L. 745.  >
À André Falconet,
le 6 mars 1663

Monsieur, [a][1]

Ce 28e de février. Je crois que vous avez reçu ma dernière, en laquelle je vous mandais que M. Noël, [2] professeur très célèbre en philosophie dans le Collège d’Harcourt, devait prendre possession d’une chaire royale dans notre grande salle de Cambrai [3] à la place de M. Padet [4] qui n’en peut plus, quique fuit hactenus a multis annis Atlas Academiæ Parisiensis ; [1][5] sur quoi je vous puis dire qu’il a donc harangué aujourd’hui en belle compagnie, très doctement et très agréablement. M. le cardinal Antoine [6] avait promis d’y venir, mais il n’a pu, étant pressé d’autres affaires. M. l’évêque de Coutances [7] y a assisté en qualité de grand vicaire du grand aumônier[2]

Avez-vous pris la peine d’envoyer au R.P. Théophile Raynaud [8] celle que je lui écrivis il y a huit jours, que je laissai par mégarde dans le paquet de M. Langlois au lieu de l’enfermer dans la vôtre ? Je vous prie de vous en souvenir afin qu’elle ne soit point perdue. Cl. virum et amicum singularem nostrum Car. Spontium saluto[3] je le prie d’avoir soin de m’envoyer notre petit ballot par le coche d’eau, [9] maintenant que la rivière est dégelée. Je dis hier adieu au maître du coche de deçà, qui a été fort malade. On fait en nos Écoles les opérations de chirurgie sur le corps d’un Normand qui fut hier rompu à la Grève. [10][11][12] Cela sera cause que je ne recommencerai pas sitôt mes leçons, [13] auxquelles je pensais pour mardi prochain, 16e du présent mois. Quelles nouvelles avez-vous de Montpellier ? [14] Quel ordre M. de Belleval [15] a-t-il mis dans sa maison pour la sottise de sa femme ? [4][16] Comment se porte monsieur votre fils, [17] est-il grand botaniste, quand passera-t-il docteur, quand sera-t-il de retour à Lyon ? car il sera mieux avec vous qu’avec qui que ce soit.

On parle ici de faire un recueil de toutes les œuvres de M. de Balzac [18] en deux volumes in‑fo, comme sont les œuvres de M. de La Mothe Le Vayer. [5][19] On montre ici en cachette un jeton en faveur de M. Fouquet, [20] il y a pour ses armes un écureuil qui a à ses deux côtés trois lézards, qui sont les armes de M. Le Tellier, [21] et un serpent ou une couleuvre, qui est M. de Colbert ; [22] et l’écureuil, qui est au milieu, ne sachant de quel côté se tourner ; et il a pour devise ces mots Quo me vertam, nescio[6][23] se voyant entre ses deux ennemis. Par arrêt de la Chambre de justice, [24] un nommé Poupardin, [25] receveur des tailles à Étampes, a été condamné à faire amende honorable [26] dans la Cour du Palais, à 10 000 livres d’amende et à un bannissement, pour plusieurs malversations en sa charge dont il a été convaincu. [7] Il eût été pendu si plusieurs de ses parents n’y eussent employé tout leur crédit. Un honnête homme m’a dit ce matin que nous n’aurons point de guerre en Italie et que quand on lèvera des troupes, ce sera pour un autre dessein que de faire la guerre au pape ; [27] mais on parle du roi d’Espagne [28] comme d’un homme fort malade et qui ne peut plus aller loin, si bien qu’on l’empêche d’attaquer le Portugal en divertissant son armée et l’obligeant d’envoyer ses troupes en Italie pour munir le Milanais ; [29] joint aussi qu’il en a encore besoin pour la Flandre, [30] à laquelle on ne manquera point si le cas y échet.

