Je reçus hier la vôtre très agréable, datée du 9e de décembre. Vous ne m’avez devancé que d’un ordinaire car j’avais fait dessein de vous écrire aujourd’hui la présente pour vous donner des nouvelles de ma convalescence. Je n’ai plus, Dieu merci, besoin que de forces, mais elles ne reviennent que fort lentement. Je vous remercie bien fort de la bonne affection que vous me témoignez par vos lettres. Mon grand mal [2] n’a duré que six jours, mais ma faiblesse a duré longtemps et même, je m’en sens encore un peu. Cette langueur a été commune à tous les malades de cette année. [1][3] J’ai grand regret de la mort du bon M. Rigaud [4] et en récompense, je suis bien aise que M. Simonet [5] en soit réchappé. J’ai écrit à M. Volckamer, [6] médecin de Nuremberg, [7] je crois qu’il n’est pas maintenant en peine de mes nouvelles. Pour le livret du gendre de M. Horstius in‑4o de fœtu Mussipontano, [2][8][9][10][11] je l’ai pareillement reçu comme vous. Les Allemands sont gens à se laisser surprendre à ces nouveautés. Ils ont beau dire, conceptio non fit extra uterum, nec tamen miror aut moror tot nugas ineptientis, novaturientis et pœne morientis sæculi, etc. [3] Ce médecin italien nommé Borri [12][13] n’est qu’un charlatan comme beaucoup d’autres, mais il est finet et spirituel comme un Italien. [4] Pour la réputation qui doit venir aux savants écrivains après leur mort, je ne leur envie rien, [14] je suis de l’avis de Martial [15] le poète enjoué, Si post fata venit gloria non propero. [5] Je souhaite fort que le Cardan [16] soit fait à Pâques. C’est un petit impôt sur ma bourse, mais il n’importe, le coup vaut la balle. Le public vous aura obligation si vous aidez à la production des quatre traités de ce chirurgien de Marseille, [17] d’autant qu’il me semble fort curieux. [6] Le médecin qui est avec M. le prince de Conti [18] n’est pas ce Maurin [19] le Provençal que pensez, mais un autre Morin [20] qui n’est médecin que depuis quatre ans et qui est gendre de feu M. Allain. [21] Celui-ci est plus savant que le Provençal et n’est pas si fin. Il est natif de Châtillon-sur-Indre qui est en Touraine. [7] J’ai céans des livres à vous envoyer, entre autres deux in‑fo et quelques autres petits livres. Les deux in‑fo sont Campus Elysius quæstionum medicarum ; [22] l’autre sera Astrologia Gallica Morini [23] qui était un fou, natif de Beaujolais, professeur du roi en mathématiques à Paris, etc. De plus, il y aura un Pronostic d’Hippocrate [24] traduit par feu M. Duport, [25] que j’ai connu et qui mourut l’ancien [26] de notre Compagnie l’an 1624. De plus, il y aura trois petits tomes in‑12 de prose chagrine de M. de La Mothe Le Vayer [27] avec un traité de lacrymis, [28] qui s’achève et que je n’ai pas encore. [8] Peut-être que j’y pourrai encore ajouter quelque autre chose, mais je n’y mettrai jamais la centième partie de ce que je vous dois, et crois qu’il me faudra partir de ce monde avant que de m’acquitter envers vous et sans payer la dette de tant d’obligations que je vous ai. Carissimam uxorem tuam saluto. Vale et me ama.
Tuus ad omnia paratissimus,
Guido Patin. [9]
De Paris, ce vendredi 16e de décembre 1661.
