L. 780.  >
À André Falconet,
le 25 mai 1664

Monsieur, [a][1]

J’ai ici vu M. Merlat, [2] jeune homme de Lyon, qui m’a parlé de vous, comme vous lui aviez recommandé de me voir, nec iniuria, indiget enim arte Machaonia et Chironia[1][3] Je vous dirai fort à propos ce vers d’Horace, [4] Stultorum incurata [5] pudor malus ulcera celat[2] Le roi [6] et toute la cour s’en vont après-demain à Fontainebleau. [7] On dit que M. le Dauphin [8] part dès aujourd’hui de Versailles [9] pour y être conduit. La jeune reine [10] est grosse. On dit que la Chambre de justice [11] suivra, et le Conseil et les prisonniers. [3] Le beau Diogenes Laertius grec et latin de M. Ménage [12][13] est arrivé d’Angleterre. [4] On croit ici que M. Berryer, [14] premier commis de M. Colbert, [15] est tellement bien dans l’esprit du roi qu’il est en état de chasser celui qui l’y a mis ; la cour est un pays où l’on joue à boute-hors. [5]

Les Hollandais commencent à menacer de faire la guerre à l’évêque de Münster [16] s’il ne leur rend pas un certain château qu’ils prétendent leur appartenir. Le légat [17] est en chemin. [6] Il sera accompagné de 60 gentilshommes italiens. Ce sont, à ce qu’on dit, autant de comtes ; ce ne sont pas des comtes de l’Empire, mais plutôt des comtes de la pomme de Charles Quint, [18] qui fit 50 comtes de ceux qui pouvaient ramasser une des 50 pommes. [7] Ô que ce légat nous obligerait s’il pouvait faire diminuer la taille ! [19] Entre autres nécessités qui nous pressent, celle-là nous est bien nécessaire pour le pauvre peuple. Il ne ferait pas mal aussi d’ôter le carême, [20] mais je crois qu’il n’en a pas la volonté. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 14e de mai 1664.


a.

Bulderen, no cccxvii (tome ii, pages 411‑413) ; Reveillé-Parise, no dcxxxiv (tome iii, pages 470‑471).

1.

« et sans lui faire injure, il lui manque le talent de Machaon et de Chiron » ; Machaon, fils d’Esculape, et le centaure Chiron excellaient dans l’exercice de la médecine (v. notes [5], lettre 551, et [4], lettre 663).

Ce jeune Lyonnais dénommé Merlat (prénom inconnu), de passage à Paris et sans doute étudiant en médecine, a été mentionné à trois reprises dans les lettres de 1664 ; Guy Patin le soigna lors de son séjour à Paris, où il tomba malade.

2.

« La honte piteuse des insensés cache des plaies qui n’ont pas cicatrisé » (Horace, Épîtres, livre i, lettre 16, vers 24).

3.

La Cour de justice allait en effet se transporter à l’hôtel de la Chancellerie de Fontainebleau pour être auprès du roi et modérer les ardeurs parisiennes (Chéruel, tome ii, page 379) :

« Il était évident que la Chambre de justice subissait de plus en plus l’influence de l’opinion, qui se déclarait hautement contre les persécueturs de Fouquet. Pour la soustraire à cette pression, on résolut de la transférer à Fontainebleau, où la cour devait se rendre. Elle reçut en effet l’ordre de l’y suivre, au mois de juin 1664, et y siégea pendant deux mois. Fouquet, Delorme et les trésoriers de l’Épargne, toujours confiés à la garde de d’Artagnan et de ses mousquetaires, furent conduits et enfermés au château de Moret. {a} La Chambre continua d’entendre à Fontainebleau, comme à Paris, la lecture des nombreuses pièces du procès, les résumés des rapporteurs, les productions du procureur général sur les prêts faits à l’État, sur les fermes des impôts, sur le trafic des assignations et les autres griefs dirigés contre Fouquet, ainsi que les réponses écrites de l’accusé. Elle eut également à prononcer sur de nouvelles requêtes présentées par Fouquet. »


  1. Le 24 juin, Nicolas Fouquet et les autres prisonniers étaient transférés non loin de Fontainebleau, sous bonne garde, au donjon de Moret (v. note [38], lettre 279). Tout ce monde revint à Paris à la mi-août (v. note [3], lettre latine 302).

