dont Niphus était amoureux. Paul Jove s’en est désolé dans ses Elogia (Venise, 1546, v. note [18] du Traité de la Conservation de santé, chapitre iii), fo 58 vo :
Suceptis liberis, et senescente uxore septuagenarius senex, puellæ citra libidinem impotenti amore correptus est usque ad insaniam, ita, ut plerique philosophum senem, atque podagricum ad tibiæ modos saltantem, miserabili cum pudore conspexerint, unde illi maturatum vitæ exitum constat.[Pétris de honte, ses enfants et son épouse qui prenait de l’âge, eurent à contempler le misérable spectacle d’un septuagénaire dévoré jusqu’à la folie par l’amour d’une toute jeune fille à qui il était incapable de procurer du plaisir : à tel point qu’on vit maintes fois ce vieux philosophe podagre danser avec sa belle au rythme de la flûte, ce qui lui valut un prompt trépas].
- Dérivé du latin aula, « cour » (d’une maison, et plus spécialement d’un souverain), l’adjectif aulicus, « aulique », qualifie ce qui est attaché aux pratiques, aux compétences et aux gens d’une cour princière. Vir aulicus se traduit par « courtisan », mais étant donné son sens péjoratif, le féminin de ce mot ne peut s’appliquer à une mulier aulica, « femme aulique » ou « dame de cour ».
- Xénocrate de Chalcédoine, disciple de Platon.
- Hermagoras de Temnos, rhéteur grec du ier s. av. J.‑C.
- Ma traduction a allégé le verbiage de Niphus, mais je ne crois pas avoir trahi son propos. Il est un peu moins sidérant quand on sait qu’il s’agit de l’antithèse (Refutatio positionis) du chapitre i, qui louait, mais sans autant de conviction, les talents auliques des femmes.
Je ne prétends pas que Guy Patin pensait sûrement à ce texte, mais ce qui y est dit aide à comprendre la misogynie (le mot date du xixe s., on disait alors « mépris » ou « détestation des femmes ») dont il a constamment fait preuve dans ses écrits, et qu’il partageait avec la majorité de ses contemporains.
Je n’ai pas tiré au clair la raison pour laquelle Claude ii Belin avait demandé à Guy Patin des nouvelles de Robin. Il n’avait pas fait partie du Collège des médecins de Troyes avant d’aller se faire admettre à Paris. Peut-être Belin voulait-il parler de son oncle, Vespasien Robin.
V. note [11], lettre 541, pour le recueil des thèses théologiques protestantes de Sedan et note [10], lettre 568, pour l’édition du Zacchias qui était en cours d’impression à Lyon.
Guy Patin voulait ignorer ou ne connaissait pas les :
Pauli Zacchiæ Medici Romani Collegii Archiatrorum Romanorum Prioris, et totius status Ecclesiastici Protomedici Generalis, Quæstiones medico-legales. Opus, Iurisperitis apprime necessarium, Medicis perutile, cæteris non iniucundum. Edition Quinta. Ab infinitis pene mendis repurgata, plerisque Additionibus, hoc signo [ ] annotatis auctior, multisque Consultationibus ad rem facientibus locupletior.[Questions médico-légales de Paolo Zacchias, premier médecin du Collège romain des archiatres et protomédecin général de tout l’État ecclésiastique. Ouvrage indispensable aux juristes, fort utile aux médecins, et qui ne sera pas désagréable aux autres. Cinquième édition, purgée d’une quantité presque infinie de fautes et augmentée de nombreuses additions marquées par ce signe [ ], et enrichie de nombreuses consultations ayant trait au sujet]. {a}
- Avignon, Petrus Offray, 1660, in‑fo ; v. note [17], lettre latine 109, pour la précédente édition avignonnaise (1655).
Une légende a dit de Plutarque (v. note [9], lettre 101) qu’il avait été le précepteur de l’empereur Trajan (v. note [2], lettre 199).
Marie-Anne d’Autriche, seconde épouse de Philippe iv, roi d’Espagne, était sœur de l’empereur, Léopold ier de Habsbourg (dont l’intérêt politique était d’empêcher l’alliance franco-espagnole).
La nouvelle était vraie (v. note [6], lettre 598) : le dernier grand souverain belliqueux d’Europe était mort.
Charles Colbert, marquis de Croissy (Reims 1625-Versailles 1696), était le frère cadet de Jean-Baptiste Colbert, le futur grand ministre, alors intendant de la Maison de Mazarin (v. note [26], lettre 549). Après avoir étudié le droit à Orléans, Charles avait acheté une charge de conseiller au parlement de Metz. En 1656, il avait été nommé intendant en Alsace, ce qui lui donna l’occasion de se familiariser avec la langue et les affaires allemandes, pour remplir diverses missions diplomatiques. Maître des requêtes en 1663, il devint successivement président au parlement de Metz, ambassadeur en Angleterre et secrétaire d’État aux Affaires étrangères (1679).