L. 885.  >
À André Falconet,
le 26 octobre 1666

Monsieur, [a][1]

Je suis tout joyeux de vous écrire de votre convalescence et je prie Dieu qu’elle aille toujours en augmentant ; mais j’ai bien du regret que je n’aie quelques bonnes nouvelles à vous mander, qui pussent vous réjouir comme bon chrétien, bon philosophe et bon Français, tel que vous êtes. On ne parle ici que de taxes, d’impôts et de réformation. [2] Les pauvres gens se consolent de ce que le pain n’est pas fort cher. [3] Les bons compagnons se réjouissent que le vin est excellent cette année, mais toutes les autres denrées sont dans une grande cherté. Peut-être qu’enfin le bon temps reviendra. Et en attendant, il faut que je vous dise le retranchement de 17 fêtes que Monsieur notre archevêque [4] a médité de faire par une ordonnance expresse en tout son archevêché pour l’année prochaine et les autres qui suivront. Il y a longtemps qu’on avait parlé de ce retranchement : M. de Thou [5] en a parlé quelque part, comme aussi le cardinal d’Ossat [6] dans ses Lettres ; [1] et il me semble que cela est fort raisonnable car le petit peuple et les artisans abusent de ces fêtes, et ne font que se débaucher en jouant à la boule et allant au cabaret, au lieu de prier Dieu et aller au sermon, à la messe de paroisse, à vêpres et au salut. Ne direz-vous point que je suis bien savant en matière ecclésiastique ? [2]

Je viens de recevoir la vôtre du 19e d’octobre dont je vous rends grâces. Je vous prie de ne point précipiter votre santé, laissez-la revenir tout à loisir, dormez beaucoup, mangez peu, et rien que fort bon. Tenez votre esprit en repos, cherchez-lui une tranquillité entière. Tenez pour maxime très certaine que tout l’or, l’argent et la fortune du monde ne vaudront jamais une santé médiocre. Ne vous étonnez pas si la vôtre revient fort lentement car c’est ainsi qu’elle doit revenir pour être ferme et assurée. Je me tiens bien obligé à MM. G. et S. [3] du grand soin qu’ils ont de vous en votre maladie ; ils doivent souhaiter que vous ne leur rendiez jamais pareil office en telle rencontre. Au reste, Dieu soit loué que vous êtes en bon état, mais tâchez de vous y tenir. Vale.

De Paris, ce 26e d’octobre 1666.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clii (pages 423‑425) ; Bulderen, no ccccxxv (tome iii, pages 197‑198) ; Reveillé-Parise, no dccxxviii (tome iii, pages 622‑623).

1.

Je n’ai pas trouvé le passage de L’Histoire du président de Thou auquel Guy Patin faisait ici allusion. La lettre du cardinal d’Ossat est celle qu’il adressa de Rome au roi Henri iv le 18 janvier 1599 (livre cinquième, clxi, pages 400‑403) :

« Sire,

Étant dernièrement à Bologne, au retour du pape {a} de Ferrare, je conférai avec Monsieur le cardinal de Florence {b} du commandement que Votre Majesté faisait à M. de Luxembourg par sa dépêche du 4e d’octobre, de parler à Notre Saint-Père du grand nombre de fêtes qui se font en France et empêchent que les terres ne puissent être labourées comme il serait nécessaire. Et après avoir eu l’avis dudit seigneur cardinal, je traitai de cette affaire avec Sa Sainteté en l’audience qu’elle me donna en cette ville le premier jour de l’an ; et lui dis et laissai par écrit comme<nt >, pour la longueur et violence des guerres passées, tant civiles qu’étrangères, le peuple de France, et principalement des champs, et des bourgs et villages, était tellement diminué, que ceux qui restaient ne suffisaient point à labourer et cultiver la terre ; et mêmement à cause d’un très grand nombre de fêtes qui se faisaient par tout le royaume, outre celles de Notre Seigneur, de Notre Dame, des apôtres et d’autres saints principaux. De sorte que, demeurant en friche une grande part des terres, il s’ensuivait grande disette et cherté par tout le royaume, de laquelle se ressentaient et pâtissaient grandement tous les Français, de quelque état et condition qu’ils fussent ; et Votre Majesté n’en pouvait tirer les subsides accoutumés et nécessaires pour la conservation de l’État et du public. Par ainsi, ayant Votre Majesté été requise de plusieurs endroits du royaume de mettre quelque ordre et de pourvoir à cette nécessité, vous priiez Sa Sainteté très affectueusement qu’il lui plût permettre, au moins pour quelques années, que, hors les susdites fêtes de Notre Seigneur, de Notre Dame, des apôtres et d’autres saints principaux, qu’il lui pourrait excepter, le peuple pût labourer et cultiver la terre, et faire les autres choses qui y appartenaient ; et par le moyen de cette grâce, Sa Sainteté continuerait d’obliger à soi et au Saint-Siège Votre Majesté et tout le royaume, y restituant l’ancienne fertilité et abondance, et obviant à plusieurs désordres que font ceux qui, ne pouvant employer aux dévotions requises un si grand loisir, comme ils ont parmi tant de fêtes, se débauchent et s’adonnent au jeu et à l’ivrognerie, à luxure, à querelles et autres choses illicites et dommageables ; aussi priait-on Dieu par tout le royaume pour la prospérité et santé de Sa Sainteté, et pour l’accroissement et exaltation du Saint-Siège et de Notre Mère Sainte Église.

