L. 945.  >
À André Falconet,
le 28 septembre 1668

Monsieur, [a][1]

On parle fort ici de l’accord [2] fait par les quatre évêques persécutés par les jésuites, [3] duquel se sont mêlés d’honnêtes gens qui ont prévu qu’il y avait danger d’un schisme si cet accord ne se faisait ; d’où l’on dit que les pères de la Société ne se contentent guère, mais qu’il faudra qu’ils en passent par là puisqu’ainsi plaît au roi [4] et au pape, [5] que l’on dit être en colère contre les jésuites de France et d’Italie. [1][6]

Ce 22e de septembre. On dit que le roi s’en va faire l’hiver prochain une nouvelle suppression de cent secrétaires du roi et un notable retranchement dans la Chambre des comptes. Aujourd’hui au matin, M. de Montespan, [2][7][8] gendre de M. le marquis de Mortemart, [9][10][11] a été par le commandement du roi mené prisonnier dans le For-l’Évêque [12] pour avoir désapprouvé le choix que le roi a fait de M. de Montausier [13] pour être gouverneur de M. le Dauphin. [3][14] Plusieurs espéraient cette belle charge, comme MM. de Noailles, [15] de Bellefonds, [16] de La Rochefoucauld, [17] mais la brigue des femmes l’a emporté par le moyen de la reine, [18] dont Mme de Montausier [19] est la dame d’honneur ; même par-dessus les trois ministres qui l’espéraient pour M. le duc de Chaulnes, [20] qui est oncle de M. le duc de Chevreuse, [21] gendre de M. Colbert. [22] On ne sait pas combien durera le voyage du roi et il ne passera pas Chambord. [23] Quelques-uns croient qu’il ira jusqu’à La Rochelle [24] pour établir la gabelle [25] en ce pays-là, vu que l’on y fait filer quelques compagnies de dragons et autres officiers. On en soupçonne autant pour le Poitou et l’Auvergne. Le roi est parti le 24e de septembre et a couché à Chartres, [26] s’en va à Orléans [27] et à Blois. [28] Les Moscovites ont pris congé et s’en retournent dans deux jours, mais on dit que c’est sans avoir rien fait. Les politiques de ce pays disent que le voyage du roi est mystérieux, que dans un mois on en verra l’effet. [4]

M. Ménardeau, [29] doyen de la Grand’Chambre, a vendu sa charge ; sa femme est lyonnaise. [5][30] M. Canaye, [31] conseiller de l’Édit, [32] est exilé pour avoir mis 600 écus d’épices [33] sur un arrêt. M. le premier président [34] et le doyen de la Chambre des comptes sont interdits pour n’avoir voulu vérifier une déclaration sur les procureurs de leur Chambre, dont le profit allait à M. le duc d’Orléans. [35] Je viens d’apprendre que M. de Guénégaud [36] a fait son accord et que tout lui demeure moyennant 200 000 écus comptant, à quoi il est résolu. On parle pour le mois de février prochain d’un grand voyage du roi en Bretagne, Poitou, Guyenne, Languedoc, Provence, etc. [6] Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 28e de septembre 1668.


a.

Bulderen, no cccclxxix (tome iii, pages 289‑291).

1.

La paix de l’Église ou Paix clémentine, entre le pape Clément ix et le Clergé de France, allait être officiellement promulguée par un arrêt du Conseil du 23 octobre 1668 et par un bref pontifical du 14 janvier 1669. Apaisant pour onze ans la grande querelle de Port-Royal, au grand dam des jésuites, elle avait eu pour principaux artisans les quatre évêques cités dans la note [4], lettre 940 (Pavillon, Caulet, Choard de Buzenval, et Henri Arnauld), qui, le 10 septembre, s’étaient finalement résolus à signer le Formulaire (v. notes [9], lettre 733, et [1], lettre 821).

Ernest Lavisse (Louis xiv, livre vi, chapitre premier, pages 372‑377) a décrit les coulisses de cet important tournant de l’histoire religieuse et politique du xviie s. :

« L’honnête et ferme évêque d’Alet, Pavillon, {a} avait répondu à un édit d’avril 1664, ordonnant la signature, par une lettre au roi, qui était une remontrance sévère. Il y rappelait que “ tous les princes vraiment chrétiens ne se sont jamais attribué l’autorité de faire des canons et des lois dans l’Église, mais bien ont tenu à gloire d’en être les exécuteurs, non les instituteurs ”. M. d’Alet a “ craché au nez du roi ”, disait-on à la cour. Mais les jansénistes ne s’émouvaient pas. Ils se croyaient assurés que le pape {b} désapprouverait la contrainte à la signature et qu’il s’étonnait qu’on fît en France “ pour exécuter les constitutions papales, ce que lui-même ne faisait pas à Rome ”. Le roi résolut de demander aide à la cour de Rome. Il pria le pape de rédiger le Formulaire de foi et d’envoyer deux brefs, l’un pour ordonner la signature et l’autre pour annoncer qu’une commission d’évêques français, nommés par lui, jugerait les rebelles. Le pape envoya en février 1665 son Formulaire […]. {c}

