L. 766.  >
À André Falconet,
le 29 janvier 1664

Monsieur, [a][1]

Je ne doute pas que vous ne soyez en bon lieu et toujours en vous-même, mais je ne sais pas si vous êtes à Turin. [2] Quelque part que vous soyez, je ne vous souhaite que du bien. Nous eûmes hier une grande assemblée en nos Écoles où l’on disait que M. Morisset [3] était parti de Turin et qu’il était à Lyon, d’où il ne bougeait jusqu’à ce qu’il eût accordé avec ses créanciers, de peur qu’autrement, en revenant à Paris, on ne lui fît un pourpoint de pierre, [1] ce qui arriverait apparemment. J’ai regret que ce pauvre homme soit si fort embarrassé en ses affaires. Notre assemblée d’hier était pour élire des examinateurs [4] pour le mois de mars prochain. [2][5] Cela n’arrive qu’une fois en deux ans, et très rigoureusement. Si on l’imitait en quelque façon dans les petites universités, nos jeunes gens n’étudieraient que mieux, mais les Allemands se fient à Padoue, [6] nos Français à Montpellier, [7] et ils en reviennent souvent aussi ignorants qu’ils y ont été.

On dit que la paix du pape [8] n’est point faite, mais que nos troupes vont en Italie pour la faire ou faire faire. Nous avons ici M. Charpentier [9] malade ex podagra et vesicæ calculo[3][10][11] âgé de 69 ans. Le roi [12] donnera 10 000 hommes de secours à l’empereur, [13] à ce qu’on dit ; ils seront conduits en Allemagne par M. d’Erlach [14] contre le Turc. [4][15] On dit aussi que nos troupes d’Italie s’en vont assiéger Bologne [16] que tient le pape. Où donc est de présent M. Vézou ? [17] On dit qu’il a été pris de quelque fluxion à Turin, c’est un double malheur d’être hors de sa maison et être malade.

Le comte de Brienne, [18] ci-devant secrétaire d’État, après avoir perdu sa charge et sa femme, [19][20] fille de M. de Chavigny, [21] s’est enfin rendu père de l’Oratoire[22] Voilà un jeune homme perdu si Dieu ne le sauve, que les jeux et les pipeurs ont ruiné ; il méritait une meilleure fin car c’était un honnête homme, et très savant. [5] Il aimait mon fils Charles au dernier point et l’envoyait quérir tous les jours ; il lui < a > fait une belle préface à ses Familiæ Romanæ[6][23][24] Je viens d’apprendre que l’ambassadeur d’Espagne [25] présenta hier au roi un courrier de Rome qui lui offre tout contentement, et que la paix d’Italie serait faite si nous avions la ratification de ce que le pape promet. [7] Si M. le maréchal Du Plessis-Praslin [26] va en Italie pour notre général, on dit qu’il emmènera quant et soi pour médecin M. de Mauvillain, [27] un des nôtres qui est grand ami de M. Morisset, duquel je vous dirai des nouvelles si vous en avez besoin. Les jours commencent à croître et je recommencerai aussi mes leçons [28] au Collège royal[29] dont beaucoup de gens me pressent. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 29e de janvier 1664.


a.

Bulderen, no cccvi (tome ii, pages 390‑392) à Charles Spon ; Reveillé-Parise, no dcxxiv (tome iii, pages 454‑455) à André Falconet.

1.

V. note [4], lettre 219, pour cette manière de dire : « on ne le mît en prison ».

2.

Il s’agissait de choisir les docteurs régents qui examineraient avec le doyen les candidats au baccalauréat de médecine de 1664. Les cinq examinateurs élus le 26 janvier par la Faculté furent Philippe Hardouin de Saint-Jacques, Jacques Thévart et Nicolas Richard, pour les trois anciens, et Charles Patin et François Goüel pour les deux jeunes (Comment. F.M.P., tome xv, page 42).

