L. 940.  >
À André Falconet,
le 4 août 1668

Monsieur, [a][1]

Il y a bien ici des gens qui parlent d’une nouvelle guerre, mais je crois que c’est qu’ils la désirent et qu’ils s’ennuient déjà de la paix car autrement, il n’y a nulle apparence. [1] Il est mort ici ce matin un vieux marchand de grande réputation âgé de près de 80 ans, nommé Robert Poquelin ; [2][2][3] et après midi, on a mis un tableau à la Croix du Trahoir [4] pour huit Normands qui ont fait un vol insigne de 28 000 livres entre Coutances [5] et Caen. [6] Ils sont condamnés comme insignes voleurs à être rompus tout vifs, [7] mais ils ne l’ont été qu’en peinture. On parle de M. le Prince [8] pour être roi de Pologne, mais le grand-duc de Moscovie [9] demande la couronne pour son fils aîné, [10] qui sera quelque jour grand-duc ; [11] et en cas de cette élection, il offre de se faire catholique romain. Il y a de la peste [12] à Rouen [13] en sept maisons, et en quatre à Reims ; [14] il n’y en a plus à Soissons. [15] On parle aussi du duc de Neubourg [16] pour roi de Pologne, [17] et du prince de Baden-Baden. [3][18] La querelle des jansénistes [19] et des jésuites [20] continue toujours, mais ceux-ci ne peuvent venir à bout de faire condamner les autres évêques : on dit que M. l’évêque de Beauvais, [21] qui est comte et pair de France, ne peut être condamné à Rome, il n’y a que Messieurs du Parlement qui puissent lui faire son procès. [4][22] Il y a un livre nouveau contre les jésuites intitulé la Théologie morale des jésuites in‑4o ; on l’imprime en divers endroits in‑8o et in‑12. [5] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 4e d’août 1668.


a.

Bulderen, no cccclxxvi (tome iii, pages 285‑286) ; Reveillé-Parise, no dcclxxi (tome iii, page 680).

1.

Après la fin de la guerre de Dévolution, en mai 1668, la France ne s’engagea dans aucun grand conflit jusqu’à la guerre de Hollande qui éclata en avril 1672, au moment de la mort de Guy Patin.

2.

Robert Poquelin, marchand mercier de Paris, était frère de Jean, le père de Molière.

3.

Le fils aîné (tsarévitch) du grand-duc de Moscovie (tsar de Russie), Alexis ier Romanov, se prénommait aussi Alexis (1653-1670) ; n’ayant pas survécu à son père, il ne devint jamais grand-duc de Moscovie.

Philippe-Guillaume, duc de Neubourg (1615-1690), devint électeur palatin en 1685 ; v. note [9], lettre 340, pour Ferdinand Maximilien, marquis et prince de Bade.

Sans descendance, le roi de Pologne, Jean ii Casimir, allait abdiquer le 12 septembre 1668, mais sa couronne était déjà fort convoitée ; l’élection allait finalement lui désigner Michel Koributh Wisniowiecki (v. note [1], lettre 960) pour successeur. V. note [2], lettre 623, pour les espérances des Condé sur cette couronne élective.

4.

Avec les évêques d’Angers (Henri Arnauld), d’Alet (Nicolas Pavillon) et de Pamiers (François-Étienne de Caulet), celui de Beauvais (Nicolas Choart de Buzenval, v. note [20], lettre 334) était alors l’un des quatre prélats français que Rome poursuivait en raison de leur ferme soutien à la cause des jansénistes (refus du Formulaire, v. note [1], lettre 945). Choart de Buzenval fut l’un des artisans de la paix de l’Église, compromis qui mit temporairement fin, en octobre 1668 (v. note [1], lettre 945), aux longues persécutions endurées par Port-Royal.

5.

Antoine ii Arnauld  {a} est l’auteur présumé de la réédition de :

La Théologie Morale des jésuites, et nouveaux Casuistes : représentée par leur Pratique, et par leurs Livres : condamnée il y a déjà longtemps par plusieurs Censures, Décrets d’Universités, et Arrêts de Cours souveraines : Nouvellement combattue par les Curés de France ; et censurée par un grand nombre de Prélats, qui se peuvent voir en la page suivante. Et augmentée en cette nouvelle Édition d’une Censure faite par la Sorbonne. {b}


  1. V. note [46], lettre 101.

  2. Cologne, Nicolas Schoutte, 1667, in‑8o de 893 pages ; première édition ibid. et id. 1659, in‑8o de 493 pages.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 août 1668

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(Consulté le 19/04/2024)

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