Mon cher Carolus [2] vous baise les mains, il est ravi de votre convalescence. Dans peu de jours vous recevrez un paquet qu’il vous envoie par le coche d’eau [3] et là-dedans, vous trouverez un très petit paquet pour M. Spon que je vous prie de lui envoyer dès que vous l’aurez reçu. On parle ici d’une grande dame encore jeune, laquelle il a fallu étouffer entre deux matelas parce qu’elle était enragée. [4][5] Le peuple dit qu’elle avait été mordue d’un petit chien, mais cela se dit à crédit et sans démonstration de témoins, [1] aussi ne le crois-je pas. Ad populum phaleras ! Æque nascitur hydrophobia, sive rabies, a causa interna, quam ab externa, pravus enim humor facile degenerat, et per corruptionem induit naturam veneni. [2][6] Je l’ai vu plusieurs fois en ma vie et entre autres, il y a dix ans en notre M. Guillemeau [7] qui était vieux et usé, malsain et délicat, et de plus très fâché d’une banqueroute [8] qu’un de ses alliés lui avait faite de 40 000 écus, sans mettre en ligne de compte les grains d’opium [9] qu’il prit fort mal à propos contre notre consentement ; et ainsi, les plus fins y sont pris avec leur finesse.
Hier soir mourut M. de Verthamon, conseiller d’État. [3][10] L’ambassadeur de Suède, M. le comte de Königsmarck, [11] a eu son audience de congé. [4] Il fut hier dire adieu à Messieurs les secrétaires d’État et dès qu’il aura fait ses autres adieux, il s’en retournera. On commence ici à faire des taxes que l’on fait signifier à des gens qui ne s’y attendaient point, ou plus : undique calamitas, undique naufragium. [5] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 22e d’octobre 1666.
Bulderen, no ccccxxiv (tome iii, pages 196‑197) ; Reveillé-Parise, no dccxxvii (tome iii, pages 621‑622).
À crédit : « se dit souvent pour dire à plaisir, sans utilité, sans fondement » (Furetière).
« Clinquant bon pour le peuple !. {a} L’hydrophobie, ou rage, {b} naît autant d’une cause interne qu’externe ; c’est en réalité une humeur mauvaise qui dégénère facilement et adopte par corruption le caractère d’un poison. » {c}
- Pour dire « À d’autres, mais pas à moi ! » (Perse, v. note [16], lettre 7).
- V. note [2], lettre de Hugues ii de Salins datée du 16 décembre 1656.
- Guy Patin niait obstinément les idées de contagion (v. note [6], lettre 7) que beaucoup de ses contemporains, plus observateurs et moins dogmatiques que lui, avaient très justement invoquées pour la transmission de la rage par morsure d’animaux infectés.
Dans sa dernière maladie, inaugurée par des troubles digestifs « mésentériques et hémorroïdaires », Charles Guillemeau avait été affligé d’une incapacité à déglutir, même les liquides (v. note [7], lettre 446, et plusieurs autres mentions dans les lettres d’octobre 1656). Après un mois de souffrances et de privation alimentaire, il mourut dans un état de profonde stupeur, accompagné de convulsions et d’une incapacité à communiquer avec son entourage. Un tel épuisement ressemblait à une cachexie profonde liée à un cancer de l’œsophage ou de l’estomac, c’est-à-dire à une « hydrophobie » bien distincte de celle qui caractérise la rage (en lien avec une encéphalite).
Patin confondait le symptôme (hydrophobie) avec une maladie (la rage) qui la provoque, et s’enlisait lamentablement dans son syllogisme : Guillemeau était hydrophobe mais n’avait pas été mordu par un chien ; donc l’hydrophobie, autrement nommée rage, n’est pas due à la morsure d’un chien.On apprend ici que Guillemeau avait en outre été accablé par une banqueroute. Patin en parlait sans sembler croire qu’il allait bientôt se trouver dans le même dénûment que son ancien ami (v. Comment le mariage et la mort de Robert Patin ont causé la ruine de Guy).
François de Verthamon, marquis de Manœuvre, baron de Bréau, etc., frère de Marguerite de La Bazinière (v. note [15], lettre 405), avait été reçu conseiller au Parlement en 1618 puis maître des requêtes en 1626 et conseiller d’État en 1643 (Popoff, no 2448).
Le 14 octobre, à Vincennes (Levantal).
« ce n’est partout que désastre, partout naufrage. »