L. 959.  >
À André Falconet,
le 7 juillet 1669

Monsieur, [a][1]

Le roi [2] a donné à M. de Chaulnes, [3] ci-devant ambassadeur à Rome, le gouvernement de Bretagne. [4] Il est oncle de M. le duc de Chevreuse, [5] qui est très riche, et gendre de M. Colbert. [6] Le roi est toujours à Saint-Germain, [7] à Versailles [8] ou au camp de Saint-Sébastien. [9] Les Hollandais font ce qu’ils peuvent pour s’opposer à nos desseins. Nous les avons autrefois aidés dans leur révolte contre le roi d’Espagne, aujourd’hui ils s’entendent avec eux contre nous : voilà la politique de ces nouveaux républicains qui ne veulent pas se souvenir de leur obligation.

Nous avons ici quantité de rhumes [10] qui étouffent le poumon en quatre jours par un catarrhe [11] suffocant si on n’en prévient le danger par la fréquente saignée. J’en ai fait saigner un dix fois en deux jours, qui est heureusement guéri et qui ne pouvait guérir que par là. Tout ce qu’on lui tira n’était que du pus au lieu du sang, et une espèce d’huile fondue. [12] Il nous est ici venu depuis peu de Genève un petit livre assez mal imprimé, Pharos medicorum Theophili Boneti[1][13] qui sont des lieux communs de médecine tirés des œuvres de M. Baillou, [14] qui mourut ici l’an 1616 l’ancien [15] de notre Compagnie. M. Spon sait bien ce que c’est que ce livre, il est excellent pour tout médecin qui veut raisonner et faire son métier avec science et autorité. Je vous prie de l’indiquer à monsieur votre fils aîné, [16] afin qu’il s’en serve et qu’il le lise soigneusement, et le porte dans sa poche comme un veni-mecum, ou plutôt comme un petit trésor de belle science et de bonne méthode. [2] Le bon Érasme, [17] qui, tout Batave qu’il était, était très acut et très fin, [3] a écrit quelque part Suadeo ut sacerdotes et monachi habeant exemplar divi Pauli pro concubina ; [4] faites-en l’application vous-même.

M. le cardinal Antoine, [18] grand aumônier de France, s’en veut retourner à Rome, d’autant que l’air de ce pays lui est fort contraire pour sa santé. Le roi a dit que notre secours doit être maintenant arrivé en Candie, [19] où les Vénitiens ont perdu cet excellent général nommé Cornaro. [5][20] C’est le nom d’une de leurs meilleures familles, qu’ils font même descendre de la famille romaine Cornelia ; [21] s’il est vrai, je m’en rapporte. [6] Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 7e de juillet 1669.


a.

Bulderen, no ccccxcii (tome iii, pages 312‑313) ; Reveillé-Parise, no dcclxxxiv (tome iii, pages 696‑697).

1.

V. note [1], lettre 935, pour le « Phare des médecins » de Théophile Bonet (Genève, 1668).

2.

Veni-mecum (du latin « viens avec moi »), de même sens que vade-mecum (« va avec moi ») : « chose qui est fort familière et qu’on porte ordinairement avec soi » (Furetière).

V. notes [6], lettre 674, et [7], lettre 882, pour le jeune médecin Noël Falconet, que la mort de son frère avait fait devenir le fils aîné d’André.

3.

Emploi inhabituel de l’adjectif acut, dérivé du latin acutus (aigu), qu’on utilisait plus couramment en imprimerie pour qualifier un caractère marqué d’un accent aigu (Furetière).

4.

« Je conseille que les prêtres et les moines aient un exemplaire de saint Paul pour concubine » ; probable adaptation de ce passage de l’avertissement « au lecteur sur l’utilité des Colloques » (De utilitate Colloquiorum ad lectorem ; Develay, tome 1, page 5) :

In colloquio de captandis sacerdotiis, taxo eos, qui Romam cursitant, venanturque sacerdotia, crebro gravi iactura tum morum tum pecuniæ ; eoque deduco sermonem, ut sacerdos, pro concubina, lectione bonorum auctorum semet oblectet.

[Dans le colloque sur la Chasse aux bénéfices, je blâme ceux qui courent sans cesse à Rome pour y briguer les charges ecclésiastiques, le plus souvent au préjudice de leurs mœurs et de leur argent ; en passant, je conseille au prêtre de choisir pour se récréer, au lieu d’une concubine, la lecture des bons auteurs].

5.

Caterino Domenico Cornaro (Venise 1624-Candie 13 mai 1669), membre de la dynastie vénitienne des Cornaro della Regina (qui donna plusieurs doges à la Sérénissime), était provveditore general [gouverneur général] de Candie (Héraklion) depuis moins d’un an quand il fut tué par l’explosion d’une mine ennemie. Le corps expéditionnaire français était arrivé le 6 juin 1669 dans la ville assiégée par les Turcs depuis 1648 (v. note [15], lettre 45).

6.

« On dit aussi absolument s’il est vrai, je m’en rapporte » (Furetière) : j’en conviens.

La famille patricienne des Cornelia fut l’une des plus éminentes de la République romaine. Sa plus célèbre représentante fut Cornélie (189-110 av. J.‑C.), fille de Scipion l’Africain le Jeune et mère des Gracques, les tribuns Tiberius et Caius Sempronius Gracchus (v. note [25] du Faux Patiniana II‑5). C’est Cornélie qui répliqua « Voilà mes bijoux ! » en montrant ses deux fils, dans leur berceau, à une dame qui faisait devant elle parade de ses parures.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 7 juillet 1669

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(Consulté le 19/04/2024)

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