Ce 2d de mars. On a de nouveau mis en prison, par ordre de la Cour de justice, plusieurs gens qui se sont mêlés de maltôte, comme Frémond, [31] Roland, [32] Le Noir [33] et autres commis de partisans[8] On dit ici que le pape est d’accord avec le roi [34] et que nous avons quatre cardinaux nouveaux, savoir M. le duc de Mercœur, [35] M. l’archevêque d’Embrun, [36][37] qui est notre ambassadeur en Espagne, M. de Rodez, [38][39] archevêque de Paris, et M. l’ancien évêque de Rennes, [40] aujourd’hui archevêque d’Auch. [41] Cela n’est pas encore assuré. [9] M. le chevalier Falconet [42] m’est venu voir, qui m’a fait vos très agréables recommandations, pour lesquelles je vous remercie. Il m’a promis de bien étudier, il dit qu’il va fort soigneusement au Palais à toutes les audiences et qu’il ne perd point du tout de temps, Dieu lui fasse la grâce de dire toujours vrai, fiat, fiat[10] M. Faucon de Ris, [43] ou plutôt seigneur de Ris, [44] gros village près de Corbeil, [45] premier président de Rouen, [46] est mort à 58 ans. Il avait succédé en cette charge à son père, [47] et son père à un sien frère aîné qui était un fort habile homme. [48] Je pense que vous avez vu ce dernier mort autrefois à Lyon, intendant de justice, lorsqu’il était maître des requêtes[11] On parle ici d’assembler les Chambres du Parlement pour entendre les plaintes d’une belle demoiselle, laquelle accuse M. Hillerin, [49] conseiller de la Cour, de la cinquième des Enquêtes, de l’avoir engrossée. [50]

Nempe omnis ordo exercet histrioniam,
Venalium grex, rex, sacerdos, plebs, eques,
Sed furta, fraudes, ac scelus mortalium,
Cogente vero, lingua aberrans indicat :
Muti eloquuntur, inscientes edocent
[12]

Il y a ici un factum nouveau pour M. Fouquet, dans lequel M. Colbert est fort chargé sans y pouvoir répondre. Mme la duchesse de Savoie [51] sera mariée dimanche prochain et dès le matin, elle partira pour son voyage de Turin. [52] M. Morisset [53] passant à Lyon ne manquera pas de vous aller saluer et de prendre vos bons avis pour cette cour-là. [13] On dit qu’on va donner à M. le duc d’Orléans [54] le gouvernement de Languedoc, [55] que M. le prince de Conti [56] aura la Guyenne [57] et que nous sommes à la veille de voir du changement de faveur à la cour. On dit que la paix est arrêtée entre le roi et le pape, que l’on renvoie M. de Créqui [58] à Rome et que quand il sera à Toulon, [59] le pape l’enverra prier de venir à Rome. [14] On dit que nous aurons bientôt un livre bien curieux contre les jésuites, [60][61] toute la défense des jansénistes, que ce sera un gros in‑fo imprimé dans une ville catholique où les pères de la sainte Société n’ont point de crédit. Le prétendu accord entre ces deux partis est tout à fait rompu. On dit que quelques vieux docteurs de Sorbonne [62] en sont cause, à la suggestion des jésuites qui sont des maîtres passefins. On commence ici une nouvelle édition du Recueil de toutes les œuvres de feu M. de Balzac ; [5] il y aura deux volumes in‑fo, ce sera un grand ouvrage, bel et bon, qui fera honneur à la France et à notre langue ; même, sa vie y sera ajoutée. Permettez-moi, Monsieur, de vous faire une petite importunité : quand vous verrez le R.P. Théophile, tâchez de savoir de lui qui est un certain Caspar Cichocius lib. i Alloquiorum[63] qui a écrit contre Érasme, [64] et où ce livre a été imprimé ; le R.P. Théophile a cité cet auteur dans son livre de bonis et malis libris, imprimé in‑4o chez M. Huguetan [65] l’an 1653, c’est à la page 25. [15][66]