4.

V. note [17], lettre 750, pour cet ouvrage paru à Londres en 1664.

5.

Boute-hors : « facilité d’exprimer ses pensées, de faire connaître son mérite et son savoir dans les compagnies. Il y a bien des savants qu’on n’estime pas parce qu’ils n’ont point de boute-hors. On dit proverbialement que des gens jouent à boute-hors lorsqu’ils sont concurrents en faveur et qu’ils tâchent à se détruire l’un l’autre » (Furetière).

Colbert était celui qui avait mis Louis Berryer dans les bonnes grâces du roi ; le zèle effréné du ministre à poursuivre Fouquet lui faisait pardonner les fausses pièces que son premier commis avait produites à son encontre (v. note [1], lettre 761).

Petitfils c (pages 413‑414) :

« Quant au sort réservé au faussaire Berryer, cela dépassait l’imagination ! Après l’affaire des registres de l’Épargne, on aurait dû l’arrêter, saisir ses papiers, le soumettre à un interrogatoire rigoureux. Il n’en fut rien. Bien au contraire, sur proposition de Colbert, le roi le nomma conseiller d’État ordinaire, lui fit don d’une abbaye de 6 000 livres de rentes et pria les procureurs généraux de la Chambre < de justice >, Chamillart et Hotman de Fontenay, de ne déposer aucune conclusion sans avoir pris son avis ! Séguier avertit les juges que Sa Majesté avait fait “ choix du sieur Berryer pour les voir et solliciter en particulier, et leur faire entendre ce qui était dans l’intérêt de Sa Majesté ”. Un comble ! D’Ormesson n’en revenait pas : “ Élever Berryer, écrit-il, et le faire conducteur public de toutes les affaires de la Chambre de justice, c’était faire gloire d’infamie et de honte ; car Berryer est le plus déshonoré de tous les hommes et acquiert du bien par tous les moyens, même les plus illicites. ” »

6.

Sur ordre du roi, le duc de Mercœur quitta Aix le 11 mai pour aller accueillir à Marseille le cardinal Flavio Chigi, légat et neveu du pape (v. note [1], lettre 735), qui y arriva le 14.

La Gazette, ordinaire no 65 du 31 mai 1664 (pages 528‑529) :

« De Marseille, le 18 mai 1664. […] Ce jour-là, le fort de Notre-Dame-de-la-Garde ayant le matin donné le signal ordinaire de la découverte {a} de ces galères, les préparatifs furent poursuivis avec une diligence merveilleuse, en sorte que les rues, le théâtre et le port se trouvèrent incontinent tapissés, et les habitants sous les armes. Le sieur Roberti, nonce à Turin, qui était aussi arrivé le jour précédent, alla sur un bateau à la rencontre du cardinal-légat, et la ville députa le sieur de Fragues pour lui faire les premiers compliments. Ensuite, le duc de Mercœur, accompagné de la noblesse, du sieur de Pile, des échevins, se rendit au port et lorsque les galères approchèrent de la chaîne, il alla sur une chaloupe, au bord de la Capitane, où il eut quelque entretien avec le légat. » {b}


  1. L’envoi en avant-garde.

  2. On tira des salves de canon aux quatre vents et la réception du légat fut somptueuse.

7.

Allusion dont je n’ai pas trouvé la clé, non plus que L’Intermédiaire des chercheurs et curieux (nos 85‑86, juin et juillet 1867, colonnes 263‑264), dans un article d’Alexandre de La Fons, baron de Mélicocq : {a}

« Les cinquante comtes de la pomme de Charles Quint. […] À quelle époque doit-on placer cette singulière promotion ? Quels sont les historiens qui l’ont mentionnée ? Notre célèbre compatriote, {b} qu’on pourrait à bon droit nommer le Rabelais du xviie siècle, ne cite aucune autorité à l’appui. »


  1. Archéologue français (Noyon 1802-Raismes 1867).

  2. Le Picard Guy Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 25 mai 1664

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(Consulté le 19/04/2024)

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