Sa Sainteté me répondit que la chose en soi ne lui déplaisait point, pourvu que la nécessité fût telle que je venais de lui dire et que le tout se fît à bonne fin, et non pour abolir les fêtes peu à peu ; que toutefois, ce que Votre Majesté demandait était chose que les évêques pouvaient faire ; comme aussi pouvaient-ils mieux connaître du fait, étant sur les lieux, que lui qui en était si loin. Je lui répliquai que Votre Majesté semblait avoir prévu une grande partie de sa réponse, en ce que vos lettres contenaient que Votre Majesté eût exhorté les évêques de remédier à ce que dessus ; mais que, pour la faveur que chacun d’eux porte aux fêtes de son diocèse, elle avait estimé qu’il serait meilleur de supplier Sa Sainteté d’en vouloir faire un bon règlement elle-même, auquel aussi chacun obéirait plus volontiers ; que je la suppliais donc d’y vouloir penser et de considérer le mémoire que je lui en baillais, et se disposer à donner cette satisfaction à Votre Majesté et à tout le royaume. Il prit ledit mémoire sans me dire autre chose, sinon qu’il y penserait.

À huit jours de là, à savoir le vendredi 8e de ce mois, je retournai à l’audience et je le mis en ce propos pour savoir s’il avait pris quelque bonne résolution sur le mémoire que je lui avais laissé touchant lesdites fêtes ; et il me dit qu’il y avait pensé et s’était confirmé en ce qu’il m’avait dit la première fois, d’en laisser faire les ordinaires {c} selon qu’ils verraient en être besoin et qu’ils jugeraient en leurs consciences ; qu’il n’était < pas > vraisemblable que tous les endroits de France eussent également pâti et eussent besoin d’un pareil remède ; que chacun évêque pourrait mieux connaître l’état de son diocèse et si, et pour combien de temps on y aurait besoin de telle dispense ; qu’outre cette considération, il y avait encore des saints auxquels, jaçoit qu’ils {d} ne fussent si célèbres comme d’autres, ce néanmoins en certains lieux, pour de dévotion, qu’à d’autres plus grands ; et pour cela, il ne pourrait dire qu’un tel saint fût fêté et qu’un tel autre ne le fût point ; qu’aussi fallait-il qu’il allât plus retenu en telles choses, d’autant qu’une des hérésies qui court pour le jourd’hui est touchant les fêtes ; que les canons et même les lois civiles avaient pourvu à telles choses, et particulièrement aux œuvres rustiques et labeur de la terre, pour lesquelles Votre Majesté faisait cette instance. De façon que, comme il se trouve en l’Église qu’il avait été répondu autrefois qu’on avait Moïse et les prophètes, aussi il me pouvait dire qu’en France on avait les évêques, les canons et les lois. Ce fut sa réponse, à laquelle je vis bien qu’il n’en ferait autre chose. Qui fut cause que je lui proposai un expédient, à savoir de commettre à M. le cardinal de Gondi {e} de s’informer de l’état et condition des pays, et de la dévotion particulière que les peuples de divers lieux pourraient avoir à quelques saints ; et selon qu’il trouverait, octroyer la dispense qui lui semblerait être nécessaire. Mais Sa Sainteté n’y voulut entendre et persista en sa réponse.

