L. 842.  >
À André Falconet,
le 23 octobre 1665

Monsieur, [a][1]

Les Suédois se font ici bien marchander, écoutant les propositions de divers princes. Les principaux sont l’empereur, [2] le roi d’Angleterre [3] et le nôtre ; [4] si bien qu’ils feront comme la fille aux vilains, celui<‑là > l’aura qui donnera le plus. [1] Jusqu’ici plusieurs ont grondé contre la Chambre de justice, [5] disant qu’elle tenait les bourses fermées et qu’elle empêchait le négoce. Aujourd’hui, l’on dit qu’elle s’en va être éteinte parce qu’il se présente un parti de huit hommes qui offrent au roi la somme de 120 millions payables en quatre paiements, et qui se chargent de poursuivre tous les traitants et de les faire payer tout du long, selon qu’ils auront été taxés ci-devant par ordre du Conseil et de six députés qui furent nommés il y a quelque temps. [2] On parle ici d’une grande réformation des abus du Palais, d’en abréger les procédures, et d’un grand retranchement des frais que font les plaideurs. Cela tombera sur plusieurs sortes de gens et entre autres, sur les conseillers clercs de la Grand’Chambre et sur leurs clercs, qui n’ont pas les mains engourdies, et sur les greffiers. Les procureurs s’en sentiront aussi car ce sont eux qui sont en partie cause de la longueur des procès, comme les apothicaires [6] le sont des maladies. Je suis, etc.

De Paris, ce 23e d’octobre 1665.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no cxxxviii (pages 392‑393) ; Bulderen, no ccclxxvii (tome iii, pages 106‑107).

1.

Par allusion lubrique et méprisante, « on dit proverbialement d’une chose qu’on met à l’enchère et qui est vendue à prix d’argent : C’est la fille au vilain, qui en donnera le plus, l’aura » (Furetière).

2.

En refusant de condamner Fouquet à mort, la Chambre de justice avait mal disposé le pouvoir à son égard ; en outre, le nombre immense et la lenteur de ses procédures à l’encontre de la foule des traitants et partisans avaient fini par immobiliser tout l’appareil fiscal et financier du royaume en décourageant la plupart de leurs entreprises, pourtant indispensables à l’économie de l’État.

L’édit du 16 juillet 1665 avait donc prononcé leur amnistie quasi générale, moyennant le paiement d’une taxe forfaitaire individuelle fixée par le Conseil royal des finances. Le montant total s’en élevait aux quelque 120 millions de livres qu’indiquait ici Guy Patin. Par un inévitable et pervers retour des choses, on en confia le recouvrement à des partisans : la grande réforme fiscale rêvée par Colbert échouait donc et la ronde infernale des lucratives avances sur recettes pouvait recommencer à tourner ; ce fut le plus gros traité de l’Ancien Régime (Petitfils c, pages 474‑475).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 23 octobre 1665

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(Consulté le 11/10/2024)

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