L. 988.  >
À André Falconet,
le 20 juin 1670

Monsieur, [a][1]

Il y a eu du désordre dans la famille de M. Vallot, [2] sa grande fortune n’est pas exempte de tristesse et de calamité : sa fille aînée, [3] ennuyée peut-être de n’être pas mariée et poussée d’un saint désespoir, s’est réfugiée dans les carmélites, [4] dont l’on dit que la mère est fort affligée. La prospérité des affaires de ce monde est bien passagère, Érasme [5] a dit dans ses Colloques que le désespoir faisait un soldat, [1] ou un moine. L’évêque de Nevers, fils du dit Vallot, [2][6][7] y est allé pour parler à elle et tâcher de la ramener à la maison, mais il ne l’a pas pu voir, si entière elle est dans cette sainte résolution. Tout cela n’est selon le langage des cagots, comme dit Scarron, [8] que quitter la terre pour gagner le ciel. Ô heureux échange, pourvu que l’on y arrive au gîte et qu’il n’y ait point de fausse monnaie dans le paiement !

Vous savez que notre ville est pleine de gens curieux et affamés de nouvelles. On y parle fort du roi d’Espagne, [9] sur une lettre qui portait que ce prince était malade d’une fièvre double-tierce continue. [10] Il est vrai que s’il mourait ce serait une étrange pomme de discorde dans l’Europe. Pour tout ce qui s’en dit, je ne m’en étonne point car tout le monde enrage de mentir quand il parle de ces grandes nouvelles. Je crois que vous savez mieux que nous s’il est vrai d’une espèce de petite révolte que l’on dit ici être arrivée en Vivarais [11] par les marchands de vin, à cause d’un impôt [12] qu’on voulait mettre sur les cabarets, de 8 livres par an, et dont quelques maltôtiers ont été maltraités. Mundus omnis exercet histrioniam[3][13] Vale.

De Paris, ce 20e de juin 1670.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clxxxiii (pages 490‑491) ; Bulderen, no dxxii (tome iii, pages 384‑385) ; Reveillé-Parise, no dcccxiii (tome iii, pages 752‑753) avec transfert d’un premier paragraphe sur Vallot qui et tiré de la lettre du 19 août (no 993).

1.

Érasme, Colloque iii, La Confession du soldat (Develay, tome 1, page 38) :

Hanno. Quid igitur in mentem venit istis, qui nummo conducti, nonnulli gratis, currunt ad bellum, non alter quam convivium ?

Thrasymacus. Ego nihil aliud coniectare possim, quam illos agi malis furiis, seseque totos malo dæmoni ac miseriæ devovisse, nec aliud quam hic manes suos anticipare.

« Hannon. À quoi songent donc ceux qui, s’engageant pour un écu et souvent même pour rien, courent à la guerre comme à un festin ?

Thrasymaque. Je ne puis que penser qu’ils sont tourmentés par les Furies, qu’ils se sont voués à un mauvais démon et à la misère, et qu’ils cherchent uniquement par là à accélérer leur mort. »

2.

Édouard Vallot (1637-1705), fils d’Antoine, avait été nommé évêque de Nevers en 1667.

3.

« Le monde entier joue la comédie » (Pétrone, v. note [8], lettre 347).

Source de taxes nouvelles, la rumeur d’une extension des cours d’élections au Vivarais, pays d’états, avait déclenché une révolte. Les premiers mouvements avaient eu lieu à Aubenas à la fin d’avril 1670. Une bande de mutins avait investi cette ville le 14 mai. Elle était menée par Antoine du Roure, riche laboureur et ancien officier de l’armée. Diverses concessions ne parvenant pas à apaiser la sédition, le roi envoya une troupes qui la mata dans le sang (juin-juillet). Du Roure fut capturé pour être roué et écartelé à Montpellier le 29 octobre.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 juin 1670

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(Consulté le 16/04/2024)

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