L. 929.  >
À André Falconet,
le 17 janvier 1668

Monsieur, [a][1]

Je suis bien aise d’apprendre qu’on achève l’édition de la Physiologie et Pathologie de Gaspard Hofmann [2][3] chez M. Anisson, [4] car j’ai encore de lui deux autres manuscrits très bons qui pourront quelque jour paraître, quand j’aurai été assez heureux de trouver quelque libraire qui en voudra entreprendre l’impression. [1] Dans peu de temps, le roi, [5] la reine [6] et M. le Dauphin [7] iront à Saint-Germain [8] d’où, après quelques jours, ils partiront pour aller plus loin et ne reviendront que longtemps après. On dit qu’ils iront vers la Lorraine, [9] et qu’on a arrêté tous les grands bateaux qui sont sur la rivière pour y envoyer du canon et que cela menace la Franche-Comté. [2][10] On dit aussi que l’électeur de Brandebourg [11] donne au roi 12 000 hommes. [12]

Ce 16e de janvier. On dit des mauvaises nouvelles de Candie, [13] et qu’enfin les chrétiens la perdront puisque les Turcs s’y obstinent si fort et que les Vénitiens ne la peuvent conserver. L’Europe est aujourd’hui presque en pareil état qu’elle fut l’an 1453 lorsque Mahomet [14] prit Constantinople. [15] O dolor ! [3]

Comme le roi va bientôt sortir de Paris, il a mandé à Messieurs du Parlement qu’ils vinssent le trouver au Louvre pour recevoir ses ordres avant que de partir ; ce sera pour demain à deux heures. On a soupçon de la fidélité du duc de Lorraine, [16] et on craint qu’il n’ait traité de nouveau avec la Maison d’Autriche, et c’est ce qui fait aller le roi de ce côté-là. [4] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris ce 17e de janvier 1668.


a.

Bulderen, no cccclxix (tome iii, pages 273‑274) ; Reveillé-Parise, no dcclxv (tome iii, pages 672‑673).

1.

Parution que Guy Patin espérait avec acharnement {a} des :

Caspari Hofmanni Philos. ac Medici, nec non in Academia Altorfina Medicinæ quondam Profess. Publ. Præstantiss. Apologiæ pro Galeno, sive Χρησθομαθειων, libri tres.

  • Tomus prior continens Isagogica et Physiologica.

  • Liber tertius, quo continentur Pathologica. Tomus posterior.

Opus Veritati Medicinalium dogmatum illustrandæ, Galenique gloriæ asserendæ utilissimum : Omnibus denique sanioris Medicinæ Cultoribus summe necessarium. Ex Bibliotheca Guidonis Patini, Doctoris Medici Parisiensis, et Professoris Regii.

[Trois livres d’Apologie pour Galien, ou Chrestomathies, de Caspar Hofmann, philosophe et médecin, ainsi que l’un des très illustres professeurs publics en l’Académie de médecine d’Altdorf.

Ouvrage extrêmement utile pour illustrer la vérité des dogmes médicaux et établir la gloire de Galien, et en somme extrêmement nécessaire pour tous les adeptes d’une médecine plus saine ; il provient de la bibliothèque de Guy Patin, docteur en médecine de Paris et professeur royal].


  1. Le rêve de Patin, né en 1649 et qui n’avait depuis lors cessé de hanter son esprit et ses lettres, devenait enfin réalité : la plus grosse partie des manuscrits qu’il avait acquis après la mort d’Hofmann étaient enfin publiés. V. note [2], lettre latine 443, pour ceux qu’il détenait encore, dont tous n’ont pas vu le jour.

  2. Lyon, Laurentius Anisson, 1668, in‑4o de 556 pages : livres i (chrestomaties isagogiques, ou introductives) et ii (chrestomaties physiologiques).

  3. Ibid. et id. 1668, in‑4o de 556 pages : livre iii (chrestomaties pathologiques).

Le privilège est daté du 19 septembre 1667, et le Desiit prælum huius editionis [achevé d’imprimer], du 3 janvier 1668. La courte épître dédicatoire en latin n’offre guère d’autre intérêt que d’être signée par Patin et adressée à Guillaume de Lamoignon, illustrissimo Galliarum Senatus Principi [très illustre premier président du Parlement des Français].

Suit un poème de Car. Sponius, Doct. Med. Collegio Lugdun. Aggregatus [Charles Spon, docteur en médecine, agrégé au Collège des médecins de Lyon] :

Illustrissimis viris Casp. Hofmanno,
operis auctori, ac Guidoni Patino,
ΕΡΓΟΔΙΩΚΤΗ, Eucharisticon.

Quas tuis, Hofmanne, curis actitabit gratias
Postera ætas, quot triumphos læta decernet tibi !
Veritatem vindicare a fraude quod sategeris,
Ac labantem sustinere gloriam Galenicam,
Impetus adversus omnes improbe carpentium !
Magnus ergo Veritatis, qua nihil divinius,
Pergameorumque Vindex manium vocabere
.