Pavillon, mis en danger de schisme, céda, mais après avoir écrit en juin 1665 un mandement où il mettait à couvert la grâce efficace. {d} Le mandement fut publié et fit grand bruit. Le Conseil l’annula, le pape nomma les commissaires annoncés par le second bref.

La procédure, un moment interrompue par la mort d’Alexandre vii, fut reprise après l’avèvement de Clément ix, {b} en juillet 1667. L’affaire se compliquait. Quatre évêques seulement se trouvaient en rébellion&nbms;; mais d’autres, dont les principaux étaient Gondrin, archevêque de Sens, et Vialart, évêque de Châlons, {e} s’intéressaient à leur cause, soit par sympathie religieuse, soit par attache aux doctrines gallicanes, soit pour d’autres raisons. Ils furent dix-neuf à signer deux lettres adressées, le 1er décembre 1667, l’une au roi et l’autre au pape. Au pape, ils représentèrent que c’était “ un dogme nouveau et inouï ”, que d’“ établir l’infaillibilité de l’Église dans les faits humains, non révélés par Dieu ”, {f} – c’est-à-dire qu’il n’avait pas le droit de décider le “ fait ” que les propositions se trouvaient dans le livre de Jansenius. {g} Au roi, ils dirent que cette doctrine était “ pernicieuse, contraire aux intérêts et à la sûreté de son État ”, et que, d’ailleurs, les libertés gallicanes étaient violées par la nomination que le pape avait faite d’une commission pour juger des évêques. […]

Au même moment arrivait à Paris un nonce, Bargellini, {h} fin diplomate, qui voulait se faire valoir à Rome et à Paris par le succès d’une négociation difficile. […]

Pour contenter le Pape, il aurait fallu obtenir des quatre évêques la signature “ pure et simple ”. Mais il était certain qu’ils la refuseraient. Gondrin avait prié l’évêque d’Alet, au mois de juin, de lui faire savoir ce qu’il se sentait capable de faire pour la paix de l’Église. Pavillon avait répondu que “ Dieu ne lui demandait présentement aucune avance, et qu’il ne pouvait se prêter à des tentatives d’accommodement, qui tendent à obscurcir la vérité et sont contraires au caractère d’un évêque ”. Un seul moyen restait de rétablir la paix de l’Église : tromper le pape et l’évêque en même temps. Comme cela n’était pas facile, il faudra encore que l’un des deux se laisse tromper, ou du moins condescende à n’y pas regarder de trop près. Le plus accommodant des deux sera le pape Clément.

Les médiateurs rédigèrent le projet d’une lettre, que les quatre évêques enverraient au Pape après qu’ils auraient signé et fait signer le Formulaire. Le texte en était si entortillé que l’on ne pouvait discerner de quelle façon la signature aurait été donnée, si c’était pure et simpliciter ou non. Pavillon demanda des changements au texte. Mais déjà le nonce l’avait approuvé, il n’aurait pas souffert qu’on le retouchât, il était inquiet, et le laissait voir par des impatiences. Aussi Gondrin écrivit-il à l’évêque d’Alet : “ La paix de l’Église est entre vos mains ; la laisserez-vous périr pour trois ou quatre expressions absolument inutiles pour faire entendre distinctement vos pensées ? Je me mets à deux genoux devant vous pour vous demander pardon de la manière dont je vous parle. ” Arnauld {i} lui-même employa sa grande autorité à fléchir l’entêté. Il lui représentait que la paix de l’Église, ce serait la liberté pour les solitaires et pour les religieuses de Port-Royal. Enfin, le 15 septembre, Pavillon annonça qu’il avait signé.

