Je vous envoie un écrit nouveau que je n’ai pu lire tout entier sans rire et si bene te novi, [1] je pense que vous en ferez autant. Vous y verrez un bel échantillon des bagatelles que le temps présent nous fournit, et deliria morientis sæculi. [2][2][3] Je baise les mains carissimæ tuæ, [4] et à M. de Gonsebac, à MM. Huguetan et Ravaud, à Messieurs vos deux confrères, MM. de Falconet et Garnier. Je pense que vous savez bien que M. Io. Ant. Vander Linden, [2] professeur en médecine à Leyde, [3] est mort : fatalem metam attigit, et penetravit in domum æternitatis suæ, [4][5] âgé de 57 ans, le septième jour d’un catarrhe [6] suffocant ; mais comme dit Pline, [7] illibato corpore [5] et sans aucune entamure, absque ulla venæ sectione. [6] C’est ainsi que ces bons hémophobes [7] passent en l’autre monde, væ victis ! Perditio tua ex Te Israel. [8][9] Je vous prie de ne point abandonner M. Joncquet [10] et s’il se présente de delà quelque occasion pour lui, de lui faire le bien requis. J’ai ici un honnête homme de Lyon qui s’y en retournera après Pâques, par lequel je vous ferai rendre tout ce qu’aurez avancé pour lui. La Chambre de justice [11] fait ici parler d’elle fort souvent : les uns s’en ennuient, les autres en sont embarrassés par des recherches qui menacent et renversent des familles entières, sous ombre qu’elles ont été bâties ou enrichies par des partisans. On dit que toute la cour sera à Saint-Germain [12] jusqu’à Pâques fleuries. Le roi [13] reviendra ici pour les fêtes et puis après, s’en ira à Fontainebleau [14] pour y passer l’été entier. Il n’est presque point ici de malade depuis sept mois entiers. Notre M. Charpentier [15] se porte un peu mieux. Le Diogenes Laertius de M. Ménage [16][17] est encore en chemin d’Angleterre, pour quelques additions qu’on y a faites. Vale et me ama.
Tuus ex animo, Guido Patin.
Parisiis, die {Martis} Lunæ, {18.} 17. Martii 1664. [8]
Ms BnF no 9358, fo 218 ; Reveillé-Parise, no ccclvi (tome ii, pages 497‑498).
« si je vous connais bien ».
« et les extravagances d’un siècle moribond » (v. note [1], lettre 755).
Tout ce paragraphe, authentifié par le manuscrit, est presque mot pour mot le même que le premier de la lettre du 3 juillet 1663 à André Falconet (v. sa note [1]), dont on doit donc suspecter que le début au moins est forgé. Dans sa lettre du 25 mars 1664 (v. sa note [1]), Guy Patin allait rappeler à Charles Spon qu’il avait joint à la présente « une feuille imprimée de l’Hérésie imaginaire », qui est donc sans nul doute le texte dont il disait ici avoir ri.
En 1664-1666, dans le sillage des 18 Provinciales, {a} mais sans remporter leur immortel succès, les amis de Port-Royal (dont Pierre Nicole {b} et probablement Antoine ii Arnauld {c} étaient les plumes anonymes) ont publié 18 Imaginaires, qui ont plus tard été imprimées toutes ensemble :
Parmi d’autres, cette « bagatelle » donne le ton général (lettre i, pages 3‑4) :
« On lit dans quelque histoire des Indes qu’un éléphant blanc y causa la mort à cinq ou six princes, et la désolation à plusieurs royaumes. Il y eut entre autres un roi de Pégu {a} qui dressa une armée d’un million d’hommes, où il y avait trois mille chameaux, cinq mille éléphants et deux cent mille chevaux, pour le ravir au roi de Siam. Il désola tous les États de ce roi. Il ruina sa principale ville deux fois plus grande que Paris et le contraignit lui-même de se tuer après la perte de son royaume ; et tout cela pour cet éléphant blanc. {b} Ce roi en avait déjà trois, il lui en manquait un quatrième pour son carrosse, et pour l’avoir, il ruina tout un grand royaume. On ne considère d’ordinaire ces histoires que comme des sottises de Barbares, mais il me semble qu’on les doit regarder d’une autre sorte. Je n’y vois rien qui ne me paraisse très digne des hommes et très proportionné à la portée de leur esprit ; et je les trouve d’autant moins vaines qu’elles servent à découvrir la vanité de toutes les entreprises que l’on fait passer pour glorieuses et pour importantes. »
- V. notule {a}, note [32] du Faux Patiniana II‑6, pour le royaume de Pégu en Birmanie.
- Allégorie du jansénisme.
« de votre très chère [épouse] ».
« il a atteint l’extrémité fatale et il est entré dans sa maison d’éternité ». {a}
Cette citation se lit dans le (dernier paragraphe de la première Imaginaire pages 19‑20), que Guy Patin devait venir de lire (v. supra note [2]), à propos de la querelle des Cinq Propositions attribuées à Jansenius :
« Mais ce qui paraît certain, c’est qu’au moins dans quelque temps elles {b} changeront de face. Cette génération passera, les uns et les autres de ceux qui contestent maintenant iront à leur maison éternelle, in domum æternitatis suæ. Il viendra d’autres hommes qui n’auront point de part à nos passions. Et alors on se peut tenir assuré que toute cette dispute ne passera que pour une comédie, et pour un vain amusement ; que l’on concevra une juste indignation contre les auteurs de tous ces troubles si frivoles dans leur cause, et si pernicieux dans leur suite ; et que l’on aura quelque compassion pour un assez grand nombre d’honnêtes gens que l’on aurait honorés en un autre siècle, et que l’on a traités en celui-ci avec tant de dureté. »
- Quoniam ibit homo in domum æternitatis suæ et circumibunt in platea plangentes [Tandis que l’homme s’en va vers sa maison d’éternité et les pleureurs tournent déjà dans la rue] (L’Ecclésiaste, 12:5).
V. note [8], lettre latine 289, pour le touchant récit de la mort de Johannes Antonides Vander Linden, en lien avec une probable peste, le 5 mars 1664, que Patin avait apprise le 11 du même mois.
- Les choses dont on dispute aujourd’hui.
Pline (Histoire naturelle, livre ii, chapitre lxiii, § 4 ; Littré Pli, volume 1, page 129) :
Ita est, miserta genuit id, cujus facillimo haustu, illibato corpore, et cum toto sanguine extingueremur, nullo labore, sitientibus similes.
« Oui, par pitié pour nous, elle {a} a produit ces substances {b} faciles à boire et sous l’action desquelles nous nous éteignons, le corps intact, sans perdre une goutte de sang, sans aucun effort, et paraissant nous désaltérer. »
- La Terre.
- Les poisons.
« pas même la moindre saignée ».
L’entamure est « le premier morceau qu’on coupe de quelque chose » (Furetière).« “ malheur aux vaincus ! ” {a} “ Tu vas te détruire toi-même, Israël. ” {b} » {c}
- V. note [24], lettre 360.
- Osée, 13:9.
- Cinglante et cruelle oraison funèbre d’un ami avec qui Guy Patin a correspondu de 1653 à 1664 (69 lettres de notre édition) ! À ses yeux, Johannes Antonides Vander Linden avait le triple tort de n’aimer ni Galien ni la saignée, et de croire en l’antimoine.
« Vale et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. De Paris, ce lundi 17e de mars 1664. » Patin a corrigé cette date en rayant Martis 18. [mardi 18].
V. note [17], lettre 750, pour le Diogène Laërce de Gilles Ménage.