At tibi, Patine Guido, litteratorum decus,
Quod Viri tanti, penes te quæ latebant posthuma
Scripta, publicam subire iusseris lucem modo,
Ut iuventus, quæ Salutis consecrant se numini,
Possit hinc haurire in usus proprios quamplurima,
Præmii loco beatam proroget vitam Deus,
Donec inseraris albo mentium Cœlestium,
Indigésque flore tandem nectaris cœptes frui
.

[Hommage à deux hommes très illustres,
Caspar Hofmann, auteur de l’ouvrage,
et Guy Patin, son éditeur
.

La postérité, Hofmann, te rendra souvent grâces pour tes soins, et avec quelle joie t’en décernera-t-elle les acclamations ! Que tu t’es donc donné de mal à délivrer la vérité de la fourberie et à soutenir la gloire chancelante de Galien contre les élans de ceux qui déchirent tout le monde ! {a} Tu mériteras donc d’être appelé grand défenseur et de la vérité, qui est sans égale en divinité, et des mânes de Pergame. {b}

Et à toi, Guy Patin, gloire des lettrés, pour avoir désiré mettre publiquement en lumière les écrits posthumes d’un si grand homme, que tu recelais entre tes mains, afin que la jeunesse puisse y puiser et faire bon usage de tant de choses qui se consacrent à la divinité de la Santé. Qu’en récompense Dieu te prolonge dans une vie heureuse, jusqu’à t’inscrire sur la liste des esprits célestes, et que, ayant quitté ce monde, tu commences enfin à t’enivrer au parfum du nectar]. {c}


  1. Les médecins chimiques, dans le sillage de Paracelse, mais aussi la révolution physiologique lancée par la circulation sanguine de William Harvey, allaient finalement enterrer le galénisme.

  2. Patrie de Galien.

  3. V. note [3], letre de Reiner von Nuehaus datée du 13 juin 1662

La préface (Præfatio generalis) de Hofmann est datée d’Altdorf en 1635. Les deux derniers des trois livres sont divisés en sections ; leurs titres traduisent la relative incohérence de l’ouvrage :

2.

Territoire espagnol, la Franche-Comté (v. note [6], lettre 29) fut du 2 janvier au 19 février 1668 la proie d’une conquête éclair par les troupes royales que menaient le Grand Condé du côté de Besançon et Louis xiv en personne du côté de Dole.

Le roi quitta Paris le 2 février. Il a lui-même relaté tout le soin qu’il mit à organiser cette dernière campagne de la guerre de Dévolution (Mémoires de Louis xiv, tome 2, pages 328‑329, année 1668) :

« La plus grande difficulté de l’entreprise était d’en conserver le secret parmi tous les préparatifs qu’il fallait faire. Mais après y avoir pensé, je trouvai moyen de faire assembler dix-huit mille hommes sans qu’eux-mêmes se pussent apercevoir de mon dessein car les uns étaient commandés pour aller en Catalogne avec mon frère, les autres pour se rendre à la Marche {a} où s’était faite une mutinerie de peu d’importance, les autres pour m’attendre à Metz où je feignais d’aller moi-même. Et leurs routes étaient tellement ajustées qu’à considérer le lieu dont ils partaient et celui où ils avaient ordre d’aller, la Bourgogne se trouvait naturellement dans leur passage. Je faisais même qu’ils y étaient arrêtés par M. le Prince sous prétexte d’un défaut de formalité ; car comme il était gouverneur de la province, il leur refusait son attache pour passer outre, feignant qu’il n’avait point eu avis de leur route.

Il n’y eut que les troupes de ma Maison avec lesquelles il fallut en user autrement, car je leur donnai d’abord une première route jusqu’à Troyes où je leur fis porter un second ordre pour se joindre aux autres ; mais cela ne se fit que dans le temps où il n’y avait plus rien à ménager.

Cependant le canon et les munitions, tant de bouche que d’artillerie, se portaient ou se préparaient dans la même province sous des noms supposés et des raisons apparentes, tandis que j’amusais ceux qui pouvaient y avoir le plus d’intérêt par des propositions fort éloignées de mon dessein. »


  1. Dans l’actuel département de la Creuse.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, pages 542‑543, année 1668) :

