L. 925.  >
À Charles Spon,
le 17 octobre 1667

Monsieur [a] mon très cher et très précieux ami, [1]

Je vous rends grâces très humbles de votre dernière, belle et précieuse lettre. Plût à Dieu que je pusse vous en envoyer de pareilles de deçà, et qui vous donnassent autant de réjouissance et de satisfaction comme la vôtre m’en a donné, que j’ai relue plusieurs fois, decies repetita placebunt[1][2] Je vous remercie très humblement de tous les soins que prenez pour moi et de toutes les peines que je vous donne pour mes petites curiosités qui font une partie de mon étude ou au moins, de mon divertissement. Vous savez ce qu’a dit en pareil cas Pline, Maxima pars hominum amœnitatem in studiis quærimus, etc[2] Mais auparavant que j’entre en matière de réponse avec vous, permettez que je vous dise deux choses, dont la première sera que je vous prie de m’envoyer un mémoire de tout ce que je vous dois et de ce qu’avez déboursé pour moi en diverses rencontres depuis bien du temps, afin que je vous le fasse rendre à Lyon. La seconde c’est que l’an passé, vous me mandiez que vous aviez un livre nouveau dans lequel il était démontré que toutes nos cérémonies d’ici étaient dérivées et tirées du paganisme, quod facile credo[3] mais je n’ai point vu ce livre ; c’est pourquoi je vous prie de me mander le nom de l’auteur et le lieu de l’impression, afin que j’en puisse recouvrer un et le mettre avec plusieurs autres eiusdem commatis[4]

Ce 12e d’octobre. Pour les Considérations politiques sur les coups d’État, je vous prie de ne vous étonner de rien. L’auteur [3] était en un lieu où il flattait le pape en son patron, le cardinal B., [5][4] où il avait peur de l’Inquisition [5] et de sa tyrannie, et de laquelle même, à ce qu’on m’a dit autrefois, il avait été menacé. De plus, il avait une grande pente naturelle à ne prendre aucun parti de religion, ayant l’esprit tout plein de considérations, réflexions et observations politiques sur la vie des princes et sur le gouvernement du monde, et sur la moinerie [6] aujourd’hui dans l’Europe, de sorte qu’il était bien plutôt politique que G. ; [6][7] sur quoi je pourrais vous dire de lui ce que Hugo Grotius [8] a dit quelque part en l’honneur de Casaubon [9] qui écrivait contre le cardinal Baronius : [10]

Annales Docti nimium servire Baronii
Qui legis, et Romæ quale probatur opus,
Credere ne propera : multo vigilata labore
Pagina ; sed nutu sub Dominantis erat.
Auctoramentum non est leve, Purpura : pridem,
Pontifices verum non didicere pati. Etc.
In epigr. præfixo Exercit. Casaub. in Annales eccl. Baronii
[7]

Tant que j’ai pu connaître cet auteur, il m’a semblé fort indifférent dans le choix de la religion [11] et avait appris cela à Rome tandis qu’il y a demeuré douze bonnes années ; et même, je me souviens lui avoir ouï dire qu’il avait autrefois eu pour maître un certain professeur de rhétorique au Collège de Navarre, [12] nommé M. Belurger, [13] natif de Flavigny [14] en Bourgogne, qu’il prisait fort et supra modum[8] J’ai vu des gens qui ont autrefois connu ce maître de rhétorique, lesquels m’ont dit qu’il ne se souciait d’aucune religion ; faisait un état extraordinaire de deux hommes de l’Antiquité, qui ont été Homère [15] et Aristote ; [16] se moquait de la Sainte Écriture, et surtout de Moïse [17] et de tous les prophètes ; haïssait les juifs [18] et les moines ; n’admettait aucun miracle, prophétie, vision ni révélation ; se moquait du purgatoire, [19] qu’il appelait Chimæra bombinans in vacuo, et comedens secundas intentiones[9] Il disait que les deux plus sots livres du monde étaient la Genèse[20] et la Vie des saints, que le ciel empyrée était une pure fiction, illi fabulæ erant Cœlum et Inferi[10] Il faisait grand état d’un passage de Sénèque : [21] Quæ nobis inferos faciunt terribiles fabula est ; luserunt istæ poetæ ut vanis nos agitarent terroribus, etc[11][22] On lui demanda un jour, sur quelque mot qu’il avait lâché, de quelle religion il était, il répondit qu’il était de la religion des plus grands hommes de l’Antiquité, Homère, Aristote, Cicéron, [23] Pline, Sénèque, duquel il faisait grand état pour un chorus qui est in Troades, qui commence par ces mots : [24][25]

Verum est ? an timidos fabula decipit,
Umbras corporibus vivere conditis ?
etc. [12]

