L. 812.  >
À André Falconet,
le 20 février 1665

Monsieur, [a][1]

< Ce 18e de février. > Je vous donne avis que notre bon ami M. Troisdames [2] arriva hier en bonne santé à Paris, gros, gras et en bon point. [1] Il se loue fort de vous et de tous vos bons offices, et dit qu’il ne manquera point de cultiver votre amitié par tous les services qu’il pourra vous rendre. Il est bien fâché que ses affaires ne lui ont pu permettre d’aller dîner chez vous comme vous lui aviez fait l’honneur de l’y inviter ; il dit bien que vous êtes un galant homme et un excellent ami, sed dic, rogo, quis vituperat Herculem ? [2][3] On parle ici d’un ambassadeur extraordinaire en Angleterre pour faire accord avec les Hollandais, [4] on dit que ce sera M. le duc de Verneuil, [5] ci-devant évêque de Metz, [6] fils naturel de Henri iv[3][7] Nous aurons bientôt la censure raisonnée de la Sorbonne [8] contre Amadeus Guimenius. [4][9] Un docteur de Sorbonne m’a dit qu’il faut que cet auteur soit un méchant homme, et même un athée ; [10] et néanmoins Platon [11] a dit que jamais un homme ne mourut athée, [5] mais au moins il y a bien au monde des fourbes, des imposteurs, sans mettre en ligne de compte les charlatans [12] de notre métier, qui ne valent pas mieux. On ne parle tantôt plus de M. Rainssant. [13] Dès qu’il fut passé, ses créanciers firent apporter le scellé chez lui ; il ne laisse pas de grands biens et a beaucoup d’enfants. De male quæsitis non gaudet tertius hæres ; Male parta male dilabuntur ; maluit esse minister alienæ libidinis, et Guenaldicæ factionis, quam vir bonus ; [14] Punition divine ! dit Homenaz. [6][15][16] Sa femme, qui mourut il y a deux ans, dansait et ballait, et ne se donnait nul soin de son ménage. Térence [17] les a dépeints de vives couleurs, in Adelphis : Uxor sine dote veniet, intus psaltria est, domus sumptuosa, adulescens luxu perditus, senex delirans ! ipsa si cupiat Salus, servare prorsus non potest hanc familiam[7] Il a fait tout ce qu’il a pu en faveur des apothicaires, [18] et eux pour lui ; tout cela n’a servi de rien.

Ce 20e de février. Je viens d’apprendre la mort du comte de Rebé. [19] On dit que ses bénéfices sont déjà donnés et que le fils de Mme de Beauvais [20] en a une abbaye de 15 000 livres de rente[8] J’ai autrefois ouï prêcher à M. Jean-Pierre Camus, évêque de Belley [21] (il méritait bien un plus grand évêché, aussi l’a-t-il refusé, et bien des fois, il était trop homme de bien pour être pape), un beau distique :

Cum factor rerum privasset semine Clerum,
Ad Satanæ votum successit turba nepotum
[9]

Le roi [22] a traité pour son vœu de Notre-Dame de Chartres [23] et des Ardilliers : [24] il n’ira point, mais il promet de payer 12 000 écus ; sic etiam nummis flectuntur nomina nobis[10] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 20e de février 1665.


a.

Bulderen, no cccl (tome iii, pages 43‑45) ; Reveillé-Parise, no dclxii (tome iii, pages 513‑514).

1.

« Point se dit aussi de l’état où sont la santé et les affaires d’un homme : ce jeune homme est gras et en bon point ; on loue une femme de son embonpoint ; cet homme est en désordre et mal en point, mal habillé » (Furetière). V. note [1], lettre d’André Falconet, datée du 13 février 1658, pour Charles Troisdames, bourgeois de Paris qui revenait alors d’un de ses fréquents voyages à Lyon.

2.

« mais dites-moi, je vous prie, qui irait dire du mal d’Hercule ? » Paroles d’Antalcidas, roi de Sparte, dans Plutarque (Apophthegmata regum et imperatorum [Apophtegmes de rois et d’empereurs], 192c, traduite du grec en latin) :

Sophistæ cuidam laudationem Herculis recitare volenti, Quis enim, inquit, eum vituperat ?