M. Colbert fut hier saigné. M. Le Tellier est au lit malade d’une fièvre continue [67] pour laquelle il a déjà été saigné quatre fois. [68] On dit que la reine mère [69] est malcontente de M. Colbert et que l’affaire de M. Fouquet [70] est civilisée, [16] et qu’il en sera quitte pour quelque bannissement, ne pouvant être convaincu d’aucun crime, qu’il ne s’en défende bien et ne le rejette sur le cardinal Mazarin, [71] ce que la reine mère ne peut point souffrir ; joint qu’il se plaint de ce qu’on s’est saisi de ses papiers, parmi lesquels il y en avait plusieurs qui contenaient sa défense. Je vous envoie un billet de mon fils Charles qui servira de réponse à celui que vous lui avez envoyé. Madame la nouvelle duchesse de Savoie part demain de cette ville et s’en va trouver son mari, [17] je crois aussi qu’elle emmène son médecin M. Morisset. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 6e de mars 1663.


a.

Bulderen, no cclxxxviii (tome ii, pages 345‑350) ; Reveillé-Parise, no dcix (tome iii, pages 422‑426).

1.

« depuis de nombreuses années, chacun en fit jusqu’ici l’Atlas de l’Université de Paris » ; v. note [43], lettre 485, pour ce surnom de Pierre Padet.

2.

Louis Noël natif de Normandie (mort en 1693), succédait à Pierre Padet dans la chaire royale de philosophie grecque et latine du Collège de France (qui occupait alors le Collège de Cambrai, v. note [15], lettre 153). L’évêque de Coutances était, depuis septembre 1658, Eustache Leclerc de Lesville (v. note [5], lettre 849).

3.

« Je salue Charles Spon, notre particulier et très illustre ami ».

Ce qui prècède établit que Guy Patin a correspondu avec le P. Théophile Raynaud, mais il n’en est resté aucune trace.

4.

Martin Richer de Belleval (v. note [12], lettre 57), professeur et chancelier de l’Université de médecine de Montpellier, avait épousé en 1643 Françoise Valette ; ils eurent de nombreux enfants dont aucun ne perpétua la gloire médicale du père (Dulieu).

5.

V. notes [9], lettre 675, pour la préparation des œuvres complètes de Jean-François Guez de Balzac, et [29], lettre 282, pour la publication de celles de François i de La Mothe Le Vayer en 1654.

6.

« Vers où me tourner, je ne sais » (Quintilien, Institution oratoire, livre ix, lxxv).

La véritable devise du fastueux surintendant Fouquet était Quo non ascendam ? [Jusqu’où ne monterai-je pas ?] ; Gilles Ménage :

« Nous appelons en Anjou un écureuil un fouquet ; et de là vient que M. Fouquet, procureur général du Parlement de Paris et surintendant des finances de France, qui était originaire de la ville d’Angers, portait un écureuil dans ses armes. Fouquet est un diminutif de Foulque, et Foulque est un nom propre, comme il vient d’être remarqué. Nous avons donné des noms d’hommes aux animaux : c’est ainsi que nous avons appelé un étourneau un Sansonnet, c’est-à-dire, petit Sanson, un perroquet un perroquet, c’est-à-dire, petit Pierre, etc. Voyez renard. » {a}


  1. La même référence étymologique faisait de Colbert « la couleuvre » (colubra en latin).

7.

Le bannissement d’Étienne Poupardin, receveur des tailles en l’élection d’Étampes, servait de hors-d’œuvre au procès de Nicolas Fouquet qui tardait à débuter, tant l’instruction en était complexe.

8.

Nicolas de Frémont (1622-1696), natif de Rouen, était doublement apparenté à François Catelan (son cousin par alliance et l’époux de sa nièce). Il fut l’un des financiers les plus marquants du règne de Louis xiv : correcteur en la Chambre des comptes de Montpellier en 1646, conseiller d’État en 1654, il était devenu secrétaire du roi l’année suivante ; ses affaires financières et familiales demeurèrent très prospères jusqu’à sa mort. Créature de Mazarin puis de Colbert, Frémont a accompli ce tour de force d’être à la fois l’un des principaux traitants de la Chambre de justice de 1661 et l’un de ceux qu’elle eut à poursuivre (Dessert a, no 196).

