L. 603.  >
À Hugues II de Salins,
le 15 avril 1660

Monsieur [a][1]

Je ne pus vous répondre la semaine passée, celle-ci y suppléera. Je vous ai envoyé votre consultation, [2] j’espère que votre malade en aura satisfaction. [1] Je vous remercie de la bonne affection que vous me continuez. In epilepsia puerorum, nullo utimur pyrotico, sed frequenti cathartica, præmissa venæ sectione. Si tamen illis esset humidius quam pare est cerebrum, certe competeret appressum inio pyroticum, circa secundam vertebram cervicis[2][3][4][5] mais cela n’arrive guère. Il vaut mieux prendre garde à leur régime de vivre et à les purger [6][7] souvent, et même à les saigner quelquefois si fuerint paulo sanguinei vel plethorici[3] Un bon médecin doit toujours savoir d’où vient l’épilepsie : [8] an a voracitate, ut in pueris, an a crapula, an a vermibus, an a liene, an ab utero, an a pure, etc. ? [4] Le vin [9] y est toujours fort contraire parce qu’il est vaporeux, etiam adultis supramodum nocent vinum et venus[5] Ceux qui sont sujets aux défluxions [10] doivent dormir la tête haute, ne guère souper et boire fort peu de vin. [6] Asthmaticis lenia purgantia non conveniunt, præsertim si fuerit morbus a pituita crassa, viscida, grandinosa. Validiora requiruntur, id est sena infusa, cum syrupo rosar. solut. vel de florib. mali persicæ, et diapruni solutivi ʒij. si fuerit æger robustus ; si v. asthma fuerit a sero, careat diapruno solutivo, et aliis scammoniatis. Tu tamen monitum velim, summum asthmatis præsidium non esse catharsim, sed venæ sectionem quæ semper est præmittenda, ut imminuatur plethora, deplentur vasa, restituatur libertas spirandi, et tollatur imminens periculum suffocationis. Tota causa antecedens debet tolli per venæ sectionem, causa coniuncta per anacatharsim ; catharsis v. solam primam corporis regionem [11] debet expurgare, ideoq. mediocria cathartica dumtaxat requiruntur quæ sola sufficiunt[7][12][13][14][15][16][17][18][19][20][21] Lege Fernelium, lib. v Pathologiæ[8] Le vin vieux de Bourgogne, [22] quod est subdulce, subamarum, omnis acrimoniæ expers[9] y peut être bon, étant bien trempé, quia pepticum est, et anacatharticum ; ideoq. omni bechico syrupo potentius est, præsertim si nulla subsit intemperies præfervida, in hepate aut in corde. Qui sunt asthmati obnoxii, vitare debent omnem plethoram ; ideoq. debent sibi mittere sanguinem vere et autumno ad præcavendum talem affectum[10] La purgation [médiocre[11] viendra par après fort à propos ; sed in ipso invasionis tempore, numquam est purgandum[12] il faut saigner vitement et plusieurs fois, et ne les purger que quand ils sont fort soulagés. Sola venæ sectio potest tollere periculum suffocationis, quod tunc potentissime urget[13]

Je vous baise les mains, et à mademoiselle votre femme. N’est-ce point Marguerite de Bonamour ? [23] Je pense quelquefois à elle, il me semble que je la vois d’ici : ne serait-ce pas avoir l’imagination bien forte, vu que je ne la vis jamais ? Combien avez-vous d’enfants ? Monsieur votre frère [24] fait-il la médecine dans Beaune, a-t-il beaucoup d’enfants ? Je vous prie de faire mes recommandations à M. Bachey, [25] votre collègue.

