L. 907.  >
À André Falconet,
le 15 avril 1667

Monsieur, [a][1]

Tout le monde est ici en dévotion à cause de la bonne fête, mais il y a bien ici des malades à cause de la saison du printemps qui fond et agite le sang. Voilà le temps venu pour les estafiers de Saint-Côme, [1][2] nous avons déjà des fièvres tierces [3] printanières et des fièvres continues. [4] Le monde était assez mal sans cela car on ne parle ici que de banqueroutes, malheurs, désordres et pauvreté. Je n’ai vu le vrai tétan [5] que trois fois en ma vie, [2] et une quatrième fois depuis huit jours, qui venait d’une plénitude [6] de vaisseaux et intempérie chaude des entrailles, avec un danger évident de cette suffocation que les anciens ont appelée ictus sanguinis[3] qui est la vraie et proprement nommée apoplexie. [7] Le malade en est heureusement échappé, mais il a été saigné dix fois en quatre jours, sans quoi il serait mort avant ce temps-là. L’expérience nous fait voir à Paris tous les jours combien il est vrai tout ce que Galien [8][9] a écrit de la saignée et de ses admirables vertus, principalement dans les trois livres qu’il en a faits exprès. [4] Le malade est un homme de 40 ans qui est fort content de notre procédé et de notre méthode.

J’ai vu ici l’enfant à deux têtes de M. Girardet et lui ai donné l’attestation qu’il m’a demandée pour avoir la permission de notre nouveau juge de police [10] de le montrer en public. [5][11] On parle ici de la maladie du roi [12] et de la reine de Pologne, [13] et de la grossesse de la reine de Portugal. [6][14] Je ne sais rien du pape. [15] Adieu.

De Paris, ce 15e d’avril 1667.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clvii (pages 433‑435) ; Bulderen, no ccccxlvi (tome iii, pages 232‑233) ; Reveillé-Parise, no dccxlv (tome iii, pags 645).

1.

C’est-à-dire les chirurgiens qui allaient avoir à saigner sur les ordres des médecins. La « bonne fête » était celle de Pâques, le 10 avril.

2.

Tétan est une (curieuse) apocope de tétanos, « mot emprunté du grec et dont les médecins se servent pour désigner une convulsion dans laquelle la raideur du corps est telle qu’il ne peut se pencher ni d’un côté ni de l’autre » (Académie). La convulsion caractéristique du tétanos est l’opisthotonos, où « le corps est plié en arrière et fait comme une espèce d’arc. L’opisthotonos vient du mouvement tonique des muscles postérieurs du corps, particulièrement de ceux du derrière de la tête » (Trévoux).

Le tétanos est le résultat d’une infection du système nerveux provoquée par une bactérie tellurique, Clostridum tetani, découverte par Arthur Nicolaier en 1884, mais on était encore loin de l’imaginer au temps de Guy Patin.

3.

« coup de sang » (apoplexie, v. note [19], lettre 104) : la relation qui existait dans l’esprit de Guy Patin entre l’apoplexie et le tétanos nous échappe aujourd’hui complètement. L’apoplexie (telle que l’a toujours décrite Patin) est une souffrance aiguë du cerveau, liée à l’occlusion (infarctus cérébral) ou à la rupture (hémorragie cérébrale) d’un vaisseau encéphalique ; elle provoque le plus souvent la paralysie d’une moitié du corps (hémiplégie), qu’il paraît difficile de confondre avec l’opisthotonos du tétanos. Un tétanos n’aurait pas guéri, alors qu’une apoplexie peut régresser.

4.

Guy Patin vénérait les trois livres de Galien sur la saignée :

5.

Guy Patin a parlé de Pierre Girardet, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris mort en 1631 (v. note [11], lettre 8) ; cet autre Girardet pouvait lui être apparenté, mais n’était pas docteur de Paris.

Ce cas de jumeaux conjoints (siamois) {a} semble être celui que décrit la lettre lxxi (pages 263‑264) dans le tome v de la Suite de l’Espion des cours des princes chrétiens, par Giovanni Paolo Marana. {b} Elle est adressée à « Cara Hali, médecin du Seigneur à Constantinople », sans lieu, en 1667 :

« Une femme vient d’accoucher à Weerted, près d’Ardembourg dans les Pays-Bas, {c} d’un enfant monstrueux qui at deux têtes, deux cous, quatre bras, et toutes les parties du corps, extérieures et intérieures, doubles jusqu’au nombril, qui est ce semble le centre de l’union des deux corps, car, du nombril en bas, il ne paraît que la proportion et la figure d’un corps avec deux cuisses, deux jambes et deux pieds. Les deux visages étaient différents : l’un crasseux {d} et irrégulier, sans nez ou sans bouche, à moins que d’appeler bouche une espèce d’ouverture qui est au-dessous du menton, car les yeux sont où devrait être la bouche, et un testicule d’homme, auquel il ne manque rien, occupe l’endroit où le nez a accoutumé d’être ; l’autre, beau et régulier, n’ayant rien d’extraordinaire que deux dents qui avancent hors des gencives.

Cette irrégulière production a été disséquée avec soin par un fameux anatomiste qui a trouvé deux cœurs, deux estomacs, et les autres parties nobles simples à l’ordinaire. Ce que je viens de dire est attesté par cinq médecins de profession qui ont fait l’ouverture de ce monstre. »


  1. V. note [4], lettre latine 112.

  2. Cologne, 1699, v. note [17] du Faux Patiniana II‑4.

  3. Aerdenburg, en Zélande, est aujourd’hui rattachée à la commune de L’Écluse (Sluis), à l’extrémité occidentale de la frontière entre les Pays-Bas et la Belgique.

  4. Grossier.

  5. Ce qu’en écrit Patin ne suggère pas qu’il ait été lui-même l’un de ces médecins, bien qu’il fût professeur d’anatomie au Collège de France. Je n’ai pas trouvé de relation médicale portant sur cette observation car le phénomène avait déjà fait l’objet de diverses publications. On se contentait apparemment d’exhiber la dépouille de ce pauvre fœtus dans les villes d’Europe, où les curieux venaient se repaître de sa contemplation.

V. note [2], lettre 881, pour la charge de lieutenant civil du Châtelet de Paris qui avait été divisée en deux à la mort de Simon Dreux d’Aubray en septembre 1666. Gabriel-Nicolas de La Reynie (1625-1709), maître des requêtes, acheta à Antoine, fils du défunt lieutenant, pour 250 000 livres, la part qui avait été intitulée, par édit enregistré au Parlement le 15 mars 1667, « lieutenance du prévôt pour la partie de police » et qui devint « lieutenance générale de police » en 1674. La Reynie est demeuré célèbre pour le zèle intransigeant qu’il a déployé à remettre de l’ordre dans Paris, suivant le désir du roi.

6.

Aucun enfant ne naquit du récent mariage de Mlle d’Aumale (v. note [1], lettre 820), fille de Charles-Amédée de Savoie, avec le roi Alphonse vi de Portugal. Ce prince était fou, les Cortès le forcèrent à abdiquer le 24 novembre 1667 et son mariage fut annulé le 2 avril 1668 sur le motif d’impuissance du mari.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 15 avril 1667

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(Consulté le 28/03/2024)

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