L. 876.  >
À André Falconet,
le 21 septembre 1666

Monsieur, [a][1]

Ce lundi 20e de septembre. Nous avons ici un nouveau lieutenant criminel qui est M. Defita. [2] Il fait bonne et brève justice, et dit-on, avec grande sévérité. Hier à quatre heures du soir, il fit pendre à la rue Saint-Antoine [3] une servante larronnesse ; et deux heures après, deux autres femmes qui avaient servi de faux témoins et qui avaient été prises travesties en hommes. [4] Le roi [5] a fait une levée de 10 000 Lorrains. M. de Beaufort [6] est sorti de La Rochelle [7] avec sa flotte et va joindre celle des Hollandais, j’espère que c’est le moyen de nous faire avoir la paix. [8] J’ai vu pourtant ce matin un politique qui est fort entendu dans les affaires publiques, qui m’a dit qu’on a peur que les Hollandais ne traitent en secret avec les Anglais pour s’accorder sans notre consentement et que le roi se plaint de Ruyter, [9] disant qu’il l’a trompé et qu’il lui a manqué de parole. [1] Voici une nouvelle qui a fort réjoui la cour, qui est que M. de Beaufort est parti de La Rochelle et est arrivé à Belle-Île [10] où il a été conduit par douze grands vaisseaux et la flotte du roi de Portugal, de quoi notre roi est fort réjoui. Le rendez-vous est à Brest où l’armée des Hollandais le doit venir joindre.

Notre M. Blondel [11] a obtenu dans la Chambre des vacations [12] la cassation de l’arrêt que le doyen Le Vignon [13] avait obtenu au rapport de M. Du Tillet, [14] sous un faux entendu, en faveur du vin émétique : [15][16] ainsi les voilà à deux de jeu, sauf maintenant à en écrire de part et d’autre. [2] Nous verrons ci-après si Guénault [17] osera écrire pour l’antimoine. [18] N’en croyez rien, il s’en gardera bien : outre qu’il n’en fut jamais capable, [3] il aime bien mieux compter ses écus, et faire la cour à des charlatans [19] et aux apothicaires, [20] ses bons amis. On m’a dit que M. Blondel fera imprimer les plaidoyers et l’arrêt même, pour opposer au faux arrêt de Le Vignon pour le vin émétique et pour l’antimoine. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 21e de septembre 1666.


a.

Bulderen, no ccccxv (tome iii, pages 181‑182).

1.

Michiel Adriaenszoon de Ruyter (Flessingue 1607-1676) a été le plus fameux amiral de l’histoire des Pays-Bas. Né dans une famille pauvre, il avait commencé à 10 ans comme apprenti dans une corderie ; mais résolu à courir la carrière de la mer, il s’était engagé comme mousse en 1618. Après quantité d’aventures, il était alors à la tête de la marine de guerre néerlandaise contre les Anglais. Les flottes française et hollandaise cherchaient toujours à se réunir, mais les Hollandais ne semblaient faire aucun effort pour voguer au sud en direction de leurs alliés, ce qui contrariait beaucoup Louis xiv (Mémoires, tome 1, pages 185‑186, année 1666) :

« Le comte de La Feuillade que j’envoyai le premier pour les faire souvenir de leur parole et leur remontrer l’importance de ce manquement de foi, les trouva si peu disposés à faire ce qu’ils avaient promis qu’au lieu d’avancer vers les miens, ils levèrent l’ancre de Boulogne, où ils étaient, pour se retirer en sa présence beaucoup plus près de leurs ports. Et Vilquier, capitaine de mes gardes, que je renvoyai dans le même dessein, les trouva dans la même résolution. En quoi leur procédé est sans doute inexcusable ; car soit que ce fût par un dessein formé de m’abandonner au besoin, ou que la maladie de Ruyter, leur général, leur eût absolument ôté la hardiesse de paraître devant leurs ennemis, c’était sans doute une infidélité ou une lâcheté très signalée. »

Ruyter mourut le 29 avril 1676 à Syracuse, ayant eu la jambe emportée par un boulet de canon lors du combat d’Agosta, une semaine plus tôt.

2.

Dans une partie en plusieurs jeux, on est à deux de jeu « quand on en a autant l’un que l’autre » (Furetière). V. note [5], lettre 873, pour l’arrêt en faveur de l’antimoine dont François Blondel avait obtenu la cassation.

3.

Hormis les thèses qu’il a soutenues ou présidées devant la Faculté de médecine de Paris (v. note [21], lettre 80), le très influent François Guénault, meneur des antimoniaux et médecin des grands de la cour, n’a laissé aucun ouvrage imprimé.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 21 septembre 1666

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(Consulté le 25/04/2024)

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