Le roi d’Espagne [26] a fait espérer qu’il arrivera dans Fontarabie [27] le 8e de mai, c’est pourquoi notre roi [28] marche devers Bayonne. [29] Il s’est rendu maître d’Orange. [30] On dit qu’il veut avoir Avignon [31] et en récompenser [14] le pape. [32] Cela serait bien, à la charge que l’on renverra en Italie cette sorte de coquins qui sont là-dedans, qui sont les Jesious, alias Iudæi, qui negant Christum[15][33] La paix est faite entre Suède et Danemark, elle est bien avancée entre Suède et Pologne. [34] Le roi de Suède est mort à Göteborg [35] le 22e de février passé. Son fils [36] a été reconnu roi par les états, mais ils gouvernent durant sa minorité. [16] L’Angleterre est fort brouillée, il y a divers partis ; quelques-uns d’iceux y demandent le rétablissement du roi, [37] mais ils ne sont point encore les plus forts. Les Hollandais ont peur de la guerre, tant de notre part que de celle des Espagnols. Il se pourrait bien faire que nous agirions contre eux, coniunctis viribus ; [17] et en ce cas-là, on leur ferait bien de la peine. Le pape, le général des jésuites [38] et les moines ne manqueront pas de pousser à cette guerre. Le P. de Lingendes, [39] jésuite, est ici mort depuis trois jours. M. Huguetan imprime à Lyon, Pauli Zacchiæ Quæstiones medico-legales [40] in‑fo en deux tomes. [18] Ce sera un fort bon livre pour vous et pour moi, le tout sera achevé à la Saint-Rémy. Ce même libraire y imprime le Cardan [41] en dix volumes in‑fo, dont l’édition sera toute achevée dans 15 mois. M. Vander Linden [42] fait réimprimer ici in‑8o, fort augmenté, son livre de Scriptis medicis[19] On dit que le roi pourra être marié devant la fin du mois de mai. [20] Aussitôt, l’on dit qu’il reviendra à Bordeaux, delà en Poitou où il veut mettre la gabelle [43] afin que cette province se souvienne de son mariage et de la paix, [44] après laquelle l’on met des impôts sur le vin, [45] sur le sel [46] et sur toute sorte de marchandises ; et tout cela, de peur que le peuple ne devienne trop plein et ne crève de graisse. Du Poitou, le roi viendra en Bretagne et en Normandie, et demandera de l’argent partout à cause de son mariage. Cela n’est-il pas raisonnable, ne faut-il pas que le peuple paye les violons de la noce, combien qu’il n’y ait pas assisté ? M. le chancelier [47] a été ici fort malade d’une suppression d’urine, [48] il en est soulagé par quatre pierres [49] qu’il a jetées. Vale et me ama.

Tuus ex animo, Guido Patin[21]

De Paris, ce jeudi 15e d’avril 1660.


a.

Ms BnF no 9357, fos 338‑339 (inversion des deux feuillets), « À Monsieur/ Monsieur de Salins,/ le puîné, Docteur en médecine,/ À Beaune » ; Chéreau no xxiv (39‑40).

1.

V. les avis médicaux sur la pleurésie et sur la vérole des enfants en nourrice qui sont au début de la lettre du 16 mars 1660 à Hugues ii de Salins.

2.

« Dans l’épilepsie des enfants, nous n’employons aucun pyrotique, {a} mais usons fréquemment des cathartiques, après avoir saigné. Si pourtant ils avaient le cerveau plus humide qu’il ne faut, un pyrotique appliqué sur le haut de la moelle épinière, {b} autour de la seconde vertèbre cervicale, conviendrait certainement ».


  1. V. note [8], lettre 436.

  2. Inium était le nom latin de la jonction du bulbe et de la moelle épinière (Blancard), soit la nuque.

3.

« s’ils sont un peu sanguins ou pléthoriques. »

4.

« est-ce le fait de la voracité, comme souvent chez les enfants, ou de l’ivrognerie, ou d’une infestation de vers, ou de la rate, ou de l’utérus, ou d’une humeur putride, etc. ? » V. note [1], lettre 172, pour un exposé plus complet des idées de Guy Patin sur les causes de l’épilepsie.

5.

« l’excès du vin et des plaisirs vénériens sont aussi nocifs chez les adultes. »

6.

Défluxion : « jadis la fluxion [congestion d’humeur] qu’on supposait se porter des parties supérieures aux inférieures » (Robin).

Bien que Guy Patin n’y songeât sans doute pas en écrivant cette phrase, elle fait irrésistiblement penser à la consultation de Francion blessé à la tête, dans l’Histoire comique (1623, premier livre) de Charles Sorel : {a}