La mention qu’il m’a fait des droits canon et civil me donna occasion de recevoir ce qui y est contenu touchant cette matière ; et ai trouvé que les choses y sont ordonnées conformément au besoin du royaume et désir de Votre Majesté. Car les canons ne commandent de chômer en particulier, sinon que les jours de dimanche, de Noël, de saint Étienne, de saint Jean l’Évangéliste, des Innocents, de saint Sylvestre, de la Circoncision, de l’Épiphanie, de Pâques, avec la semaine précédente et suivante, de l’Ascension, de Pentecôte, avec les deux jours suivants, les fêtes de Notre-Dame, la nativité de saint Jean-Baptiste, les fêtes des apôtres, de saint Laurent, de la dédication de saint Michel, de Toussaint, et de saint Martin ; et en général celles que chacun évêque en son diocèse, avec le clergé et peuple, estimerait devoir être solennisées. Auquel commandement de chômer lesdites fêtes, les canons ajoutent cette exception : Si la nécessité ne presse et la piété ne persuade de faire autrement. Or est-il que nous sommes aux termes de cette exception, étant le royaume pressé de la nécessité que Votre Majesté fait et qui vous a été représentée de divers endroits de la France ; et étant encore le bien public compris sous le nom de piété, dont usent les canons, selon que l’exposent les docteurs qui ont traité de ces matières. À quoi se peut et doit encore ajouter qu’aux choses de l’agriculture, on a toujours donné plus de liberté pour le regard des fêtes qu’on n’a fait aux ouvrages des arts et métiers des villes. Et y a une constitution au droit civil, de laquelle, à mon avis, entendait parler le pape quand il parlait des lois civiles, et des œuvres rustiques et du labeur de la terre ; laquelle constitution permet de vaquer librement à l’agriculture aux jours même de dimanche, quand l’occasion de semer ou planter se présente plus belle au jour de dimanche qu’aux autres jours et qu’il y a danger qu’elle ne se perde. Et jaçoit {d} qu’aux choses de la religion on doive suivre le droit canon et s’arrêter aux ordonnances de l’Église, ce néanmoins la raison de ladite constitution civile a lieu partout et est faite bonne par les canonistes, lesquels tous d’un consentement sont d’accord qu’on peut travailler aux jours de fêtes, non seulement aux choses d’agriculture, mais aussi aux autres quand il est question de ne perdre point quelque bonne occasion ou d’éviter quelque danger ou perte notable. Conseillent néanmoins lesdits canonistes que, si faire se peut, tel travail se fasse avec dispense de l’évêque et après avoir ouï la messe auxdits jours de fêtes, auxquelles, en tel cas, on voudra travailler. Par ainsi, j’estime que, les choses étant telles, comme par votre commandement je les ai exposées au pape, les évêques de France ne feront point de difficulté de bailler, chacun en son diocèse, la dispense que Votre Majesté désirait du pape ; attendu mêmement que Sa Sainteté s’en remet à eux, et que nous sommes aux cas et termes des saints canons et des lois, où elle nous renvoie ; et qu’on y peut suivre les conseils desdits canonistes et y apporter encore d’autres précautions s’il en est besoin. »


  1. Clément viii.

  2. Alessandro Ottaviano de Medici.

  3. Les prélats.

  4. Jaçoit que : encore que.

  5. Pierre de Gondi, évêque de Paris (v. notule {c}, note [38] du Borboniana 6 manuscrit).

2.

Guy Patin pensait exactement comme le roi (Mémoires de Louis xiv, tome 1, page 205, année 1666) :

« Je projetai encore alors un autre règlement qui regardait à la fois l’État et l’Église. Ce fut à l’égard des fêtes dont le nombre, augmenté de temps en temps {a} par des dévotions particulières, me semblait beaucoup trop grand. Car enfin il me parut qu’il nuisait à la fortune des particuliers en les détournant trop souvent de leur travail, qu’il diminuait la richesse du royaume en diminuant le nombre des ouvrages qui s’y fabriquaient, et qu’il était même préjudiciable à la religion par laquelle il était autorisé, parce que la plupart des artisans, étant des hommes grossiers, donnaient ordinairement à la débauche et au désordre ces jours précieux qui n’étaient destinés que pour la prière et les bonnes œuvres.

Dans ces considérations, je pensai qu’il serait du bien des peuples et du service de Dieu d’apporter en cela quelque modération, et je fis entendre ma pensée à l’archevêque de Paris ; {b} lequel, la jugeant pleine de raison, voulut bien, comme pasteur de la capitale de mon royaume, donner en cela exemple à tous ses confrères. »


  1. Petit à petit.

  2. Hardouin de Beaumont de Péréfixe.

Les articles 77 à 87 des statuts de la Faculté des arts (inséré dans les Statuta F.M.P., article xv, pages 19‑24) donnaient une liste annuelle de 38 jours fériés (festi dies in universa Academia Parisiensi celebrati, et quibus Divis sacri sint [jours de fête à célébrer en toute l’Université de Paris, et à consacrer aux dévotions]) ; s’y ajoutaient, bien entendu, les Pâques et tous les autres dimanches, soit un total d’au moins 90 jours chômés.

L’Ordonnance de Mgr Hardouin de Péréfixe, archevêque de Paris, touchant les fêtes qui doivent être observées dans tout son diocèse, prononcée le 20 octobre 1666, fut imprimée (Paris, F. Muguet, 1666, in‑4o).

3.

Pierre Garnier et Charles Spon.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 26 octobre 1666

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(Consulté le 25/04/2024)

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