L. 864.  >
À André Falconet,
le 16 avril 1666

Monsieur, [a][1]

On dit que le roi [2] veut faire sa revue générale devers Arras. [3] Toutes les villes de Picardie regorgent de soldats qui mangent le peuple, qui n’a plus que la peau et les os : Pellis et ossa, sunt miseri a macritudine ; [1][4] tout est ruiné en notre pays de Beauvais, [5] Bone Deus, usque quo Domine ? [2][6] Nous avons ici le temps fort beau, mais les maladies s’accroissent : crachement de sang, fièvres continues, [7] inflammations de poumon, [8] rougeoles. [9] Quand l’été sera venu, les véroles [10] ne manqueront pas de venir, ainsi le monde ne manquera pas de maux et d’afflictions de diverses sortes. Hier mourut ici un des nôtres âgé de 54 ans, nommé Pierre Moriau, [3][11] qui était malade il y a fort longtemps : il y a plus de 20 ans qu’il était tout languissant et ne bougeait presque du lit. Il mourut ici hier quatre personnes différentes de mort subite [12] et imprévue, sive ex apoplexia, sive ex syncope cardiaca, ista contingunt ex motu sanguinis, qui verna tempestate liquatur ac se diffundit[4][13][14] Le sieur Delcampe [15] a eu la tête coupée [16] à la Croix du Trahoir [17] à sept heures du soir en très grande compagnie. Il y avait bien 300 archers alentour de l’échafaud, mais il y avait tant de peuple qu’il y a eu plusieurs hommes de tués et de blessés, hommes, femmes, soldats et autres : à la presse vont les fous. [5] Ses amis n’ont pu obtenir sa grâce ; aussi un faux monnayeur [18] en est fort indigne, je le trouve plus criminel qu’un homicide, le mal qu’il fait étant plus universel. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 16e d’avril 1666.


a.

Bulderen, no ccccii (tome iii, pages 154‑155) ; Reveillé-Parise, no dccviii (tome iii, page 592).

1.

« La peau et les os, la maigreur les rend malheureux » (variation sur un vers de Plaute, v. note [13], lettre 619). V. note [3], lettre 863, pour la revue de troupes par le roi à Houilles ; Louis xiv ne quitta pas l’Île-de-France pendant le printemps 1666.

2.

« Bon Dieu, jusques à quand Seigneur ? » : variation sur Isaïe (v. note [1], lettre 292).

3.

Pierre Moriau, natif de Paris, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1645 (Baron).

4.

« soit par apoplexie, {a} soit par syncope cardiaque, {b} qui sont en rapport avec le mouvement du sang, lequel est liquéfié par la température printanière et s’épanche. » {c}


  1. V. note [5], lettre 45.

  2. V. note [15], lettre 554.

  3. Dans sa spéculation sur la mort subite (v. note [15], lettre 554), Guy Patin prenait bien sûr grand soin de parler de mouvement, et non de circulation du sang.

5.

« À la presse vont les fous, pour dire qu’il ne se faut pas empresser d’acheter les marchandises tandis que tout le monde en veut avoir » (Furetière).

Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 454) :

« Le vendredi 16 avril, le sieur Del Campe, maître d’académie fort estimé, accusé de fausse monnaie et qui avait été pris par des compagnies des gardes que le roi avait commandées (ce qui fut fait fort adroitement), fut exécuté à la Croix du Trahoir, {a} par condamnation de la Cour des monnaies, et eut la tête tranchée. Les archers ayant cru sans raison qu’on voulait le sauver, tirèrent et firent grand désordre ; en sorte qu’il y eut un homme crevé dans la presse et qui fut porté au Châtelet, et d’autres tués et blessés. »


  1. V. note [5], lettre 39.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 avril 1666

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(Consulté le 25/04/2024)

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