Le fils de M. Merlat [2] se porte mieux, il parle de s’en retourner bientôt à Lyon. Vous pouvez le dire avec vérité à M. Merlat et lui faire mes recommandations. On dit que le cardinal de Retz [3] y doit arriver bientôt, et Mademoiselle [4] d’Orléans, j’entends l’aînée qui est si riche. [1] M. de Guise [5] est ici mort ex urinæ suppressione cum doloribus et ulceribus ad vesicam, [2][6] et trois verres de vin émétique [7][8] que les médecins courtisans lui ont donnés avec promesse de guérison ; sic itur ad astra. [3][9] Notre M. Rainssant [10] a la pierre, [11] il est après à se faire tailler et s’y prépare. [4] On dit que M. le prince de Conti [12] a aussi la pierre : il a été sondé, [13] on ne l’a point encore trouvée, mais on croit qu’elle y est. [5][14]
On parle de la suppression que le roi [15] veut faire de huit millions de rentes [16] sur les tailles constituées depuis l’an 1656 ; [6][17] plusieurs particuliers y sont fortement engagés. Cela fera bien crier des gens si on ne les rembourse argent comptant et comme dit Plaute, [18] auro præsentario. [7] On ne parle guère que de cela, et presque plus du légat. [19] Je suis ravi que mademoiselle votre femme [20] se porte mieux. Puisque la casse [21] ne lui fait rien, je voudrais qu’elle prît son infusion de séné, [22] tout au moins de deux drachmes, de quatre en quatre jours de grand matin, une heure et demie avant son lait, [23] ou bien trois grandes heures après son lait, se rendormant par-dessus, si elle peut, car alors le bouillon n’est pas pressé ; ou bien après le lait quatre grandes heures, elle prendrait un bouillon au veau, laxatif par deux ou trois gros de séné. Syrupo violarum facile carebit, quoniam hic opus est adstrictione, quam ille non habet, propter nimiam humiditatem. [8][24] Je ne sais encore rien de l’Hippocrate de feu M. Vander Linden ; [25][26] j’en écrirai à son fils, duquel on ne dira jamais Tydides melior patre. [9][27][28][29] Une Mme Le Fèvre [30] de la rue au Fer, qui faisait passer les lis d’or [31] qui n’étaient point de poids pour 15 sols de gain, [10] a eu le fouet [32] au cul d’une charrette et la fleur de lis [33] sur l’épaule, de la main du bourreau ; voilà la seconde fois qu’elle a été reprise de justice. Le procureur du roi du Châtelet fait une nouvelle opposition contre Salar [34] et il a été remis dans le cachot. [11] Le roi supprime toutes les Rentes de l’Hôtel de Ville, taux d’intérêt [35] avec promesse de remboursement, Dieu le veuille ! Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 6e de juin 1664.
Bulderen, no cccxx (tome ii, pages 418‑419) ; Reveillé-Parise, no dcxxxvii (tome iii, pages 475‑477).
Telle qu’elle est écrite (« y doit arriver bientôt ») la phrase signifie que le cardinal de Retz et Mademoiselle étaient attendus (comme le jeune Merlat) à Lyon. Comme c’était à la cour (alors à Fontainebleau) qu’ils allaient arriver, il faut croire à une maladresse d’abréviation de la lettre par l’éditeur du xviiie s. : en supprimant un passage qui parlait de Fontainebleau, il a omis d’ôter cet « y » qui crée un contresens.