Barthélemy Rolland (mort en 1687) appartenait lui aussi à l’entourage financier de Mazarin et Colbert, avec une grosse activité de fermier général (gabelles de Provence et Dauphiné, et revenus de la principauté d’Orange en 1660-1661, Domaines de 1670 à 1680, fermes unies ensuite) ; il était un autre des traitants des taxes de la Chambre de justice (Dessert a, no 477).

Simon Le Noir (mort en 1694) avait été le commis et prête-nom du financier Pierre Girardin (v. note [15], lettre 484). Comme très fidèle serviteur de cette puissante famille, il était englobé dans les poursuites que la Chambre de justice engageait contre l’association des finances qu’il avait servie avec zèle et fidélité. Il parvint à ne pas être éliminé du « petit monde des manieurs d’argent » et après un beau mariage en 1671, Le Noir put acheter une charge de secrétaire du roi et continuer de prospérer (Dessert a, no 334).

9.

Les prélats cités étaient dans l’ordre :

Aucun d’eux ne figura sur la liste des cardinaux nommés par Alexandre vii en janvier 1664 (4e promotion de son pontificat). Seul le duc de Mercœur, gouverneur de Provence, qui s’était fait capucin à la mort de son épouse, Laure Mancini (1657), fut nommé cardinal le 7 mars 1667 (mort en août 1669) ; les trois autres ne furent jamais cardinaux.

10.

« advienne que pourra. »

Ce « chevalier » Falconet était le troisième des fils d’André (après l’aîné, probablement mort en 1661, et le puîné, Noël, alors étudiant en médecine à Montpellier) dont Guy Patin a parlé dans sa correspondance. Probablement prénommé Henri (v. note [3], lettre 895), il était venu étudier le métier d’avocat à Paris. Son ascendance roturière n’ayant pas pu lui donner accès à l’Ordre de Malte, je n’ai pas su trouver pourquoi Patin lui donnait le titre de chevalier, sinon par taquinerie : on appelait jadis « chevaliers ès lois ceux qui avaient obtenu le titre de chevalier à cause de leur capacité dans la jurisprudence » (Littré DLF).

11.

Tout au long du xviie s., quatre Faucon (ou Faulcon) de Ris (aujourd’hui Ris-Orangis, dans le département d’Essonne) se sont succédé dans la charge de premier président du parlement de Rouen (Popoff, no 1155 ; et Amable Floquet, Histoire du parlement de Normandie, Rouen, Édouard Frère, 1842, in‑4o, tome septième, pages 715‑716) :

V. note [16] du Borboniana 10 manuscrit pour Alexandre i et Claude Faucon de Ris, les grand-père et père d’Alexandre ii et de Charles (premier du nom).

Mlle de Montpensier (Mémoires, volume 1, première partie, chapitre iv, page 121, année 1646) a signalé la mort dramatique de Charles, premier du nom :

« Le premier président du parlement de Rouen, homme de mérite et de vertu, âgé de soixante ans, tomba en faiblesse vers la fin de sa harangue, {a} dont les termes furent fort véritables. Il sentit quelques convulsions et pour terminer sa harangue, il dit au roi qu’il mourait son très humble et très obéissant, et très fidèle serviteur et sujet. Il sortit aussitôt du cabinet de la reine, où il avait fait sa harangue ; il tomba sur le degré, perdit la parole et mourut une demi-heure après, {b} fort regretté de ceux de sa connaissance. »


  1. Prononcée à Dieppe devant la reine régente, Anne d’Autriche, et le dauphin.

  2. Si cette narration est fidèle, elle évoque aujourd’hui une hémorragie cérébrale massive touchant l’hémisphère majeur (siège de la parole, ordinairement du côté gauche de l’encéphale).