« Le samedi 25 février, je fus à Saint-Germain faire ma cour, le roi y étant arrivé le jour précédent à dix heures du matin. Comme cette conquête de la Franche-Comté est fort belle et heureuse, il est bon d’en remarquer les circonstances. M. le Prince, sous prétexte d’être en Bourgogne aux états, avait pris connaissance exacte que la Franche-Comté était sans aucunes troupes et sans défiance parce qu’ils ne doutaient pas que le roi leur accordât la neutralité comme à la dernière guerre, les habitants ayant envoyé devers lui pour la lui demander. Il les amusa. Cependant le roi a fait marcher son armée sans découvrir son dessein et les habitants de la Franche-Comté se sont vu attaquer sans avoir su qu’ils le devaient être. Besançon et Salins se sont rendus à la vue des troupes. Le roi, en arrivant, est allé à Dole, a fait installer les contrescarpes et quelques demi-lunes, où il y a eu quatre ou cinq cents hommes tués. Les habitants étonnés, se voyant sans troupes et sans espérance d’être secourus, se sont rendus le mardi gras, 14 février. Le roi a marché en même temps à Gray. Le gouverneur a fait mine de vouloir se défendre, mais le marquis de Dien, gouverneur général sous Castel Ridrigo, qui est du pays et y a tout son bien, s’est venu rendre au roi, et étant allé à Gray, a persuadé au gouverneur de se rendre. Ainsi le roi y est entré le dimanche 19 février et y a fait chanter le Te Deum, ayant à sa droite le gouverneur général et à sa gauche le gouverneur particulier de la ville ; et le même jour, il est parti pour le revenir. Ainsi le roi est parti de Saint-Germain le 2 février, est arrivé le 8 à Dijon, a su en arrivant que, le 6, Besançon et Salins avaient été pris ; il a attaqué Dole le 12 et l’a pris le 14, est allé à Gray et l’a pris le 19, est parti aussitôt et est arrivé à Saint-Germain le 24 février. Ainsi, en 22 jours du mois de février, il est parti de Saint-Germain, a été en Franche-Comté, l’a prise entièrement, et est revenu à Saint-Germain. Cette conquête est grande et admirable dans ses circonstances. »

3.

« Quelle pitié ! »

Nouvelle Rome et capitale de l’Empire byzantin, Constantinople (v. note [5], lettre 578), déjà éprouvée par la peste de 1076, ne retrouva jamais, même avec le retour des Grecs dans la ville (1261), la prospérité économique et le dynamisme démographique qu’elle avait connus avant 1204. Elle n’était plus au début du xve s. qu’une ville dépeuplée (40 000 à 50 000 habitants) aux quartiers partiellement abandonnés, dans le cadre d’un Empire qui rétrécissait comme peau de chagrin. Elle ne pouvait compter pour se défendre que sur une armée réduite à quelques milliers d’hommes, et sur l’appui financier des membres des colonies italiennes qui avaient accaparé la totalité de son commerce et dont les rivalités étaient souvent cause de troubles au sein de la cité. Elle était en outre déchirée religieusement par la proclamation à Sainte-Sophie, le 12 décembre 1452, de la réunion des Églises de Rome et de Constantinople, proclamée à Florence en 1439.

Les Ottomans, qui n’avaient pu s’emparer de la ville lors du siège dirigé par Murad en 1422, tentèrent alors un assaut décisif : Mehmed ii dit le Conquérant, Fatih, fils de Murad né en 1432, sultan de 1444 à 1446, puis de 1541 à sa mort en 1481, assiégea la ville à la tête de 200 000 hommes (dont 60 000 combattants) ; Constantin xii Dragasès ne put leur opposer que 6 000 ou 7 000 soldats, mais il résista pendant plus de deux mois, jusqu’à sa mort lors du dernier assaut turc (29 mai 1453).

La prise de Constantinople consacra l’effondrement définitif de l’Empire byzantin, qui représentait le dernier reste de l’Empire romain fondé en l’an 27 avant la naissance du Christ (G.D.E.L.). Elle est à tenir pour l’un des événements fondateurs de la Renaissance (ou rétablissement) qui eut lieu en Europe occidentale (v. note [49] du Naudæana 2). Chute de l’Empire romain d’Orient, découverte de l’Amérique et invention de l’imprimerie ont fait de la seconde moitié du xve s. une période d’immenses renversements qui ont changé la face du Monde.

Entamée en 1645, la guerre de Candie (Crète) opposait alors les Vénitiens aux Turcs (v. note [15], lettre 45). L’emprise progressive des Ottomans allait aboutir à leur victoire finale, malgré le secours d’un corps expéditionnaire français, le 27 septembre 1669 (v. notes [1] et [3], lettre 968).

4.

Cette alliance n’eut pas lieu. Bien au contraire, le 19 janvier 1668, un traité secret fut signé à Vienne entre Jacques Bretel, commandeur de Grémonville, agent diplomatique de Louis xiv, et l’empereur Léopold ier. Il réglait le partage de la succession d’Espagne : en cas de décès de son jeune roi Charles ii, les Pays-Bas, la Sicile et Naples reviendraient à la Couronne de France, et l’empereur aurait l’Espagne, les Indes et Milan. Ce traité permit une conclusion rapide de la guerre de Dévolution (traité d’Aix-la-Chapelle, 5 mai 1668), mais n’eut jamais d’application pratique car Charles ii survécut (J. Bérenger, Dictionnaire du Grand Siècle).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 janvier 1668

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(Consulté le 18/04/2024)

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