L. 889.  >
À André Falconet,
le 16 novembre 1666

Monsieur, [a][1]

Ce 13e de novembre. Je suis ravi de m’entretenir avec vous, mais j’ai regret que je n’aie quelques bonnes nouvelles à vous mander. Je vous envoyai hier une lettre pour vous et une de mon Carolus. [2] La maladie la plus commune aujourd’hui de Paris est la fièvre quarte, [3] avec la petite vérole. [4] On parle de retrancher l’excessif nombre des carrosses de Paris. Notre M. Charpentier [5] se porte un peu mieux. La mémoire lui est revenue, mais il a 71 ans passés, qui est un grand âge pour un homme tel que lui. La nature fait quelquefois de ces efforts-là et tôt après, elle ne laisse point d’y succomber ; et même notre Hippocrate l’a remarqué dans ses Coaques[1][6] Vous trouverez ici des vers sur l’embrasement de Londres, [7] que l’on me donna hier. Le français est de M. de Benserade ; [8] pour le latin, on l’attribue au P. Vavasseur, [9] jésuite. [2] On dit que les Anglais ne veulent point entendre à aucun traité de paix que tout le commerce ne soit rétabli comme il était ci-devant ; qu’une seule province d’Angleterre offre au roi d’Angleterre [10] 18 millions pour continuer la guerre ; que les Anglais ne veulent plus s’habiller à la française, mais à l’espagnole et à la moscovite. [11] Lupus pilum mutat, non mentem : [3][12] n’est-ce point qu’ils nous feront grand dépit de s’habiller autrement que nous ? Ha, qu’ils seraient heureux de pouvoir s’amender ! mais quoi qu’ils fassent, quamdiu homines, tamdiu errores[4] Je salue toute votre famille, et particulièrement monsieur votre fils le médecin, [13] et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 16e de novembre 1666.


a.

Bulderen, no ccccxxix (tome iii, pages 204‑205) ; Reveillé-Parise, no dccxxxii (tome iii, pages 627‑628).

1.

Les Prénotions coaques regorgent de pronostics de cette sorte, mais je n’en ai trouvé aucun qui corresponde exactement à l’amnésie d’Antoine Charpentier que décrivait ici son collègue Guy Patin.

2.

Isaac de Benserade (Lyons-la-Forêt 1612-1691), né dans une famille protestante, avait été élevé dans la religion catholique. À peine sorti du collège, il avait fait jouer sa première tragédie (Cléopâtre, 1636) et obtenu la protection de Richelieu. La suite de sa carrière avait été celle d’un brillant littérateur de cour, émaillée de querelles, dont la plus fameuse fut celle qu’il eut avec Vincent ii Voiture (v. note [9], lettre 210) sur les sonnets de Job et d’Uranie, dont ils étaient les auteurs respectifs : la ville et la cour furent partagées avec un égal acharnement en jobelins et uranistes. Benserade était le secrétaire assidu de Mlle de La Vallière dans sa correspondance avec Louis xiv, qui ne cessa de le combler de ses bienfaits. Il fut admis à l’Académie française en 1674. Atteint de la pierre, il dut se faire tailler, mais le chirurgien maladroit blessa une artère et s’enfuit en courant, abandonnant, dit-on, le patient à son triste sort : il en mourut au bout d’une heure (G.D.U. xixe s.). Les vers anglophobes dont parlait Guy Patin sont composés de deux pièces.

3.

« Le loup change de poil, mais pas de caractère » ; antique proverbe grec commenté par Érasme (Adages, no 2219) :

Senecta canitem adfert improbis, non item aufert malitiam. Canescunt enim lupi, velut et equi, more hominum per ætatem.

[La vieillesse blanchit les cheveux des méchantes gens, mais n’en ôte pas la malice : à la manière des hommes, les loups blanchissent avec l’âge, tout comme les chevaux]. »

4.

« tant qu’il y aura des hommes, il y aura des erreurs » (v. note [7], lettre 325).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 16 novembre 1666

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(Consulté le 24/04/2024)

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