Olivier Le Fèvre d’Ormesson en a aussi parlé dans son Journal, en date du 10 août 1647 (tome i, page 391) :

« On me dit la mort du premier président de Rouen, lequel ayant dîné chez M. de Montigny, gouverneur de Dieppe, remarqua qu’ils étaient treize à table. L’on fit venir un fils de M. de Montigny. Le premier président témoigna n’avoir jamais eu plus de santé. Ensuite, il fut faire sa harangue, qui fut mauvaise, et se retirant sur le bas de la montée, il tomba mort sans dire autre chose < que > “ Mon Dieu, que je me trouve mal ! ” Il fut porté dans la chambre de M. de Guitaut où la reine le fut voir. On lui donna force coups de lancette, mail il était mort. »

12.

« De fait, chaque état joue sa comédie, troupeau d’esclaves, roi, clergé, peuple, noblesse ; mais qu’une langue s’égare et, poussée à dire le vrai, dénonce les larcins, les fraudes, les crimes des mortels ; les muets parlent, les ignorants instruisent » : vers de Dominicus Baudius (v. notule {e}, note [37] du Patiniana I‑3), avec réminiscence de Pétrone (v. note [8], lettre 347).

Jean-Baptiste Hillerin (mort en 1681) avait été reçu conseiller en la cinquième Chambre des enquêtes, en 1649 (Popoff, no 1442).

13.

V. note [4], lettre 739.

14.

Poursuite de l’affaire des gardes corses qui agitait fort les relations entre Rome et Paris (v. note [1], lettre 735). Charles iii de Créqui ne partit en ambassade que l’année suivante (Gazette, ordinaire no 53 du 3 mai 1664, pages 429‑430) :

« De Lyon, le 26 avril 1664. Le 19e de ce mois, le duc de Créqui, ambassadeur extraordinaire du roi auprès de Sa Sainteté, arriva en cette ville, à l’entrée de laquelle il fut reçu par notre archevêque. Le 20e, l’abbé Rospigliosi {a} y passa aussi, en poste, pour aller en cour. »


  1. Giacomo Rospigliosi, émissaire du cardinal Flavio Chigi.

Ordinaire no 62 du 24 mai 1664 (page 508) :

« De Lyon, le 18 mai 1664. On a eu nouvelle que le duc de Créqui, qui était parti de cette ville le 26e du passé, s’embarque le 8e du courant, à Toulon, pour continuer son voyage de Rome. »

15.

Guy Patin renvoyait à la fin du chapitre contre Érasme, déjà cité, {a} des Erotemata [Interrogations] {b} du P. Théophile Raynaud (à la page 25, indiquée) :

Quanquam Basilius Poncius lib. 7. de matr. cap. i. num. 6. tanti esse apud plerosque Erasmum his verbis expostulat. [Pudet me, dum Catholicos ita Erasmi amore affectos video ; nos enim illius argutas ineptias admirantes, redidimus illustrem, dignum qui lateret, et Cimmeriis oblivionis tenebris cum omni sua prole sepeliretur.] Nec mitius de Erasmo pronunciatum a Iacobo Stunica, eo libro cui titulum fecit, Erasmi Roterodami blasphemiæ, et impietates. Videndus qui varias eius impietates, et adversus eum iudicia sapientum, addensat Gaspar Chicocius lib. i. alloquirum cap. 19. et 20.

[D’ailleurs, parmi bien d’autres, Basile Pontius (De Matrimonio, livre 7, chapitre i, § 6) {c} s’est plaint d’Érasme en ces termes : « J’ai honte de voir des catholiques aimer Érasme ; c’est qu’en effet, en admirant ses propos ineptes, nous le rendons brillant, quand il est digne d’être caché et enseveli, lui et toute sa postérité, dans les ténèbres cimmériennes {d} de l’oubli. » Et Jacobus Stunica n’a guère été plus doux avec Érasme dans son livre intitulé Erasmi Roterodami Blasphemiæ, et impietates. {e} Pour bien voir ses impiétés et en juger sagement, Caspar Chicocius les a condensées au livre i de ses Alloquiorum, chapitres 19 et 20]. {f}