Bref, M. Naudé avait été disciple d’un tel maître, qui viret in foliis venit a radicibus humor, sic patrum in natos abeunt cum semine mores[13][26] Je ne veux point oublier que M. Naudé faisait grand état de Tacite [27] et de Machiavel ; [28] et quoi qu’il en soit, je pense qu’il était de la religion de son profit et de sa fortune, doctrine qu’il avait puisée et apprise in curia Romana, quæ non positionem sine lena, etc. Vide Pline, lib. 2o, hist. nat cap. 5o, quod est de deo ubi de Fortuna[14][29][30][31] Mais ce discours m’ennuie, je vous dirai en un mot : je ne sais qui a été le meilleur, ou l’écolier ou le maître, Rome ou Paris, le cardinal Bagni ou son secrétaire latin, le cardinal Mazarin [32][33] ou son bibliothécaire ; je me persuade pourtant que tous deux n’étaient guère inquiétés ni chargés de scrupules de conscience. Toutefois je vous dirai que M. Naudé était un homme fort sage, fort prudent, fort réglé, qui semblait vivre dans une certaine équité naturelle, qui était fort bon ami, fort égal et fort légal, qui s’est toujours fort fié à moi, et à personne tant qu’à moi, si ce n’est peut-être à feu M. Moreau. [34] Point jureur ni moqueur, point ivrogne, il ne but jamais que de l’eau, je ne l’ai jamais vu mentir à son escient. Il haïssait fort les hypocrites et ceux qui l’auraient une fois voulu tromper, et même les menteurs. M. Naudé faisait grand état des finesses du cabinet des princes et du Tacite qui en est tout plein. Il prisait aussi très fort Machiavel et disait de lui : Tout le monde blâme cet auteur, et tout le monde le suit et le pratique, et principalement ceux qui le blâment, tels que sont les moines, les supérieurs de religion, les théologiens, le pape, et toute la Cour romaine. Il prisait pareillement bien fort deux autres livres, savoir la Sagesse de Charron [35] et la République de Bodin. [36] Il disait que ce premier était une belle morale et une bonne anatomie de l’esprit de l’homme ; le second, que c’était une bonne politique et un livre bien suivi. Je vous dirai en passant que ce Bodin était juif en son âme et que tel il mourut l’an 1596, procureur du roi à Laon. [15][37] Mais enfin, en voilà trop, et peut-être bien plus que vous n’en demandez. Je conclus donc que l’homme est un chétif animal bien bizarre, sujet à ses opinions, capricieux et fantasque, qui tend à ses fins et qui toute sa vie n’aboutit guère à son profit, particulièrement en pensées non seulement vagues, mais quelquefois bien extravagantes. Aussi plusieurs n’y réussissent-ils pas ; et même ce M. Naudé n’y a pas trouvé son compte, tout savant qu’il fût. Au reste, je suis ravi de voir comme vous êtes zélé pour la cause de Dieu et le bon parti, et comme vous êtes un bon frère en Christ. Mais dans ce livre de considérations politiques de feu M. Naudé, n’avez-vous pas remarqué < que >, quand il parle de la Pucelle d’Orléans, [16][38] il dit qu’elle ne fut pas brûlée, mais qu’au lieu d’elle un billot fut jeté dans le feu ? [17] Qu’en croyez-vous, que savez-vous de cette affaire ? Guillaume Du Bellay, [18][39] Denis Lambin [40] et Juste Lipse [41] ont écrit, aussi bien que du Haillan, [19][42] que c’était une brave fille qui avait de l’esprit et du cœur, qu’elle avait bien servi Charles vii[20][43] pour relever ses affaires et pour venir à bout de chasser les Anglais de France par l’intelligence qu’elle eut avec Jean, bâtard du duc d’Orléans et comte de Dunois, [44] et avec Robert de Baudricourt. [21][45] Pour moi, je suis fort pour cette fille, qui a été une excellente héroïne, et crois que tout le miracle fut politique, et belle finesse fardée du saint et sacré nom de religion, qui mène même le monde par le nez ici et ailleurs ; aussi y a-t-il longtemps que l’on dit hic et alibi venditur piper[22][46] Vous savez mieux que moi la vérité de ce beau vers de Lucrèce : [47] Tantum religio potuit suadere malorum[23] J’ai bien ouï dire davantage, qu’elle ne fut point brûlée, mais aussi qu’elle s’en retourna dans son pays où elle se maria et qu’elle eut des enfants, etc.

Ce 16e d’octobre. Ce Marcellus Palingenius [48] était un honnête homme qui vivait en Italie du temps d’Alexandre vi [49] {qui a été un très méchant homme et abominable pape}. [24] Il était assez bon poète. Ce livre est une belle morale, il a été imprimé plusieurs fois en divers endroits, et même fort correctement en Hollande in‑12. Ce poète s’appelait Marcellus Palingenius Stellatus, il était Ferrarois. Après avoir été enterré, il fut par ordre de l’Inquisition [50] déterré et brûlé pour ce qu’il a dit dans son livre contre les prêtres et les moines, [51] qui étaient dans ce temps-là d’étranges gens, compagnons fort débauchés, bien glorieux et fort ignorants, mais qui plus est, fort impudents. [25] Je vous chercherai quelque belle édition de ce Palingenius, il me semble qu’il n’y en a point de plus belle que celle de Hollande. Je sais bien qu’il dit là-dedans, que tout homme qui a une belle femme ne doit point permettre qu’il vienne des prêtres en sa maison, ou qu’autrement il est en danger d’être cocu. Il parle aussi fortement contre les moines, desquels il dit mercede colentes non pietate Deum, etc[26] Pour le Paul Jove, [52] il se trouve de belle impression in‑8o et in‑fo de Bâle. [53] Tout ce qu’il a fait est bel et bon, mais principalement ses Éloges ; tout est en latin. Je m’étonne de ce que ce livre soit aujourd’hui rare dans Lyon. [27] De Nicolao Præposito[28][54] si ce que vous m’en écrivez est vrai, il faut que Vander Linden [55] in 3a edit. libri sui de Scriptis medicis [29] se soit bien trompé ; elle est de 1662, un grand in‑8o. Je ne sais rien de cette controverse, j’en parlerai à M. Moreau [56] bientôt. J’avais ouï dire que M. Verny, [57] apothicaire de Montpellier, était mort, et vous m’en parlez comme d’un homme vivant. [30] Je n’ai jamais vu le Petrus Baptista Cremonensis, je ne sais quel auteur c’est. [31][58] Pour l’École de Salerne de feu M. Moreau, [59] c’est un fort bon livre à réimprimer, il n’y en a plus ici du tout. Un certain libraire de La Haye-le-Comte [60] en Hollande, nommé Adrien Vlacq, [61] avait dessein de la faire imprimer, mais il est mort fort obéré et n’en faut plus rien attendre. Ce livre-là se vendrait bien à Paris si nous l’avions de l’impression de Lyon, pourvu qu’on en ôtât les fautes typographiques et que la copie fût bien revue. [32] Pour M. Moreau d’aujourd’hui, il n’en faut rien espérer, Monsieur son père ne lui a rien laissé de parfait ; joint qu’il n’en a pas le loisir, il a ses malades, l’Hôtel-Dieu, [62] ses leçons de Cambrai [63] où il n’est guère diligent ; et outre tout cela, il a encore ses divertissements quibus non segniter incumbit[33] Ne craignez donc rien du côté du fils, qui pense bien à tout autre chose qu’à se donner la peine de procurer cette nouvelle édition. Si vous la faites faire à Lyon, je la recommanderai fort à mes auditeurs et la ferai bien valoir, tant pour la bonté du livre que pour le mérite de l’auteur, duquel la mémoire m’est fort chère et que j’honore bien fort ; mais n’ayez point peur que personne l’imprime de deçà, il y a trop de gueuserie parmi nos gens. Hic seges est ubi Troia fuit ; [34][64] ils ne songent qu’à du pain et ne sont point capables de telle pensée. Mon fils aîné [65] a pris possession de ma charge de professeur du roi ; [35] par survivance seulement, je ne la quitterai, Dieu aidant, qu’en mourant. [66] Depuis le sieur des Fougerais, [67] nous avons encore perdu Raphaël Maurin [68] qui est mort à Tournai. En voilà six en dix mois, je vous remercie de tout mon cœur de l’affection que vous avez pour moi. Pour ce Theodorus Marsilius, [69] professeur du roi en humanités, il était Flamand ; je me souviens de l’avoir vu, il mourut l’an 1618. Joseph Scaliger [70] le haïssait et l’appelait retrimentum pædagogiorum ; [36] c’était ce Marcile qu’il entendait quand il a dit en ses épîtres, pudet me hominis qui tamdiu studuit et nihil scit[37] Casaubon en a aussi parlé avec mépris dans ses épîtres et j’avoue que, combien qu’il est habile homme, il n’approchait point de ces deux grands héros in re litteraria[38] qui ont été deux individus incomparables. Il ne fut jamais médecin, mais seulement régent de rhétorique et professeur du roi. Il est encore aujourd’hui en réputation de savant homme, mais grand pédant. Guillaume Du Val, [71] Nicolas Bourbon [72] et feu M. Moreau faisaient grand état de lui. Il succéda à Passerat, [73] qui mourut l’an 1602, in cathedra regia[39]

