Depuis ma dernière que je vous envoyai par la voie de M. Falconet, [1] je me suis avisé de faire un mot de réponse à M. Dinckel [2] et de vous l’envoyer pour vous prier de lui faire tenir à Strasbourg. On parle ici de plusieurs signes qui ont été vus au ciel dans toute l’Allemagne, outre la comète ; [3] et de plus, qu’à Leipzig [4] on a trouvé plusieurs tombeaux ouverts, dans lesquels il paraissait du sang. Je ne suis pas d’avis d’en pleurer, il n’est peut-être pas vrai, le peuple sot et crédule prend plaisir à faire de tels contes ; mais quelque chose qui puisse arriver, il s’y faudra résoudre. [5] Je tâcherai de servir cet apothicaire allemand qui m’est venu voir de votre part. Il m’a dit qu’il voudrait bien être ici quelque six mois dans quelque bonne boutique, mais il n’y en a plus guère de bonnes. Dieu merci, les gens de bien et la misère du temps, car ces deux rencontres avec le séné [6] et le Médecin charitable [7] ont ruiné les apothicaires de Paris. [8] Les chirurgiens [9] mériteraient bien pareil traitement pour leur insolence, mais il faut qu’il survienne quelque chose qui réveille encore davantage notre Faculté et qui nous fasse entrer en plus grosse colère. Enfin, la petite Marie, [10] nièce du cardinal Mazarin, [11] a été mariée par procureur avec le prince Colonna [12] et est partie le 13e de ce mois, par ordre du roi, [13] pour aller trouver son mari. [2] Elle emporte d’ici un million d’argent comptant. C’est ainsi que la France nourrit les petits poissons d’Italie. Je suis, etc.
De Paris, ce 18e d’avril 1661.
Du Four (édition princeps, 1683), no cii (pages 313‑314) ; Bulderen, no ccl (tome ii, pages 246‑247) ; Reveillé-Parise, no dlxxvi (tome iii, page 354) ; ces trois éditions destinent la lettre à André Falconet, mais le contenu impose Charles Spon : « Depuis ma dernière que je vous envoyai par la voie de M. Falconet… » ; en outre, Guy Patin n’a jamais mentionné Johann Rudolf Dinckel dans une de ses lettres à Falconet, car il s’agissait d’une amicale relation strasbourgeoise qu’il partageait avec Spon.
« F***** » dans les éditions antérieures (dont celle de 1683), pour masquer le nom de Falconet (qu’elles disaient être le destinataire de la lettre !).
V. note [6], lettre 671, pour le mariage de Marie Manicini avec le connétable Colonna. La reine mère souhaitait voir la jolie Marie partir au plus vite pour éviter que les braises amoureuses de Louis xiv ne se ravivassent.
Dans ses Mémoires (pages 117-118), Marie l’a relaté avec mélancolie :
« Je ne laissais pas d’avoir l’âme pleine de soucis et d’inquiétude, voyant que les articles que le connétable devait envoyer signés ne venaient point. Et comme tout le monde croyait que ce retardement ne provenait que du changement des affaires depuis que mon oncle {a} était mort, il plut à Sa Majesté {b} de m’offrir divers partis parmi la plus illustre noblesse de sa cour. Mais ne prenant pas moins à cœur de voir s’évanouir toutes mes espérances que de tenir ma parole, {c} je répondis à Sa Majesté, sur les ordres qu’elle me faisait, que si le connétable avait changé de sentiment, je voulais aller passer le reste de mes jours dans un couvent. Peu de jours après cette proposition, on vit enfin arriver le courrier qui apporta les articles que nous attendions ; ensuite duquel on commença à faire les cérémonies de mon mariage en la chapelle du roi où la messe fut célébrée par l’archevêque d’Amasia, aujourd’hui patriarche de Jérusalem, qui me fit un présent de très grande valeur de la part du connétable son neveu, au nom duquel le marquis Angelelli me donna la main. Cette cérémonie étant achevée, on me traita en princesse étrangère et comme telle, on me donna le tabouret dans la chambre de la reine. C’était le commencement de cette affaire et le départ de la fin. Je le sollicitai avec beaucoup d’empressement, ne pouvant avoir de repos que je ne me fusse mise en chemin parce qu’une fois qu’on a pris une résolution, favorable ou contraire, il faut l’exécuter le plus tôt qu’on le peut. Je partis donc et en prenant congé de Leurs Majestés, le roi eut la bonté de m’assurer que j’aurais toujours part dans son souvenir et qu’il m’honorerait toujours de son affection, quelque part du monde que je fusse. Ensuite de cela je partis, accompagnée du patriarche de Jérusalem, du marquis Angelelli et de notre gouvernante, suivie de cinquante gardes à qui Son Éminence avait donné ordre, avant que de mourir, de m’escorter jusqu’à Milan où le connétable me devait venir prendre. »
- Mazarin.
- Louis xiv.
- De ne plus tenter le roi.