Je vous dépêchai hier deux pages de nos chétives nouvelles. [1] Aujourd’hui, j’apprends qu’il y a dans le Châtelet [2] prisonnier un prêtre [3] de 35 ans accusé et convaincu d’avoir débauché une jeune femme veuve, et lui avoir fait trois enfants qui sont morts, [4] mais elle est grosse du quatrième. [2] Il était son confesseur et directeur de conscience, ce qui aggrave fort le fait. Elle est aussi prisonnière dans un monastère, d’où elle a aussi été menée au Châtelet pour lui être confrontée. Elle niait tout mais elle a enfin tout avoué, voyant que le galant avait tout confessé. Voilà des fruits du célibat [5] et de la faculté générative des prêtres. On dit qu’ils avaient délibéré de s’en aller tous deux à Genève [6] et de s’y faire huguenots, [7] après qu’elle aurait accouché et qu’elle aurait vendu tout son bien. Voilà comment ce bizarre et fantasque animal qu’on appelle homme se joue de la religion et s’en sert à son plaisir ou à son profit. Vous savez ce que dit là-dessus Virgile, [8] Sua cuique deus sit dira libido ? [3] M. l’archevêque de Sens [9][10] est fort bien en cour, il est venu voir le roi [11] qui l’a fort bien reçu et quoiqu’il ait été jusqu’ici mal avec les jésuites, ils ne laissent pas de le servir ; [4] mais vous les connaissez, il ne faut pas trop s’y fier. Je suis, etc.
De Paris, ce 5e de juillet 1661.
Du Four (édition princeps, 1683), no ciii (pages 314‑316) ; Bulderen, no cclxiii (tome ii, pages 284‑285) ; Reveillé-Parise, no dlxxxvii (tome iii, pages 378‑379).
Lettre aujourd’hui perdue.
Guy Patin a repris cette histoire, en donnant le nom du prêtre emprisonné, de Pernes, dans le post-scriptum de sa lettre à Charles Spon datée du 15 juillet suivant et il en a donné le dénouement dans sa lettre à André Falconet datée du 19 septembre.
« Chacun fait-il de son désir farouche un dieu ? » (Virgile, Énéide, chant viiii, vers 185, avec remplacement de cupido par libido).
Henri-Louis de Pardaillan de Gondrin (v. note [9], lettre 229), archevêque de Sens et fidèle allié du cardinal de Retz, avait depuis 1651, avec une douzaine de ses confrères évêques, marqué de diverses manières son appui à la cause de Port-Royal. En 1653 (v. note [21], lettre 334), il avait notamment publié dans son diocèse la bulle Cum occasione d’Innocent x (31 mai, v. note [16], lettre 321) portant condamnation des Cinq Propositions, mais en y joignant des explications, qu’il avait été obligé de rétracter peu après.