La lettre des quatre n’aurait dû être envoyée qu’après qu’ils auraient eu signé et fait signer le formulaire, puisqu’il y était parlé de ces signatures. Les médiateurs l’expédièrent sans attendre, ils étaient pressés de bâcler la paix de l’Église. Les quatre évêques ne réunirent leurs synodes diocésains que du 14 au 21 septembre. Et Pavillon ne signa qu’après avoir rappelé son mandement du 1er juin 1665 et inscrit ses réserves au procès-verbal. À cette nouvelle, Gondrin s’épouvante. Il écrit à l’évêque que le nonce est troublé, craignant “ de renverser sa fortune ”. Il lui demande : Qu’arrivera-t-il quand “ les jésuites de votre pays auront mandé au Père Annat des nouvelles de votre synode ? ” {j} Et il le supplie “ très humblement… de ne donner copie ou extrait de son procès-verbal à qui que ce soit au monde, quelque instance ou même sommation qu’on fît pour la demander ”.

Cependant le pape a signé, le 28 septembre, un bref qui contenait la phrasenbsp;: “ Nous avons eu la joie d’apprendre que les quatre évêques… se sont soumis à la souscription pure et simple du formulaire. ” Pavillon, s’il avait lu ce bref, aurait éclaté ; aussi le bref ne fut-il pas publié. Mais il fallait bien que le pape répondît à la lettre des quatre évêques, et, cette réponse, on ne pourrait la leur cacher. Qu’arriverait-il, si le pape y mettait le pure et simpliciter ? Lionne {k} supplia qu’on ne l’y mît pas. Il écrivait, le 12 octobre, à un cardinal qu’il n’était pas commode d’avoir “ affaire à une cervelle comme M. d’Alet ”. Il était persuadé que “ toute la force de la monarchie ” ne pourrait empêcher ledit évêque de faire “ pleuvoir un déluge de manifestes ”. Au lieu de “ purement et simplement ”, le diplomate préféra reprendre dans le formulaire le mot “ sincèrement ”, qu’il jugea propre à couvrir toute cette duperie. Puis, comme si l’affaire était en effet conclue par le bref du pape, Gondrin conduisit chez le nonce, le 13 octobre, quelques jansénistes, parmi lesquels était Arnauld. Le nonce se moquait en son particulier de M. Arnauld, qui faisait, disait-il, l’Athanase ; {l} mais, quand il le vit entrer, il lui ouvrit les bras. Arnauld voulait le haranguer, mais, à peine avait-il dit “ Monseigneur ” que le prélat, craignant quelque parole embarrassante, l’interrompit pour l’accabler de compliments : “ Monsieur, vous avez une plume d’or pour la défense de l’Église. ” Il lui promit que le bon Vecchio – le bon vieux, c’est-à-dire le pape – mourrait de joie en apprenant que M. Arnauld était venu voir son nonce. Le 24 octobre, Arnauld fut reçu par le roi, et très bien reçu.

La veille avait été rendu un arrêt du Conseil. Le roi, prenant acte du bref du 28 septembre, ordonnait que les bulles continuassent d’être observées, défendait à ses sujets “ de s’attaquer et provoquer sous couleur de ce qui s’est passé,… d’user des termes d’hérétiques, jansénistes et semi-pélagiens, {m} et d’écrire sur lesdites matières contestées ”.

Mais cet arrêt indigna les jésuites, parce qu’il ne parlait pas de “ la pure et simple signature ”. Il inquiéta Pavillon, qui demandait, le 5 novembre, à Gondrin : “ Ne peut-on pas conclure des termes de l’arrêt que Sa Sainteté a cru que nous avons signé purement et simplement ? ” Il ne voulait pas être accusé d’avoir trompé le pape. Il publierait plutôt ses procès-verbaux et raconterait toute l’histoire : “ Je désire avec passion, disait-il, de ne pas être réduit à cette extrémité. ” De son côté, le pape ordonnait au nonce de s’enquérir exactement de la façon dont s’étaient soumis les jansénistes. Lionne s’entremit encore une fois. Il obtint des prélats médiateurs une déclaration, au bas de laquelle Arnauld mit sa signature. Ce fut encore un papier embrouillé, où les mots pure et simpliciter ne se trouvaient pas. Cependant le pape, qui aurait pu faire demander aux évêques si oui ou non ils avaient signé sans réserve, se contenta de l’attestation des médiateurs. Le 19 janvier 1669, il écrivit aux quatre :

“ Quoique, à l’occasion de certains bruits qui avaient couru, nous ayons cru devoir aller plus lentement en cette affaire (car nous n’aurions jamais admis à cet égard ni exception ni restriction quelconque, étant très fortement attaché aux constitutions de nos prédécesseurs), présentement toutefois, après les assurances nouvelles et considérables qui nous sont venues de France, de la vraie et parfaite obéissance avec laquelle vous avez sincèrement souscrit le formulaire…, nous avons voulu vous donner une marque de notre bienveillance paternelle. ”

“ Sincèrement ”, disait le pape. Il avait donc accepté le mot habile préféré par le ministre des affaires étrangères de France, celui qui avait glissé le fameux “ moyennant ” au texte du traité des Pyrénées. {n} Le même jour, il écrivait des remerciements aux médiateurs. Il parlait de la signature donnée sincèrement, sincero animo, mais il ajoutait “ selon la prescription des lettres apostoliques ”, ce qui était dire un peu plus qu’il n’avait dit aux quatre évêques. Tous les mots de cette négociation furent pesés dans une balance précise.