« Monsieur le cardinal, lui dit le roi, vos cheveux ont blanchi. – Sire, on blanchit vite quand on a le malheur d’être dans la disgrâce de Sa Majesté. » {a}
- Ensuite Retz vint à Paris (v. note [4], lettre 785), qu’il n’avait pas vu depuis décembre 1652, mais il repartit très vite pour Commercy. « De son plein gré ? ou sur l’ordre du roi ? On ne sait. »
« Je n’écrivais point à la cour ; je ne voyais nul jour à mon retour ; aussi je n’y songeais point. Sur la nouvelle de la grossesse de la reine, je m’avisai d’écrire, et je songeai : “ Peut-être le roi veut-il que je le prie : être dix-huit mois ou deux ans (car je ne lui avais pas écrit que pour lui demander de venir ici) sans lui rien dire, cela paraît trop négliger la cour. Il y faut retourner une fois en sa vie ; il faut hasarder. ” Je croyais donc pouvoir me réjouir de la grossesse de la reine dans l’espérance que ce serait un fils ; j’exagérai de très bonne foi l’envie que j’en avais et je témoignai la douleur où j’étais d’être si longtemps sans avoir l’honneur de le voir. Je dis tout de mon mieux pour l’obliger à me permettre de retourner. Il me manda qu’il le trouvait bon ; qu’il serait bien aise de me voir ; que je vinsse, quand il me plairait. Je ne m’y attendais pas ; je fus fort aise. Dans ce temps-là mon oncle le duc de Guise mourut. Je demeurai peu ici après ma permission, toutefois dans le dessein d’y revenir me baigner et prendre des eaux. C’était un jour ou deux devant la Pentecôte ; {a} je passai la fête et ne partis que le lendemain de la Trinité. {b} Mme la maréchale de La Mothe, qui se trouva à sa maison de Beaumont, me donna à dîner. Je couchai à Saint-Denis, {c} parce que ma sœur d’Alençon avait la petite vérole à Luxembourg, {d} qu’elle avait prise de peur de Mme de Nemours, qui en était morte. J’y séjournai le jour de la Fête-Dieu, {e} où il vint un monde infini me voir […].
Le lendemain je partis de bonne heure, je trouvai tout le chemin de Fontainebleau plein de carrosses qui venaient au-devant de moi ; tout le monde y vint, hors M. de Turenne qui n’osa par respect, à ce qu’il me dit après […]. Cela avait un assez bon air. Je fus droit chez la reine, où était le roi, qui s’avança pour me saluer ; il me dit qu’il était bien aise de me voir. Je ne sais plus ce que je lui dis. La reine était au lit, à laquelle je fis une révérence bien basse car jusqu’à ce que l’on ait voulu qu’elle me baisât, je ne l’ai point saluée. La reine mère m’embrassa. Tout le monde me faisait des mines, car l’on a tant d’amis quand l’on revient ! Il y avait peu de gens < chez la reine > car tout venait avec moi, j’amassai la foule. »
« d’une suppression d’urine [v. note [10], lettre 209] avec douleurs et ulcères à la vessie. »
La Gazette, ordinaire no 68 du 7 juin 1664 (pages 555‑556) :
« De Paris, le 7 juin 1664. Le 2 de ce mois, sur les 4 heures du matin, Henri de Lorraine, duc de Guise, {a} pair de France, décéda dans son hôtel, âgé de 50 ans, après onze jours de maladie, qui commença par une difficulté d’uriner, ensuite de laquelle il fut surpris d’une fièvre continue ; ayant reçu les sacrements avec la même fermeté d’esprit qu’il avait toujours montrée, tandis que toute l’assistance témoignait sa douleur par ses larmes. Son corps fut ce jour-là exposé sur son lit, et le lendemain mis dans le cercueil et porté dans la grande chapelle de son hôtel. […] Le roi lui a<vait > envoyé deux fois son premier médecin, et le duc de Saint-Agnan, pour lui témoigner son déplaisir de sa maladie. Les reines et Monsieur ont pris le même soin ; le prince de Condé, le duc d’Enghien et le prince de Conti l’ont journellement visité et il y a eu concours continuel de personnes de marque. »
« Il est après à faire telle chose, pour dire qu’il y travaille actuellement » (Furetière).
La sonde à ultrasons qu’on promène aujourd’hui sur la peau de l’abdomen pour repérer les calculs dans l’arbre urinaire est tout de même moins agressive que la « petite cannule d’argent creuse, quoique fort menue, qu’on introduit dans la verge pour découvrir s’il y a une pierre dans la vessie » (Furetière).
