L. 786.  >
À André Falconet,
le 19 juin 1664

Monsieur, [a][1]

Lundi 16e de juin. Par arrêté de la Chambre de justice, le nommé Dumont, [2] receveur des tailles de Crépy-en-Valois, a été pendu dans la rue Saint-Antoine [3] près de la Bastille [4][5] pour plusieurs concussions et voleries par lui faites en l’exercice de sa charge ; on parle diversement de cette mort, bien qu’il l’eût très méritée, varii varia[1] On dit que M. le légat [6] est à Orléans ; [7] il n’y a point loin de là à Fontainebleau, [8] posteaquam Iovi nostro placuerit[2][9]

Pour répondre à la vôtre, que M. Colot [10] me vient de rendre, je suis tout à fait de votre avis : le demi-bain [11] est le meilleur remède dont elle [12] se puisse servir, pourvu qu’elle ait été suffisamment purgée [13] avec séné, [14] rhubarbe [15] et sirop de roses [16] ou de fleurs de pêcher ; [17] pour revenir ensuite au lait d’ânesse [18] qui lui sera fort bon, principalement les mois de septembre, octobre et novembre. [3] Je me réjouis fort de ce que vous me mandez du changement de monsieur votre frère, [19] comme aussi de M. Roberti, [4][20][21] notre nonce futur, et du médecin poitevin qui est avec M. le légat. Il n’y a pas 15 jours que j’ai donné à M. Anglis, [22] gentilhomme écossais, gouverneur de deux jeunes seigneurs de même pays, frères dont l’aîné s’appelle M. le comte de Lindsay [23] et le second, M. le chevalier [24] (ils sont fils de M. le comte de Crawford-Lindsay, [25] grand trésorier d’Écosse), [5] un mot qu’il vous rendra afin que vous les puissiez voir et assister en leur besoin. Ils vont en Languedoc et en Provence, en Dauphiné, à Genève, Bâle, Strasbourg, Heidelberg, [26] Francfort, Amsterdam, Angleterre, Écosse. Ces deux Messieurs frères sont fort honnêtes. M. Anglis est brave homme fort savant, bien sage et bien raisonnable. Je vous rends grâces pour la lettre de M. Torrini, [27] que j’ai envoyée à mon fils Charles. [28] M. Morisset [29] est ici sans bruit, dans la patience de ses créanciers, [6] mais il ne nous rend pas nos registres de quand il était doyen. M. Rainssant [30] se porte bien de sa taille, [31] il y a apparence de bonne et parfaite guérison. M. Vézou [32] est encore au lit pour sa chute. M. Troisdames l’aîné [33] s’en va bientôt à Lyon pour ses affaires, j’espère que vous l’y verrez, c’est un fort honnête homme. Je vous envoie aussi un petit discours sur la mort de M. de Guise [34] fait par M. Vignon. [7] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 19e de juin 1664.


a.

Bulderen, no cccxxii (tome ii, pages 422‑423).

1.

Abréviation de varii mores, varia fortuna [diversité de mœurs, diversité de fortune] (Cicéron, De Finibus bonorum et malorum [Des Termes extrêmes des biens et des maux] ii, 10).

Petitfils c (page 415) :

« En attendant le transfert, {a} on se hâta d’expédier le procès d’un certain Dumont, ancien receveur des tailles de Crépy, {b} accusé de péculat. {c} Malgré l’absence de preuves, il fut condamné à mort par treize voix contre huit et pendu sur la place de la Bastille le jour même, 16 juin 1664, sur les six heures du soir. Au même moment, le gros Jeannin de Castille prenait l’air sur la plate-forme. {d} Il se fit expliquer le motif de cette exécution publique. “ Quoi ! pour crime de péculat ! ” s’exclama-t-il effrayé. “ Cette exécution donnera de mauvaises nuits à plusieurs ”, commentait le receveur général de la Chambre < de justice >, Péquot, dans une lettre à Colbert. »


  1. De Fouquet au donjon de Moret (v. note [3], lettre latine 302).

  2. Crépy-en-Valois (Oise).

  3. Détournement de fonds public.

  4. De la Bastille.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 161) :

« La condamnation de cet homme surprit beaucoup et a donné grande douleur particulièrement à ceux qui prennent intérêt aux prisonniers, {a} < par > crainte de la conséquence. L’exécution fut faite après le dîner, dans la place devant la Bastille. »


  1. À Nicolas Fouquet et ceux qu’on mettait en accusation avec lui.

2.

« au bon plaisir de notre Jupiter. »

3.

Cette phrase concerne l’épouse, alors souffrante, d’André Falconet.

4.

Le frère prêtre d’André Falconet devait avoir corrigé sa mauvaise conduite (v. note [3], lettre 714). Il s’attachait à la personne de Carlo Roberti-Vittori (Rome 1605-ibid. 1673), archevêque de Tarso en 1658, nommé nonce à Paris le 26 avril 1664, ce qui mettait fin à la vacance de la nonciature (1662-1664), provoquée par l’affaire des gardes corses. Roberti garda cette ambassade jusqu’au 26 avril 1667 et devint cardinal la même année.

5.

John Lindsay, 17e comte de Crawford (vers 1596-1678), avait combattu à la tête d’un régiment dans l’armée écossaise, aux côtés des parlementaires qui écrasèrent les troupes royales lors de la bataille de Marston Moor (2 juillet 1644). Rallié plus tard à la cause royale, il porta le sceptre quand le prince de Galles (fils de Charles ier et futur Charles ii, roi d’Angleterre) fut couronné roi d’Écosse (Scone, 1651), et joua dès lors un rôle éminent dans les affaires tourmentées du parlement d’Écosse, en restant indéfectiblement fidèle à la cause calviniste presbytérienne (Scottish national Covenant de 1638). Il se retira des affaires en 1664 et alla vivre dans son domaine de Struthers. Ses deux fils se prénommaient William, deuxième comte de Lindsay, qui devint le 18e comte de Crawford (mort en 1698) et Patrick (ici le chevalier), qui fut à l’origine de la lignée des vicomtes de Garnock (Plant).

Le gentihomme écossais dénommé Anglis (prénom inconnu), qui accompagnait les deux fils de John Lindsay, est réapparu dans la correspondance de Guy Patin avec Johann Caspar Fausius, professeur de médecine à Heidelberg (v. note [1], lettre latine 352).

6.

Patience : « attente. Donnez-vous un peu de patience, et vous aurez satisfaction. Il faut que des créanciers aient patience pour ne pas ruiner leurs débiteurs ; il faut qu’ils prennent patience » (Furetière).

7.

Auteur et ouvrage non identifiés.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 juin 1664

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(Consulté le 16/04/2024)

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