La “ paix de l’Église ” fut célébrée comme un grand événement du règne. Une médaille fut frappée, où l’on voit un autel portant le livre ouvert de l’Écriture Sainte. Sur le livre se croisent les clés de saint Pierre et le sceptre avec la main de justice du roi ; en haut, la colombe du Saint-Esprit rayonne. Ce fut le symbole auguste d’un acte qui ne l’était guère. Un janséniste, l’abbé de Haute-Fontaine, écrivait au janséniste Lancelot : {o} “ M. d’Alet a été trompé  M. le nonce a été trompé de même… ; ç’a été une sorte de jeu de gobelets. ” Ce janséniste pensait de la paix de l’Église ce qu’en disaient les jésuites. »


  1. Nicolas Pavillon, v. note [9], lettre 733.

  2. Alexandre vii, mort le 22 mai 1667, à qui succéda Clémen ix le 20 juin suivant (v. note [7], lettre 917).

  3. V. note [9], lettre 821, pour le Formulaire, qui contenait ces mots : « je rejette et condamne sincèrement les Cinq Propositions extraites du livre de Cornelius Jansenius ».

  4. Prédestination, opposée à la grâce divine suffisante, ou libre-arbitre.

  5. V. note [9], lettre 229, pour Henri-Louis de Pardaillan de Gondrin ; Félix Vialart de Herse était évêque-comte de Châlons depuis 1642.

  6. V. note [2], lettre 741.

  7. V. notule {a}, note [16], lettre 321, pour la distinction entre fait et droit.

  8. Arrivée à Paris, au printemps 1668, du nonce Niccolo Pietro Bargellini.

  9. Antoine ii Arnauld (v. note [46], lettre 101), meneur et autorité morale des jansénistes.

  10. François Annat (v. note [15], lettre 295), meneur des jésuites dans la longue dispute qui les opposait aux jansénistes.

  11. Hugues de Lionne (v. note [9], lettre 188), secrétaire d’État aux Affaires étrangères, médiateur des négociations pour le roi.

  12. Le gardien de la doctrine, par allusion à Athanase d’Alexandrie (v. notule {d}, note [10] du Naudæana 3).

  13. V. note [7], lettre 96, pour ce surnom dépréciateur des jésuites.

  14. L’article 61 du traité des Pyrénées (7 novembre 1659) est le seul à contenir le mot moyennant : « Sa Majesté catholique [Philippe iv d’Espagne] renonce par ce traité, tant en son nom, que de ses hoirs, successeurs et ayants cause, à tous les droits et prétentions, sans rien réserver ni retenir, qu’Elle peut ou pourrait ci-après avoir sur la Haute et Basse Alsace, le Sundgau, le Comté de Ferrette, Brisach [Brisgau] et ses dépendances, et sur tous les pays, places et droits qui ont été délaissés et cédés à Sa Majesté très-chrétienne [Louis xiv], par le traité fait à Münster le 24e octobre 1648 [partie catholique de la Paix de Westphalie], pour être unis et incorporés à la Couronne de France ; Sa Majesté catholique approuvant, pour l’effet de ladite renonciation, le contenu audit traité de Münster, et non en aucune autre chose dudit traité, pour n’y avoir intervenu. Moyennant laquelle présente renonciation, Sa Majesté très-chrétienne offre de satisfaire au payement des trois millions de livres tournois qu’Elle est obligée, par ledit traité, de payer à MM. les archiducs d’Innsbruck. »

  15. Claude Lancelot, v. note [4], lettre 389.

2.