Ce 17e d’octobre. Je plains le pauvre Jérôme Bauhin [74] qui est mort si jeune, j’ai bien envie de voir cette oraison funèbre par M. Glaser. [40][75] Pour la peste de Bâle, [76] il me semble que nous allons entrer dans une saison qui sera bien capable de la mortifier. J’ai envoyé votre lettre ad Car. P[41][77] Je me souviens bien de ce M. Robillard, utinam vincat, vel saltem ille conveniat cum adversario[42] Les chrétiens se ruinent à plaider, les juifs à faire leur première cène et les Turques à se marier. [43] J’attendrai patiemment M. de La Poterie. [78] Pour le fils de M. Sorbière, [79] non novi ; [44] je pense que Monsieur son père [80] est à Rome. La cour est à Saint-Germain, [81] Mme la duchesse de La Vallière [82] est en couche d’un fils. [45][83] M. le prince de Condé [84] est peut-être envoyé en Allemagne et M. le duc d’Orléans [85] ira en Catalogne [86] avec M. le maréchal Du Plessis-Praslin, [87] M. le duc de Savoie [88] en Italie avec M. le maréchal de La Ferté-Senneterre, [89] et le roi [90] en Flandres [91] avec MM. de Turenne [92] et d’Aumont. [93] Cela sonne guerra, horrida guerra[46] L’été prochain on s’en va ici commencer l’édition en deux tomes in‑fo des Mémoires historiques du cardinal de Richelieu sur les mémoires [94] de Mme d’Aiguillon, [95] sa chère nièce, le tout par la conduite et par l’ordre du P. Le Moine. [47][96] Vous voyez combien ces gens sont utiles au monde, il fallait qu’il se trouvât un jésuite [97] qui publiât la vie, les hauts faits et les gestes d’un rouge tyran tel qu’a été ce cardinal. Bon Dieu, que l’argent, la flatterie, et le mensonge et l’imposture ont de crédit en ce monde ! Je vous baise les mains, suavissimæ uxori[48] et à votre bon compère M. de Gonsebac, sans oublier M. Huguetan et M. Anisson. On dit ici que la femme de l’empereur [98][99] est accouchée d’un fils, voilà la Maison d’Autriche plus forte d’une tête. [49] Nous avons un pape nouveau, [100] mais on dit qu’il ne durera guère à cause que tous les soirs, il a les jambes et les pieds enflés. Gare l’hydropisie, [101] et < à > l’hiver prochain, qui emportera bientôt ce bonhomme in regionem multorum [50] et qui nous causera encore un autre jubilé, [102] outre celui qui est en chemin car on ne manque à nous envoyer de ces marchandises romaines et fanfreluches papalines qui ne coûtent rien à celui qui les envoie si libéralement.

Vale[51]


a.

Ms BnF no 9358, fos 210‑212, transcription de la même écriture très soigneuse que la lettre à Charles Spon du 5 juin 1663 ; avec une erreur dans l’ordre des dates, ce sont les trois premières de 5 feuilles (fos 210 à 214) de la même calligraphie avec pour en‑tête Lettres de Patin à Spon, Docteur en médecine à Lyon ; Reveillé-Parise, no cccli (tome ii, pages 477‑485), sans date, mais placée entre celles du 19 décembre 1662 et du 5 juin 1663. Les dates qu’on trouve dans la lettre et la mort d’Élie Béda des Fougerais (21 août 1667) mènent, avec d’autres détails, à dater sûrement cette lettre du 17 octobre 1667.

1.

« relue dix fois, elle plaira encore » ; {a} variante d’Horace : {b}

Hæc placuit semel, decies repetita placebit

[ce qui a plu une fois, répété dix fois, plaira encore]. {c}


  1. Le pluriel latin, placebunt [plairont], est lié à celui du mot qui désigne une lettre, litteræ (féminin pluriel), c’est-à-dire les caractères qui forment un texte, et non le support de son écriture.

  2. Art poétique, vers 365.

  3. Expression devenue proverbiale sous la forme simplifiée de bis repetita placent.

2.

« Comme la plupart des hommes, nous cherchons l’agrément dans les études etc. » : passage non trouvé dans les œuvres des deux Pline ni d’aucun autre auteur.

3.

« ce que je crois volontiers ».

4.

« de même comma », c’est-à-dire de même ton (musical). Les lettres figurant dans notre édition ne mentionnent pas le livre sur l’héritage chrétien des coutumes païennes, dont Guy Patin priait Charles Spon de lui rappeler le titre.

5.

De 1629 à 1642, Gabriel Naudé {a} avait séjourné à Rome en qualité de secrétaire et bibliothécaire du cardinal Gianfrancesco di Bagno, {b} et rédigé pour lui les :

Considérations politiques sur les coups d’État. Par G.N.P. {c}


  1. Mort en 1653, v. note [9], lettre 3.

  2. V. note [12], lettre 59.

  3. Rome, sans nom, 1639, in‑4o de 222 pages, « Par Gabriel Naudé, Parisien ».

    Guy Patin commentait ici la réédition « Sur la copie de Rome », sans lieu ni nom, 1667, in‑12 de 343 pages.

L’avis anonyme Au lecteur explique la genèse de cette réédition posthume :

« Ce livre n’ayant été composé que pour la satisfaction d’un particulier, {a} on n’en fit imprimer {b} que 12 exemplaires, qui n’ont paru que dans fort peu de cabinets où ils ont toujours tenu le premier rang entre les pièces curieuses ; mais comme le hasard m’en a donné une copie, j’ai cru que je n’obligerais pas peu le public en lui donnant un trésor qui n’était possédé que de fort peu de personnes. Cela joint au mérite de l’auteur et à celui de l’ouvrage, à qui on faisait tort de ne les pas faire connaître, m’ont obligé à le mettre sous la presse, et à insérer à la fin de chaque page la traduction française des citations grecques, latines et italiennes qui sont dans le corps du livre, afin de faire connaître le mérite de l’œuvre à plus de personnes, et donner au livre la seule perfection qui semblait y manquer ; ceux qui le liront admireront ce traité et me sauront bon gré de leur avoir fait part d’une pièce si rare. Adieu. »


  1. Le cardinal Bagno. Le Patiniana I‑4 fournit des précisions complémentaires sur la rédaction et la publication des Considérations politiques (v. sa note [10]).