La Chambre de justice [29] a décrété prise de corps contre M. de La Terrière, [30] Lyonnais, jadis intendant de justice, à la requête d’un autre Lyonnais nommé M. Savaron, et a fait mettre dans la Bastille [31] ce matin un nommé Pelissari, [32] etc. [10] Le roi [33] fait de beaux préparatifs pour son voyage d’Alsace le mois d’avril prochain. Quand sera achevé chez M. Borde [34] le livre de signis morborum Roderici Castrensis ? [11][35]
1. |
La maladie de Guy Patin avait dû ressortir à l’épidémie dont a parlé Antoine Vallot dans le Journal de santé du roi Louis xiv (Remarques pour l’année 1661, pages 142‑143) :
Due à une bactérie (salmonelle), la fièvre typhoïde est une infection généralisée à point de départ intestinal qui se transmet par la contamination fécale de l’eau de boisson. L’éruption cutanée (roséole), les rechutes et l’épuisement prolongé des forces sont aussi très évocateurs de cette maladie. La gravité de la typhoïde qui a probablement frappé Patin en octobre 1661 s’est répercutée dans la cadence et la présentation des lettres qu’on a conservées de lui :
Provoquée par l’épuisement général pendant la première période, cette difficulté de Patin à écrire peut ensuite (de mi-décembre à fin mars) avoir été liée à un rhumatisme dit réactionnel. En outre, dans ses notes sur ses cours au Collège royal, pour l’année 1662 (repris comme de coutume le 1er mars), Patin a écrit que : « n’étant pas encore bien refait ni fortifié de ma maladie, j’ai recommencé mes leçons, mais je n’ai rien dicté et n’ai fait que des conférences à grand nombre d’auditeurs, lesquelles j’ai menées jusques au 7e de septembre » (v. note [33] des Leçons au Collège de France). |
2. |
« sur le fœtus de Pont-à-Mousson ». Lorenz Strauss, {a} gendre de Johann Daniel Horst, {a} commentait l’observation rapportée par Honoré-Marie Lauthier : {a} Resolutio observationis singularis Mussipontanæ, fœtus extra uterum in abdomine retenti, tandemque lapidescentis. Addita sunt illustrorum et excellentissimorum virorum judicia. Hendrick Eysson {a} a aussi laissé un traité sur ce phénomène : Dissertatio Medica de Fœtu lapidefacto ; in qua eiusdem in Utero Generatio, in Abdomen Irruptio, ultra vigenti annos Retentio atque Lapidescentia, aliaqe huc spectantia, per Circumstancias et Causas explicantur et confirmantur… |
3. |
« la conception ne se produit pas hors de l’utérus et cependant, je ne m’étonne pas de toutes les balivernes d’un siècle qui perd la tête, qui veut innover {a} et qui est presque moribond, ni ne m’y attarde, etc. »
|
4. |
Giuseppe Francesco Borri (ou Borro, Josephus Franciscus Burrhus, Milan 1627-Rome 1695), enthousiaste, chimiste, hérésiarque et prophète, joua un rôle qui lui mérita les châtiments dont on a puni tous les écarts de sa conduite. Il s’attira d’abord quelque considération à Rome et parut fort attaché aux intérêts de la cour pontificale ; mais ayant ensuite déclamé contre elle, il remplit la ville du bruit de ses révélations et fut obligé de fuir par la crainte d’être emprisonné. Chassé de Milan où l’on avait démasqué ses mauvais desseins, il s’en alla pour Strabourg, puis Amsterdam, exerçant à la fois la médecine et le commerce, et se parant du titre fastueux de médecin universel. Une banqueroute le poussa à Hambourg où il fit croire qu’il détenait le secret de la pierre philosophale, dupant la reine Christine et le roi du Danemark qui, à défaut d’or, y perdirent force argent. Il dut alors se sauver en Hongrie où le nonce du pape auprès de l’empereur le réclama et le fit ramener à Rome en 1670. Il y fut condamné à la prison perpétuelle après avoir fait amende honorable. Par l’intervention du duc d’Estrées, ambassadeur de France, on adoucit sa peine en l’installant dans le château Saint-Ange (v. notule {d}, note [46] du