Louis-Henri de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan (1640-1701), était neveu de l’archevêque de Sens, Henri-Louis, et le frère aîné de Henri, marquis d’Antin (v. note [2], lettre 720). Il avait épousé en 1663 Françoise Athénaïs de Rochechouart de Mortemart (1641-1707), Mme de Montespan, fille du duc (ici marquis, pour Guy Patin) Gabriel de Mortemart (1600-1675), qui était devenue maîtresse de Louis xiv en mai 1667. Ce mari trompé (S. Bertière, Les Femmes du Roi-Soleil, page 141) :

« était un personnage assez extravagant, bretteur endiablé, coureur de filles, criblé de dettes, le verbe haut, l’humeur querelleuse. Il attendit quelque temps pour protester. Il faut dire qu’il avait besoin d’argent. En mars 1668, à une date où la faveur d’Athénaïs était déjà notoire, il lui donnait encore procuration pour régler une affaire délicate. Ce n’est qu’à l’automne de la même année, rentrant de guerroyer en Roussillon, qu’il commença à soulever des tempêtes. Il vomit des menaces, insulta sa femme publiquement, fit une scène à Mme de Montausier {a} qu’il traita de maquerelle, courut les prostituées pour attraper une “ maladie honteuse ” à repasser au roi par l’intermédiaire de l’infidèle ; et comme elle le fuyait, il la poursuivit jusque dans l’appartement de la dame d’honneur pour la violer. Aux hurlements de ces dames, on accourut les arracher aux griffes de ce fou. On l’envoya méditer quelque temps en prison, au For-l’Évêque, {b} après quoi on l’expédia chez lui, en Guyenne, avec prière de n’en point sortir. L’on raconte qu’il fit devant ses serviteurs éberlués une entrée très remarquée, exigeant de passer par la grande porte “ parce que ses cornes étaient trop hautes pour passer sous la petite ”. Il fit ensuite procéder aux funérailles symboliques de feu son mariage, au moyen d’un corbillard tendu de noir couronné d’une magnifique paire de cornes de cerf. Il repartit en Roussillon à la tête d’une compagnie de soudards, s’y livra à quelques exactions qui déclenchèrent contre lui des poursuites, et finit par se réfugier en Espagne. Ni sa femme, ni sa famille, ni le roi n’avaient envie de le voir semer le scandale outre-Pyrénées. On lui accorda une grâce conditionnelle, assortie de quelques gratifications pour lui permettre de subsister, et il se tint à peu près tranquille en Guyenne. »


  1. Dame d’honneur de la reine Marie-Thérèse, v. note [1], lettre 792/a>.

  2. V. note [46], lettre 413.

3.

Le rude et honnête duc de Montausier (v. note [10], lettre 272) était un phénomène dans l’entourage vicié du grand roi. Il s’acquitta de ses fonctions de gouverneur du dauphin avec la stricte exactitude qu’il apportait à toute chose, assujettit son élève à la discipline la plus sévère, ne lui donna pas un moment de relâche, comme s’il se fût agi de dompter une bête féroce, et avec la meilleure volonté du monde, ne réussit qu’à faire un dévot de l’intelligence la plus épaisse. Par le choix des livres qu’il lui imposait, M. de Montausier provoqua chez lui une si vive horreur des lettres que le dauphin ne se résigna jamais à ouvrir un livre dès qu’il fut libre de ne plus le faire. Ni Jacques-Bénigne Bossuet, ni l’évêque d’Avranches, Pierre-Daniel Huet, ne parvinrent à lui faire surmonter ce dégoût ; il est vrai qu’ils n’osaient employer le grand moyen du duc de Montausier, le fouet. Ce fut pour le dauphin que M. de Montausier entreprit ces belles éditions de classiques Ad usum Delphini [Pour l’usage du Dauphin], qu’il surveilla lui-même page par page ; il rédigea aussi un Recueil de maximes morales et politiques pour le même usage, et se montra durant toute cette période extrêmement laborieux, mais en pure perte. Il était ainsi fait que ses meilleures qualités se tournaient en défauts par leur exagération. Cette éducation princière, qui devait être la grande œuvre de sa vie, fut tout à fait manquée. Elle prit fin en 1679 par le mariage du dauphin ; mais M. de Montausier ne cessa de surveiller son ancien élève, lui composa sa Maison et lui écrivit souvent pour lui rappeler ses devoirs de prince (G.D.U. xixe s.).

4.

V. note [1], lettre 944, pour l’ambassade du tsar auprès de Louis xiv. De Chambord, le roi regagna Saint-Germain le 21 octobre, sans entreprendre le voyage dont Guy Patin relatait la rumeur.

5.

Claude Ménardeau, seigneur de Champré (v. note [143], lettre 166), avait épousé Catherine Henry (v. note [15], lettre 463).

6.

V. note [2], lettre 944, pour la menace d’ôter à Henri de Guénégaud sa charge de secrétaire d’État à la Maison du roi. Louis xiv demeura en Île-de-France jusqu’en avril 1670.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 28 septembre 1668

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(Consulté le 24/04/2024)

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