  2. La préface de 1639, en forme d’excuse, est réimprimée à la suite de l’Au lecteur de 1667, qu’elle permet de comprendre :

    « Ce livre n’a pas été composé pour plaire à tout le mondenbsp;; si l’auteur en eût eu le dessein, il ne l’aurait pas écrit du style de Montaigne et de Charron, {i} dont il sait bien que beaucoup de personnes se rebutent, à cause du grand nombre de citations latines. Mais comme il ne s’est mis à le faire que par obéissance, il a été obligé de coucher sur le papier les mêmes discours, et de rapporter les mêmes autorités dont il s’était servi en parlant à Son Éminence. {ii} Aussi n’est-ce pas pour rendre cet ouvrage public qu’il a été mis sous la pressenbsp;; elle n’a roulé que par le commandement et pour la satisfaction de ce grand prélat, qui n’a ses lectures agréables que dans la facilité des livres imprimés. Et qui pour cette cause a voulu faire tirer une douzaine d’exemplaires de celui-ci, au lieu des copies manuscrites qu’il en faudrait faire. Je sais bien que ce nombre-là est trop petit pour permettre que ce livre soit vu d’autant de personnes que Le Prince de Balzac et Le Ministre de Silhon. {iii} Mais comme les choses qu’il traite sont beaucoup plus importantes, il est aussi fort à propos qu’elles ne soient pas si communes. Et en un mot, l’auteur n’a eu autre but que la satisfaction de Son Éminence, tant pour composer que pour publier cet ouvrage. »

    1. Michel de Montaigne (Les Essais) et Pierre Charron (La Sagesse).

    2. Le cardinal di Bagno.

    3. Jean-Louis Guez de Balzac, auteur du Prince (Paris, 1631, v. note [35], lettre 146), et Jean de Silhon auteur du Ministre d’État (v. note [6], lettre 692).

Dans ce livre, Naudé défend hardiment l’idée que le gouvernement des hommes réclame et justifie une morale particulière. Poussant cyniquement son propos à l’extrême, il va jusqu’à faire l’apologie des tyrans et, ce qu’on lui a le plus reproché, du massacre de la Saint-Barthélemy (v. note [30], lettre 211), dans ce passage (pages 169‑172) :

« Certes pour moi, encore que la Saint-Barthélemy soit à cette heure encore également condamnée par les protestants et par les catholiques […], je ne craindrai point […] de dire que ce fut une action très juste et très remarquable, et dont la cause était plus que légitime, quoique les effets en aient été bien dangereux et extraordinaires. […] Il fallait imiter les chirurgiens experts qui, pendant que la veine est ouverte, tirent du sang jusques aux défaillances pour nettoyer les corps cacochymes de leurs mauvaises humeurs. »

6.

Sans doute pour Gassendi ; interprétant ce « G. » comme un « c. », Reveillé-Parise a compris qu’il abrégeait « croyant », mais en s’étonnant d’une élision aussi anodine.

7.

« “ Toi qui les lis, ne te hâte pas de croire que les Annales du savant Baronius sont trop serviles et qu’on doive approuver un tel produit de Rome. Elles furent le fruit de nombreuses veilles, mais sous l’ordre du souverain. La pourpre n’est pas un mince salaire. Jadis, les pontifes ne souffraient pas qu’on enseignât la vérité. Etc. ” {a} Dans l’épigramme placée en tête des Exercices de Casaubon sur les Annales ecclésiastiques de Baronius. » {b}


  1. V. note [33], lettre 413, pour un plus long extrait (que j’ai annoté) de ce Hugonis Grotii in Isaaci Casaboni Exercitationes Baronianas, Carmen [Poème de Hugo Grotius sur les Essais baroniens d’Isaac Casaubon] qui se trouve à la fin des Prolégomènes des Isaaci Casauboni… Exercitationes ad cardinalis Baronii… Annales… [Essais d’Isaac Casaubon… contre les Annales… du cardinal Baronius…] (Londres, 1614, v. note [18], lettre 318).

  2. La dernière ligne est écrite dans la marge de la lettre.

8.

« et extraordinairement. »

Claude Belurger (ou Belurgey, mort vers 1622), savant helléniste, professeur de belles-lettres au Collège de Navarre (v. note [21], lettre 207), avait une si grande passion pour Homère qu’il voulut voir les lieux que ce poète a décrits. Après avoir placé toute sa fortune chez les chartreux, il commença son voyage à l’âge de 50 ans. Il partit d’abord pour Rome, où il reçut l’accueil que lui méritait sa connaissance des langues anciennes, et il composa une ode grecque pour le mariage d’Antoine Borghèse avec Camille Orsini. Il s’embarqua ensuite pour Alexandrie, mais il tomba malade en y arrivant et y mourut. Il n’a publié aucun livre et ses commentaires manuscrits sur Homère ont disparu avec lui.

Ces renseignement biographiques résument la notice de Giovanni Viitorio Rossi (Janus Nicius Erythræus) sur Claudius Belurgerius, aux pages 205‑207 de sa Pinacotheca (Cologne, 1643, v. notule {b}, note [22] du Naudæana 1).

9.

« Chimère bourdonnant dans le vide et dévorant de futiles arguties. »

Voltaire a fort bien illustré ce latin dans le chapitre xviii, Du concile de Nicée, {a} de son anonyme Histoire de l’établissement du christianisme (1777) : {b}

« Cette Église, à peine établie, était déchirée par les disputes de ses prêtres, devenus presque tous sophistes, depuis que le platonisme {c} avait renforcé le christianisme et que Platon était devenu le premier Père de l’Église. La principale querelle était entre le prêtre Arious, {d} prêtre des chrétiens d’Alexandrie (car chaque Église n’avait qu’un prêtre), et Alexander, évêque de la même ville. Le sujet était digne des argumentants. Il s’agissait de savoir bien clairement si Jésus, devenu Verbe, était de la même substance que Dieu le Père, ou d’une substance toute semblable. Cette question ressemblait assez à cette autre de l’École : {e} Utrum chimæra bombinans in vacuo possit comedere secundas intentiones. {f} L’empereur {g} sentit parfaitement tout le ridicule de la dispute qui divisait les chrétiens d’Alexandrie et de toutes les autres villes. Il écrivit aux disputeurs : “ Vous êtes peu sages de vous quereller pour des choses incompréhensibles. Il est indigne de la gravité de vos ministères de vous quareller pour un sujet si mince. ” »


  1. En 325.

  2. Œuvres complètes de Voltaire (Paris, hachette, 1860), tome vingt-troisième, pages 536‑537.

  3. V. note [46] du Borboniana 7 manuscrit, pour les néoplatoniciens.

  4. Arius, fondateur de l’arianisme, v. note [13], lettre 217.

  5. La scolastique de la Sorbonne.

  6. « Une chimère bourdonnant dans le vide peut-elle dévorer de futiles arguties ? »

  7. Constantin.

10.

