L. 689.  >
À André Falconet,
le 12 avril 1661

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de la vôtre et de celle de M. Meyssonnier, [2] lequel je vous prie de remercier pour moi, n’ayant rien à lui mander car il me parle d’astrologie [3] où je n’entends rien, et je n’en veux pas même rien apprendre de peur d’en devenir fou. Je n’ai rien vu des observations d’Allemagne sur la comète, [4] dont il me parle, qu’une simple taille-douce faite à Strasbourg, qui n’est pas fort considérable. La nièce Marie, [5] qui est une des princesses mazarines, [6] a été aujourd’hui mariée par procureur au prince Colonna ; [1][7] on lui donne en mariage un million de livres en beaux louis d’or. Le mariage de Mademoiselle d’Orléans, [8] fille aînée du second lit du duc d’Orléans, est reculé faute d’argent comptant : [2] il n’y en a point pour les enfants de la Maison, quoiqu’il y en ait de reste pour les mazarines.

On a ici découvert que le cardinal Mazarin [9] n’était point naturalisé français et qu’ainsi tout le bien qu’il a laissé est sujet à l’aubaine. [3] On en parle fort ici : quelques-uns disent que sa haute fortune l’a aveuglé ; d’autres, qui vont plus loin, prétendent qu’il avait dessein de devenir pape et que cette naturalisation l’en aurait empêché ; sur quoi l’on dit en riant qu’il a bien ferré la mule, mais qu’il n’a jamais monté dessus. Ce proverbe de ferrer la mule vient de Suétone, [10] dans la vie de Vespasien [11] lorsque ce bon mais avare prince demanda à son muletier Quanti calceasti ? [4] Mais à l’avarice près, plût à Dieu que la France en eût plusieurs semblables ! Le fils du maréchal de Villeroy [12][13] tomba hier de cheval à l’académie et se blessa fort à la tête. [5] Ce serait grand dommage qu’il lui en arrivât accident. Je suis votre, etc.

De Paris, ce 12e d’avril 1661.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no ci (pages 311‑312) ; Bulderen, no ccxxlix (tome ii, pages 245‑246) ; Reveillé-Parise, no dlxxv (tome iii, pages 353‑354).

1.

V. note [6], lettre 671, pour le Mariage de Marie Mancini, par procuration, avec le prince Colonna. Le 9 avril, le roi et la reine avaient assisté aux fiançailles célébrées dans le cabinet du roi par l’archevêque d’Amasia, Egidio Colonna, oncle du fiancé, lequel était représenté par le marquis d’Angelelli. Le mariage était célébré deux jours plus tard dans la chapelle de la reine (Levantal) ; v. note [2], lettre 691.

2.

Marguerite-Louise d’Orléans épousait à contrecœur Cosme iii de Médicis, grand-duc de Toscane (v. note [6], lettre 652). Fiançailles et mariage eurent lieu par procuration les 18 et 19 avril au Louvre, en présence du roi et de la reine, célébrés par Pierre de Bonzi, évêque de Béziers. Le duc de Guise, Henri de Lorraine, représentait le grand-duc.

3.

Aubaine : « succession d’un étranger qui meurt dans un pays où il n’est pas naturalisé » (Furetière). Aubain était le nom qu’on donnait à un tel défunt, dont le roi recueillait la succession (Littré DLF).

V. notes [6], lettre 53, pour les lettres de naturalité de Mazarin, obtenues en 1638-1639, et [13], lettre 367, pour leur surannation en 1654.

4.

« Pour combien l’as-tu ferrée ? » Furetière :

« On dit proverbialement ferrer la mule quand les valets ou les commissionnaires trompent sur le prix des marchandises et les comptent plus qu’ils ne les ont achetées. Ce proverbe vient d’une action que fit autrefois le muletier de Vespasien, au rapport de Suétone, qui, sous prétexte qu’une des mules était déferrée, arrêta longtemps la litière de cet empereur et par là, fit avoir audience à celui à qui il l’avait promise moyennant quelque somme d’argent ; dont l’empereur ayant connaissance, il voulut partager avec lui le gain qu’il avait fait à ferrer la mule. »

Le passage exact de Suétone (Vie des douze Césars, Vespasien, xxiii, 4) est :

Mulionem in itinere quodam suspicatus ad calciandas mulas desiluisse, ut adeunti litigatori spatium moramque præberet, interrogavit quanti calciasset, et pactus est lucri partem.

[Étant en route, il {a} se douta qu’un muletier n’était descendu pour ferrer {b} ses mules qu’afin de donner le temps à un plaideur de lui parler de son affaire. Il lui demanda pour combien il les avait ferrées et s’en fit payer la moitié. »


  1. Vespasien, v. note [4], lettre 33.

  2. Le verbe calceare (ou calciare) signifie « chausser » (ici panser les paturons d’une mule), mais les interprètes de ce célèbre passage lui ont donné le sens de « ferrer », qui a donné lieu au proverbe expliqué par Furetière.

5.

Son frère aîné, Charles, étant mort en 1645, François de Neufville (1644-1730), fils de Nicolas ii (v. note [5], lettre 133), allait devenir duc de Villeroy à la mort de son père en 1685 et être nommé maréchal de France en 1693.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 12 avril 1661

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(Consulté le 25/04/2024)

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