Naudæana 3) avec un laboratoire chimique à sa disposition. Avant d’y mourir, il prétendit avoir découvert un remède pour régénérer les humeurs de l’œil obscurcies par la cataracte, mais ce n’était qu’une filouterie de plus. Borri avait de qui tenir : son père, Branda Borro, mort en 1660, était véritablement médecin à Milan, avec la spécialité charlatanesque de deviner l’issue des maladies (Éloy). Samuel Sorbière, sur la fin de sa Relation d’un voyage en Angleterre… (Paris, 1664, v. note [3], lettre 788) a longuement parlé de Borri (pages 187‑199), qu’il avait vu à Amsterdam (avec à la fin une assez étonnante digression sur la médecine de son temps, qui mérite bien d’être transcrite) :
Pour preuve que Borri a fasciné son époque, Bayle lui a consacré un article de trois grandes pages. |
5. |
« Même si la gloire doit me venir après la mort, je ne suis pas pressé » (v. note [8], lettre 164). |
6. |
Je n’ai identifié ni cet ouvrage ni cet auteur. Le seul chirurgien (et pharmacien) de Marseille dont il ait jamais été question dans la correspondance de Guy Patin est Claude Suffren (v. lettre de Charles Spon, datée du 1er mai 1657), dont n’a paru aucun ouvrage répertorié dans les catalogues. |
7. |
Nicolas Morin, originaire du Berry (Bituricensis), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1657, était médecin ordinaire du prince de Conti (Baron). V. note [37], lettre 117, pour Jean Maurin, docteur en médecine de la Faculté d’Avignon, puis de Paris. |
8. |
V. notes :
Charles Spon allait aussi recevoir :
|
9. |
« Je salue votre très chère épouse. Vale et aime Guy Patin, qui est entièrement à votre disposition en toutes choses. » |
10. |
Jacques Charreton de La Terrière avait été lieutenant général au bailliage de Villefranche en Beaujolais (1631), maître des requêtes du duc d’Orléans, puis de l’Hôtel du roi (1642), intendant de Limoges (la même année), où il eut à réprimer une révolte de croquants au moment de la mort de Louis xiii. Intendant de justice, police et finances de Montauban (1642-1655), il fut ensuite conseiller d’État et directeur des finances. Plusieurs factums rédigés entre 1656 et 1661 font état du procès qu’il eut contre François et Jean Savaron « et consorts » (renseignements aimablement fournis par M. Benoît Faure-Jarrosson, président de la Société d’Histoire de Lyon). Les Savaron pouvaient être parents du jeune Lyonnais dont Guy Patin a parlé dans deux de ses lettres de 1660 (v. note [6], lettre 601). Georges Pelissari (mort en 1676) était né dans une famille protestante originaire des Grisons et installée à Lyon. Avec son frère Claude (mort en 1662, converti au catholicisme), Georges contrôla, de 1648 à sa mort, l’administration financière de la Marine. Secrétaire du roi, il fut trésorier général de la Marine (1663-1676) et des galères (1646-1676), charges qu’il fit exercer officiellement par des prête-noms car il était resté huguenot. Il faut le croire extrêmement habile car, initialement poursuivi par la Cour de justice, il fut un court moment intéressé dans le recouvrement des taxes imposées par cette même Chambre et parvint à s’acquérir la confiance de Colbert pour continuer à faire prospérer ses juteuses affaires (Dessert a, no 429). |
11. |
V. note [8], lettre 709, pour le traité « sur les signes des maladies de [Estevan] Roderigo de Castro » (Lyon, 1661). |
a. |
Ms BnF no 9357, fo 350, « À Monsieur Mr Spon,/ Docteur en médecine/ À Lyon ». À l’exception de la signature, de la date, du post‑scriptum, et de l’adresse, la lettre n’est pas de la plume de Guy Patin, qui l’a dictée à la même main que la précédente, à Hugues ii de Salins. Au bas, au‑dessous de l’adresse, de l’écriture de Charles Spon : « 1661./ Paris, 16 décemb./ Lyon, adi 25 dudit./ Rispost. adi 14 février 1662. » |