« pour lui, ciel et enfers n’étaient que fables. »

L’empyrée « est le plus haut des cieux où les bienheureux jouissent de la vision de Dieu, qu’on nomme autrement le paradis. Le ciel empyrée, ou absolument l’empyrée. Ce mot est dérivé du grec pyr, qui signifie feu, à cause de sa splendeur et de sa lumière » (Furetière).

11.

« Les effrayants récits qui se font des enfers sont pures fables ; ce sont là jeux de poètes qui nous ont agités de vaines terreurs, etc. » ; Sénèque le Jeune (Consolation à Marcia, chapitre xix, § 4) :

Cogita nullis defunctum malis adfici, illa quæ nobis inferos faciiunt terribiles faciunt, fabula esse, nullas imminere mortuis tenebras nec carcerem nec flumina igne flagrantia nec oblivionem amnem nec tribunalia et reos et in illa libertate tam laxa ullos iterum tyrannos : luserint ista poetæ et vanis nos agitavere terroribus

[Une fois mort, sois-en bien certain, on n’éprouve plus aucune peine ; et les effrayants récits qui se font des enfers sont pures fables. Les défunts n’ont à craindre ni ténébreuses prisons, ni lacs de feu, ni fleuve d’oubli ; et dans cette vaste liberté, il n’y a ni tribunaux, ni accusés, ni nouveaux tyrans. Ce sont là jeux de poètes qui nous ont agités de vaines terreurs].

12.

« Est-il vrai que l’âme survive au corps enfermé dans le tombeau, ou n’est-ce qu’une fable, vain sujet de terreur pour des esprits timides ? etc. » (Sénèque le Tragique, Les Troyennes, v. notes [29] du Borboniana 6 manuscrit et [4], lettre 445).

13.

« la sève qui verdoie dans les feuilles vient des racines, tout comme les mœurs passent du père aux enfants avec la semence » (Baptista Mantuanus, v. note [2], lettre 423).

14.

« dans la curie de Rome {a} où il n’y a pas de place sans entremetteuse, etc. Voyez Pline, au chapitre 5 du livre ii de l’Histoire naturelle, qui est sur la divinité, là où il est question de la Fortune. » {b}


  1. V. note [8] du Borboniana 1 manuscrit.

  2. V. note [2], lettre 626, pour ce passage de Pline l’Ancien.

15.

V. note [25], lettre 97, pour Jean Bodin.

16.

Jeanne d’Arc, dite la Pucelle d’Orléans, née à Domrémy en 1412, a contribué à inverser le cours de la guerre de Cent Ans en menant une brillante campagne militaire contre les Anglais, entamée par la libération d’Orléans le 8 mai 1429, puis en permettant à Charles vii d’être sacré roi de France à Reims le 17 juillet suivant. Capturée à Compiègne le 23 mai 1430, Jeanne périt sur le bûcher à Rouen le 30 mai 1431. Héroïne de la France, l’Église catholique l’a béatifiée en 1909 puis canonisée en 1920. Il n’a jamais manqué d’historiens, plus ou moins bien renseignés, pour contester la version officielle de sa vie.

17.

Considérations politiques (v. supra note [5]), pages 153‑155 :

« La France donc ayant été réunie de la sorte par Clovis et, un peu après, beaucoup augmentée par Charlemagne, elle se conserva longtemps en un état assez florissant jusqu’à ce que les Anglais, sortant de leur nid, ils y apportèrent la guerre, et la continuèrent si obstinément qu’en étant presque devenus maîtres, il fut nécessaire sous Charles vii d’avoir recours à quelque coup d’État pour les en chasser. Ce fut donc à celui de Jeanne la Pucelle, lequel est avoué pour tel par Juste Lipse en ses Politiques et par quelques autres historiens étrangers, mais particulièrement par deux des nôtres, savoir Du Bellay Langey en son Art militaire et par Du Haillan en son Histoire, pour ne citer ici beaucoup d’autres écrivains de moindre considération. {a} Or ce coup d’État ayant si heureusement réussi que chacun sait et la Pucelle n’ayant été brûlée qu’en effigie, nos affaires commencèrent un peu après à s’empirer, tant par les guerres précédentes que par celles qui vinrent ensuite, et la France devint comme ces corps cachectiques et malsains qui ne respirent que par industrie, et ne se soutiennent que par la vertu des remèdes : car elle ne s’est depuis ce temps-là maintenue que par les stratagèmes pratiqués par Louis xi, François ier, Charles ix et par ceux qui leur ont succédé. »


  1. Vinfra notes [18] et [19] pour les sources citées par Naudé.

Selon les témoins oculaires, Jeanne d’Arc fut pourtant bel et bien brûlée à Rouen le 30 mai 1431 (Colette Beaune, page 163) :

« Jeanne se retrouva devant la troisième estrade où le bûcher avait été construit beaucoup plus haut que d’habitude pour qu’elle fût bien en vue. Trop haut, dit plus tard le bourreau, qui avait pourtant réussi à la lier au poteau. Il n’avait pas pu l’étrangler, comme on faisait d’habitude, pour lui épargner la souffrance. Ou n’avait-il pas osé, de peur d’être lynché ? Jeanne sentit le feu et cria plusieurs fois Jésus ! dans les flammes. Puis elle laissa tomber sa tête, tuée à la fois par la fumée et par la chaleur. Le bourreau écarta les fagots pour que chacun pût voir le corps déshabillé par le feu. C’était bien cette femme, elle était bien morte. Il rajouta de la paille et ralluma le feu qui brûla durant plusieurs heures. Le corps se consuma, les membres racornis se replièrent contre la poitrine. Puis le crâne et la cavité abdominale explosèrent sous la pression de la vapeur accumulée. Esquilles et morceaux d’os furent projetés sur les spectateurs en contrebas, tandis qu’une affreuse odeur de chair brûlée se répandait sur la place. Quand le bûcher s’éteignit, il restait encore une partie des entrailles et le cœur de Jeanne intacts, les organes humides brûlant moins bien. {a} Le bourreau dut ajouter de l’huile et de la poix, et allumer le feu une troisième fois. »


  1. Allégation improbable, voire ridicule, qui n’en a pas moins laissé des traces dans les chroniques : v. note [76] du Faux Patiniana II‑7.

Les « mythographes survivalistes » s’acharnent encore à prétendre qu’une autre condamnée fut mise à la place de Jeanne sur le bûcher. V. note [5], lettre 980, pour l’opinion catégorique d’Étienne Pasquier contre ces inventions.

18.

Guillaume Du Bellay (1491-1553), seigneur de Langey, fut l’un des meilleurs généraux de François ier, et le plus habile des diplomates français de son époque. Il était frère du cardinal Jean Du Bellay (v. notule {b}, note [15] du Faux Patiniana II‑3) et cousin germain d’un autre Jean, père du poète Joachim Du Bellay (v. note [14], lettre 739). Guillaume a écrit, en latin puis en français, des mémoires intitulés Ogdoades [Huitaines, parce qu’il a fait ses divisions de huit en huit livres].