  1. V. note [5], lettre 308.

  2. Lyon, 1653, v. note [7], lettre 205.

  3. R.P.M.F. Basilii Pontii Legionensis Augustiniani, apud Salmaticenses, Primariæ Cathedræ Moderatoris Primarii, de Sacramento Matrimonii Tractatus, cum Appendice de Matrimonio Catholici cum Hæretico…

    [Traité du feu R.P. Basilius Pontius, {i} de l’Ordre de saint Augustin, premier directeur de la première chaire de Salamanque, sur le Sacrement du mariage, avec un Appendice sur le mariage entre catholique et hérétique…]. {ii}

    1. Basilio Ponce de Leon (Grenade 1570-Salamanque 1629), théologien et canoniste augustin.

    2. Venise, Combi, 1645, in‑fo de 615 pages ; le passage cité est à la page 272, en haut de la 2e colonne.

  4. V. note [19], lettre 901, pour le commentaire d’Érasme sur les ténèbres cimmériennes (très profondes).

  5. Erasmi Roterodami Blasphemiæ et Impietates per Iacobum Lopidem Stunicam nunc primum propalatæ ac proprio volumine alias redargutæ.

    [Les Blaspèmes et Impiétés d’Érasme de Rotterdam, par Iacobus Lopides Stunica, {i} publiés pour la première fois en un volume particulier, mais qui ont été dénoncés ailleurs]. {ii}

    1. Diego Lopez Zuñiga, humaniste espagnol mort à Naples en 1533, a été un ennemi acharné d’Érasme.

    2. Rome, Antonius Bladus de Asula, 1522, in‑4o de sept feuilles.

  6. Alloquiorum Osiecensium variorum familiarum Sermonum Libri quinque. In quibus præter examen Anatomiæ Cichotinæ, pro Societate Iesu ante triennium editæ, Hæreticismi, progressus, et regressus, sive fluxus et refluxus repentini, præcipue per Regnum Poloniæ, Magnum Ducatum Lituaniæ, et alias adiacentes provincias in amplissimis familiiis historice narrantur. Tum eiusdem propositi continuatio, Angliam, Germaniam, Galliam, Hungariam, Silesiam, Moraviam percurrit, ad extremum et ipsam attingit Italiam. Ad laudem Dei omnipotentis, ad consolationem Catholicorum, et confusionem omnium quotquot sunt Hæreticorum, et Schysmaticorum. Authore eodem Caspare Cichocio, Canonico et Parocco Sendomiriensi

    [Cinq Livres de divers sermons familiers prononcés à Osieck. {i} Outre un examen de l’Anatomie de Cichotius, publiée voilà trois ans en faveur de la Compagnie de Jésus, {ii} y sont historiquement relatés les progrès et régressions, ou les flux et reflux de l’hérésie {iii} qui s’est soudainement répandue dans les plus grandes familles de Pologne, du grand-duché de Lituanie et des autres provinces adjacentes ; puis la continuation de son dessein qui s’est propagée en Angleterre, en Allemagne, en France, en Hongrie, en Silésie, en Moravie, et a même atteint l’Italie. À la louange de Dieu tout-puissant, pour la consolation des catholiques et la confusion de tout ce qu’il existe d’hérétiques et de schismatiques. Par ledit Caspar Cichocius, {iv} chanoine et curé de la paroisse de Sandomir]. {v}

    1. Chef-lieu de la gmina (commune) rurale homonyme de la Voïvodie de Mazovie, à 40 kilomètres au sud-est de Varsovie.

    2. Anatomia consilii editi de stabilienda pace Regni Poloniæ Iesuitis pulsis. Mendacia conficta a quodam anonymo impostore contra religiosum Societatis Iesu ordinem detegens. Auctore Gaspare Cichocki… [Anatomie d’un avis publié pour établir la paix du royaume de Pologne par les jésuites qui en ont été chassés. Dévoilant les mensonges inventés par un imposteur anonyme contre l’Ordre religieux de la Compagnie de Jésus. Par Caspar Cichockus…] (Cracovie, Andreas Petricovius, 1611, in‑4o de 126 pages.