« Son chirurgien vint le visiter comme on lui allait donner à dîner et voyant qu’on lui apportait du vin, il dit qu’il ne fallait pas qu’il en bût à cause que cela ferait mal à sa tête. Francion ayant ouï cet avis si rigoureux dit : “ Ho Monsieur ! ne me privez point de ce divin breuvage, je vous en prie, c’est lui qui est le seul soutien de mon corps ; toutes les viandes ne sont rien au prix. {b} J’ai connu un jeune gentilhomme qui avait mal aux jambes ; l’on lui défendait le vin comme vous me faites, de peur d’empirer sa douleur. Savez-vous ce qu’il faisait ? Il se couchait tout au contraire des autres et mettait ses pieds au chevet afin que les fumées de Bacchus descendissent à sa tête. Quant à moi qui suis blessé en l’autre extrémité, je suis d’opinion de me lever du lit et me tenir droit, à telle fin que, voyant que le vin que je boirai descendra à mes pieds plutôt que de monter à ma tête, vous ne soyez pas si sévère que de me l’interdire. ” De fait, Francion ayant dit ces paroles, demanda ses chausses {c} à son valet pour se lever. Le chirurgien lui voulant montrer son savoir essaya de lui prouver que les raisons qu’il avait données ne valaient rien du tout et qu’elles étaient plutôt fondées sur des maximes de l’hôtel de Bourgogne {d} que sur des maximes des écoles de médecine. Là-dessus il vint à lui discourir en termes de son art, barbares et inconnus, pensant être au suprême degré de l’éloquence en les proférant, tant il était blessé de la maladie de plusieurs qui croient bien parler, tant plus ils parlent obscurément, ne considérant pas que le langage n’est que pour faire entendre ses conceptions, et que celui qui n’a pas l’artifice de les expliquer à toutes sortes de personnes est taché d’une ignorance presque brutale. Francion ayant eu la patience de l’écouter, lui dit que tous ses aphorismes n’empêcheraient pas qu’il ne se levât. »


  1. V. note [2], lettre 74.

  2. En comparaison.

  3. V. note [36], lettre 309.

  4. Du théâtre.

7.

« Les purgatifs doux ne conviennent pas chez les asthmatiques, {a} surtout si la maladie est venue d’une pituite épaisse, visqueuse, granuleuse. Des remèdes plus vigoureux sont requis, c’est-à-dire le séné infusé, avec du sirop de roses pâles ou de fleurs de pêcher, et de diaprun solutif, {b} deux gros, si le malade est robuste ; mais si l’asthme provient de l’humeur, qu’on se dispense de diaprun solutif et des autres scammonées. Je voudrais cependant que vous en fussiez bien averti : le remède souverain de l’asthme n’est pas la purge, mais la saignée, qui doit toujours être employée en premier pour diminuer la pléthore, désemplir les vaisseaux, restaurer la liberté de la respiration et lever le danger imminent d’étouffement. Toute cause antécédente doit être enlevée par la saignée, et la cause conjointe par l’anacathartique ; {c} mais la purge doit nettoyer la seule première région du corps, {d} c’est pourquoi il faut seulement recourir aux cathartiques plus faibles, qui y suffisent à eux seuls. »


  1. V. note [43], lettre 150.

  2. Laxatif.

  3. Expectorant.

  4. La première région était la tête, mais pouvait aussi désigner la partie haute et postérieure, dite sus-mésocolique, de l’abdomen : v. note [1], lettre 151.

8.

« Lisez Fernel, au livre v de sa Pathologie » : commentaire ajouté dans la marge.

Ce livre traite Des maladies et symptômes de chaque partie. {a} Son chapitre x, Les maladies et symptômes des poumons ; leurs causes et leurs signes et contient cette interprétation humorale de la gêne respiratoire à laquelle nous donnons toujours le nom d’asthme, et qui témoigne une fois de plus de l’admirable talent de Jean Fernel à décrire les symptômes des maladies : {b}

« Or pour savoir si l’humeur qui découle {c} est chaude ou froide, il le faut apprendre de l’acrimonie, de la soif, et des choses que nous avons remarquées touchant les signes de défluxion. {d} Au reste, quand l’humeur qui occupe le poumon et son artère {e} est grossière et visqueuse, elle excite une toux sèche, fort véhémente, par laquelle à peine crache-t-on quelque chose : la respiration en est incommodée et en respirant, il se fait un certain ronflement ou sifflement, {f} à ceux que cette humeur s’attache opiniâtrement aux lobes des poumons, et resserre les conduits par où passe le vent ; {g} et avant cela, il a paru des marques de défluxion, ou du cerveau, ou des parties voisines. Cette humeur n’ayant pas été entièrement évacuée par le crachat, le reste demeurant attaché aux lobes ou aux cavitéss de poumons où il s’est enfoncé, de sorte qu’il n’en a pu être tiré hors, s’épaissit et dessèche de plus en plus par le laps du temps, {h} jusqu’à ce que, par la force de la chaleur, il se change en pituite vitrée, ou en plâtreuse même. {i} Et quand après plusieurs défluxions réitérées, il est resté de chacune quelque chose de cette pituite grossière et plâtreuse, il se fait enfin un vrai asthme, de la grande abondance qui s’en amasse dans les trous et cavernes des poumons, à quoi sont d’ordinaire sujets ceux qui sont souvent attaqués de défluxions et de toux, et principalement les personnes fort âgées, et celles qui ont les poumons étroits. » {j}