L’ouvrage cité par Gabriel Naudé {a} était la :

Discipline militaire de Messire Guillaume Du Bellay, seigneur de Langey, chevalier de l’ordre et lieutenant général de roi à Turin, comprise en trois livres. Premièrement faite et compilée par l’auteur, tant de ce qu’il a lu des Anciens et Modernes, comme Polybe, Végèce, Frontin, Cornacan et autres, {b} que ce qu’il a vu et pratiqué és armées et guerres de son temps. Et nouvellement revue et disposée le plus religieusement que s’est pu faire, sans préjudicier aux mérites du dit auteur. {c}


  1. V. supra note [17].

  2. V. note [2], lettre 541, pour Polybe, et note [14], lettre de Thomas Bartholin datée du 18 octobre 1662, pour Végèce.

    Frontin (Caius Iulius Frontinus) est un consull romain du ier s. de notre ère, à qui on attribue 4 livres de Strategematon. Cornacan est le nom français d’Antonio Cornazano, polygraphe italien du xve s. auteur de plusieurs ouvrages politiques et militaires.

  3. Lyon, Benoît Rigaud, 1592, in‑8o de 509 pages.

Le passage sur Jeanne d’Arc est dans le livre second, page 123 ro‑vo :

« Du temps de Charles vii, en la guerre qu’il avait contre les Anglais, fut Jeanne la Pucelle, en France réputée personne divine, et chacun affirmait qu’elle avait été envoyée de Dieu ; mais à ce que l’on veut dire, le roi s’était avisé de {a} cette ruse pour donner quelque bonne espérance aux Français, leur faisant entendre la sollicitude que Notre Seigneur avait de son royaume ; et avec ce que {b} ledit roi travaillait que la susdite Jeanne fût trouvée véritable en ses dits, et que la plupart de ses entreprises vinssent à bonne fin, pour exécuter lesquelles, elle-même s’armait et se trouvait parmi les chevaliers aux combats. Les Français y eurent telle fiance {c} que de là en avant {d} la force des Anglais déchut de jour en jour, et la leur augmenta. »


  1. « avait conçu ».

  2. « en outre ».

  3. Confiance.

  4. « y crurent tant que dès lors ».

19.

Bernard de Girard, seigneur du Haillan (Bordeaux 1535-Paris 1610), lieutenant de l’amirauté de Guyenne pendant 45 années, devint historiographe de Charles ix puis de Henri iii et de Henri iv. Il a laissé de très nombreux ouvrages d’histoire. V. notes [8] et [7] (notule {b}), lettre latine 259, pour son avis et celui de Juste Lipse sur Jeanne d’Arc.

20.

Charles vii (v. note [30], lettre 279) confia à Jeanne d’Arc en 1429 la conduite de son armée contre les Anglais.

21.

Robert de Baudricourt (vers 1400-1454), bailli de Chaumont-en-Bassigny et capitaine de Vaucouleurs, finit par céder aux instances de Jeanne d’Arc et la mena à Chinon en février 1429 pour y voir Charles vii, le convaincre de sa légitimité et l’engager à la guerre contre les occupants anglais. À la fin du mois d’avril, Jeanne avait rejoint le futur comte de Dunois (v. note [15], lettre 327) dans Orléans assiégée, avec qui elle parvint à libérer la ville.

22.

« ici comme ailleurs on vend du poivre [on trompe le monde] » (Horace, v. note [3], lettre 247).

23.

« Tant la religion a pu inspirer de crimes » (v. note [12], lettre 334).

24.

Le copiste de la lettre a rayé ce commentaire {mis entre accolades} sur le manuscrit, mais une note marginale dit : « il faut ce qui est rayé » ; v. note [19], lettre 113, pour le pape Alexandre vi (Rodrigo Borgia).

Pier-Angelo Manzolli, poète latin, né près de Ferrare au commencement du xvie s., était, à ce qu’on croit, médecin du duc de Ferrare, Hercule ii d’Este ; « d’autres le mettent au nombre de ces luthériens savants que la duchesse de Ferrare, Renée de France, recevait dans sa cour et honorait de sa protection » (Bayle). Manzolli est plus connu sous le nom de Marcellus Palingenius (Marcel Palingène), anagramme de son véritable nom (avec le surnom Stellatus, qui signifie natif de Stellata, près de Ferrare, mais aussi l’Étincelant), qu’il voilait ainsi pour échapper aux persécutions du clergé.

Sa véritable identité n’était pas connue du temps de Guy Patin et de Bayle. Il est auteur d’un grand poème intitulé Zodiacus vitæ [Le Zodiaque de la vie] (Venise, Bernardinus Vitalis, 1534, in‑8o pour la première édition) : c’est une satire qui contient des attaques véhémentes contre le clergé (v. note [17], lettre 408) et quelques dissertations philosophiques d’une grande hardiesse. Chacun des 12 livres correspond à un signe du Zodiaque. La première édition fut détruite par l’Inquisition ; celle de Hollande, dont parlait ici Patin, est intitulée :

Marcelli Palingenii Stellati, Poetæ doctissimi, Zodiacus vitæ, hoc est, de hominis vita, studio, ac moribus optime instituendis lib. xii.

[Le Zodiaque de la vie de Marcellus Palingenius Stellatus, très savant poète : 12 livres sur la vie de l’homme, sa conduite et ses mœurs qu’il convient de fort bien régler]. {a}


  1. Amsterdam, Ioannes Janssonius, 1628, in‑8o de 315 pages, sans édition in‑12 que j’aie su trouver.

25.

Bayle sur Palingenius :

« Il est certain qu’il a parlé contre les moines et contre les abus de l’Église avec une extrême liberté, et de là vient qu’il paraît dans l’Index librorum prohibitorum {a} entre les hérétiques de la première classe, sur le pied de luthérien. On dit même que son cadavre fut déterré et brûlé sous prétexte d’hérésie. Néanmoins, il se déclara bon catholique à la fin de son épître dédicatoire, car il fournit toutes ses pensées à la censure de l’Église. Elles ne sont pas toutes d’une nature à pouvoir plaire aux protestants : il pousse trop loin quelquefois les objections des libertins et les étale d’une manière qui témoigne qu’il ne les condamnait pas. À cela près, son Zodiaque est rempli de bonnes choses, et d’une satire bien philosophique contre les mauvaises mœurs et les faux préjugés. »


  1. « Index des livres interdits » (par l’Église catholique romaine), v. notule {c}, note [30] du Naudæana 2.

