L. 986.  >
À André Falconet,
le 11 juin 1670

Monsieur, [a][1]

On dit que le roi [2] ira prendre l’air au Bois de Vincennes [3] et qu’il enverra son code criminel nouveau, [4] qui est aujourd’hui chez M. le premier président[5] en la Grand’Chambre, pour être vérifié avec diverses suppressions, a quibus alii multi sibi metuunt[1] On dit aussi que M. le chancelier [6] est si vieux qu’il n’en peut plus et que la mémoire lui manque. Beaucoup de gens veulent me consoler de la mort de mon aîné, [7] mais cela n’apaise pas ma douleur qui ne se peut guérir par de tels liniments, [8] sunt verba et voces, prætereaque nihil[2][9] Rien ne me guérira que la mort ; ou si elle n’arrive, comme je n’en ai point hâte, Si post fata venit gloria, non propero[3][10] j’attendrai de la consolation et du secours des trois grands juges dont a fait mention Apollonius [11] dans Philostrate, [4][12] qui sont des dieux, le temps et la philosophie. Ces trois-là ont bien apaisé de la douleur depuis le commencement du monde, ce sont trois puissants anodins [13] tout autrement plus certains que la pilule de la reine d’Angleterre. [5][14][15] Christine, reine de Suède, [16] quitte Rome, à ce qu’on dit, parce que le pape [17] ne veut plus lui continuer la pension que le feu pape [18] lui donnait. [6]

M. Esprit [19] a tous les signes de la pierre en la vessie et en est enfin convaincu. Il songe à se la faire retirer, c’est une résolution qui ne se doit pas prendre légèrement. [20] Le roi a envoyé au Châtelet [21] un acte pour séparer de corps et de biens M. et Mme de Montespan, [22][23] et alia multa de genere hoc dicuntur, quæ scribere non est animus[7] Enfin, après avoir bien marchandé, le P. Le Moine, [24] jésuite, a mis sous la presse son premier tome de l’Histoire du feu cardinal de Richelieu[25] On dit qu’il y en aura trois in‑fo ; voilà bien du papier mal employé si cet Acignius [26] n’a pas écrit la vérité. [8] Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 11e de juin 1670. [9]


a.

Bulderen, no dxx (tome iii, pages 382‑383) ; Reveillé-Parise, no dcccxi (tome iii, pages 750‑751). Ces deux éditions datent la lettre du 11 juillet 1670, mais l’ordre de la séquence fait préférer le 11 juin.

1.

« dont bien d’autres sont dans la crainte. » Le Code de procédure criminelle, seconde partie du Code Louis (v. note [1], lettre 928), fut enregistré le 26 août. Le roi ne se rendit pas à Vincennes dans cette période, il séjourna à Versailles et Saint-Germain (Levantal).

2.

« “ ce ne sont que mots et formules ” [Horace, v. note [2], lettre 181], et rien de plus. »

3.

« Même si la gloire doit me venir après la mort, je ne suis pas pressé » (Martial, v. note [8], lettre 164).

4.

Flavius Philostrate (v. note [41], lettre 99) a laissé une Vie d’Apollonius de Tyane (Apollonius Tyanæus), thaumaturge et philosophe grec du ier s., originaire de Tyane en Cappadoce, considéré comme néopythagoricien (ou néoplatonicien, dans la terminologie moderne, v. note [46] du Borboniana 7 manuscrit).

V. les note [1][3] du Borboniana 6 manuscrit pour un départ vers de riches informations sur Apollonius et les controverses engendrées par le livre antichrétien que Philostrate à écrit son sujet.

5.

V. le 3e paragraphe de la lettre 968 pour la pilule d’opium qui incitait la duchesse d’Orléans à accuser Antoine Vallot d’avoir tué sa mère, la reine Henriette d’Angleterre, et la note [12] de la lettre 803 pour le sens médical du mot « anodin ».

6.

Christine de Suède fut en moins bon termes avec Clément x qu’avec son prédécesseur, Clément ix, mais ne se trouva pas forcée de quitter Rome où elle demeura jusqu’à sa mort, en 1689.

7.

« et on dit beaucoup d’autres choses sur cette famille, qu’il n’y a pas de sens à écrire. » V. note [2], lettre 945, pour l’insoumission acharnée du marquis de Montespan, légitime époux de la maîtresse de Louis xiv.

8.

V. note [3], lettre 320, pour Acignius, anagramme d’Ignacius (Ignace de Loyola), que Guy Patin employait ici pour dénigrer le jésuite Pierre Le Moine, dont l’Histoire de Richelieu ne parut jamais (v. note [9], lettre 107).

9.

Cette lettre imprimée (non plus que les suivantes) ne dit mot du grand désordre qui devait alors régner dans la maison de Guy Patin, place du Chevalier du Guet : la main forcée, il en avait loué la moitié environ à son fils Robert qui l’occupait avec sa femme et leurs quatre enfants depuis avril 1669 (an mc liasse et/cii/65, bail du 2 avril 1669) ; après le décès de Robert, l’inventaire complet de leurs biens (liasse et/cii/69) se déroula en plusieurs temps, du samedi 7 au mardi 10 juin, puis les lundi 23, mercredi 26 et vendredi 27 juin, et enfin le mardi 19 août.

Le plus pénible de tout pour Patin dut sans doute être l’inventaire des restes de sa bibliothèque : 644 volumes que les priseurs estimèrent valoir la modeste somme de 329 livres 10 sols. La Bibliothèque de Guy Patin et sa ruine fournit de plus amples détails sur ce naufrage.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 11 juin 1670

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(Consulté le 20/04/2024)

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