[À quelque sophiste qui voulait faire le panégyrique d’Hercule, Antalcidas répondit « Eh ! qui donc irait dire du mal de lui ? »].

3.

V. note [35], lettre 299, pour Henri de Bourbon, duc de Verneuil.

4.
Amadæi Guimenii Lomarensis, olim primarii Sacræ Theologiæ Professoris, Opusculum singularia universæ fere Theologiæ Moralis complectens, adversus quorumdam expostulationes contra nonnullas Iesuitarum opiniones Morales. Ad Tractatus. De Peccatis. De Opinione probabili. De Fide. De Charitate. De Iustitia et Iure. De Horis canonicis. De Sacrificio Missæ. De Ieiunio. De Simonia. De Usuris. De Baptismo. De Ponitentia. De Eucharistia. De Matrimonio. De Censuris. Editio novissima, ab Authore correcta et locupletata, necnon suis indicibus illustrata.

[Opuscule d’Amadæus Guimenius, natif de Lomar, {a} contenant les singularités de presque toute la théologie morale, contre les plaintes de certains à l’égard de quelques opinions morales des jésuites. Sur les traités : des Péchés, de l’Opinion probable, de la Foi, de la Charité, de la Justice et du Droit, des Heures canoniques, du Sacrifice de la messe, du Jeûne, de la Simonie, des Usures, du Baptême, de la Pénitence, de l’Eucharistie, du Mariage, des Censures. Toute nouvelle édition, enrichie et complétée par l’auteur, qui est aussi agrémentée de ses propres index]. {b}


  1. Lomar pourrait être une petite localité proche de Braga, au nord du Portugal.

    Amadeus Guimenius (Amadeo Gimeno) est attesté comme pseudonyme du jésuite espagnol Matias de Moya (1610-1684), confesseur de la reine Marie-Antoinette d’Espagne. Guy Patin a dit qu’on a aussi soupçonné le P. Théophile Raynaud d’être auteur de ce livre : v. note [2], lettre 824.

  2. Lyon, Philippe Borde, Laurent Arnaud, Pierre Borde et Guillaume Barbier, 1664, in‑4o de 288 pages ; une 3e édition avait paru à Valence (Espagne), Bernardus Noguès, 1661, in‑4o.

Défendant vigoureusement la casuistique de la Compagnie de Jésus et l’infaillibilité pontificale, {a} l’ouvrage fut l’objet d’une Censure de la Faculté de théologie de Paris contre le livre d’Amadeus Guimenius imprimé à Lyon en l’année m. dc. lxiv. (Paris, Frédéric Léonard, 1665, in‑12 de 84 pages) ; elle commence ainsi :

« La Sacrée Faculté de Théologie de Paris s’était persuadée que la même autorité du Souverain Pontife Alexandre vii et de tant d’évêques de France qui ont condamné avec elle l’Apologie des casuistes, {b} aurait aussi entièrement arrêté la prodigieuse démangeaison que les faux théologiens de ce temps ont d’écrire sur la Morale. […] Mais elle a été bien surprise de voir que tout d’un coup, un ennemi mortel du repos de l’Église, et un défenseur de toutes sortes de crimes et d’abominations plutôt que des casuistes, est venu sortir du fond de ses malheureuses ténèbres, pour paraître sous le masque et sous le nom d’Amadeus Guimenius, qui ne nous a que trop fait connaître qu’il est du nombre de ceux dont l’Apôtre nous a prédit qu’il se lèvera des personnes sur la fin des temps, qui suivront les Esprits d’erreur et les maximes des Démons ; qui sous les apparences de la piété n’enseignent que le mensonge ; dont la conscience sera corrompue ; qui seront trompés eux-mêmes, et serviront à tromper les autres. » {c}


  1. V. note [7], lettre 814.

  2. Paris, 1657 (v. note [9], lettre 527), contre les jansénistes et les Provinciales de Blaise Pascal.

  3. Saint Paul, 2e Épître à Timothée (3:1‑6).

5.