À propos du cadavre qu’on brûla après l’avoir déterré, Bayle ajoute dans sa note C :

« J’ai lu cela dans Melchior Adam : {a} edidit præterea, dit-il parlant de Christophe Wirsungus, {b} Marcelli Palingenii Stellatensis (cuius cadaver, propter pietatis doctrinam in Italia exhumatum concrematumque fuit) poëmata doctissimis adiectis commentariis. {c} Mais voici un témoin plus authentique, le Gyraldi, {c} qui vivait en ce temps-là et dans le pays où la chose s’était passée, assure que l’on sévit contre les cendres de ce poète, post eius mortem in eius cineres sævitum est, ob impietatis crimen. » {c}


  1. Vitæ Germanorum Philosophorum… [Vies des philosophes allemands…] de Melchior Adam (Heidelberg, 1615, v. note [3], lettre 584), page 253.

  2. Christoph Wirsung (Augsbourg 1500-Heidelberg 1571), médecin et prédicateur évangélique.

  3. « il a en outre édité les poèmes de Marcellus Palingenius de Stellata (dont le cadavre a été exhumé et brûlé, en raison de la doctrine de piété qui sévit en Italie) en y ajoutant de très savants commentaires. »

  4. Giglio Gregorio Giraldi (Ferrare 1479-ibid. 1552) : Historiæ poetarum tam Græcorum quam Latinorum dialogi decem… [Dix dialogues de l’Histoire des poètes tant grecs que latins…] (1545).

  5. « après sa mort on sévit contre ses cendres, pour crime d’impiété. »

Quant au mauvais sort que Rome a réservé aux premiers luthériens italiens, le Patiniana 1 (v. note [12]) a rapproché Marcellus Palingenius d’Aonius Palearius (qui paya bien plus chèrement son audace).

26.

« qu’ils honorent Dieu par intérêt et non par piété » : v. note [17], lettre 408, pour ce vers et quelques autres de Marcellus Palingenius contre les moines.

27.

Pauli Iovii Novocomensis Episcopi Nucerini Elogia Virorum literis illustrium, quotquot vel nostra vel avorum memoria vixere. Ex eiusdem Musæo (cuius descriptionem una exhibemus) ad vivum expressis imaginibus exornata,

[Éloges des illustres hommes de lettres qui ont vécu en notre temps ou en celui de nos grands-pères, par Paulus Iovius, natif de Côme, évêque de Nocera. {a} Ils sont ornés des portraits pris sur le vif, tirés de son musée (dont nous donnons aussi la description)] ; {b}

Vitarum illustrium aliquot Vitorum, tomus ii.

[Tome ii des Vies de quelques hommes illustres]. {c}


  1. Paul Jove (Paolo Giovio), mort en 1552, v. note [2], lettre 533.

  2. Bâle, Petrus Perna et Henricus Petrus, 1577, in‑fo de 231 pages, richement illustré ; . note [18] du Traité de la Conservation de santé, chapitre  iii, pour l’édition non illustrée de Venise, 1546.

  3. Ibid. et id. 1577, in‑fo illustré de 225 pages, ne contenant que 14 vies (bien plus développées que dans le premier tome) : deux papes, un cardinal, et onze souverains musulmans.

28.

« Pour Nicolas Præpositus » ; v. note [3], lettre 15, pour Nicolas Præpositus, dit Nicolas de Salerne, auteur du Dispensaire de Nicolas, dont il existe de multiples éditions.

29.

« dans la troisième édition de son livre sur les écrits médicaux » :

Ioh. Antonidæ Vander Linden, Doct. et Professoris Medicinæ Pacticæ primi in Acad. quæ Ludgduni Batavorum, de Scriptis Medicis libri duo. Editio tertia et tertia auctior.

[Deux livres de Ioh. Antonides Vander Linden, {a} docteur et premier professeur de médecine pratique à Leyde, sur les Écrits médicaux. Troisième édition et augmentée pour la troisième fois]. {b}


  1. Johannes Antonides Vander Linden a été le correspondant latin le plus assidu de Guy Patin.

  2. Amsterdam, Jan Blaeu, 1662, in‑8o, ornée de la sphère armillaire (v. note [30] du Faux Patiniana II‑2) qui servait d’emblème aux Elsevier (v. notule {b}, note [13] dans Une lettre inédite de Guy Patin venue de Russie). V. notes :

    • [3], lettre latine 26, pour les deux précédentes éditions parues en 1637 et 1651 ;

    • [4], lettre latine 170, pour la préface où Linden remercie Patin de l’aide qu’il lui a procurée dans la mise à jour de son ouvrage.

Ce précieux recueil de bibliographie médicale mérite une attention particulière.

30.

V. note [9], lettre 736, pour François Verny, apothicaire de Montpellier, que Guy Patin avait prématurément cru mort.

31.

Petrus Baptista, médecin natif de Crémone au xvie s., est l’auteur d’un unique livre, qui est devenu l’un des plus rares du xvie s. :

Petri Baptistæ Cremonensis Medici epistolæ tres, ut non indoctæ ita ne ingratæ futuræ doctis, præcipue medicis : ac nunc primum natæ, excusæ : insertis etiam conclusionibus physicis academicis Io. Augustini Capallæ Itali, disputatoris citra controversiam acerrimi.

[Trois lettres de Petrus Baptista, médecin natif de Crémone, qui ne sont ni dénuées de science, ni sans agrément pour les gens savants, principalement les médecins, et qui sont publiées pour la première fois ; avec aussi les discours médicaux académiques de Iohannes Augustinus Capalla, argumentateur italien très pénétrant en cette controverse]. {a}


  1. Sans lieu, ni nom, ni date, peut-être Lyon, S. Gryphius, 1535, in‑8o de 57 pages.

Il y est principalement question d’une controverse médicale tenue à Nantes, sans doute en 1534. La dédicace est signée Petrus Baptista medicus almæ Nannetensium Universitati, omnibusque meliorum disciplinarum cultoribus, Nedum Medicis S.D. [Petrus Baptista, médecin en la bienfaisante Université de Nantes, salue tous ceux qui cultivent les meilleurs enseignements, et pas seulement les médecins].

Arrivant d’Italie à Nantes le jour de la fête de la Transfiguration (6 août), Baptista assista, dans le couvent des franciscains, à sept heures du matin, à une discussion menée par Joannes Augustinus Capalla, de l’Université de Padoue. Baptista montra que Capalla trompait le monde avec ses prescriptions extravagantes, dont un clystère pesant cinq livres et contenant deux livres et demi de miel, avec ce commentaire très précieux pour les spécialistes de Rabelais, qui le tiennent pour la première référence imprimée à ses œuvres (M.A. Screech, « The earliset reference to a Gargantua and Pantagruel… [La plus ancienne référence à Gargantua et Pantagruel…] », Études rabelaisiennes, tome xiii, pages 70‑78, Genève Droz, 1976) :

Excusandus esset Capalla, imo vero etiam laudandus, si huiuscemodi clysterem quinquilibrem præscripsisset Gargantuæ Regi, aut huius filio Pantagrueli, quorum plusquam giganteam corporis molem, ac plane incredibilem ventris capacitatem extitisse, recentes pridieque natæ Gallorum historiæ protiderunt.