Sur les 13 candidats qui se présentèrent à l’examen, deux n’avaient pas les diplômes requis de maître ès arts. Ce fut l’occasion d’une nouvelle dispute où Jacques Thévart, Guy Patin, Jacques Mentel, François Blondel, François Le Vignon, Claude Perrault, Robert et Charles Patin, Antoine-Jean Morand, Jean-Baptiste Le Revilois et Antoine Ruffin requirent devant le Parlement contre le doyen, Antoine Morand, l’ancien, François Guénault, et le censeur de la Faculté, Philippe Hardouin de Saint-Jacques. L’un des deux candidats dont l’aptitude était contestée, Raymond Finot, fut quand même reçu bachelier le 5 avril 1664 (ibid. pages 46‑50).

3.

« de podagre et d’un calcul de vessie ».

4.

Sigismond d’Erlach (Berne 1614-ibid. 1699), neveu de Jean-Louis (v. note [5], lettre 168) était entré de bonne heure au service du roi de France sous les ordres de son oncle jusqu’en 1650. Nommé maréchal de camp, il avait participé avec éclat à la bataille de Lens et au siège de Cambrai. À partir de 1667, il allait jouer un rôle éminent d’édile à Berne (Michaud).

5.

Henriette Bouthillier de Chavigny (1637-1664) avait épousé Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne (1636-1698, v. note [40], lettre 488), dont Saint-Simon a laissé ce portrait (Mémoires, tome i, pages 471-472) :

« Quelque temps après mourut M. de Brienne, l’homme de la plus grande espérance de son temps en son genre, le plus savant, et qui possédait à fond toutes les langues savantes et celles de l’Europe. Il eut de très bonne heure la survivance de son père, {a} qui avait eu la charge de secrétaire d’État du département des Affaires étrangères lorsque Chavigny fut chassé. Loménie, qui voulait rendre son fils capable de la bien exercer et qui n’avait que seize ou dix-sept ans, l’envoya voyager en Italie, en Allemagne, en Pologne et par tout le Nord jusqu’en Laponie. Il brilla fort et profita plus dans tous ces pays, où il conversa avec les ministres et ce qu’il y trouva de gens plus considérables, et en rapporta une excellente relation latine. Revenu à la cour, il y réussit admirablement, et dans son ministère, jusqu’en 1664 qu’il perdit sa femme, fille de ce même Chavigny, et sœur de Monsieur de Troyes {b} […]. Il l’avait épousée quatre ans après la mort de Chavigny. {c} Il fut tellement affligé de cette perte, que rien ne put le retenir : il se jeta dans les pères de l’Oratoire et s’y fit prêtre. Dans les suites il s’en repentit : il écrivit des lettres, des élégies, des sonnets beaux et pleins d’esprit, et tenta tout ce qu’il put pour rentrer à la cour et en charge. Cela ne lui réussit pas, la tête se troubla : il sortit de sa retraite et se remit à voyager ; il lui échappa beaucoup de messéances à son état passé et à celui qu’il avait embrassé depuis. On le fit revenir en France où, bientôt après, on l’enferma dans l’abbaye de Château-Landon. {d} Sa folie ne l’empêcha pas d’y écrire beaucoup de poésies latines et françaises parfaitement belles et touchantes sur ses malheurs. »


  1. Henri-Auguste de Loménie (v. note [49], lettre 292).

  2. François Bouthillier de Chavigny, évêque de Troyes.

  3. En 1653.

  4. Abbaye Saint-Séverin de Château-Landon (Seine-et-Marne, 19 kilomètres au nord de Montargis.

6.

V. note [11], lettre 736, pour les « Familles romaines » de Charles Patin (Paris, 1663) avec leur préface à Louis-Henri de Loménie.

7.

Depuis l’automne 1661 (renvoi du comte de Fuensaldagne, v. note [2], lettre 702), l’ambassadeur d’Espagne en France était don Gaspar de Teves Tello y Guzmán, marquis de la Fuente (1608-1673). Il demeura en poste jusqu’en 1667.

Le 19 janvier 1664, le roi et la reine avaient reçu la Fuente et l’ambassadeur de Venise, Alvise Sagredo, officiellement venus leur porter leurs compliments de condoléances sur la mort de Madame Royale (Levantal), survenue le 27 décembre 1663. Le traité de Pise, entre Louis xiv et le pape Alexandre vii, allait être signé le 12 février (v. note [1], lettre 772).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 janvier 1664

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(Consulté le 25/04/2024)

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