    3. Le socinianisme, forme polonaise de l’arianisme : v. note [13], lettre 127.

    4. Caspar Cichocius ou Cichockus est le nom latin de Gaspar Sawicki (Vilna 1552-Francfort 1620), jésuite lituanien, reçu novice à Rome en 1576, qui professa la théologie polémique à Vilnus et accomplit de nombreux voyages au service de la Compagnie de Jésus. La suite de la présente notre fait état des incertitudes qui planent sur l’identité réelle de Cichocius (dont j’ai partout rectifié l’orthographe fautive de Chicocius).

      Sandomir (Sandomierz) est une ville de Pologne située à 200 kilomètres au sud de Varsovie.

    5. Cracovie, Basilius Skalskus, 1615, in‑4o de 540 pages.

    Les sermons 19 et 20 du livre i sont intitulés :

    • Excutitur Erasmi Rotherodami, in religione fluctuans ingenium, et ad Arianismum propensum [Examen critique du génie d’Érasme de Rotterdam, qui a fluctué en matière de religion et penché vers l’arianisme] ;

    • Iudicia Doctorum Virorum de Erasmo, eius origo, arrogantia, mordacitas, Calvini iudicium, et testimonium de Romana Ecclesia [Jugements de savants hommes sur Érasme, ses origines, son arrogance, son esprit caustique, son avis sur Calvin et son témoignage sur l’Église romaine].

Bayle (note B sur Sawicki) a tenté de résoudre les doutes de Patin :

« Le P. Théophile Raynaud ayant rapporté des choses désavantageuses à Érasme renvoie le lecteur à Caspar Cichocius. […] Patin, qui connaissait bien les livres et qui avait une très belle bibliothèque, demeura court sur celui-là ; et apparemment, il ne crut point qu’à Paris on lui en pût donner des nouvelles puisqu’il fit consulter l’oracle de Lyon, je veux dire l’auteur même qui avait cité Cichocius. […] Il ne nous apprend point si cet oracle fut consulté ni quelle fut sa réponse. Pour moi, je confesse ingénument que je n’ai point vu ce livre ; ceux à qui j’ai voulu m’en informer m’ont avoué franchement qu’ils ne se souvenaient pas d’avoir jamais ouï parler d’un tel auteur. Je croyais que ce fût le jésuite Caspar Sawicki et je l’ai assuré dans le projet et dans la première édition de ce dictionnaire ; mais je change de sentiment et je trouve qu’il faut dire que c’est un chanoine et curé de Sendomir. Il est cité dans un ouvrage de Stanislas Lubienietski : Caspar Cichocius, canonicus et parochus Sendomiriensis, in Alloquiis Osiecensibus memoriæ prodidit {a} (Stanis. Lubieniecius, Histor. Reform. Polon., page 20). J’ai lu dans Simon Starovolscius que Caspar Cichocius, né à Tarnowitz, ville de la Petite Pologne, fut fait maître ès arts l’an 1567 et qu’ensuite il obtint du cardinal George Radziwil ce canonicat et cette cure, et qu’il composa deux livres : l’un, intitulé Anatomia, pour justifier les jésuites ; l’autre, intitulé Alloquia Osieciana, pour réfuter les erreurs des hérétiques. Ce dernier ouvrage lui eût attiré bien des maux, parce qu’il avait maltraité le roi d’Angleterre ; mais la mort le tira d’affaire. » {b}


  1. « Caspar Chicocius, chanoine et curé de Sendomir, l’a transmis à la postérité dans les “ Exhortations d’Osieca ” ».