V. notes :

6.

« “ La troisième génération ne jouit pas des biens mal acquis ” ; {a} “ Ce qui est mal acquis se dissipe de même ” ; {a} il préféra mieux être esclave de la cupidité pour les biens d’autrui, et de la faction guénaldique, {b} qu’honnête homme. » {c}


  1. Adage du droit romain.

  2. Les alliés de François de Guénault (Guénauld).

  3. La fin peut être inspirée de Valères Maxime (Des Faits et des paroles mémorables, livre iv, chapitre 5, ext. 1) parlant d’un jeune homme nommé Spurina dont la beauté attirait la convoitise des femmes et la jalousie des maris :

    oris decorem vulneribus confudit deformitatemque sanctitatis suæ fidem quam formam inritamentum alienæ libidinis esse maluit.

    [il se mutila le visage et préféra cette laideur, qui attestait la pureté de ses mœurs, à une beauté capable d’exciter de mauvaises passions dans les cœurs].


V. note [5], lettre 492, pour les paroles d’Homenaz dans le Quart Livre de Rabelais.

7.

« dans les Adelphes [acte iv, scène 7] : Une femme sans dot, une chanteuse à ses crochets, un train de prince, un jeune homme perdu de débauche, un vieillard insensé ! Non, la Sagesse, même quand elle s’en mêlerait, ne viendrait pas à bout de sauver une telle maison. »

8.

V. note [9], lettre 423, pour Claude ii de Rebé, marquis d’Arques, qui avait hérité de son grand-oncle, Claude i, archevêque de Narbonne, mort en 1659. Une abbaye qui avait probablement fait partie de ce legs tombait entre les mains de Jean de Beauvais fils de Catherine-Henriette Bellier (v. note [12], lettre 208) ; baron de Gentilly, il mourut en 1697. Saint-Simon a parlé de lui et de sa mère dans ses Mémoires (tome i, page 109‑110) :

« […] Mme de Beauvais, première femme de chambre de la reine mère et dans sa plus intime confidence, et à qui tout le monde faisait d’autant plus la cour qu’elle ne s’était pas mise moins bien avec le roi, dont elle passait pour avoir eu le pucelage. {a} Je l’ai encore vue, vieille, chassieuse et borgnesse, à la toilette de Mme la duchesse de Bavière, où toute la cour lui faisait merveilles parce que de temps en temps, elle venait à Versailles où elle causait toujours avec le roi en particulier, qui avait conservé beaucoup de considération pour elle. Son fils, qui s’était fait appeler le baron de Beauvais, avait la capitainerie {b} des plaines d’autour de Paris. Il avait été élevé, au subalterne près, {c} avec le roi. Il avait été de ses ballets et de ses parties, et galant, hardi, bien fait, soutenu par sa mère et par un goût personnel du roi, il avait tenu son coin, {d} mêlé avec l’élite de la cour et depuis, traité du roi toute sa vie avec une distinction qui le faisait craindre et rechercher. Il était fin courtisan et gâté, mais ami à rompre des glaces {e} auprès du roi avec succès, et ennemi de même ; d’ailleurs honnête homme, et toutefois respectueux avec les seigneurs. »


  1. En 1654, Louis xiv étant âgé de 15 ans.

  2. Bien qu’il fût de condition infiniment inférieure.

  3. Des chasses.

  4. Parlé à propos.

  5. Oser une démarche délicate.

9.

« Puisque le créateur du monde a privé le clergé de progéniture, la horde des neveux a satisfait le dessein de Satan » : v. note [4], lettre 58 pour ce distique contre le népotisme pontifical (avec remplacement de sator par son synonyme factor).

10.

« ainsi l’argent nous exonère-t-il des paroles qu’on a données » ; v. notes [19], lettre 535, pour Notre-Dame des Ardilliers et [12], lettre 816, pour le pèlerinage du roi à Chartres.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 février 1665

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(Consulté le 29/03/2024)

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