  1. V. note [1], lettre 36.

  2. Édition française de Paris, 1655, page 367‑368 ; traduction fidèle mais un peu abrégée de l’original latin, dans l’Universa Medicina (Lyon, 1586) pages 169‑170.

  3. Sur les poumons.

  4. V. supra note [6].

  5. La trachée-artère qui réunit les bronches venant des deux poumons.

  6. Râles sibilants (sifflants), caractéristiques de l’asthme.

  7. Spasme bronchique qui cause l’asthme.

  8. Au fil du temps.

  9. Cette « pituite » dense et visqueuse est réelle dans l’asthme, source des « crachats perlés » que René Laennec a décrits au xixe s., et auxquels on a depuis attaché son nom. Inconstants, difficiles à expectorer et de faible abondance, ils marquent ordinairement la fin de la crise.

  10. L’asthme sévit à tous âges. Fernel a étonnamment omis de remarquer qu’il s’agit d’une gêne à l’expiration de l’air par les poumons.

9.

« qui est mi-doux et mi-amer, et dénué de toute acrimonie ».

10.

« parce qu’il est digestif et expectorant ; c’est pourquoi il est plus puissant que tout sirop béchique, {a} surtout s’il n’y a aucune intempérie chaude sous-jacente, dans le foie ou dans le cœur. Ceux qui souffrent d’asthme doivent se garder de toute pléthore ; c’est pourquoi ils doivent se faire saigner au printemps et à l’automne pour se prémunir contre un tel mal. »


  1. Qui soigne la toux, mais de manière symptomatique (v. note [7], lettre 121).

11.

J’ai mis « médiocre » (douce), mais un effacement partiel du manuscrit rend ce mot incertain, quoique très probable.

12.

« mais au cours même de l’accès, il ne faut jamais purger ».

13.

« La saignée seule peut supprimer le danger d’étouffement, qu’elle écarte alors très puissamment. » En thérapeutique moderne, la saignée est bénéfique dans la dyspnée liée à l’œdème du poumon, mais inefficace dans l’asthme ; on peut dire la même chose des purgatifs, dans la mesure où certains d’entre eux pouvaient être doués de quelque effet diurétique.

14.

Dédommager : v. note [10], lettre 601, pour le statut politique d’Avignon.

15.

« autrement dit les juifs, qui renient le Christ. »

D’Avignon où il était arrivé le 19 mars, le roi était allé visiter Orange le 27. Il quitta Avignon le 1er avril pour se rendre à Montpellier, puis à Toulouse. Il arriva à Bayonne le 1er mai.

16.

À la mort de Charles x Gustave, son fils unique (1655-1697), âgé d’à peine 5 ans et de santé fragile, fut nommé roi sous le nom de Charles xi ; il ne gouverna qu’à partir de 1672. Pendant sa minorité, sous la médiation de la France, la Suède signa la paix d’Oliva (3 mai 1660, v. note [30], lettre 601) avec la Pologne, le Danemark et la Russie.

17.

« en ayant conjugué nos forces ».

18.

« les “ Questions médico-légales ” de Paolo Zacchias » (Lyon, 1661, v. note [10], lettre 568).

19.

V. notes [8], lettre 749, pour les Opera omnia de Jérôme Cardan (Lyon, 1663), et [29], lettre 925, pour la 3e édition des deux précieux livres de Johannes Antonides Vander Linden « sur les Écrits médicaux » (Amsterdam, 1662).

20.

Le mariage politique de Louis xiv avec l’infante Marie-Thérèse eut lieu le 27 mai, suivi de la cérémonie religieuse à Saint-Jean-de-Luz le 9 juin.

21.

« Vale et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 15 avril 1660

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(Consulté le 05/12/2024)

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