  2. Sommervogel (sixième série, 1861) a conclu l’article consacré à Sawicki par cette savante mais laborieuse explication du R.P. Brown, sur l’auteur de l’Anatomia et des Alloquia :

    Verum, ut minimum dicam, probabilissime hac in re errant, hæcque opera non Pis Sawicki sunt, sed R.D. Cichocki, cujus et nomen præ se ferunt. Nam opera hæc unius ejusdemque Authoris esse ipsa styli et linguæ latinæ identitas ostendit ; jam vero et ipsa Bibliotheca Script. Soc. licet Anatomiam P. Sawicki attribuat, de Alloquiis prorsus silet. P. Niesiecki sibi hac in re non constat ; nam licet in vita P. Sawicki ipsi hæc adscribat opera, in vita tamen Di Cichocki ei Alloquia attribuit. D. autem Siatcziński in suo Obraz wieku Zygmunta iii, etc., licet Anatomiam nostris adjudicet, asserens eam a nostris sub nomine D. Cichocki, idque ipso consentiente, editam fuisse, Alloquia tamen ipsi adjudicat, illisque teste, ut asserit, Starowolski, attribuit eas molestias, quas D. Cichocki usque ad mortem a Legato Angliæ perpessus est. Denique coævus Starowolski in suis Ecatontis Script. pol. expresse utrumque opus Do Cichocki attribuit eisque ansam persecutionum, quas D. Cichocki a Legato Angliæ passus est, adscribit. Equidem in utroque opere ea rerum Societatis non solum polonicarum, sed et externarum, notitia apparet, ut non facile externo cuiquam attribui possit ; verum cum utrumque opus in nostram editum sit defensionem, materia facile a nostris suppeditari potuit et a D. Cichocki ordinari et typis edi. Accedit quod his in operibus ea libertas et audacia vigeat, ut fieri nequeat, ut a nostris censoribus facultas ad illa typis edenda dari potuerit.

    [Sur ce point, en vérité, le moins qu’on puisse dire est qu’on se trompe très probablement en disant que ces ouvrages ne sont pas du P. Sawicki, mais du révérend dom Cichockus, dont elles portent la signature. L’identité du style et du latin montre en effet que ces livres émanent d’un seul et même auteur. Toutefois, bien que la Bibliothèque des écrivains de la Compagnie ait précédemment attribué l’Anatomia au P. Sawicki, elle a entièrement passé sous silence les Alloquia. Le P. Niesiecki ne le prouve pas clairement : dans sa vie du P. Sawicki, il lui attribue ces deux titres, mais dans celle de dom Cichockus, il le donne pour auteur des Alloquia. Dans son Obraz wieku Zygmunta iii, etc., M. Siatcziński adjuge l’Anatomia aux jésuites, en disant qu’elle a été publiée, de son propre aveu, par un des nôtres, sous le nom de D. Cichockus, mais lui adjuge aussi les Alloquia, sur le témoignage, dit-il, de Starowolski qui y a discerné les tourments que l’ambassadeur d’Angleterre a fait endurer à Cichockus jusqu’à sa mort. Enfin, dans ses Ecatontis Script. pol., Starowolski attribue les deux ouvrages à Cichockus, dont il a été le contemporain, en leur donnant pour cause les persécutions dont l’ambassadeur d’Angleterre a accablé Cichockus. De plus, dans les deux livres, figurent des remarques sur les affaires de la Compagnie tant en Pologne que dans les autres pays, elles ne peuvent donc émaner d’une plume qui lui soit étrangère ; et puisqu’elles ont été mises au jour pour nous défendre, leur matière a pu être aisément fournie par les membres de notre Compagnie, pour être mise en ordre puis confiée aux presses par notre Cichockus. J’ajoute qu’il y fleurit une liberté et une audace telles qu’il est indéniable que seuls nos censeurs ont pu leur donner la licence d’être imprimées].


16.

Civiliser : « rendre civile une matière criminelle, réduire une cause criminelle à une procédure ordinaire et civile ; civiliser un procès, civiliser une cause criminelle » (Académie).

17.

Le dimanche 4 mars 1663, dans la chapelle du Louvre, le roi et la reine avaient assisté au mariage par procuration de Mademoiselle de Valois, Françoise-Madeleine d’Orléans avec Charles-Emmanuel ii, duc de Savoie, célébré par le cardinal Antoine Barberini (Levantal).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 6 mars 1663

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(Consulté le 25/04/2024)

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