J’ai ici remplacé « l’an 1636 » par « depuis l’an 1656 ».
La dette d’État cumulée depuis le début du siècle atteignait un montant considérable. Les arrérages des emprunts absorbaient en 1663 plus du tiers du revenu royal. Les plus connues de ces rentes publiques étaient celles de l’Hôtel de Ville, {a} dont les intérêts étaient indexés à divers impôts royaux. Il était urgent d’assainir les finances du royaume. Colbert avait d’abord choisi la manière forte. Jean-Baptiste Geffroy (Dictionnaire du Grand Siècle) :
« La dureté des premières mesures prises en 1662 provoqua un émoi considérable et suscita la réprobation du premier président Lamoignon. Colbert divisa donc les rentes en deux catégories : d’abord celles constituées de 1656 à 1663, ensuite celles antérieures à 1656. Dans la première, le roi déclarait que les aliénations {b} de rentes avaient été faites contre remise de mauvais effets. {c} Les rentiers étaient donc tenus de représenter leurs titres d’acquisition dans le délai d’un mois, faute de quoi, ils perdraient le droit au remboursement. La mesure permit de supprimer pour quatre millions de livres de revenu. Bien plus, un édit de décembre 1663 supprima les rentes constituées par les prévôts et les échevins de la ville de Paris depuis le 1er janvier 1656, quelles que fussent les ressources sur lesquelles elles avaient été assignées. Au total, 8 572 000 livres de rentes furent supprimées pour un capital de 154 303 000 livres. Pour les rentes antérieures à 1656, les intéressés, à force de démarches, obtinrent l’atténuation des mesures draconiennes initiales : les rentes sur les fermes {d} étaient maintenues après réduction ou, si les porteurs le désiraient, après remboursement du capital. »
- V. note [8], lettre 39.
- Ventes à un autre particulier.
- Actes attestant des transactions.
- Délégations vénales des droits du roi (comme le prélèvement des taxes) à des particuliers chargés d’en percevoir le revenu.
Dans sa lettre suivante à André Falconet, Guy Patin a dit son bon espoir qu’on épargnerait les petits rentiers (dont il devait être) pour ne frapper que les gros partisans.
« argent comptant ». On trouve une expression approchante dans la Mostellaria [le Revenant] de Plaute (acte ii, scène 1, vers 361) : a me argentum petito præsentarium [qu’il vienne me demander son argent comptant].
« Elle se passera facilement de sirop de violettes, car il faut ici faire agir une vertu astringente ; ce qu’il n’a pas, en raison de son excessive humidité. »
Violette printanière (Chomel, 5e partie, page 360) :
« La violette de mars est laxative et sert dans la médecine aux sirops, aux juleps, aux conserves, aux vinaigres et aux huiles. Elle est bonne à toutes sortes d’inflammations [v. note [6], lettre latine 412], surtout aux enfants épileptiques ou qui ont des fièvres ardentes ; elle fait dormir, apaise les douleurs chaudes, purge la bile et l’adoucit aussi bien que que l’âpreté de la poitrine et du gosier. Le seul sirop violat laxatif, en prenant trois au quatre cuillerées, apaise les ardeurs des fièvres, lâche le ventre, fortifie le cœur, adoucit les douleurs de côté et sert à tous les maux qui procèdent de trop grande chaleur. »
« Tydidès est meilleur que son père » (Horace, v. note [22], lettre 176).
V. note [11], lettre 726, pour l’Hippocrate de Johannes Antonides Vander Linden (Leyde, 1665), et la lettre de Guy Patin à son fils aîné, Hendrik, datée du 16 avril 1665, sur la mise en vente de la bibliothèque de son défunt père.
Suite des mésaventures de Salar, marchand de dentelles : v. la lettre à André Falconet datée du 8 février 1664.