[Capalla aurait été excusable, et même digne de louange, s’il avait prescrit ce clystère de cinq livres au roi Gargantua ou à son fils Pantagruel, dont les aventures ont été tout récemment publiées en France, qui sont dotés d’une masse corporelle plus que géante et d’un ventre de capacité tout à fait incroyable].

32.

V. notes :

33.

« auxquelles il ne s’applique pas nonchalamment. » Guy Patin tenait pour un débauché son collègue Jean-Baptiste Moreau, fils de feu René Moreau ; tous trois avaient été ou étaient docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris et professeurs au Collège de France.

34.

« Ici croît la moisson dans les champs où fut Troie » (Ovide, v. note [2], lettre 497).

35.

Le 11 août 1667, v. note [2], lettre 919.

36.

« l’excrément des écoles » ; v. note [12], lettre 564, pour Théodore Marcile.

37.

« j’ai honte d’un homme qui a étudié si longtemps et ne sait rien. » Je n’ai pas trouvé ces mots dans la Correpondence de Joseph Scaliger, mais j’y ai lu bien d’autres marques de son mépris à l’encontre de Marcile.

38.

« en la république des lettres ».

39.

« dans la chaire royale » ; v. note [2], lettre 21, pour Jean Passerat.

40.

Oratio funebris in obitum Viri Excellentissimi, Clarissimi Dn. Hieronymi Bauhini, Med. Doctoris, et in Academia Basiliensi antehac Medicinæ Theoret. Profess. meritissimi, habita ibidem in Aula Medicorum Tertio Id. Junii, Anno m. dc. lxvii. a Ioh. Henrico Glasero, Med. Doctore et Professore. Accesserunt Virorum Clarissimorum Epicedia

[Oraison funèbre pour célébrer la mort de l’excellent et très brillant M. Hieronymus Bauhin, {a} naguère docteur en médecine et très éminent professeur de médecine théorique en l’Université de Bâle, prononcée au même endroit devant le Collège des médecins, le 11 juin 1667, par Johann Heinrich Glaser, docteur et professeur de médecine. Des poèmes funéraires écrits par de très brillants hommes {b} y ont été ajoutés]. {c}


  1. Hieronymus Bauhin a correspondu avec Guy Patin.

  2. Dont ceux de Charles Spon et de Thomas Bartholin, mais sans un mot de Patin.

  3. Bâle, Jacobus Bertschius, 1667, in‑4o de 36 pages.

Né à Bâle, Johann Heinrich Glaser (1629-1675) y avait reçu le titre de maître ès arts en 1648 et étudié ensuite la médecine. Il s’était rendu à Genève, Heidelberg, puis avait séjourné longtemps à Paris. Au bout de neuf ans, il était revenu dans sa patrie, pour y être reçu docteur en 1661. Le Sénat académique de Bâle lui avait confié la chaire de langue grecque en 1665 ; il l’avait quittée deux ans plus tard pour remplir celle de professeur d’anatomie et de botanique. Il mourut en 1675, laissant plusieurs ouvrages consacrés à la médecine et à l’étude de la langue grecque (J. in Panckoucke). La fissure glénoïdale de l’os temporal a conservé son nom.

V. note [1], lettre 1029, pour son frère Christophe, apothicaire à Paris.

41.

« à Charles Patin. »

42.

« pourvu qu’il gagne ou du moins, qu’il s’entende avec son adversaire » ; seule mention de ce M. Robillard dans les lettres.

Dans les Commentaires de la Faculté de médecine, en date du 30 janvier 1651 (v. note [4] des Décrets et assemblées de la Faculté en 1650-1651), le doyen Guy Patin a évoqué une procédure engagée par Jean Bourgeois contre la veuve de Louis Robillart, leur défunt collègue (mort en 1646), mais il est fort improbable que cette affaire ait encore été en débat tant d’années plus tard.

43.

Première cène : « fête solennelle qui se célèbre chez les juifs en mémoire de leur délivrance de la captivité d’Égypte (Pascha). Immoler la Pâque, manger la Pâque, se dit en style de l’Écriture Sainte, de l’agneau que les juifs immolaient et mangeaient tous les ans pour célébrer la fête de Pâques, ce qui se pratiquait le 14e de la lune d’après l’équinoxe du printemps. […] L’Espagnol dit que les juifs se ruinent en Pâques, les maures en noces, et les chrétiens en procès » (Trévoux).

La polygamie permise aux musulmans était visée dans la ruine des Turques.

44.

« je n’en ai rien su ».

Henri, fils de Samuel Sorbière, dont Guy Patin a parlé en 1650, tandis qu’il était nourrisson (v. note [41], lettre 240), a contribué à la publication posthume de quelques écrits de son père.

45.

C’était la naissance de Louis, comte de Vermandois (1667-1683), qui fut avec Marie-Anne (1666-1739), future princesse de Conti, l’un des deux enfants que Louis xiv engendra avec Mlle de La Vallière et qu’il fit légitimer. Avant eux, étaient nés Charles (le 19 novembre 1663) puis Philippe (7 janvier 1665), tous deux morts au berceau.

Mlle de Montpensier (Mémoires, seconde partie, chapitre viii, page 62) :

« Mme la duchesse de La Vallière était accouchée au mois d’octobre d’un fils, en cachette comme les autres fois, et encore un samedi, et l’on avait fait médianoche {a} dans sa chambre ; mais celui-là ne fut pas longtemps caché, on l’avoua et il fut légitimé au Parlement sous le nom de comte de Vermandois, et la fille on la nomma Mlle de Blois. Ils logèrent et logent encore chez Mme Colbert. »


  1. Repas qu’on prend au milieu de la nuit (v. note [14] de la Consultation 19).

46.

« la guerre, l’horrible guerre » : mise en espagnol et au singulier du Bella, horrida bella de Virgile (v. note [13], lettre 188).

47.

V. note [9], lettre 900, pour l’Histoire de la vie de Richelieu, commandée par sa nièce, la duchesse d’Aiguillon, au jésuite Pierre Le Moine (v. note [9], lettre 107).

48.

« à votre très douce épouse » ; erreur de transcription du scribe : « Je me » au lieu de « Je vous baise les mains ».

49.

V. note [2], lettre 926, pour la naisance de ce prince qui fut prénommé Léopold et mourut en bas âge.

50.

« dans le domaine des morts » (avec multorum pour mortuorum). Ce « nouveau pape », Clément ix (v. note [2], lettre 922) avait été élu le 20 juin précédent. Il « dura » jusqu’en 1669.

51.

La transcription ne porte ni signature ni date.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 17 octobre 1667

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(Consulté le 18/04/2024)

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