L. 607.  >
À Claude II Belin,
le 7 mai 1660

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu de M. Gérard [2] votre paquet de thèses, [3] que je vous renverrai quand il vous plaira tout entier ; ou tout au plus, je n’en retiendrai que très peu et ce qu’il vous plaira. Je vous remercie de votre bonne volonté et affection. Il n’y a point eu de morts illustres ici depuis M. le maréchal de L’Hospital. [1][4] Mardi dernier y fut pendu et brûlé un prêtre qui était un méchant fripon. Il y en a encore deux autres dans le Châtelet [5] qui ne valent pas mieux, l’un desquels est le curé d’Écouen [6] à deux lieues de Saint-Denis. [7][8] Celui-ci est normand, l’autre était de par delà Amiens, [9] devers la frontière. [2] Le saint et sacré célibat des prêtres [10] emplit le monde de putains, de cocus et de bâtards. La troupe loyolitique a perdu le P. de Lingendes, [11] qui était un de leurs prophètes : adimplevit necessitatem naturæ, præivit ille, sequentur alii[3] Il y a ici des lettres du 29e d’avril, lesquelles portent que le roi [12] était arrivé à Bayonne ; [13] delà il ira à Saint-Jean-de-Luz [14] et se rendra à l’île de la Conférence, qui est l’île des Faisans, [15] où se fera l’entrevue des deux rois. Y puissent-ils faire une bonne paix qui dure longtemps, quæ nihil habeat insidiarum ! [4]

Le roi d’Angleterre [16] était prêt de retourner à Londres, mais il y est survenu un puissant empêchement : c’est que le colonel Lambert [17] est sorti de prison et a fait un parti contre le roi ; il faut renverser et abattre cette nouvelle hydre qui peut avoir plusieurs têtes. [5] Le cardinal Mazarin [18] fit chasser d’ici l’an passé un certain Hollandais nommé M. de Wicquefort, [19] qui était ici résident pour l’électeur de Brandebourg. [20] Il est en Hollande où il fait imprimer quatre volumes de diverses choses qui appartiennent à notre histoire, cela fera du bruit. On dit que Theses Sedanenses, qui feront deux gros volumes in‑4o, seront achevées à Genève à la Saint-Rémy. On continue le Cardan [21] à Lyon. Nous n’avons point encore vu le livre de M. Sebizius, [22] Speculum medico-practicum. M. Vander Linden [23] fait une troisième édition de son livre de Scriptis medicis, laquelle sera fort augmentée. Nous aurons ici bientôt l’Histoire du cardinal de Richelieu en trois tomes in‑fo, mais le sieur de Saint-Germain [24] est au guet pour la réfuter ; ce ne sera qu’une histoire plâtrée[6] Je vous baise les mains, et à monsieur votre fils, et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 7e de mai 1660.


a.

Ms BnF no 9358, fo 182, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no cxlvii (tome i, pages 249‑250) ; Prévot & Jestaz no 33 (Pléiade, pages 531‑532).

1.

V. note [7], lettre 83, pour François du Hallier, maréchal de L’Hospital, gouverneur de Paris, mort le 20 avril 1660.

2.

La frontière nord du royaume, alors très mobile au gré des prises et des pertes de places, passait à peu près à mi-chemin entre Amiens et Arras, autour de Doullens.

3.

« il a satisfait l’exigence de la nature, il a marché devant, les autres suivront. » V. note [39], lettre 106, pour le R.P. Claude de Lingendes, mort le 12 avril.

4.

« qui ne cache aucun piège ! »

V. note [17], lettre 573, pour l’île des Faisans et les entrevues qu’on y préparait entre Louis xiv et Philippe iv. Ils se rencontrèrent deux fois : le 6 juin, pour jurer d’observer le traité de paix ; le 7 juin, pour que le roi d’Espagne remette sa fille, l’infante Marie-Thérèse, entre les mains du roi de France.

Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), port de la côte basque, se situe à une quinzaine de kilomètres au nord-est d’Hendaye, qui était comme aujourd’hui située sur la frontière franco-espagnole.

5.

Hydre : « monstre fabuleux que les poètes feignent avoir plusieurs têtes, qui ajoutent qu’à la place de celle qui était coupée il en naissait plusieurs autres. La défaite de l’Hydre est mise au rang des Travaux d’Hercule [v. note [3], lettre de Reiner von Neuhaus, datée du 21 octobre 1663]. L’hydre est le symbole des procès et de la chicane » (Furetière).

John Lambert (v. note [18], lettre 485), farouche opposant de la restauration de la Couronne qui se préparait en Angleterre, avait été emprisonné dans la Tour de Londres en mars 1660 et s’en était échappé le mois suivant. Aussitôt libre, il avait tenté, mais en vain, de reconstituer un parti républicain pour s’opposer au Parlement désormais royaliste. Ayant reconstitué une petite armée, il avait été arrêté le 2 mai à l’issue du combat de Daventry. Condamné à mort pour haute trahison en 1662, sa peine fut commuée en emprisonnement à perpétuité. Il mourut en 1684 dans l’île Drake, en face de Plymouth.

6.

V. notes :


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 7 mai 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0607

(Consulté le 18/04/2024)

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